11 | Engrenage
Jeudi 9 Septembre - Ancienne adresse Istok
Il paraît que « vouloir c'est pouvoir ».
La personne qui a écrit ce proverbe a dû se gourer quelque part. Croire qu'il suffit de vouloir une chose pour la réaliser, si ce n'est pas se foutre de nous je ne sais pas ce que c'est.
Prenons un exemple. Là je veux être au bord de la mer les pieds dans l'eau, pourtant je me dirige vers mon ancienne adresse, lieu où j'ai juré de ne plus jamais remettre les pieds. Autant dire que seul mon enthousiasme est à marée basse.
D'aucun diraient que c'est à cause de mon entêtement, soit mon trait de caractère le plus évident, admettons. Quand tu t'enfonces avec persévérance sur le mauvais chemin, à moins d'être complètement stupide, tu sais que le pire s'amplifie à chaque lendemain.
C'est un peu comme une courbe exponentielle.
Connerie que multiplie le temps égale "ça va mal se finir". Là c'est un adage sincère, aucune erreur possible, très clair.
Et mon téléphone qui n'arrête pas de vibrer alors que je ne peux pas décrocher.
A croire qu'Eduardo a un don d'ubiquité ou alors juste le don de mal choisir son timing. Non. A coup sûr c'est César qui lui a demandé de m'appeler pour vérifier à quel point je suis fâchée.
Extrêmement, si vous voulez savoir. Qu'il ait encore osé mentionner mon père va au-delà de tout ce que je l'en croyais capable. Il y a des mots qui résonnent comme des séismes, pourtant il ne s'est pas gêné.
Le pirate éteint le moteur en face de la maison dont la façade est envahie de lierre et observe d'un mauvais œil le véhicule sombre garé plusieurs mètres plus bas.
Évidemment, c'était tellement prévisible. César a tout prémédité, il savait que je céderai. Je suis prête à parier que même la présence de Tanya a été anticipée pour s'assurer de l'impossibilité de rester chez lui. Rien n'a été laissé au hasard. Il m'a mené par le bout du nez comme une débutante.
Mais pourquoi ? Pourquoi ici et pourquoi avec Cardini en qui il n'a pas confiance ?
La veille, il m'a provoqué l'angoisse de ma vie en émettant l'hypothèse qu'il ait pu voir son document, et aujourd'hui il prend ouvertement le risque ? Ça n'a aucun sens ! Peu importe, je suis là pour obéir et traduire, pas pour réfléchir alors il aura ce qu'il demande et basta, mais il me le payera !
Face à la porte d'entrée l'anxiété vient me tourmenter en faisant trembler mes mains. A mesure que j'enfonce la clef, j'hésite même à la casser dans la serrure pour m'éviter de devoir y rentrer.
A quoi bon, ses bonhommes l'ouvriraient d'un coup d'épaule.
Le cœur battant à tout rompre, je déverrouille en répétant en boucle : "Il ne s'est rien passé".
Trois ans que je ne suis pas revenue, pourtant à l'intérieur flotte encore l'odeur distinctive de mes acryliques. Une petite pointe de nostalgie resserre mon estomac en me remémorant la vie passée entre les murs de mon premier chez-moi. Très vite balayé par les funestes raisons qui ont fait que j'ai quitté précipitamment cette maison, ce cadeau empoisonné, cette prison dorée.
- Si tu n'es pas prête, on peut attendre dans la voiture, me réveille la voix du pirate qui m'observe immobile sur le perron.
Pour toute réponse, je secoue ma tête embuée de souvenirs pour les chasser au loin et m'encourage mentalement : allez, tu peux le faire Kristina, juste la traduction et après s'en sera fini de ces conneries. Enfin, y a encore Sacha, mais j'en fais mon affaire.
D'un pas décidé, j'entre, allume la lumière et me déchausse. Cardini m'imite, je ne sais pas si c'est dans ses habitudes ou s'il le fait par mimétisme, mais je suis agréablement surprise, d'autant qu'il a des chaussettes noires ce qui est vraiment un signe d'élégance à mes yeux.
Rien n'a changé, aucun meuble n'a bougé, tout est exactement comme je l'ai abandonné. Et ça m'angoisse un peu plus fort car le bond dans le passé n'en est que plus réel.
Je souffle un grand coup pour dénouer mon ventre et me dirige vers la baie vitrée pour relever le rideau électrique et aérer.
Puis, pensive, je m'appuie contre la vitre entrouverte d'où me parvient un vent frais et allume la première cigarette de la soirée. Celle qui a pour rôle d'arrêter le temps un instant et calmer mes tourments.
Une fois de plus Cardini m'imite en se positionnant du côté opposé, l'avantage c'est qu'il a retenu la leçon concernant les distances de sécurité. Toutefois je prie pour qu'il ne prononce pas un mot.
Il faut croire que la télépathie fonctionne à merveille, car il garde le silence tandis que son regard se porte au loin dans le jardin, là où entre les feuillages le coucher du soleil se dessine à l'horizon.
Mes yeux sont attirés par les scintillements de ses multiples colliers qui reflètent la lumière du jour qui s'en va, tandis que ses yeux prennent une couleur chatoyante, presque ensorcelante faisant encore mieux ressortir l'ambre de ses iris. Même ses cheveux coupés ras ont des reflets chauds.
Il a une aura très solaire pour un mec si grave...
Assez perdu de temps, au travail ! Me secouais-je.
J'écrase ma cigarette et m'éloigne vers la table à manger circulaire tandis qu'il reste quelques instants de plus à observer le paysage dos à moi. Ce type est immense, sans déconner il fait au moins deux mètres. Mentalement je me mets à calculer la hauteur de la baie-vitrée et lorsqu'il se retourne je n'ai pas le temps de dévier mon regard qui me trahit.
- Elle est incroyable la vue d'ici sur les couchers de soleil, prononce-t-il comme si de rien n'était.
- Je préfère les aurores plutôt que les crépuscules, les débuts sont pleins d'espoirs alors que les fins sont souvent tristes, répondis-je presque malgré moi.
Étonné, il continue à me fixer comme lui seul sait le faire, révélant sa perpétuelle volonté de comprendre le sens caché de mes mots en lisant à la loupe le livre ouvert de ma conscience.
Pour dissiper un silence que je pressens lourd et long, j'enfonce mes écouteurs filaires dans mes oreilles et sort le document de l'enveloppe. Ma tension dégringola au sol.
Dix lignes !
Il a fait tout ce foin et toute cette mise en scène pour dix pauvres lignes que j'aurais pu traduire en cinq minutes assise sur l'abattant des toilettes !
Les appels incessants d'Eduardo coupaient à intervalles régulières ma musique. Comme prise en faute, je vérifie du coin de l'œil sans relever la tête de ma feuille, si le pirate m'a toujours dans son champ de vision.
Assis dans un fauteuil, il a enlevé son manteau et roulait les manches de sa chemise en dévoilant les veines de ses puissants avant-bras.
Contrairement aux autres lascars lui au moins n'est pas tatoué comme une porte de chiotte, ne pus-je m'empêcher de penser.
Distraite quelques secondes, j'éteins pour la dixième fois le clignotement des appels et retourne mon téléphone pour ne plus le voir clignoter. Je répondrais quand j'aurais terminé.
Mon frère d'âme n'était pas du même avis. Mais alors, pas du tout.
De 🐯
À : Moi
Répond !!!
De moi
À : 🐯
Plus tard !
Maintenant !
Je peux pas !
C'est important !
Ça attendra !
A peine avais-je écrit ces mots que je me souvins de la vidéo qu'il devait récupérer dans le bar de Flavia. La veille il n'a pas pu car le patron était présent alors il devait passer ce soir. Le moment était mal choisi mais la curiosité me dévorait.
J'abandonne la traduction à la moitié, passe devant Cardini qui ouvre un œil sur mon passage, sors d'un mètre hors de la pièce sur la terrasse et réponds au téléphone.
- Dit !
- Tu vas bien ?
Il n'avait pas sa voix radieuse si distinctive, je compris aussitôt qu'il sait où je me trouve.
- Il t'as appelé ? grinçais-je
- Ouais et il a dit que t'es fâchée.
- Très ! Confirmais-je les dents serrées.
- T'es vraiment retournée là-bas ?
Je sentais par moment que Dalibor me regardait alors j'essayais de ne pas laisser d'indices qui pourraient trahir ma conversation. Mais connaissant Edua, il va prendre mon silence pour de la tristesse et ne pourra pas s'empêcher de prolonger la conversation pour me rassurer.
- Oui, t'as récupéré le truc ? Demandais-je a voix très basse.
- Non, j'y vais là. Écoute Kristy, César m'a dit de te dire...
- J'en ai rien à foutre de ce qu'il a dit !
J'allais raccrocher folle de rage qu'il se serve de lui pour me contacter allant jusqu'à l'inquiéter. Il a dit pas de contact mais que quand ça l'arrange bien sûr!
- Non, non, écoute c'est important ! Y a des caméras, il faut que tu laisses les papiers sur la table et que tu ailles dans la cuisine ou dans la chambre pour...
- J'irais pas à l'étage t'es malade E... Hé ho ! Me rattrapais-je de justesse avant de faire une boulette.
- C'est pas ce que je voulais dire, vas n'importe où tu veux, juste il faut que Cardini reste dans le salon comme ça César saura s'il regarde les papiers. T'as compris ?
- Mmmm, marmonnais-je sceptique.
Habitée par un sentiment tenace de dégoût qu'il se soit servi de moi, le découragement l'emporte sur la satisfaction d'avoir enfin compris pourquoi.
- Il pouvait pas le faire ailleurs, tu comprends, mais il n'a pas pu t'expliquer à cause de l'autre alors il vient de m'appelé... C'est une idée alakon vraiment, je savais pas sinon je te l'aurais dit.
Eduardo était embarrassé, lui d'ordinaire si enjoué semblait préoccupé et ça me tordait le ventre. La dernière chose que je voulais c'était qu'il s'inquiète pour moi.
- Ok, j'ai compris, murmurais-je en m'éloignant de quelques mètres sous la pluie pour ne pas me faire entendre. Mais dit lui de venir avant 20h s'il te plaît, j'ai pas envie de rester ici.
Avec la sincérité de la détresse ma voix se brisa sur la fin et je l'entendis soupirer d'affliction.
- Comment tu te sens ?
- Ça ira, fis-je lassée. Appelle-moi quand t'auras... pour me dire... bref t'as compris.
Je coupais court à la conversation pour ne pas l'affecter inutilement et repris ma place.
Cardini avait les mains croisées derrière la nuque et regardait pensivement le plafond. Un instant j'ai douté qu'il ait pu entendre la conversation et qu'il cherchait des yeux les caméras. J'aurais presque scruté avec lui si je ne m'étais pas reprise très vite pour me remettre au travail.
Dire que toute cette situation c'est à cause de lui. Disons qu'elle découle plutôt des soupçons qui pèsent sur ses larges épaules. Certes malgré sa tête de type sans compromis, il a l'air trop intègre pour ce milieu, ce qui fait de lui un suspect idéal. Ok, il a même désobéi une fois, mais il ne me semble pas déloyal.
D'ordinaire je suis plutôt douée pour évaluer les gens, ce n'est pas un talent mais une adaptation forcée depuis le plus jeune âge. Ne pas se laisser surprendre, prévoir, anticiper, tout, surtout le pire. Et malgré nos efforts, parfois ça foire.
Mes yeux dérivèrent vers les escaliers qui mènent à l'étage, resserrant ma gorge dans un étau de barbelés.
Il ne s'est rien passé...
Le temps ne passait pas vite. Ça faisait déjà quinze bonnes minutes que j'avais terminé la traduction. Pour fuir la gêne de n'avoir rien à faire, je faisais semblant de continuer, lisant et relisant la même ligne cent fois.
« 27 poignées de portes en laiton modèle Courbe, 110 mm de largeur par 65 mm de profondeur, diamètre 55 mm, couleur ocre, 780g l'unité. Convient uniquement aux portes intérieures »
Quel subterfuge complètement absurde, on ne paye pas un demi-million pour des babioles décoratives d'hôtels. Encore ils auraient mis un sublime lustre en cristal Baccarat, mais ils ne prennent même pas la peine d'être subtil.
Dire qu'il va se faire piéger et mourir pour ça, c'est vraiment pas glorieux.
Inconscient de ce qui l'attend, Cardini déambulait dans le salon, les mains dans les poches, passant en revue les nombreux tableaux posés contre le mur. Ses pieds glissaient sur la moquette et seul le bruit de ses colliers trahissaient ses pas.
- C'est toi qui a peint tout ça ? Demanda-t-il soudain.
- Mmm, marmonnais-je affirmativement sans relever la tête.
Autre temps, autre vie aussi, tout ça est très loin derrière moi, maintenant je participe à une tentative de mise à mort programmée.
J'espérais qu'il s'arrêterait là dans la discussion mais évidemment c'était un vœu pieux. Combien de temps pensez-vous que deux personnes peuvent rester dans la même pièce sans s'adresser la parole ? Autant de temps que moi devant un sachet de Schoko-Bons.
- Y a un truc que je ne comprends pas avec toi... persiste-t-il malgré le silence que j'essaye d'instaurer.
- Un seul ? M'étonnais-je. Je parierai pas là-dessus, rétorquais-je sarcastique en relevant la tête.
Confirmant l'évidence, mes mots lui arrachèrent un sourire, alors j'attendis curieuse de savoir quel point d'incompréhension il souhaitait éclaircir.
- Tu as voulu m'aider mais...
Une panique soudaine m'envahit à l'idée que César ai pu poser des micros et l'entende avouer aussi bêtement notre escapade.
- Je ne vois pas de quoi tu parles. Avertir ce n'est pas aider, c'est une mise en garde à ne pas faire n'importe quoi, le coupais-je sèchement le cœur battant.
Et pour bien lui signifier que la conversation s'arrête là, je lui montre du doigt que j'ai un appel à passer.
Il est sympa et accepte ma méchanceté gratuite sans insister.
Laissant les documents en évidence sur la table, je m'éclipse dans le jardin sous la pluie pieds nus. Et c'est ainsi que je me retrouve à simuler une fausse conversation téléphonique, me parlant à moi-même comme une imbécile pendant sept minutes, en essayant de passer à travers les gouttes d'eau.
Toute la colère et la frustration accumulées y sont passées, César, Tanya, Sacha, mon père, cette foutue baraque, ce temps de merde, Agostini, le hangar, le blessé et Cardini qui parle trop. Les vannes du grand n'importe quoi se sont ouvertes, je réglais mes comptes avec l'existence, seule, dehors, dans le froid.
« La vie, ce n'est pas d'attendre que l'orage passe, c'est d'apprendre à danser sous la pluie », foutaises Sénèque ! Être sous la pluie c'est beau que dans les films et les romans, dans la vraie vie on ressemble à une dinde électrocutée et on pu le chien mouillé.
S'il ne me pensait pas folle, vous pouvez être sûrs qu'à présent c'est chose faite lorsqu'il me voit revenir dégoulinante. Ses yeux sont stupéfaits mais ses joues elles se retiennent de rire et j'ai la furieuse envie de le mordre jusqu'au sang, parce que tout ça c'est à cause de lui.
Elle devait bien se lire ma colère sur mon visage transit de froid, car aussitôt il lui passe l'envie de rire et il attrape son long manteau noir pour m'envelopper.
J'ai l'air si ridiculement minuscule dedans qu'on dirait un déguisement de kermesse. Cependant, je ne proteste pas, je suis bien trop gelée pour me payer le luxe de lui balancer son manteau à la figure. En plus il sent bon le bois de Santal.
Je n'ai qu'une envie c'est de me rouler en boule et dormir, ou mourir aussi ça fera l'affaire. Pour un jour, quelques heures, mettre tout en pause, la vie, les gens, moi-même.
Dans un dernier effort que je juge surhumain, j'envoie à Eduardo un sms :
«Dis-lui de venir maintenant sinon je pars à pied»
C'est faux évidemment, deux averses dans la journée j'ai eu ma dose, mais il faut bien que j'aie l'air déterminée et têtue. J'ai une réputation à entretenir.
Ça y est je tousse. À tous les coups demain je bonne pour l'état grippal, j'ai envie de pleurer. Vivement que je me couche.
Dans mon malheur Sa Majesté juge prudent de débarquer dans les cinq minutes qui suivent. J'étais tellement au bout du rouleau que son air triomphant ne m'irrita même pas. Je déduis, à juste raison, que son plan s'est déroulé à merveille et que le pirate n'a pas regardé les documents ni trahis sa confiance.
Mon sacrifice diluvien aura au moins permis d'éviter la mort de quelqu'un, moi par contre j'ai envie de crever.
- C'est bon on en a fini maintenant ? Demandais-je aussi vide et froide qu'une pierre tombale au milieu d'un cimetière.
- Parfait, tout est parfait, je n'ai plus qu'a expliquer à Dalibor la suite. Merci ma petite, s'enthousiasme-t-il tout seul.
Ton merci tu te le mets où je pense, murmurais-je en mon fort intérieur sans pour autant répondre quoi que ce soit.
Il m'examine et son sourire se fane car dans mes yeux il lit les reproches et la déception. Ça me laisse de marbre, je n'ai qu'une envie c'est de partir d'ici.
- Ils peuvent me raccompagner chez moi ? Insistais-je la voix éteinte en détournant le regard pour fixer le véhicule à l'extérieur.
Ma communication visuelle semble suffisante pour lui faire comprendre que ce n'est pas dans son intérêt d'aller plus encore contre ma volonté.
– Oui bien sûr, répondit-il avec un reste de joie dans la voix pensant sûrement que ça allait déteindre sur moi.
Je rends le manteau au pirate en le remerciant d'un invisible sourire qui n'existe que dans mon subconscient, récupère mes affaires et mes chaussures.
Dehors je respire un peu mieux. Mais ce n'en était pas terminé de mon enfer existentiel, loin de là. Car il me restait encore à rejoindre Paris avant le couvre-feu et monter les cinq étages qui me séparent de mon lit où je pourrai enfin m'emmitoufler dans un igloo de couvertures.
Dépitée et pessimiste je les gravit la mort dans l'âme et mon cerveau me chuchote mourir, mourir, en continue. J'ai l'impression d'être un bateau qui coule, et la seule chose qui me maintient à flot c'est d'en avoir fini avec cette mission de César.
A un détail près...
Assis sur la dernière marche du palier m'attendait Eduardo ce qui réchauffa immédiatement mon cœur. D'autant plus qu'il a apporté des céréales et du lait.
- Oh putain, merci ! M'effondrais-je dans ses bras. Au moins si je meurs tu seras la dernière personne que j'aurais vu.
Il partit d'un immense rire qui me redonne vie.
Après m'être séchée et changée pour enfiler un immense sweat-shirt tout doux et des grosses chaussettes, je m'assis en tailleur sur mon lit à côté de lui et pris entre mes mains l'immense bol de céréales.
- Alors, les caméras ? demandais-je la bouche pleine.
- J'ai une bonne nouvelle et une mauvaise,
fit-il énigmatique.
- Dit-moi juste pour les documents Edua, soupirais-je à bout de forces.
- Ça c'est la bonne nouvelle. Pour la mauvaise, je te laisse découvrir par toi-même.
Comme il n'a pas pu récupérer les bandes vidéo, il a filmé l'écran de contrôle avec son téléphone. La qualité de l'image n'était pas optimale, néanmoins on reconnaissait très bien la stature imposante du pirate accoudé au bar. Certes il s'approche un peu de la chaise où est posé mon sac lorsque Flavia et Fabio s'éclipsent, mais il ne touche pas les documents.
- Je comprends pas, c'est quoi la mauvaise nouvelle ? demandais-je la mine sceptique.
- Attends ça arrive, chuchote-t-il mystérieux.
Il fait une avance rapide jusqu'au moment où je quitte le bar. Soudain, au moment où je me dis que j'ai dû rater quelque chose, car il n'y avait strictement rien de suspect dans l'attitude du pirate, la caméra bascule sur celle à l'extérieur... Et la scène qui se joue sur l'écran fit brusquement accélérer mon rythme cardiaque.
- Bordel, c'est quoi ça ? Bredouillais-je tétanisée.
- Ça, c'est les emmerdes... souffle Edua.
Dans ma tête le danger défila à la vitesse d'une comète.
- Il faut le dire à César, bondis-je hors du lit en attrapant mon téléphone.
Eduardo m'arrête de justesse dans mon élan en me ceinturant contre lui.
- Attend ! Attend, j't'ai pas tout dit...
Arrêtant instantanément de gigoter je me fige entre ses bras tandis qu'il cherche ses mots ce qui m'inquiète davantage.
- J'ai été voir Lino à l'hôpital, il m'a dit qu'un type est venu le voir et lui a proposé un deal. Il lui a filé l'arme et lui a dit de suivre la voiture de Cardio quand il le verra dans l'enclave. Ensuite il devait tirer sur "le chauve à la valise".
Je reste totalement abasourdie.
- Tu crois que... quelqu'un essaye de faire foirer les plans de César en mettant ça sur le dos de Cardini ?!
- Y a qu'une façon de le savoir. Il faut qu'on découvre qui est ce type, fit-il en pointant l'écran, et ce qu'il lui a demandé de faire.
- Ahah et on s'y prend comment Columbo ? Le narguais-je.
- Moi je vais chercher qui c'est et toi, essaye de discuter avec Cardio...
- Hors de question ! Ne pus-je m'empêcher de crier en me levant d'un bond. J'ai rien à lui dire à ce mec ! Et qu'est-ce qu'on dira si on nous voit ensemble, je suis soit-disant mariée je te rappelle !
- Hej, murmure-t-il à voix basse pour me calmer. On s'en fiche de Cardio, l'important c'est qu'il n'arrive rien à César et que la livraison se passe bien.
J'hésitais, moi ça m'arrange d'en avoir terminé avec cette histoire et puis je n'ai absolument pas envie de faire un tour de manège supplémentaire.
- Il lâchera jamais le morceau si César le menace. Tu es la seule qui peut lui parler de ce business sans que ce soit suspect. S'il le faut, tu peux même lui donner des fausses informations et on tend un piège à l'autre type...
Eduardo est comme ça, il préfère se frotter au danger. Plus le risque est grand, plus il est partant. Et puis, il aime bien se la jouer "mec qui contrôle la situation", juste pour démontrer qu'il sait gérer et possède l'envergure nécessaire pour devenir un chef incontesté.
Je sais qu'il le fera, avec ou sans moi. D'ailleurs, je perdrais mon temps à essayer de le dissuader. Mais moi, est-ce que je peux le laisser faire seul ? Absolument pas.
Car il est évident qu'il aura des problèmes avec beaucoup de monde s'il insiste et la culpabilité me tombera dessus comme un rapace s'il lui arrive quelque chose.
Ce soir émotionnellement c'est compliqué, mais je sais qu'un jour ou l'autre ça ira. Dans le fond, j'espère toujours que la vie sera plus simple que ce que je pense qu'elle est.
- Redis-moi qu'on est les plus forts, murmurais-je en me pelotonnant dans ses bras.
- On est les plus forts Piccola, chuchote-t-il en resserrant son étreinte.
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