Au revoir
Aujourd'hui la nouvelle ère prend une autre ampleur, et la fin de notre histoire est imminente. Le déploiement en masse commencera à minuit.
Je suis là depuis une heure et je désespère de le voir arriver un jour. Quelques clients attablés plus loin me regardent avec pitié. Trois fois déjà la serveuse s'est approchée de ma table pour remplir ma tasse de chocolat chaud. Même avec ce soleil éclatant et cette douce chaleur annonciatrice du printemps, rien ne me fera renoncer à ce breuvage que je chéris tant.
Je regarde ma montre, je lui accorde encore trente minutes. Si pendant cet intervalle il ne vient pas je m'en vais. J'aurais aimé le voir une dernière fois, J'aurais aimé le toucher une dernière fois. J'aurais aimé le sentir tout contre moi une dernière fois.
Tout en l'attendant, mes pensées s'envolent et je me retrouve six ans en arrière à cette même table, devant cette même fenêtre. Les seules choses qui ont changé à travers le temps sont les serveuses et serveurs qui vont et viennent. C'est ce qui me plait ici, quand on vient ici, on a l'impression que tout est figé à travers le temps dans une époque où tout va bien. Les murs de briques peints en rouge sombre et or donnent un aspect reposant à la salle. Même en période d'effervescence une aura de paix et de calme plane.
Et dire que j'ai connu ce lieu par hasard.
Alors qu'on n'avait pas encore annoncé le confinement général, j'étais sorti prendre l'air. Après deux semaines de travail non-stop sur la présentation de ma thèse de sortie et la présentation cette dernière le matin même. J'avais décidé de fêter ma réussite en solo.
Mes amis et mes parents avaient voulu m'accompagner, mais j'avais pu les dissuader. Je voulais être seule.
En flânant dans les rues j'étais tombée sur ce café-bistro. La devanture n'avait rien d'extra et ne payait pas de mine, mais j'avais soif et j'étais exténuée.
L'endroit avait dépassé mes espérances. Depuis lors, pas une semaine ne passait sans que je ne vienne ici. Et c'était aussi ici que je l'avais rencontré.
Je refais surface dans le présent, je consulte ma montre. Il reste encore dix minutes. Il n'est jamais en retard, c'est pourquoi je prends patience.
La serveuse s'approche à nouveau, sans même regarder le menu je commande un almond-coconut orange cake. Elle reprend le menu et s'éloigne. Quand je pense que c'est aussi la dernière fois que je viens ici, à cet endroit qui a été témoin de mes peines comme de mes joies. C'est ici que j'ai rencontré la meilleure partie de moi, Lui.
La serveuse revient avec ma commande, je sens déjà que je vais me régaler.
- Apportez-moi la même chose s'il vous plaît. Merci.
Je lève mes yeux et je le vois tout sourire qui s'installe face à moi.
- Tu as une heure de retard.
- Désolé, il y eu des changements de dernières minutes. Je devais tout coordonner. Je pars plus tôt.
- Comment ça ?
- J'ai reçu ma nouvelle affectation. Zone 12. Le régiment part ce soir, 11 heures.
- Noooon.
Conscient du trouble qu'il a jeté sur nos dernières retrouvailles, il prend mes mains entre les siennes et les sert très fort.
Depuis la pandémie du corona qui a décimé 1/3 de la population mondiale, le monde est réparti en 13 zones. Après deux ans de ravages, le corona s'est éteint. Trois ans de calme sont apparus. Mais depuis un an, un nouveau virus fait rage. Il est pire que tout ce que nous avons pu voir. Les zones de 1 à 5 ne sont pas à risques. De 6 à 13, ce sont des zones dites des zones rouges, et c'est là qu'est apparu ce nouveau virus. Un ennemi qu'il faut éradiquer.
Une fois son gâteau arrivé, je commence le mien. L'envie de manger est partie, mais je m'efforce d'y manger. Je ne sais pas quand je pourrai y goûter.
Nous sommes en guerre. Le monde est en guerre. Car le nouveau virus à la taille d'un chiot et à des armes intégrées à ses différentes mains.
Depuis le corona virus, une ère nouvelle a débuté. Ceux qui n'ont pas attrapé le virus sont devenus des soldats, et nous avons pour devoir de protéger ceux qui l'avaient attrapé. Nous représentons l'Elite. Nous sommes ¼ de la population restante. Tout comme moi, il est lieutenant et d'énormes responsabilités reposent sur nos épaules.
Parfois tout cela me pèse, j'aurais voulu vivre dans une autre époque.
Mes pensées remontent à nouveau en arrière, plus précisément, en une matinée pluvieuse où j'avais fui ma base. Une chance que ce café-bistro n'ait pas été fermé. La salle était remplie et en revenant avec le chocolat que j'avais commandé, la serveuse me demanda si j'acceptais d'avoir à ma table une autre personne. Ainsi avait commencé notre histoire, qui avait durée deux ans. Nous avions alors passé le reste de la journée à faire connaissance.
- Tu ne m'as pas dit, où es-tu affecté ?
C'est avec regret que je chasse ces souvenirs de mes pensées.
- Zone 10, mais je pars à 1 heure du matin.
Je repousse mon assiette, le gâteau ne me fait plus envie. Je laisse l'addition sur la table et je sors. Sans avoir besoin de tourner la tête, je sais qu'il me suit.
Nous marchons côte à côte.
Arrivé devant la base, je me retourne vers lui et je prends du temps pour mémoriser toutes les parties de son corps. Il s'approche et m'embrasse. Je ne sais combien de temps a duré notre baiser, mais le temps c'est arrêté, et pour une fois aucune catastrophe en vue pour gâcher ce moment.
C'est le moment de se séparer, j'ai les larmes aux yeux. Je sens au plus profond de moi que c'est la dernière fois que je le verrai. Je prends les devants car je sais que je vais flancher.
- Au revoir Lieutenant z-349009.
- Au revoir Lieutenant u-230045.
Puis nous partons chacun la mort au cœur, vers une mort certaine.
Je n'ai pas pu résister. Quelques heures avant son départ, je me suis introduite dans le hangar destiné a l'embarquement pour la zone 11. Juste avant de disparaitre derrière les portes qui vont scellés son destin, il se retourne vers moi. C'est comme s'il a senti ma présence, et pour la dernière fois, il met son poing devant ses lèvres puis fait un salut militaire.
- Au revoir.
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