18 bis | Insolences

Sortie de Paris, l'obscurité de la banlieue Nord est totale. Oppressante. On aurait dit que la Seine St Denis était plongée dans un aquarium d'encre noire. Sans aucun point de repère, il est difficile de se diriger.

Avant, ces rues étaient animées peu importe l'heure. Aujourd'hui, ce n'est plus qu'un trou noir, pas la moindre vie. J'ai l'impression de progresser à l'intérieur d'un tunnel. Mes phares doivent se voir à des kilomètres.

Je roule pendant un long moment avant d'arriver devant d'immenses immeubles en ruine. Certains ne sont plus que des tas de décombres. Sur ma droite, un passage à niveau me permet de traverser les chemins de fer pour accéder à une zone industrielle désaffectée. Un endroit particulièrement sinistre, fréquenté uniquement par les toxicos, les putes et les dealeurs. Je me dirige plus au Nord, lieu du rendez-vous.

L'énorme structure métallique qui servait autrefois de magasin de meubles n'est plus qu'une masse sombre se détachant à peine de l'obscurité ambiante. J'entame la descente vers le parking sous-terrain. En faisant deux tours complets, mes phares éclairèrent des déchets de tout genre, des voitures désossées, mais pas âme qui vive.

Mon regard habitué à remarquer les détails comptabilise le nombre d'issues, je me gare à l'extrémité avec vue sur l'entrée et coupe le moteur sans éteindre mes phares. Un œil au tableau de bord. Plus que sept minutes.

- Tiens-toi tranquille, je n'ai pas envie de te courir après, préviens-je le blessé que j'extirpe sans ménagement hors du coffre.

Tandis que je le détache, il marmonne quelques jurons et se plaint de ses conditions de détention.

- Soit reconnaissant d'être encore en vie, lui rappelais-je en le tirant à l'avant du véhicule.

Je m'appuie contre le capot encore chaud et allume une cigarette en protégeant la flamme de ma main.

- T'en veux une ? proposais-je en lui tendant mon paquet d'où en dépasse une.
- Putain, ouais, sourit-il.

Il l'allume et tire comme s'il n'avait pas fumé depuis des années. Tandis que j'aspire la troisième bouffée de nicotine, ma Jeep se met en verrouillage automatique. Hormis la braise, l'obscurité est maintenant absolue. Dans ma tête, tout est prêt.

Le sourire aux lèvres, je cale ma clope entre mes dents et sors de mon dos deux flingues que j'arme en les frictionnant l'un contre l'autre. Le bruit caractéristique qui retentit fort dans le silence, fait sursauter de trouille le blessé.

- C'est quoi ton nom ? L'interpelais-je soudain.
- Appelle-moi comme tu voudras, grince-t-il indifférent.
- Ok le cafard, tu vas faire exactement comme je te dis, et tout se passera bien, dis-je en écrasant mon mégot du bout du pied.

J'enfonce ma main droite armée dans la poche ventrale de mon sweat-shirt, et colle l'autre dans les reins du type qui se raidit illico.

- Si on te demande, tu diras que je t'accompagne, tu récupères ton pognon et moi je m'occupe de ce Charly, ok ?

Son menton joue affirmativement de haut en bas. Devait pas être habitué à se trouver dans ce genre de guêpier lui dont le physique ressemble plus à un aventurier qu'à un truand professionnel.

A minuit pile, la lueur des phares d'une voiture qui descend la rampe surgit devant nous. Au ralenti, elle s'engage dans le parking, collée de près par un deuxième véhicule. L'un prend à gauche, l'autre à droite. Ainsi séparé, ils nous encadrent, et mon instinct me murmure que les choses vont être plus compliquées que prévues.

Lorsqu'ils s'arrêtent à quelques mètres de distance, les portières s'ouvrent simultanément et des hommes sortent. J'en compte six pour le moment et calcule en avance le nombre de balles que je risque de distribuer.

Six têtes de faits divers, l'air plus méchants que dangereux. Par déduction j'essaye de deviner lequel est Charly. Sûrement le petit en retrait dans un costume trop long et trop large. Les Minimoys aiment bien jouer les chefs pour compenser leur complexe.

Drôle de gabarit pour un ancien légionnaire qui sort de prison. Enfin, ce connard a peut-être enlevé ma sœur, et ce n'est pas sa petite taille qui le sauvera.

Mon arme gauche appuie dans le dos du cafard pour l'inviter à engager le dialogue.

- Oh, Charly ! Gueule-t-il fort tel un fêtard en avançant. Content de te voir mon ami !

Il ouvre grand les bras comme si quelqu'un allait venir l'enlacer. Surpris, je les observe tour à tour. Les types ne bougèrent pas. Un grand à l'allure de taureau, donna un coup d'épaule au mini-pouce qui faillit partir tête la première contre le sol.

Il se stabilise, fait quelques pas pour aller à notre rencontre, puis se stoppe. Pas certain de vouloir s'éloigner de sa garde rapprochée, il jette un regard préoccupé par-dessus son épaule. Mon cafard s'impatiente.

- Il a pas l'air pressé de te payer ton pote, lui dis-je entre les dents en riant faussement.

Dans le contre-jour des phares qui l'éclairent de dos, je ne peux pas distinguer son visage. Je crains qu'il ne lui balance son pognon et se tire avant que je ne sache si c'est bien lui ma cible. Je pousse un soupir en réfléchissant à mon plan, pas le temps il faut y aller.

- Charly ! Tonnais-je à bout de patience.
- Qui le demande ? Interrogea-t-il la main en visière sur son front.

Je n'ai pas le temps de répondre, qu'un tremblement d'une force inouïe nous surpris tous. On aurait dit qu'un volcan en irruption vibrait sous nos pieds.

Le grondement amplifia tandis qu'au loin un son étrange retentit. Tous tournèrent la tête pour trouver d'où provenait le bruit. D'abord lointain et étouffé, à mesure que le sol vibrait plus fort sous nos pieds, la cacophonie grossie en se rapprochant à une vitesse folle.

- Faut partir, hurle un type.

Dans l'urgence, chacun ne pensa qu'à fuir. Mon cœur décolla comme une fusée en voyant Charly détaler.

Il ne faut pas que je le perde.
Pas maintenant.
Pas si près du but.

Ma chance n'attendra pas. Je lâche mon otage, pique un sprint et saute en plaquant le type au sol tandis que ses hommes se dispersent pour monter à bord de leurs véhicules.

Le Minimoys senti dans son dos une pression à lui briser la colonne vertébrale, il se retourne et se pétrifie d'appréhension en lisant dans mes yeux qu'il ne m'échappera pas.

A peine ai-je le temps de relever la tête pour le tirer vers ma Jeep, que je vois mon cafard qui reviens en courant vers nous. En regardant l'entrée, je comprends son brusque changement de direction.

Des dizaines de scooters font irruption dans le parking. Fumigènes rouges en main, ils se dispersent à une allure folle dans tous les sens tels des fourmis. La scène est irréelle. Je n'ai jamais vu ça.

Impossible de s'enfuir en voiture. Quant aux sorties faut-il encore survivre sans se faire écraser pour les atteindre. Je n'ai plus qu'un allié : l'obscurité.

A ras du sol, je traine Charly par le col de sa veste et le planque dans l'angle d'une colonne. Juste le temps de voir le blessé se cacher dans une poubelle, je me redresse et observe la scène.

L'effet de surprise est total. On a beau tout prévoir, s'attendre au pire, il y a toujours un truc qui foire. Mais là, aucun doute possible sur l'identité des trouble-fêtes, ce sont bien les Désaxés.

- Putain ! Mais qui les a prévenus ceux-là ? gueulais-je fou de rage.

Ce n'est pas une coïncidence. Un des leurs a failli se faire descendre hier, ils sont là pour se venger. Je ne sais pas comment leur présence a pu passer inaperçue.

C'est un vrai bordel. L'espace entier est envahi. Les scooters tournent dans un vacarme assourdissant. Les pots d'échappement et les klaxons me vrille les tympans. Charly ne bouge plus, il s'est ratatiné dans son coin. Impossible de sortir d'où nous sommes.

A plusieurs mètres de là, une des voitures qui voulait jouer au bowling avec les bécanes a été renversé, tandis que l'autre est immobilisée, les quatre pneus crevés. Je me dis qu'avec un peu chance il suffit d'attendre qu'ils en aient fini avec eux pour qu'ils s'en aillent sans nous repérer.

C'était sans compter sur ma Jeep.

Un Tmax me passe devant comme une bombe. Lorsqu'il s'arrête, le passager saute à terre et l'engin se met à drifter sur lui-même en créant une épaisse fumée d'où perce une forte odeur de caoutchouc brulé. Arme en main, yeux plissés, je remonte mon col pour filtrer l'air et tente de distinguer quelque chose.

Une silhouette apparaît. Je reconnais immédiatement Eduardo à sa démarche distinctive, jambes arquées ses épaules roulent comme un cowboy. Il relève la visière de son casque et ses yeux destructeurs passent au crible chaque recoin.

À ce moment précis Charly tousse. Un bras sur sa bouche pour couvrir le bruit, il gesticule en reculant au sol comme un microbe. Trop tard.

Napo soulève son teeshirt, se saisit d'une arme planquée contre son ventre et s'avance le regard assassin. Je sens arriver la catastrophe.

Ni une ni deux, je sors de l'ombre et, d'un mouvement rapide, je saisis son poignet l'obligeant à lâcher son flingue. Surpris, il n'a pas le temps de riposter lorsque je le tire par le bras à l'écart du vacarme pour s'entendre parler.

- C'est quoi ce bordel ? Rugis-je furieux.
- Oh Cardio ! T'es venu assister au spectacle ? Demande-t-il souriant comme un sale gosse.

Il ôte son casque, tandis que je range mon arme dans mon dos pour éviter d'envenimer la situation.

- Je t'ai demandé ce que vous faites ici ! M'énervais-je en attrapant son tee-shirt dans mon poing.

Pas perturbé, il mastique son chewing-gum a trois centimètres de mon visage. Ses yeux noirs insolents me fixent un long moment avant qu'un sourire fier n'étire ses lèvres.

- Du Urbex, lâche-t-il.

Eduardo sourit, moi pas. En me voyant rager il sait exactement ce que cela veut dire et, c'est impuissant qu'il se fait méchamment plaquer contre le mur.

- Je suis pas d'humeur à plaisanter avec toi Napo.
- T'es jamais d'humeur Dr House ! Ricane-t-il sans cesser de mastiquer insolemment.

J'ignore la provocation et relâche un peu la pression, mais ne décolère pas. Mon cœur pompe avec force dans ma poitrine. Il me jauge du regard et comprends qu'il n'a pas intérêt à me chercher trop longtemps au risque de me trouver tel qu'il ne m'a jamais connu.

- Ça va j'rigole ! Ces types ont essayé de descendre Lino, et toi qu'est-ce que tu fais là ? Demande-t-il en se penchant pour ramasser son arme.

Pas assez vite. Mon pied l'envoi glisser deux mètres plus loin et je lui flanque une claque à l'arrière du crâne.

- T'empêcher de faire une connerie ! Répondis-je en prenant mon air le plus sérieux.

Faire la bagarre lui correspond, tenir une arme non. Eduardo est sanguin. Elevé aux coups de ceinture, il a fait l'école du bitume ; celle où seuls les plus coriaces sont sensés survivre. Les gamins comme lui ne flanchent jamais, pas même devant plus fort que soi.

- Qui vous a dis ?

Il attend quelques secondes avant de me répondre.

- Si j'te l'dis tu m'croira jamais, me lance-t-il d'un air arrogant.

Avec son insupportable désinvolture et son sourire en coin, il me nargue, c'est sa façon de me dire que je ne peux rien tirer de lui.

- Ok. Faites ce que vous voulez, mais lui, tu touches pas ! Grondais-je le doigt pointé sur l'asticot qui s'est ratatiné dans un coin.

Son regard suit la direction de mon index, avant de revenir à moi.

- Franchement, pas ouf ta nouvelle meuf, grimace-t-il. T'inquiète, elle m'intéresse pas, fait-il avec clin d'œil complice.

Je suis étonné qu'il n'insiste pas. Lui qui a plutôt sale caractère, ça ne lui ressemble pas. Ne serait-ce que pour le défi et la provocation, il se serait obstiné.
Au lieu de ça, il réajuste ses cheveux gominés en les plaquant et observe autour de lui les sourcils froncés.

- Tu cherches quelqu'un ?

Eduardo ne répond pas. Mâchoire crispée, sa mastication cesse jusqu'à m'inquiéter tandis qu'il scrute par-dessus mon épaule.

Je me retourne juste à temps pour voir Fabio descendre de son scooter. Il s'abaisse, ramasse l'arme qui gît au sol et la dirige vers Charly.

- NON! criais-je en voyant ce qu'il s'apprête à faire.

La détonation retentit comme la foudre.

Le Corsico appuya de nouveau sur la gâchette une fois, deux fois, trois fois. Mes yeux s'agrandirent de stupeur puis de colère.

Le corps troué de Charly s'agitait au sol. Sa main droite se posa au niveau du cœur. Sans perdre une seconde, je fonce à sa hauteur pour lui relever la tête.

Il dégustait cher. Le spectacle n'était pas beau à voir. Les trois tâches rouges en plein thorax tranchaient sur sa chemise bleu pale. Il n'y avait rien à faire, rien à espérer, c'était la fin. Une fin d'autant plus con que je n'avais rien pu tirer de lui. Après qu'un flot d'hémoglobine jaillit de sa gorge, il expia ses souffrances en fermant les yeux.

Alors que dans ma tête je hurle, je sais qu'en façade je suis de marbre. L'expérience m'a appris à mettre de côté la colère et la frustration, mais là j'atteins le fond. Mes espoirs viennent de se briser comme du verre.

Ce sentiment d'injustice fait affluer une rage folle de mes veines jusque dans mon cœur. Je me tourne d'un coup vers le Corsico qui perd son air suffisant et recule d'un pas.

Il est déjà trop tard.

A cet instant, intérieurement je disjoncte et un rideau de fer s'abat devant mes paupières. Je me relève, mes pieds martèlent le sol quand je m'avance les pupilles braquées en réajustant mes bagues sur mes doigts.

- Cardio..., deconne pas, articule Eduardo vachement moins détendu en se positionnant devant son acolyte.

Ma tête tourne, mes mains tremblent, je dois respirer et me calmer. Impossible. Un cri de rage me déchire. J'envoie Napo dans le mur et mon poing atteint le Corsico en pleine figure. La force déployée le couche sur place.

Attiré par les coups de feu, trois gamins taillés comme des coton-tiges descendent de leurs scooters prêts à en découdre. Leur goût pour les défis n'annonce rien de bon.

Si je ne suis pas violent, tout le monde sait qu'il ne faut pas me chercher. S'ils veulent jouer aux durs, tant pis pour eux ; ça va être un carnage.

Lorsque le premier s'approche, c'est sans effort que j'esquive la droite qu'il lance. Je n'ai qu'à me baisser et pivoter pour lui donner un coup de coude dans le foie qui le foudroie de douleur. Son cri réveille une réaction tribale chez ses amis.

S'en suit une bagarre où les deux gamins tentent leur chance, vite rejoins par d'autres venu leur prêter main forte. J'essaye de rester lucide et mesuré, mais la colère qui pulse dans mes veines me fait perdre la raison.

Heureusement mes années à l'armée m'ont apporté la maîtrise et les réflexes nécessaires, alors mon corps prends le relais sur la folie qui me domine.

Inutile de fournir beaucoup d'efforts, ils sont tellement désorganisés, aucune technique, que de l'impulsivité. Des amateurs. En acceptant de me battre contre les mecs de mon enclave j'ai l'impression de me trahir, mais là j'ai besoin de régler les choses de manière brutale

Il va falloir attendre qu'ils soient plus nombreux pour espérer remplacer le supplice de mes pensées par la souffrance physique. En attendant les coups pleuvent. Mon genou rentre en collision avec un nez, le sang gicle.

Charly était ma dernière chance, j'ai échoué. C'est contre cette injustice que je cogne de toutes mes forces. Un coup de tête, les dents sautent. Six sont déjà hors de combat.

Les gestes sont précis, presque mécaniques. J'esquive les attaques avant même qu'elles ne m'atteignent. Un tacle bien visé et la rotule fait crac. J'ai mal pour lui.

Pendant que je distribue quelques coups droits sans revers, une violente douleur me foudroie l'arrière du crâne. Le traître.

Mes jambes flanchent, l'univers bascule. A genoux au sol, des éclats de lumière dansent devant mes yeux en brouillant la réalité. Seuls les coups continuent de pleuvoir.

Ils ont des principes et n'achèveront jamais un homme à terre, mais le risque zéro n'existe pas. Si j'arrête, je peux y laisser ma peau ; au stade où j'en suis, ça m'est égal. Pourtant, je dois me motiver à continuer, sous peine de faire d'eux des meurtriers et d'entendre pour l'éternité les pleurs de ma mère au-dessus du cimetière où je serai enterré.

Les poings ne s'arrêtent que lorsque deux coups de feu sont tirés. Tout le monde se fige. Le cœur battant fort dans ma poitrine, je ne bouge pas.

- C'est bon, t'es calmé maintenant ? Fulmine Napo le bras en l'air.

Calme, je ne l'étais certainement pas. Mais Charly est mort. Voir son cadavre me ramène de suite à cette réalité. Quoique je fasse, rien ne le ressuscitera pour qu'il me livre ses secrets ; et le rejoindre en enfer n'y changera rien.

Je me relève, fais quelques pas, tout tourne autour de moi. Plusieurs secondes s'étirent pendant lesquelles personne ne dit rien. Les mômes échangent de rapides coups d'œil avec leur chef pour savoir quoi faire.

- On se tire, magnez-vous ! leur crie Eduardo.

Appuyé contre une colonne, j'extirpe une clope de mon paquet avant de l'allumer. Je suis obligé de m'y prendre à deux fois à cause de mes phalanges ensanglantées raides d'avoir été trop serrées.
Napo se baisse pour récupérer son casque, dévoilant l'arme du crime dans son dos.

- Ça je le garde, dis-je en la lui prenant.

L'effet de surprise le réduis un instant au silence pendant lequel il lève un regard noir vers moi.

- T'as vraiment d'la chance que j'lui ai donné ma parole, rage-t-il avant de remonter sur son scooter.

Ils se dispersèrent telle une nuée de criquet qui vient de tout ravager sur son passage, abandonnant le hangar à l'obscurité et au silence absolu.

Ne sachant pas quoi faire, je déverrouille la Jeep pour avoir un peu de lumière et reste planté là en regardant autour de moi. Les hommes de Charly ont profité de la bagarre pour détaler, laissant leurs véhicules et leur chef derrière eux.

La police ne viendra pas - personne ne vient ici - et s'ils viennent alors ils concluront à un règlement de compte entre malfrats. Ça les arrange bien.

Me déplaçant dans une sorte de brouillard cotonneux avec l'impression que rien n'est vrai, je fais les cent pas perdu dans mes pensées.

- Ça y est, ils sont partis ? chuchota dans ce silence macabre une voix derrière moi.

Par réflexe, je me retourne et braque l'arme entre les yeux du cafard qui lève les deux mains en l'air. Ma respiration est lourde, mon pouls tape à 150. Il me faut cinq secondes pour me souvenir qu'il était planqué tout ce temps dans la poubelle.

- Qu'est-ce que tu sais de lui ? demandais-je en désignant du menton le cadavre.

Regardant posément Charly, il semblait presque le narguer.

- Pas grand'chose, à part qu'il ne m'a pas donné mon fric.

Son ricanement me provoque une montée de nerfs. J'ai perdu ce qu'aucune somme ne pourra racheter et lui pense au pognon. Mes doigts se crispent sur l'arme en sentant la colère m'envahir. Le coup risque de partir. Je serre les dents pour me contenir.

- Qu'est-ce que tu lui voulais à Charly ? Ose-t-il demander sans bouger
- La vérité, soufflais-je dans un désespoir mal contenu.

Le blessé aurait pu être navré si son esprit n'était pas occupé à prier de toutes ses forces pour récupérer sa liberté. Dans ma tête, les paroles de la crevette tournent en boucle.

« Il suffit d'un seul ennemi en vie pour transformer les nuits en cauchemar et mettre en danger celle de tous les gens qui t'entourent »

Sa mort semblait primordiale avant qu'elle ne change brusquement d'avis. J'étais face à un dilemme : éliminer ou non ce mec qui peut-être ne vivrait plus qu'avec l'idée de se venger.

Généralement je réfléchis vite, mais cette histoire m'a vidé. Impossible de me défaire de l'immense lassitude qui m'empêche de penser. Je l'observe les yeux plissés en espérant ne pas rallonger la liste de mes regrets avec ce que je m'apprête à faire.

- Je t'ai sauvé la peau deux fois aujourd'hui, c'est beaucoup, commençais-je.

Je jette mon mégot par terre et tire la glissière du flingue en arrière. Blême, le cafard déglutit.

- Tu sais c'qu'on dit "jamais deux sans trois", ose-t-il fébrile.
- C'est envisageable, mais pour ça il faudrait que tu oublies tout.

- C'est comme si c'était fait, même pas besoin du flash des Men In black, tente-il sur le ton de la plaisanterie.

Pas réceptif à son humour, j'avance d'un pas en le fixant droit dans les yeux.

- Tu oublies ce rendez-vous, les mômes, Lino, ce qui s'est passé hier, la fille, Istok. Tu rayes TOUT de ta mémoire.

Les yeux effrayés, il me fixait avec angoisse. De trouille sa pomme d'Adam montait et descendait.

- Si jamais je te revois, ou si j'entends parler de toi... insistais-je en fronçant les sourcils.
- Aucune chance !
- Dégage ! Lançais-je d'une voix furieuse.

Il ne se fit pas prier pour déguerpir à toute vitesse. Pour lui éviter un AVC, j'extrais la balle dans la culasse en la faisant sauter plutôt que de tirer.

Mains dans les poches, je passe une dernière fois à côté du cadavre de Charly qui a emporté toutes les réponses avec lui. Ce soir la mort compte double parce que j'ai l'impression de perdre Ambra une seconde fois. Demain les préoccupations me dévoreront et je serais obligé de tout recommencer à zéro. Pour le moment, il faut juste que je m'éloigne d'ici le plus vite possible.

En m'asseyant derrière le volant, le désespoir me démolit le moral aussi bien qu'une série que les scénaristes foirent sur la fin. Je démarre la mort dans l'âme avec l'impression de n'avoir jamais été aussi faible et détruit de toute ma vie.

Quitter la banlieue Nord c'était comme se frayer un chemin à travers les ténèbres en se demandant si tout ça va finir un jour.

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Enfin, j'ai pu écrire un peu d'action, le début d'une longue liste. Car oui, il va falloir se battre pour obtenir la vérité. Vous ne pensiez tout de même pas que j'allais vous servir un plot twist aussi facilement !

J'espère que ça vous a plu, que l'effet de surprise a été au rendez-vous et surtout que j'ai réussi a vous retransmettre cette scène surréaliste que j'adore !

Well... petite compensation : gardez à l'esprit que les choses ne sont peut-être pas si dramatiques qu'elles en ont l'air 😉

Allez, maintenant il va falloir que Cardini finisse sa nuit quelque part et je connais un endroit idéal pour apaiser son petit cœur en miette.

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