21bis | Promesse(s)
Mon cœur s'arrête net puis redémarre en voyant Eduardo. Il pose un doigt sur mes lèvres et de sa main libre fait signe au taxi de déguerpir. J'ai à peine le temps de comprendre qu'il fronce déjà les sourcils en voyant mes yeux rougis et la larme qui s'échappe. Du pouce il l'essuie et, sans attendre d'en connaître la raison, il sort un rasoir à lame de sa poche puis se tourne en vitesse pour traverser la rue.
- Hé, arrête ! Le stoppé-je en attrapant fort son poignet. J'ai juste baillé !
Immobilisé, son corps reste tendu quelques secondes avant qu'il n'expire fort l'air de ses poumons. En voyant la fureur faire place au soulagement, mes doigts le relâche pour qu'il puisse ranger le schlass dans sa poche avant de m'enlacer de toutes ses forces contre lui.
- Qu'est-ce que tu fais ici avec Cardio ? Me demande-t-il pas complètement rassuré.
- Il était au Bistrologue, Flavy voulait que je le raccompagne.
- Pourquoi il va là-bas celui-là ? s'agace-t-il soupçonneux.
- Qui sait, peut-être qu'elle lui plaît, ironisé-je.
- Alors ça donnera à Fabio une autre bonne raison de s'occuper de lui.
Sa voix grinçante et l'information trop évasive pour ma curiosité ne me plaisent pas du tout.
- Dis-lui plutôt de s'occuper de Samuel, ça urge.
- Ne t'en fais pas, il est sur notre liste celui-là. Si on le chope...
Il n'a pas besoin de finir sa phrase, le son qu'émet sa bulle de chewing-gum qui éclate dans le silence de la ruelle m'avise du bruit que feront ses os au contact de leurs poings.
- Au fait, t'as réussi à avoir des info sur le type de la video ?
- Ouais, t'inquiète, fausse alerte, balayé-je le sujet maintenant que Cardini m'a plus ou moins rassurée.
Un frisson me parcours en repensant à ses mots : « Tu crois que j'accepterais qu'il touche un seul de tes cheveux ? ».
Le souvenir de sa voix grave et profonde est trop vif, trop récent, pour me laisser de marbre. Mes yeux dérivent vers le trottoir opposé et mon cœur se serre à l'idée que je ne le reverrai peut-être plus jamais.
- Et pourquoi une autre raison ? Lui demandais-je vite pour chasser la peine.
- A cause de cette nuit. Fabio a tiré sur un type, Cardio a disjoncter et l'a mis KO. Ce cinglé pensait pouvoir coucher trente mecs ! Heureusement que je t'ai promis qu'il lui arriverait rien, sinon il serait en pièces détachées à l'heure qu'il est.
C'était donc ça les blessures ! Je compris avec stupeur que c'est Fabio qui a tué Charly.
- Hej, d'ailleurs, le blessé j'l'ai pas trouvé, rajoute-t-il contrarié.
- Comment ça pas trouvé ?! M'écrié-je si fort qu'il plaque brusquement sa main sur ma bouche en jetant de rapides coups d'œil autour de nous pour être sûr qu'on ne soit pas surpris. Tu pouvais pas le rater bordel, il avait un énorme bandage sur le crâne, ragé-je plus bas.
Désolé, il secoue négativement la tête, tandis qu'assaillie par de sombres pensées je commence à paniquer. L'angoisse qu'il puisse vouloir se venger m'envahit. Eduardo le remarque et prend aussitôt mon visage entre ses deux mains protectrices pour rediriger mon regard et mes pensées vers lui.
- Ne t'inquiète pas Piccola, j'le retrouverais.
La détermination qui se reflète dans ses yeux verts dissipe mes craintes et apaise ma respiration. J'ignore comment il compte s'y prendre, mais je lui fais confiance. Il est de loin le plus malin.
- Allez, j't'emmène quelque part ? Reprend-t-il en désignant un scoot' garé dans l'ombre.
J'enlace son bras et pose ma tête sur son épaule en levant des yeux de chien battu. De la même manière que je le faisais quand nous étions petits et qu'il devait rentrer. Quand pleine de tristesse je le retenais du regard pour qu'il ne me laisse pas seule.
- J'ai pas la force d'aller faire des bêtises ce soir, murmurais-je du bout des lèvres.
Immédiatement il a compris. Un large sourire illumine son visage avant qu'il ne dezipe son sweat pour me le passer. Puisque ça ne suffit pas à me camoufler, il m'ote la vue en rabattant la capuche sur ma tête.
- Dis tout de suite que je suis trop moche et que t'as honte que tes amis me voient, me renfrogné-je exagérément.
- Non, c'est parce que t'es trop belle que je ne veux pas qu'ils te voient, réplique-t-il avec malice en enlevant la béquille.
On a beau le prendre avec humour, ça me gonfler qu'on soit obligé de se cacher. D'autant que je ne vois pas qui dans cette enclave pourrait s'en prendre à moi. Eduardo le tuerait, et il est pas né celui qui me retiendra sans que je ne le rende fou à lier.
De toute façon ce n'est pas dans leurs méthodes de s'en prendre aux femmes. Ils ont un code d'honneur, une notion de la justice à laquelle ils ne dérogent jamais.
Certes ça ne saute pas aux yeux lorsque l'on regarde leur cadre de vie ni ce qu'en disent les médias. Pourtant, malgré l'adversité et la violence, ils préservent une chaleur humaine et un respect qui ailleurs ont complètement disparu.
Une sorte de village d'irréductibles qui résistent. Et cette incompréhensible résilience insupporte le gouvernement qui aimerait les voir plier, supplier, tendre la main.
D'accord ils n'ont que leurs colères et leurs folies pour s'exprimer. Mais, peu importe combien la vie leur a fait offense, ils ont su créer leur petit écosystème composé de solidarité et de sécurité.
Leur plus grande richesse ce sont tous ces enfants qui jouent et rient, même à cette heure avancée de la nuit où nous zigzaguons dans les ruelles. Dépourvus de tout, ils possèdent ce que rien ne pourra acheter ni corrompre : une immense famille et la liberté.
L'enclave sud est exactement à l'image d'Eduardo, instable mais tellement rassurant.
En quelques minutes, nous atteignons l'immeuble où il vit avec sa mère, un petit trois pièces au dixième étage. Tandis que je m'immerge avec plaisir dans un bon bain mousseux, il réchauffe un plat de lasagnes qu'elle a préparé avant de partir pour son service de nuit.
Les yeux clos, je laisse la chaleur m'apaiser. Mon moment de détente est troublé par la notification d'un message.
De Cardini 🏴☠️
À : Moi
Tu es bien rentrée ?
Instinctivement, je me mords la lèvre pour réfréner le sourire gênant qui nait sur mon visage et répond un rapide « Oui », avant de me rattraper un peu en ajoutant « Merci ».
De Cardini 🏴☠️
À : Moi
Avec plaisir.
Bonne nuit, ma belle.
Je sais que je devrais rester indifférente, mais je ne peux m'empêcher d'être touchée. Le fait qu'il ait pensé à moi me provoque au plus profond de mon corps un million de frissons que je noie en plongeant vite ma tête sous l'eau.
Lavée, séchée et réchauffée, j'enfile un de ses jogging moelleux avant de me diriger dans la cuisine. Cette pièce a longtemps été hantée par le souvenir d'Eduardo qui subissait les coups de son père. Mais plus maintenant. Plus depuis que cette pourriture se décompose entre quatre planches sous terre.
- Au fait, Isaak ça te dit quelque chose ? demandais-je entre deux bouchées de lasagnes.
- Isaak ? Évidemment, personne ne peut rentrer sur mon domaine sans que je ne le sache, crâne-t-il en tassant une roulée.
Cette petite référence à ma venue inattendue dans l'Enclave l'amuse.
- Vous l'avez tué ? Demandais-je avec l'intuition qu'ils ont éliminé deux fois l'occasion à Cardini de connaître la vérité.
- Pas du tout ! Il est venu faire chier une voisine à propos d'une hypothèque, alors on l'a dégagé à coups de plomb dans le cul, ricane-t-il plutôt fier de lui.
- Comment ça une hypothèque ?
Il allume sa clope et semble réfléchir quelques secondes sans pouvoir se souvenir avant d'hausser les épaules.
- Si tu dis qu'il est mort on s'en fout !
Sa désinvolture ne réussit pas à déteindre sur moi. Une dette ne meurt pas avec son créancier. Et puis, qui prêterait ou investirait dans l'Enclave Sud ? Rien de tout ça ne m'inspire confiance. Je me promis d'y penser quand j'irais mieux.
- Tu te sens bien ?
- Mouais, marmonnais-je sans conviction.
- Tu es bizarre...
Perdue dans mes pensées, je touillais en rond les lasagnes avec ma fourchette comme s'il s'agissait d'un plat de spaghettis.
- Je crois que j'en ai juste très marre de cette vie, soupirais-je en cessant ce geste absurde.
L'éphémère réconfort de la nourriture et du bain ne suffisait pas à effacer le chagrin de m'être fait humilier par César, le mal de ne pouvoir être libre comme je l'entends, et la frustration de devoir continuer à prendre sur moi pendant encore 980 jours.
J'ai la désagréable impression de n'être qu'un pion sur un échiquier qu'on déplace à volonté. Je suis tellement en colère contre moi-même que je me prends la tête entre les mains et réfrène mon envie d'hurler contre cette vie qui ne m'offre aucun échappatoire.
Eduardo fait le tour de la table, de l'index il remonte mon menton et attrape mes deux mains dans les siennes. Lorsqu'il plonge son regard vif dans le mien, je sais que mes yeux me trahissent et affichent tout le désespoir que je ressens.
- Tu es juste un peu fatiguée. Ne t'inquiète pas, bientôt tu recommenceras à faire des conneries, ponctue-t-il d'un clin d'œil assuré.
La tête légèrement penchée sur le côté, ses yeux pétillent de malice, comme pour me rappeler qu'au fond, rien n'est si grave tant qu'il est à mes côtés.
En pinçant avec douceur ma joue, il rajoute :
- Allez, fais-moi un petit sourire.
Et voila, je ne peux m'empêcher de sourire et le tire contre moi en entourant son cou de mes bras. Notre amitié a toujours été le pansement de mon âme. Je ne saurais même pas quantifier combien je l'adore.
Alors qu'il me rend mon étreinte encore plus fort, je l'entends murmurer en Napolitain dans mes cheveux :
- Tout ira bien Piccola, la mer n'est plus très loin, je te le promets.
Ses mots me remuent le cœur. Les promesses de mon frère ne sont pas des paroles en l'air. C'est le serment que nos rêves se réaliseront car il n'abandonnera jamais; même si pour les réaliser, il faudra encore relever bien des combats.
- Écoute, je dois sortir, j'en ai pas pour longtemps, mais si tu as besoin que je reste...
- Non, vas-y, ça ira, j'en profiterai pour regarder The Notebook, le rassuré-je.
J'étais sûre que ça le ferait grimacer. Même s'il a fait l'effort de regarder tous les classiques du cinéma Italien avec moi, il n'acceptera jamais de regarder un truc cucul; son égo de sale gosse ne le lui permet pas.
Pendant qu'il branche le vidéo-projecteur disproportionné par rapport à la taille de sa chambre, j'observe avec nostalgie cet endroit qui n'a pas beaucoup changé depuis que l'on se connaît.
Des affiches de films et des fanions aux couleurs du FC Naples décorent les murs. Quelques poids prennent la poussière dans un coin à côté d'une guitare acoustique qui, elle, ne risque pas d'être négligée tant il aime en jouer.
Son bureau désordonné croule sous les feuilles griffonnées, des bouts de poèmes et de rimes qu'il écrit quand il s'autorise à exprimer ce qu'il ressent. Au-dessus sont punaisées sur tableau en liège des dizaines de photos.
Il y en a de moi, de nous, à tous âges. Ses amis qui sont comme des frères. Sa maman, celle que je n'ai jamais eue. Petits on imaginait la marier avec mon père, comme ça on vivrait toujours ensemble et on deviendrait vraiment frère et sœur.
- Alors, on le regarde ce film ?!
Sa voix dans mon dos me surprit. L'esprit ailleurs, je ne l'ai pas vu s'asseoir sur le lit.
- Tu n'y vas pas ? M'étonné-je
- Non, fit-il avec détachement.
- T'es sûr ?! On parle de Ryan Gosling là, pas de Tony Montana.
- J'veux pas te laisser comme ça, lâche-t-il un sourire en coin, mais ses yeux trahissent une réelle préoccupation.
- Comme quoi ?
- Comme quelqu'un qui ne va pas bien...
J'aurais voulu nier, à quoi bon. Il a toujours su percer mes barrières car il m'a vu les construire les unes après les autres.
Toute la soirée je me suis retenue de me confier pour ne pas l'inquiéter, mais je ne peux rien lui dissimuler. Notre complicité est trop grande pour qu'il ne ressente pas ce que je cache au fond de moi.
- C'est vrai, y a un truc que j't'ai pas dis, commencé-je à mi-voix en m'asseyant près de lui.
Pour m'inciter à me confier, il passe son bras par dessus mes épaules et nous rapproche. Sa présence me réconforte. Je sais qu'il va s'énerver, mais ce serait injuste de lui dissimuler quelque chose d'aussi important.
- Hier, à Istok, j'ai reçu du courrier. Enfin, une photo.
- Quel genre de photo ? Demande-t-il le regard assombri.
- Le genre où je sors à l'aube de chez Cardini après lui avoir apporté le blessé.
Sous les nerfs sa jambe s'agite et je vois ses poings se crisper de contrariété. Brûlant d'inquiétude il regarde partout - Ià où la vérité ne risque pourtant pas de se trouver.
- Une photo ? A Istok ? Et y avait pas d'info ?
- Si, y avait un mot écrit derrière.
Je pris une longue inspiration avant de réciter : « Qu'est-ce qui serait pire ? Que César l'apprenne ou qu'il finisse comme Filip ? »
J'ai le temps de sentir la rage monter en lui, ainsi que l'effort pour tenter de la dissimuler, avant qu'il ne se redresse brusquement pour fait les cent pas comme un tigre en cage avec la furieuse envie de tout détruire autour de lui.
- Putain, il est encore là ! Pourquoi tu me l'a pas dit tout de suite ? T'aurais jamais dû rester toute seule là-bas !
- Justement, je ne suis pas restée. César voulait m'y obliger, mais j'ai réussi a m'enfuir en cachette, me défendais-je
Je lui raconte tout. Au début, son regard restait buté, lourd de colère. Mais à mesure que je parle, je vois ses traits se détendre. Ses mains agitées finissent par se calmer et il esquisse même un subtil sourire.
Évidemment s'il y a bien quelqu'un qui ne me blâmera jamais de désobéir c'est bien lui, surtout en de pareilles circonstances.
Quand je finis le récit, ses yeux me quittent pour se lever quelques instants au ciel dans une prière silencieuse, tandis qu'il serre fort la croix autour de son cou avant de l'embrasser.
- Ouf, expire-t-il en reportant un regard soulagé vers moi. Maintenant César le retrouvera et il le dépècera.
Sous son air convaincu, je peux déceler bien plus que sa détermination habituelle. Je sais qu'il est prêt à tout dans ce genre de situation, surtout au pire. Espérons que César règle le problème avant qu'Eduardo ne s'en mêle.
- Mouais... j'ai surtout l'impression qu'il n'y crois pas vraiment, et qu'il utilise la situation pour me forcer à rester.
Eduardo inspira profondément en secouant la tête avant de se rapprocher lentement pour s'accroupir face à moi. Ses mains se posent délicatement sur les miennes pour m'inciter à le regarder.
- Moi je te crois, je t'ai toujours cru.
- Je sais, tu as été le seul, comme toujours.
Lorsque Filip est mort, c'est ici que je me suis réfugiée. J'étais complètement brisée. Il m'a ramassée à la petite cuillère, m'a changé les idées et aidé à oublier. Grâce à lui, j'ai fini par aller mieux. Ensuite, je suis partie vivre à Paris, là où je pensais que ni cet inconnu ni César ne me trouveraient.
- Reste ici, autant que tu voudras, t'es pas obligée de retourner là-bas.
- Si, pour l'anniversaire de Sacha, grogné-je entre les dents.
Il écarquille les yeux avant d'éclater de rire. Voyant que je ne suis pas réceptive, il met un moment à comprendre que je suis sérieuse.
- Tu blagues ?! T'y vas pourquoi, faire jolie ?
Tandis qu'il ricane amèrement, je fais déjà la gueule rien que d'imaginer devoir faire de faux-sourires aux invités.
- Ne joue pas avec le feu Kristy, juste cette fois, s'il te plait fais-le pour moi, me supplie-t-il en serrant plus fort mes mains.
- C'est pas moi qu'il faut convaincre, mais plutôt César.
Dans ses yeux la contrariété se mua aussitôt en agacement, il bondit sur ses pieds et sa voix se fit plus sérieuse :
- D'abord il t'oblige à retourner dans cette foutue baraque de merde et maintenant ça ! J'veux pas que tu fasses ses quatre volontés pour mendier trois grammes de reconnaissance !
Mes sourcils se froncent sous cette insinuation pas bien agréable pour moi.
- Il m'a aidé, et je tiendrai ma promesse. Mais toi, tu ne lui dois rien ! Se fâche-t-il en insistant bien sur le dernier mot. C'est à lui de te protéger ! Alors tant qu'il ne le retrouvera pas, tu n'y retournes pas, d'accord ? M'implore-t-il du regard.
Plus que son autorité envahissante, c'est son inaptitude à veiller sur moi qui venait de décevoir Eduardo. Dans sa tête, je suis certaine qu'il commence à douter de sa capacité à s'occuper de l'Enclave Sud une fois qu'il l'aura.
Si on rajoute qu'il les dénigrent en les désignant comme des sauvages, et qu'il a menti en rejetant sur eux la mort d'Isaak; pour moi aussi ça remettait beaucoup de choses en doute sur ses intentions. Je garde cette réflexion pour ne pas jeter de l'huile sur le feu.
- Tout va s'arranger. Toi tu te reposes, moi je retrouve la momie et César s'occupera de ce type ! Conclut-il déterminé.
J'hoche la tête en guise de réponse. Je voudrais qu'on sorte de cette violence, or le temps nous retient prisonniers dans cette spirale, et j'ai peur qu'il emporte avec lui nos espoirs d'en sortir un jour.
- J'aimerais quand même comprendre pourquoi il fait ça... soupirais-je en pressentant que César ne fera pas l'effort de connaître ses motivations.
- Il faut être fou pour essayer de comprendre un fou, grince-t-il avec sarcasme. Ou psychologue, dis, tu te souviens de Madame Martina ?! Fit-il soudain en se tournant vers moi.
Ce nom nous provoque immédiatement un fou rire incontrôlable. C'était la psy de l'école primaire. Le directeur l'a chargée de nous évaluer pour déterminer si notre amitié risquait de nous influencer négativement.
Nous l'avons rendue complètement folle !
Quand elle lui demandait de parler de lui, Eduardo déraillait volontairement sur les exploits de Messi. Moi, redoutant de dire une bêtise et qu'on nous envoie les services sociaux, je gardais le silence.
Rien à faire pour qu'on se livre !
Pourtant, sans jamais savoir exactement de quoi il en retournait dans nos têtes, elle a vite compris qu'il valait mieux ne pas nous séparer. C'est ainsi que grâce au hasard de l'ordre alphabétique, Ricci et Ristic on fait toute leur scolarité assis l'un à côté de l'autre.
Eduardo avait tellement de souvenirs hilarants en réserve, il faut croire que son envie de m'égayer venait de tous les réveiller. Tel un archéologue il ressort les archives et moi je chiale de rire. Y a que lui pour me rendre le sourire même quand ça ne va pas. Normal, c'est lui qui m'a appris à rire.
Plus on grandissait, plus l'exposé de nos bêtises empirait. Vu l'enfer que nous avons traversé, ce n'est pas étonnant qu'on soit devenus des démons.
Ne souhaitant pas lui gâcher la soirée, je profite de l'accalmie pour le convaincre de partir. Je l'observe troquer son survet' pour une chemise Versace très tape à l'œil, dont il fourre les pans dans un pantalon noir impeccablement coupé. Et me fais la réflexion que la classe ça ne s'invente pas, y en a qui naissent avec.
Lorsqu'il sort le gel pour plaquer ses cheveux avant d'enfiler une belle montre - sûrement volée -, je déduis qu'il n'a pas rendez-vous avec ses lascars.
Je préfère le voir vivre comme ça, à la conquête de l'amour, plutôt que du pouvoir.
- Ne brise pas trop de cœurs ! L'avertis-je au moment de partir.
- Et toi ne te fais jamais briser le tien ! Me prévient-il en m'embrassant le front.
C'est notre mantra. Une plaisanterie qui nous définie bien. Séducteur né, son charisme de latin-lover anesthésie les femmes. Oh bien sûr il ne leur fera jamais aucun mal, le problème c'est qu'il les aiment toutes... en même temps.
L'exclusivité ne lui convient pas, son cœur est trop grand pour n'en contenir qu'une à la fois; alors ça durera jusqu'au jour où il trouvera celle qui prendra toute la place.
Moi c'est différent. Déjà je ne bois pas les belles paroles, donc ceux qui cherchent un coup facile abdiquent très vite. Et puis le bonheur à temps partiel ne m'intéresse pas, c'est tout ou rien. Alors, si Dieu existe, je veux juste que mon cœur ne soit jamais brisé, parce que je n'en ai qu'un et j'ai vu sur les autres les dégâts que ça fait.
Le silence dans la chambre est apaisant. Blottie sous la couette, le regard perdu sur l'écran où défilent les images du film, mon esprit vagabonde ailleurs. Et sa direction va beaucoup vers Cardini.
Plus j'essayais de le chasser, plus il s'invitait.
Je me demandais s'il m'appellera vraiment pour prendre ce café et repensais à la manière audacieuse dont il l'avait gagné en résolvant le Rubiks Cube. En songeant à ses doigts fins et précis, j'avais l'envie irrépressible de déposer ma vie entre ses mains pour qu'il règle tout mes problèmes avec la même simplicité.
Il provoque en moi quelque chose d'inexplicable. Je suis aimantée par la sérénité qu'il dégage et son attitude énigmatique qui semble toujours me défier. Comme s'il me murmurait que je ne suis pas obligée de toujours tout contrôler.
Tout en lui respire la maîtrise des émotions, c'est insupportable pour une personne entière comme moi. Pourtant, j'ai rarement été aussi perturbée par quelqu'un. Il est beau, bien sûr, mais autre chose en lui m'hypnotise.
Je me laisse emporter par la nostalgie de sa tendresse, sa patience, sa façon de me parler... C'est tellement éloigné de tout ce que je connais. Il m'apprivoise, me désarme complètement en m'attirant dans les recoins cachés de ma personnalité. Et provoque une irrésistible attraction physique amplifiée par une compréhension de nos douleurs respectives.
La première fois dans le bar de Flavia, j'ai décelé cette souffrance derrière la culpabilité qu'il ressentait. Comme lui l'a fait dans sa cuisine tandis que je dissimulais ma fragilité sous une colère dévastatrice.
« C'est pas comme ça qu'on arrête de souffrir Kristina...» Sa voix fait écho dans le tourbillon de mes pensées. « Tu n'es pas comme ça, je l'ai vu hier dans ton sourire » ses mots doux et son regard brûlant sont encré dans mon esprit au marqueur indélébile.
Plongée dans une réflexion intime, je ressens des émotions complexes à démêler. Dans ma tête, les images défilent, comme un film accéléré. Je ferme les yeux pour mieux le voir, mieux l'entendre, sentir son parfum, la sensation de sa main sur ma nuque, ses lèvres qui effleurent mon cou...
Du fond du passé, une violente bouffée de chaleur monte de mon ventre à ma poitrine, mes joues et mon cœur s'enflamment.
Je ne me reconnais pas, j'ai envie de me baffer de ressentir tout ça comme si c'était normal. Mais rien n'est normal dans ma vie actuelle.
Demain, ça ira mieux. Oui, demain je retrouverai mon sale caractère et la force de vaincre mes faiblesses.
En attendant de redevenir forte, je vole encore quelques minutes aux souvenirs et cherche ses mains dans ma mémoire pour qu'elles me réchauffent l'âme. Il y a de grandes chances que j'exagère tout ce qui s'est passé, mais c'est pas grave.
Cette nuit là il m'a suffit de faire un petit paquet composé de ses yeux d'ambres, de ses mains et de sa voix, pour plonger paisiblement dans le sommeil. Des poussières de paix auxquelles me raccrocher dans ce monde cruel.
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Hello !
Je pense que c'est de loin le chapitre que j'ai le plus retravaillé - et pour cause il frôlait les 5000 mots 😯
Depuis le 3em chapitre l'amitié entre Kristina et Eduardo était restée dans l'ombre, j'avais très à cœur de mettre la lumière sur la force des liens qui les unissent.
J'aime le fait que Kristina soit hors de son cadre habituel, ça la pousse a une profonde introspection où tout est remis en question. Sa loyauté, les intentions de César, les risques, les responsabilités individuelles, mais aussi ses sentiments.
N'ayant jamais réellement exprimé ce qu'elle ressent pour Cardini, l'occasion était vraiment bien choisie.
J'espère que cette douce parenthèse vous à plu parce qu'à partir du prochain chapitre on bascule dans une autre ambiance.
PS : Grosse pensée pour le blessé/Charly/le cafard qui se retrouve avec Cardini ET Eduardo sur le dos !
Des bisous 💋
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