12 | Colis suspect
Vendredi 10 Septembre - d'Istok à Paris
Plus je réfléchissais à l'inconnu qui doit m'appeler mardi et moins la perspective de cette collaboration me tentait. J'en arrivais à la conclusion qu'il valait mieux continuer en solo et suivre la piste du sans-abri. Au moins de ce côté mon sacrifice devenait payant et ce n'était pas en pure perte que je m'étais maudit des jours durant d'avoir accepté cette mission.
Considérant que je n'assisterai pas à la livraison d'Agostini, le terme de ce périple touchait à sa fin. Alors, en guise de récompense pour bon et loyaux services rendus, César m'appela le lendemain pour me fournir les informations qu'il possède à propos de Michel.
Je sais qu'il les obtenus en moins de 48h, mais il fallait bien que l'Empereur ait quelque chose par quoi me tenir en laisse pendant toute cette semaine. D'ailleurs il me tendit le post-it jaune comme l'on tend un os à un chien.
Et rien, ni ses sourires hypocrites ni ses claques amicales dans le dos n'allégèrent le mépris que je ressens à son égard. J'aurais pu ressentir de la joie mais j'avais surtout l'envie de broyer le bout de papier dans ma main et ainsi réduire en poussière la honte d'avoir participé à ses plans machiavéliques.
D'autant que celui qui aujourd'hui me sourit n'aurait pas hésité une seule seconde hier pour me descendre si j'avais échoué à sa mise à l'épreuve.
En entrant dans la maison j'ai immédiatement repéré deux points rouges lumineux qui brillaient dans le noir trahissant la présence de caméras.
Et, lorsque la crevette s'est fâchée en criant "J'irais pas à l'étage", j'ai compris qu'on venait de lui donner pour consigne de s'éloigner. Sans conteste ça devait être suffisamment important pour qu'elle aille se frigorifier de longues minutes sous la pluie.
Mon post-it en main, j'allais passer la porte lorsque César me retint un instant par le bras.
- Tu te souviens le jour de l'enterrement, l'adresse de mon fils ?
J'incline la tête l'invitant à poursuivre.
- J'ai besoin que tu apportes quelque chose à Kristina, c'est... un cadeau, articule-t-il embarrassé.
Devant mon air perplexe il rajoute.
- Elle ne répond pas, Sacha dit qu'elle est enrhumée. Je sais qu'elle est fâchée et si j'y vais elle va refuser. Tu pourrais en profiter pour juge de son état, savoir si elle va bien. Enfin, à vue d'œil, juste pour être rassuré.
Moi je crois qu'elle a compris et qu'elle essaye de fuir autant que possible cet individu qui ne veux que la toucher en l'ensorcelant de formules habilement empoisonnées.
Quand il n'utilise pas le mensonge pour arme de guerre, il pense qu'il peut acheter les gens. Mais comme il ne peut pas le faire directement, alors il a besoin d'un tiers pour se faire pardonner.
Sans attendre de réponse, il me tend une boîte noire scellée d'un immense nœud de soie doré. Dans ma tête trois scénarios se jouent simultanément.
Le premier suspecte une bombe à l'intérieur qui va m'envoyer directement dans les airs une fois que je serais sur la route.
Le second se demande si une équipe ne va pas me cueillir chez son fils pour me descendre.
Le troisième se dit qu'il a vraiment quelque chose qui cloche dans son insistance envers cette fille.
Je ne laisse rien paraître et modère mon rythme cardiaque tandis que je l'étudie un instant.
Vouloir me descendre maintenant qu'il n'a plus besoin de moi ne serait pas étonnant de la part de ce pourri, surtout s'il a obtenu de Michel les réponses que je cherche. Pourtant ses yeux ne semblent pas méfiants et, si je refuse, ce sera louche.
Ok, j'accepte.
Je récupère la boîte qui est étonnamment bien plus lourde que ce que je m'imaginais, puis on se serre la main avant de quitter la demeure.
Juste le temps d'informer le Commandant que j'ai enfin les infos que j'attendais et je fonce direction le quartier des privilégiés d'Istok.
Le son strident du carillon résonne mais rien de bouge. Après quelques secondes la sonnerie se fait plus insistante. Sacha fini par m'ouvrir, en sueur, vêtu d'un drap enroulé à la taille qui laisse peu de doute quant à l'activité que je viens d'interrompre.
Ses traits me hurlent que j'ai intérêt à avoir une bonne raison de l'avoir dérangé.
- C'est pour ta femme de la part de César, fis-je en lui présentant la boîte.
Greffé au tissu qu'il refuse de lâcher pour récupérer le colis, il fronce les sourcils agacé de s'être déplacé pour si peu.
- Elle est pas là, revient une autre fois, grince-t-il sur un ton qui me tend prêt à refermer la porte.
- Comment ça elle n'est pas là ? César a dit qu'elle est enrhumée, m'agacé-je persuadé qu'il ment pour me faire perdre mon temps.
- Elle est pas là je te dis !
Effectivement, une grande brune plantureuse traverse l'entrée en petite tenue soufflant exagérément sa frustration d'avoir été abandonnée.
Je ne peux pas prendre le risque de lui laisser quelque chose qui ne lui est pas destiné, avec César le droit à l'erreur n'existe pas.
- Bon donne-moi son numéro, exigé-je exaspéré.
- Si je te donne son numéro elle va me couper une couille. En plus ça sert à rien, elle répond jamais alors un appel inconnu, aucune chance ! Affirme-t-il catégorique.
Vrai ou faux qui sait, ce qui est sûr c'est qu'il ne me donnera pas son numéro.
- Est-ce que tu as au moins une idée d'où elle est ?
- J'en sais rien moi ! Sûrement dans son ancien appart', repasse demain, lâche-t-il visiblement pressé de se débarrasser de moi.
Ce qu'il ignore, c'est que je connais son adresse. Elle n'est pas à son nom car c'est une location illégale, mais grâce au GPS je sais exactement où la trouver.
Il se situe dans un quartier parisien tombé aux mains de l'opposition depuis plusieurs mois, alors il va falloir se garer très loin et finir à pied si je ne veux pas que ma voiture finisse en pièces détachées.
Le décor ici appartient à un autre monde.
La population à érigée des barricades à l'aide des poubelles que les éboueurs n'ont pas ramassé depuis des semaines. Aucune enseigne n'a survécu à la révolte. Mêmes les lampadaires sont hors d'état, et la seule clarté qui me permet de me diriger est assurée par des feux sauvages que certains ont allumés dans des bidons de métal pour se réchauffer.
Les habitants ont investi les rues pour discuter de la prochaine action qui leur permettra de renverser le gouvernement. Un type au sommet d'une carcasse de voiture calcinée gueule dans son mégaphone un discours révolté tandis que son auditoire l'encourage bruyamment. Derrière eux, son immeuble.
Enfin, ce qu'il en reste...
Pas de porte d'entrée, la façade tapissée d'affiches part en lambeaux et la plupart des fenêtres sont condamnées avec des blocs de béton.
L'entrée où trônent les restes des boites aux lettres donne sur une cour pavée intérieure qui cache un second immeuble en moins mauvais état. Au cinquième, volets grands ouverts, une seule lumière est allumée.
Elle est là.
Je presse sur l'interrupteur puis me dirige à travers les couloirs. Le système électrique défectueux dont les lumières fonctionnent par intermittence dévoile des murs salis et tagués.
Empruntant l'escalier de l'immeuble dans lequel je viens de pénétrer, je réfléchis à ce qu'elle peut bien faire dans un endroit pareil loin de la quiétude d'Istok pendant que son mec couche avec une autre. Mais même en y réfléchissant bien, je n'arrivais à rien de précis.
Ayant atteint le palier deux portes s'offrent à moi, je repère la sienne grâce au tapis qui me fait marrer :
« Frappez fort, mais pas aussi fort que la police »
Lorsque je tape la porte tressaute sur ses gonds dans un vacarme qui se répercute dans l'escalier. Pas de réponse. Pourtant la lumière filtre à mes pieds.
J'insiste et tambourine du plat de la main pendant un long moment enflammant ma paume contre le métal froid. La porte bouge tellement dans son cadre qu'elle semble vouloir se décrocher.
Enfin, un bruit de chaînes et de cadenas se fait entendre. Tel un gardien de prison elle entre-ouvre à peine, laissant apparaître son œil suspect dans l'ouverture.
- Qu'est-ce que tu fais là toi ? Demande-t-elle la voix fâchée.
- Livraison de la part de César.
Ses doigts se faufilent dans l'embrasure jusqu'à toucher la boîte. Je devine qu'elle s'imagine la récupérer sans devoir ouvrir.
- Ça ne passera pas ! Commençais-je à perdre patience.
- Ok, bah laisses-le devant la porte alors, je le récupérerais plus tard, coupe-t-elle en refermant.
Immédiatement je bloque la porte avec mon pied tandis qu'un rire nerveux me gagne.
- T'es sérieuse là ? L'hospitalité tu connais pas ?
- Pas avec les inconnus, non !
Je me calme un instant en prenant une profonde respiration.
- J'ai passé deux barrages, garé ma voiture à trois kilomètres, traversé ton quartier en costard et je viens de monter cinq étages, pour rester comme un chien sur le paillasson, vraiment ?
Sa pupille cerclée d'étonnement ne me lâche pas. Finalement après dix secondes de réflexion, elle abdique.
- Bon attend, souffle-t-elle.
Plusieurs minutes s'écoulent durant lesquelles des bruits me parviennent. Je ne sais pas ce qu'elle fabrique mais les murs, aussi épais que du carton, renvoient un boucan monstrueux qui résonne dans tout l'immeuble.
Enfin c'est le retour au calme, rapidement suivi du cliquetis des multiples verrous qu'elle libère un à un comme si elle déverrouille un coffre-fort.
Sourcils froncés, une main cachée derrière le dos, elle passe sa tête suspicieuse à l'extérieur pour vérifier si je suis bien seul avant de me céder le passage pour que j'entre.
J'ai très envie de me moquer de sa paranoïa mais je me retiens de la provoquer, un mot de travers et elle me sautera à la gorge.
Immédiatement touché par la forte odeur de fleurs d'oranger qui remplit l'air, je me déchausse avec la ferme intention de prendre quelques minutes pour évaluer la situation avant de repartir.
L'entrée s'avère être une petite cuisine et un comptoir qui sert de bar la sépare d'avec la pièce principale qui fait office de chambre. Sans prononcer une parole, je dépose son colis dessus.
L'endroit est vraiment atypique, on dirait le résultat d'une cohabitation chaotique entre un libraire et un antiquaire.
Éclairé par une faible lampe de chevet qui renvoi une lumière chaude, une mosaïque de motifs orientaux dansent sur des voilages blancs qui courent des murs au plafond.
Le mobilier est sobre par manque de place et semble avoir été chiné aux puces. Composé d'un lit à baldaquin, une table basse, un fauteuil Emmanuelle en rotin, mais surtout, une imposante et somptueuse porte-miroir en bois sculpté.
À défaut de meubles, il y a des livres partout ! Et quand je dis "partout", je ne parle pas de quelque chose de normal rangé dans des bibliothèques ou sur des étagères. Non, ce sont des dizaines de piles qui sortent du sol.
Là où il n'y a pas de livres, s'accumule une multitude des plantes vertes, d'objets, de babioles, bougies, statuettes et autres bibelots en tout genre.
Malgré l'environnement surchargé qui aurait dû m'oppresser, son petit appartement semble un havre de quiétude. Une bulle coupée du monde.
- Qui t'as dit que j'étais ici ? Demande-t-elle mécontente.
- Une intuition, murmurais-je en observant les coussins et les tapis persans qui ornent le sol.
Impassible, mon regard voyage sur chaque élément qui composent ce cabinet de curiosité de la taille d'une boite à chaussures, en attendant que sa colère se dissipe.
Tiens... les volets sont fermés.
Je sais qu'elle cache quelque chose derrière son dos. J'ignore si elle aura le courage de s'en servir mais je me tiens prêt au cas où.
De la main je fais glisser la boîte vers elle, l'encourageant ainsi à l'ouvrir pour la convaincre de se débarrasser de ce qu'elle tient dans son dos.
Indifférente, elle n'a pas même un regard pour le cadeau, son visage crispé est tout occupé à me tenir scrupuleusement à l'œil.
- C'est ton anniversaire ? L'interrogeais-je innocemment pour briser le silence.
- Non pas du tout, coupe-t-elle sèchement.
Quel sale caractère !
Aujourd'hui pas d'alliance sur sa main droite.
Arme à gauche, gauchère.
La vibration de mon téléphone arrive au bon moment dans ce combat de regard. César.
- Oui, [...] Elle avait l'air un peu fébrile mais pas de quoi vous inquiéter [...] Le cadeau ? Elle est ravie ! Elle a dit qu'elle vous appellera dans la soirée pour vous remercier. [...] C'est moi qui vous suis reconnaissant. [...] Bonne soirée également.
Tandis que j'exagère volontairement mes réponses dans le but de la décrisper, elle m'observe suspendue à mes paroles.
Lorsque je raccroche elle me remercie et se justifie à demi-mot en m'expliquant qu'elle est venue faire du rangement.
Tu parles, il faudrait des mois pour ranger sa caverne d'Ali Baba.
- Tu veux un café ? Me propose-t-elle hésitante.
- Tu as de l'eau ?
- Non, elle n'est pas potable, mais j'ai du Coca.
- Un café alors ça ira.
Tandis qu'elle remet discrètement un couteau dans un tiroir tout en mettant en marche la machine pour couvrir les bruits, j'en profite pour m'éloigner de quelques pas et inspecter la pièce.
- Où tu vas ?! S'exclame-t-elle.
- Affuter les couteaux pour te découper en morceaux, répondis-je un léger sourire aux lèvres.
- Ah-ah, t'es un comique toi ! Se moque-t-elle en retour.
Accoudée sur le plan de travail, le visage dans la paume de ses mains, emmitouflée dans un long gilet à grosses mailles en laine couleur crème qui glisse sur son épaule d'où subsiste un reste de bronzage, elle suit chacun de mes mouvements.
- T'es huissier ? T'es venu faire l'inventaire de mes affaires ? Demande-t-elle pour combler le silence.
Je réprime le rire qui me démange, prêt à riposter, mais à ce moment précis, un objet attire mon attention. Il jure avec le décor, tel un intrus il m'appelle. Alors, avec beaucoup de précaution, j'approche ma main de la collection de lampes à huile en verre pour éviter de les casser, et je saisis un Rubik's Cube qui prend la poussière.
- Je déteste ces trucs-là, râle-t-elle en me voyant avec l'objet. Tu peux le garder si tu veux, ça fait trois ans que je l'ai et j'ai jamais réussi à faire une seule face !
L'objet entre mes doigts, je reviens lentement vers le comptoir en évitant les plantes suspendues au plafond pour ne pas me les prendre en pleine tête. Simultanément, une idée audacieuse s'insinue dans mon esprit.
- Si je réussi à le finir, je t'invite à boire un verre.
A cette annonce, elle pose les tasses et arque curieusement les sourcils en me fixant droit dans les yeux.
- Un verre ?! Répète-t-elle incrédule.
- Un café, un Coca, ce que tu voudras, répondis-je en maintenant son regard.
Cette exigence est dictée par ma volonté d'en apprendre plus sur les liens qui l'unissent à César, mais surtout, j'espère qu'elle pourra m'en dire plus sur son père.
L'hésitation traverse la tempête verte de ses iris, puis tout aussi vite l'audace l'emporte.
- Ok, fait-elle avec aplomb. Mais avec une limite de temps alors ! Exige-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.
- Je ne comptais pas te kidnapper pour toujours, juste le temps d'un verre, ne pus-je m'empêcher de sourire.
Ses yeux roulèrent d'impertinence.
- Je parlais du cube Cardini... Un temps imparti pour le finir, précise-t-elle imperturbable.
La lame de sa logique vient de me déstabiliser, j'ai l'air bête, je le sens. Pourtant je ne me sens pas humilié, au contraire je suis étonné par sa vivacité d'esprit.
- Cinq minutes ? Insiste-t-elle sereine.
- Ok !
Le temps qu'elle allume sa cigarette, je quitte son visage pour me concentrer sur les carreaux de couleur.
Après avoir bougé quelques lignes je sais qu'une vingtaine de mouvements seront nécessaires pour le terminer. Ça ne me prendra certainement pas plus d'une minute, mais je me garde bien de le lui dire parce qu'il y a une part de moi qui aspire à l'impressionner.
- T'as un minuteur ? Demande-t-elle en montrant des yeux mon téléphone.
- Ça ne sera pas nécessaire, répondis-je confiant.
Le regard douteux, elle tire lentement sur sa cigarette en essayant d'identifier si c'est de la vantardise ou de l'assurance.
On va même rajouter une difficulté qui ne manquera pas de t'étonner j'en suis sûr.
Je vais te regarder droit dans les yeux et finir ce Rubik's Cube en moins d'une minute ma belle, pensais-je en plantant mon coude sur le comptoir pour que mes doigts puissent manipuler l'objet à hauteur de son visage.
- Non ! Tu te moque de moi ! Sourie-t-elle stupéfaite.
- Impossible, je n'oserais pas ! Rétorquais-je amusé sans la quitter des yeux tandis que mes phalanges manipulent avec habileté les lignes et les colonnes des damiers.
Trop occupée à regarder les petites cases qui tournent dans tous les sens, elle ne me voit pas observer ses yeux verts scintillant d'une profondeur intense qui éclaire de façon éblouissante le noir de ses pupilles à mesure que les couleurs se rangent.
Oubliant même de tirer sur le filtre de sa cigarette qui se consume en suspension dans l'air, son visage rayonne comme celui d'une enfant émerveillée par un tour de magie.
Sa fascination me suffit à savoir que je suis sur la bonne voie, je n'ai qu'à jeter un discret coup d'œil pour m'assurer des derniers mouvements et trois, deux, un, boum !
Je lui offre le casse-tête sans même le regarder, car l'éblouissement imprimé sur son visage me confirme que j'ai gagné.
- J'Y CROIS PAS ! S'écrie-t-elle de joie en le tournant dans tous les sens.
L'euphorie qui se dégage d'elle me flatte tandis que sa dopamine me contamine.
Je ne saurais pas l'expliquer mais j'ai su qu'à cet instant j'avais accès à quelque chose de rare. Sa véritable nature est apparue derrière son armure, comme un ouragan qui laisse parfois filtrer quelques rayons du soleil.
- T'es trop fort ! Comment tu fais ça ? Sans regarder en plus ?! S'extasiait-elle la voix enjouée.
- Je t'expliquerai quand on ira boire un café, fis-je en avalant cul sec celui qui refroidissait.
La crevette balaye d'un battement de cils cet insignifiant détail et continue à observer le cube pour comprendre par quelle sorte de sorcellerie cette chose fonctionne.
Dans le silence de sa petite cuisine ne résonnait que le tintement de ses multiples bracelets sur ses poignets.
Elle ne s'arrête qu'un instant pour rabattre d'un geste son épaisse chevelure sur son cœur dévoilant un cou longiligne et une créole en argent. Sans savoir pourquoi, je trouvais malgré moi que ce geste avait un charme fou. C'est presque gênant de la trouver vulnérable et belle sans son air renfrogné.
Sans qu'elle ne se rende compte du sang perla de son nez. Par reflexe j'approche ma main pour l'essuyer, mais elle semble avoir anticipé mon geste et recule brusquement en me lançant un regard si dur qu'il me fige sur place.
En une fraction de seconde la noirceur dans ses yeux balaya complètement la luminosité qui l'habitait. Comme si tout son être m'interdisait de toucher son âme avec mes mains sales.
- Tu as du... du sang, me justifiais-je en retenant mon souffle sans savoir pourquoi.
Peut-être que je craignais qu'elle n'interprète mal mon geste, qu'elle se souvienne de son envie de me tuer ou que ça n'efface l'enchantement qui l'habitait. Un mélange des trois surement.
Heureusement l'obscurité de ses pupilles s'envola tout aussi vite qu'elle est apparue. Pivotant vers la cuisine, elle attrape un torchon et bascule sa tête en arrière.
- Non, non ! Ne fait surtout pas ça, la prévenais-je en contournant le bar pour repositionner lentement sa tête.
Ma main sur sa nuque cette fois-ci ne lui provoque pas de mouvement de recul, elle se laisse guider sans lâcher ni son torchon ni le cube.
Tout en l'accompagnant pour s'assoir sur le lit, j'en profite pour presser subtilement l'index et le majeur de ma main libre à l'intérieur de son poignet et lui prendre la tension.
Pouls irrégulier, hypertension. Je crains qu'elle ne s'évanouisse d'autant que sa main est glacée.
En nous asseyant sur son lit, la pièce paraît beaucoup plus vaste vue d'ici et les voilages donnent l'impression d'être dans un cocon.
Juste un instant d'inattention lui suffit pour se dégage de moi afin de vérifier l'état de son chiffon.
- Tu prends des médicaments ? Des anticoagulants ? Me surpris-je à demander par habitude.
- Pourquoi ? T'es médecin maintenant ? S'étonne-t-elle défiante en me dévisageant durement.
Elle, il faut avoir bien du courage pour lui arracher une réponse, visiblement la moindre question lui fait l'effet d'un interrogatoire de la Stasi.
Disparu la fascination, effacé l'enthousiasme, elle a de nouveau le visage strict, les pommettes saillantes et le regard tranchant.
- On peut dire ça oui, répondis-je vaguement.
Elle secoue la tête l'air profondément agacée et se contente de vérifier pour la seconde fois si son épistaxis a fini de couler. Fermée à la discussion, la crevette ne donne pas le moindre signe de volonté pour me répondre et le silence commence à se faire pesant.
- Ça t'arrive souvent ? Insistais-je quand même.
Ses yeux perçants acceptèrent enfin de se tourner dans ma direction pour me lancer un regard intransigeant.
- Non, seulement quand je me rends compte que même les gens intelligents préfèrent s'abaisser à travailler pour César, prononce-t-elle lapidaire.
Son attaque vient me frapper de plein fouet. Être blâmé et complimenté dans la même phrase, c'est troublant. L'impulsion me pousse à réfuter ses déductions, mais la raison me retient. Il est trop tôt pour prendre ce risque, d'autant que je lis sur ses lèvres qu'elle n'en a pas fini.
- Ne pense pas que ton intelligence te servira de gilet par balles, ni qu'elle t'immunisera contre la suspicion. Au contraire. Il n'y a rien de plus suspect qu'une personne intelligente qui prend le risque de réduire son espérance de vie sans raisons valables.
Ses mots sortirent froids et directs comme des balles de mitraillette.
Dans ce moment de défiance où elle mène une guerre ouverte, je cherche à comprendre le sens de cette surprenante attaque avant de répondre. La vibration vient perturber mes pensées. Commandant.
Je coupe et remet l'appareil dans ma poche. Trop tard, le temps est écoulé, son regard est déjà partie se poser plus loin parmi les piles de livres tandis que son attention se disperse.
Complètement déstabilisé, je ne sais pas quoi faire. J'ignore s'il faut parler ou se taire, lui donner tort ou raison, si c'est un ultime test de César ou sa propre pensée. Et tout ça se mélange dans un désordre qu'elle seule sait si bien créer.
Elle est comme ça. Elle te bouscule, elle dérange, fait réfléchir, t'émeut, te met mal à l'aise. Bref comme l'art elle exige une réaction.
Par mesure de sécurité, je rassemble toute ma détermination afin de mettre ce sujet de côté, pour le moment. Mieux vaut avoir l'air d'un lâche qui fuit en refusant la confrontation plutôt que de laver son honneur en se compromettant.
- Evite de faire des efforts les prochaines heures, et si tu fais un malaise il faut que tu voies un médecin, un vrai, la prévenais-je en me relevant.
Elle hoche exagérément la tête traduisant que ce brusque changement de sujet lui déplaît surtout si c'est pour lui donner d'inutiles conseils, puis se relève à son tour pour déverrouiller la porte.
- Tu me dois un café, n'oublie pas, lui rappelais-je dans un clin d'œil pour conclure mon départ sur une note plus légère.
Elle répondit sans un mot par un insolent sourire forcé et sitôt sur le palier j'entends les serrures et les cadenas se verrouiller bruyamment.
Dans les escalier l'écho de ses mots recouvrit les grincements du bois sous mes pas. En traversant la cours je ne peux m'empêcher de me retourner pour regarder une dernière fois vers sa fenêtre.
Les volets sont de nouveau grands ouverts, laissant filtrer la seule lumière de l'immeuble qui semble être inhabité, à l'exception de son ombre et de celle d'un chat qui passe rapidement à côté de moi.
Indécis quant à ses paroles, je quitte l'endroit pour me diriger vers ma voiture avant le couvre-feu qui bouclera Paris hermétiquement.
Les rues sont pleines dans la nuit noire, çà et là les feux sauvages servent à se réchauffer autour d'un énième verre tout en fournissant un peu de lumière dans l'obscurité.
J'accélère le pas, referme mon manteau et remonte le col jusque sous mon nez avant d'enfoncer mes mains dans mes poches. Je sens que si je tousse on remarquera ma présence et mon costard risque de m'apporter beaucoup d'emmerdes. Sur mes gardes, je me tiens à l'affut du moindre bruit suspect prêt à cogner s'il le faut. Heureusement ma haute silhouette traverse le quartier telle une ombre invisible.
Avant d'ouvrir la portière je jette un regard sur ce quartier où vit une créature vraiment curieuse. Une fille dont l'univers ne colle pas du tout avec le milieu qu'elle a épousé.
Finalement, dans un monde où tous portent un masque, je me dis que c'est un immense privilège de voir une âme vraie, aussi dure et complexe qu'elle puisse être, elle reste vraie. Unique. Singulière.
Assis derrière le volant, je quitte les lieux avec la certitude que je reviendrais ici, et pas qu'une fois.
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Moi actuellement :
Pourquoi ?
1 | Ce chapitre est écrit depuis un an, c'est le pont entre l'ancienne version de l'histoire et la nouvelle.
2| C'est le début de TOUT (et quand je dis TOUT, je ne rigole pas )
3 | Le calme avant la big tempête, il fallait bien vous laisser sur un truc léger pour mieux vous bousculer 🤭
J'espère qu'il vous à plu autant sinon plus que je ne l'aime.
Alors le petit cocon de Kristina on aime ?
Pourquoi a-t-elle soudain changé d'humeur ?
Sur ce je vous laisse Dalibaver quelques jours avant la suite 🫠
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