Chapitre 15

« Oh ! comment retenir cet ange qui s'enfuit ?

Comme il est sombre et pâle ! il ressemble à la nuit.

Comme il s'envole vite !... et de ma main tremblante

S'échappe malgré moi son aile impatiente. »

— Sophie d'Arbouville, Le passé


Jehanne accordait rarement sa confiance. Les gens ne s'en montraient jamais dignes. Pourtant, elle s'était confiée à Arian, lui avait avoué sa nature de Kèr, lui avait raconté son passé et sa crainte des Idoles, son but aussi. Bien au lieu de se montrer indifférent, le loup avait juré de l'aider avec sa sœur.

Je me suis ouverte à cet enfoiré. Je lui ai même fait une pipe !

— Si ça peut te soulager, Arian n'avait que deux options. Soit il découvrait les informations que nous avions besoin de connaitre, soit je te tuais. Il t'a sauvé la vie, et c'était un excellent choix je dois dire.

L'hybride tentait sans doute de trouver des excuses à son sbire, mais ça ne marchait plus. Jehanne ne marchait plus !

— Va te faire foutre, Salathiel ! Allez tous aux diables !

— Nous ne sommes pas tes ennemis, Jehanne, continuait le chef de la Rébellion. Si tu rejoignais nos rangs, nous pourrions te protéger.

En plus de l'avoir piégé, les petits rebelles la prenaient pour une idiote ?

— Bien sûr, parce que j'ai besoin de votre protection ? Vous n'aurez rien de moi. Et manque de chance, sans moi, vous ne pourrez jamais obtenir le Glas des Immortels !

Eh bien oui, ils devaient vouloir d'elle deux choses. Ce don mystérieux que possédait une kèr, capable de tuer une Idole, et ce fameux Glas des Immortels, une arme tout aussi fatale lorsqu'on savait comment s'en servir.

La surprise qu'elle lut dans le regard de Salathiel lui fit réaliser son erreur. Arian n'avait pas tout cafté. D'ailleurs, ce dernier secoua de la tête, comme embarrassé qu'elle ait pu révéler une telle information.

— Tu sais où se trouve le Glas des Immortels ? continua l'hybride.

— Tu en connais l'existence ?

Étonnant, puisque Arian n'en avait rien su lorsqu'elle lui en avait parlé.

— Depuis combien de temps penses-tu que je cherche un moyen de combattre efficacement les Idoles ? Je connais toutes les légendes qui offriraient l'espoir de leur destruction. Je connais le pouvoir de ces yeux-, glissa-t-il un doigt sous son œil. Et je connais le pouvoir du calice. En serais-tu l'héritière ?

Pour toute réponse, elle lui cracha à la figure. Salathiel relâcha suffisamment sa prise pour que la kèr surentrainée puisse le tourner à son avantage. La seconde suivante, leurs positions furent inversées. Elle donna un coup au visage de l'hybride, puis ramassa sa dague à la vitesse de l'éclair pour la lancer sur Nethanel. Ce dernier poussa un cri de douleur, ses doigts ayant été tranchés net. Elle ne perdit pas de temps, courant jusqu'à la clé et débarrassant le plancher, n'oubliant pas de récupérer son arme au passage.

— Attends Jehanne ! tenta de la retenir Arian.

Mais Jehanne se trouvait déjà dehors, prête à se servir du passe pour fuir loin de tout, loin d'Arian. Pour autant, le loup ne semblait pas d'accord. En plus de lui briser le cœur, sa poigne manqua de lui briser de bras.

— Lâche-moi !

Dans un mouvement de pivot, elle récupéra la mobilité de son membre avant de reculer de deux pas.

— Tu pleures...

D'un geste furieux, elle chassa ces fichues larmes que le loup ne méritait pas. Sa grande main chercha à l'approcher. Il n'y parvint jamais, Jehanne esquivant de cette étreinte qu'elle ne désirait plus.

— Ne me touche pas ! chassa-t-elle la main. Plus jamais.

Pourquoi avait-elle commis la plus classique des erreurs ?

— J'étais prête à te donner mon cœur... Mais j'avais tort. Tu as dû bien t'amuser à me faire croire que nous étions des partenaires destinés.

— Jehanne, ne fais pas ça. Ne me rejette pas.

Était-il désespéré ? Tant mieux. Peut-être serait-il capable de comprendre le néant qui commençait à peser lourdement dans sa poitrine.

Pour toute réponse, Jehanne leva son majeur. Discrètement, la planta la clé dans le vide, tourna. Une porte invisible s'ouvrit, entourée d'un halo magique. En le traversant, elle se trouva sur la terre des hommes. Pas de temps de s'en réjouir. Elle ferma vite le portail, ayant au moins confiance en l'obstination d'Arian pour vouloir l'empêcher de partir. À son grand désarroi, Jehanne le croyait lorsqu'il affirmait qu'ils étaient destinés l'un à l'autre. Un lycan ne laisserait pas son âme sœur lui échapper.

Un bruit de chute l'a surprise, accompagnée par la plus succulente et appétissante des odeurs.

Son regard se posa au sol. Un bras. Celui d'Arian.

— Bien fait pour toi.

Il avait sans doute cherché à traverser. Haussement des épaules. Jehanne s'en fichait. Tout comme elle se fichait de sentir le cochon grillé. Merde, il fait jour ! Le soleil la brûlait, elle se mit aussitôt à l'abri.

Oublie tout de ce type. Va de l'avant, passe à autre chose.

Ce n'était pas la première fois qu'elle se faisait duper. Mais elle espérait bien que ce soit la dernière.

Elle avait devant elle quelques jours de répit. Ses chers amis de la Rébellion étaient enfermés dans le Téras, sans pass. Et on ne traversait pas la frontière magique entre son monde et celui des Hommes d'un claquement de doigt.

Cela lui donnait le temps de situer sa position géographique, et ensuite de faire le nécessaire pour retrouver les chemins de ses ruines.

Son objectif n'avait pas changé. Elle devait récupérer son manteau.


***


Arian hurla son grognement le plus sauvage, se tenant le bras. Il venait de perdre un membre en voulant retrouver son âme sœur. Mais cette souffrance n'était rien à côté de son cœur brisé.

Jehanne avait cru en lui, et aujourd'hui, elle ne lui accorderait plus cette confiance si durement acquise. La preuve se dessinait là, avec son bras sanguinolent et coupé net par le portail interdimensionnel. Une blessure qui commençait son processus de guérison. Les bras, ça repoussait souvent en quelques heures. Parfois plus, parfois moins. Cela dépendait des espèces, de l'hygiène de vie, de... On s'en fout, retrouve ton âme sœur !

Mais le portail s'était refermé. Et sans clé, sans passe, une seule solution restait disponible. Attendre le retour de Daveth.

Nouvel hurlement animal et monstrueux.

La bête en lui, ce loup aux instincts puissant, réclamait son âme sœur. Sa femelle toxico qui venait de le fuir. Sa main intacte attaqua un arbre à proximité, le brisant aisément alors que son corps effleurait la transformation totalement.

Son dernier regard avant qu'elle ne disparaisse devant lui... Arian avait déçu et détruit sa femelle. Il en tomba à genoux, soudain fébrile, tremblant à l'idée que cela lui coûte bien plus qu'un bras. Et s'il ne la revoyait plus ? Le Papillon écarlate possédait ses armes et ses atouts. Il ne sous-estimerait jamais ses compétences. Si elle le souhaitait, elle pourrait disparaitre, et il ne la retrouverait jamais.

C'est parce que j'ai fait passer le besoin de la Rébellion avait ceux de mon âme sœur. Un comportement contre-nature pour un lycan. Pour ceux de son espèce, l'âme sœur était tout. Au début, il avait accepté de jouer ce jeu pour empêcher Salathiel de tuer Jehanne. Mais ensuite, pourquoi avait-il continué de se taire ?

Cela ne servait à rien, mais Arian se remit debout pour passer ses nerfs sur ce qui l'entourait. Au bout de plusieurs longues minutes, Arian cessa de s'agacer sur la forêt, retournant plutôt dans la maison où l'attendaient Salathiel et Nethanel.

— Parfait, je pense que tu as réussi à repousser toutes les créatures des environs, commença Nethanel sur le ton de l'ironie. J'ai moi-même eu des frissons en t'entendant. Le hurlement d'un lycan est vraiment terrifiant.

— Ferme-la ou le terrifiant lycan va t'arracher la mâchoire ? cracha Arian d'un ton sec.

Encore sur les nerfs, son seul but restait de sortir du Téras pour retrouver Jehanne. Alors des réflexions du genre, il s'en passerait bien. Tout autant que la pitié dans le regard de cet ange !

— Elle t'a jeté. Ce n'est pas parce que le Destin vous unit qu'il a forcément raison.

Salathiel réagit aussitôt, percevant le mouvement d'Arian à fleur de peau. Les deux ailes sortirent puissamment du dos de l'hybride, lui donnant la force de faire barrage à un lycan aux crocs sortis. Salathiel tenait ses mains aux griffes meurtrières.

— Calme-toi, Arian. Maintenant que nous savons qu'elle est une kèr, nous allons la retrouver, nous allons la protéger, et si elle le souhaite, nous la recruterons. J'ai conscience qu'elle est importante pour toi, mon ami.

— C'est ta faute si elle s'est barrée ! Tu ne pouvais pas attendre que je te donne le feu vert ?

Exactement ! C'était la faute de Salathiel tout ça.

— Elle commençait à me faire confiance. Avec un peu de temps, je lui aurais parlé du stratagème mit en place.

— Et elle t'aurait repoussé tout aussi violemment. Excepté que tu serais mort ou seul dans le Téras. Et nous aurions perdu encore davantage de temps, souligna le chef de la Rébellion. Comment cela se fait-il que je connaisse mieux ta partenaire destinée que toi ?

Arian se figea devant ces affirmations. Jehanne l'aurait-elle tué s'ils n'avaient été présents ? Son cœur, son âme lui hurlaient que non, s'injuriant de simplement y avoir songé. Tous deux étaient destinés. Ce serait contre-nature, impossible.

Pourtant, Salathiel avait raison. Jehanne n'avait rien d'une femelle passive et aimante. Le Papillon écarlate possédait une réputation terrifiante pour une excellente raison.

— Je ne suis pas certain de comprendre, renchérit Nethanel. En quoi les kères sont intéressantes pour nous ? J'ai bien compris qu'elles étaient censées pouvoir tuer des Idoles, mais comment ? Si c'est simplement une rumeur, ce n'est pas utile...

Le grognement d'Arian pour le mettre en garde ne l'atteignit pas.

— Et si je commence à affirmer que ta fiancée n'est pas importante à mon tour...

Les ailes de Nethanel surgirent en conséquence de cette provocation. Les pupilles du séraphin brillaient d'une précieuse lueur dorée, sans pupille.

— J'avais oublié. Les séraphins séquestrent leurs femelles. D'ailleurs, je ne vois pas Léonis. Tu as fini par succomber et par l'enfermer dans ta maison pour la « protéger » ?

Salathiel s'interposa entre les deux.

— Maintenant, ça suffit ! La question de Nethanel est légitime, Arian. Vous ne savez rien des kères, ou très peu. C'est tout à fait normal de vouloir comprendre pourquoi nous devrions accorder notre aide à une meurtrière ayant anéanti des espèces entières pour le compte des Idoles.

Arian lâcha l'affaire, reculant d'un pas.

De ce qu'il en savait, une kèr provoquait des guerres pour pouvoir s'abreuver du sang des morts. Des légendes, rien de plus. Il existait tant différentes créatures dans le Téras qu'aucun ne cherchait véritablement à toutes les connaitre. Sans oublier que les kères étaient censées être une espèce éteinte.

— Les Idoles n'ont peur que de ce qui peut les tuer, reprit Salathiel en cachant au mieux son exaspération devant les tensions du groupe. Les Idoles en ont peur. Le regard d'une kèr est censé emporter celui qui s'y plongerait dans un gouffre de désespoir et de terreur. Si Jehanne de Leau nous rejoint, ce sera une arme dissuasive très importante. Qu'elle se batte ou non pour nous. Tant qu'elle reste en vie, et auprès de nous, Arian.

Le message fut bien reçu par le loup. Jehanne devait être retrouvée. Et Nethanel ne réfuta pas ce choix.

— Déjà, trouvons un moyen de retourner sur la terre des Hommes, proposa Salathiel. Ensuite, nous aviserons. Les Idoles l'ont rejeté et souhaitent sa mort, donc elle cherchera à trouver un refuge.

— Non.

Nethanel fouillait du regard la maison, mais se détourna de son exploration visuelle alors qu'Arian allait proposer un autre plan.

— Je sais exactement où va se rendre Jehanne. Elle voulait récupérer son manteau. Je sais que ça a l'air fou mais...

— Pas tant que ça. Chacun sait que les kères ne vont jamais nulle part sans leur cape écarlate.

Les deux membres de la Rébellion se tournèrent vers leur chef. Ils en connaissaient bien moins que Salathiel sur le sujet.

— Les kères naissent avec un drap les enveloppant. Un drap qui évolue au fil des ans, prenant l'apparence souhaitée pour suivre les modes des différentes époques traversées.

Arian n'en avait jamais rien su. Et pourtant il s'était énervé, vexé, lorsqu'elle avait voulu partir pour aller récupérer son manteau. Elle avait même promis de revenir et il n'avait rien écouté. Puis, ils s'étaient battus. Certes, au final, il avait fini par accepter, mais le précieux temps perdu les avait enfermés dans le Téras.

En apprendre davantage sur l'espèce de Jehanne devenait vital. Salathiel pouvait l'aider, mais il voulait que son âme sœur se charge de son éducation. Elle lui enseignerait ses besoins, il prendrait soin de les retenir et d'y subvenir.

— Elle ira dans ses ruines, expliqua le lycan.

Ce n'était pas une question, mais une certitude. La plupart de ses anciennes affaires y étaient. Si Jehanne ne se déplaçait jamais sans son manteau, alors il était forcément resté là-bas.

— Ce n'est pas très loin, mais il va nous falloir attendre le retour de mon frère, ou bien que la maison retourne sur la terre des Hommes.

Bien sûr, Jehanne aurait sans doute récupéré son bien d'ici là et se serait volatilisée. Mais un lycan en chasse de son âme sœur disparu devenait le plus redoutable des prédateurs. Il aurait une piste récente, et il trouverait Jehanne.

Il ne s'agissait que d'une question de temps.

Encore faudrait-il sortir du Téras.

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Dernière mise à jour : 17/08/2024

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