04 | Faites vos jeux
Je me réveille en plein cauchemar. Isaak venait encore me perturber au milieu de l'armée de mexicains sous tequila qui jouent des maracas dans ma tête.
Mes yeux se posent avec dégoût sur la bouteille de rhum vide qui trône sur la table de chevet.
Il va vraiment falloir que j'arrête d'utiliser ça pour dormir, pensé-je avant de me diriger vers la salle de bain.
Après une douche, serviette nouée à la taille, je me bats 3min contre celui que je vois dans le miroir avant de devenir celui que je prétends être.
Aujourd'hui j'ai rendez-vous avec César.
La semaine est passée en un claquement de doigts et si Tony ne m'avait pas téléphoné pour me le rappeler je ne m'en serais pas souvenu.
Je retrouve donc l'Empereur au dernier étage de son hôtel à midi pile. Le fait qu'il soit tout seul dans son bureau sans gardes ni témoins pour assister à cet échange me fait immédiatement comprendre l'importance que cela représente pour lui.
- J'ai une épine dans le pied qui m'empêche de dormir sur mes deux oreilles, et ce n'est pas pour tes talents de médecin que je fais appel à toi, mais pour tes autres talents... commence-t-il pas me flatter.
Sentant le plan casse-gueule, d'emblée j'allais refuser, mais je me demande où il veut en venir.
Je suis quelqu'un de curieux, quand je ne comprends pas exactement quelque chose j'ai besoin de savoir, alors je le laisse espérer et l'invite à dérouler son plan.
- Je vais confier une malle à quelqu'un, et disons que j'ai pas envie qu'il se fasse la malle avec. C'est vraiment un gros paquet de pognon et dans sa tête il peut se passer plein de choses. Il peut se dire : un dixième en moins ça ne se remarquera pas...
- Je fais pas ça, l'arrêté-je prêt à me relever. Vous avez le personnel nécessaire pour éliminer ceux qui veulent vous escroquer.
- Non bien sûr, nous sommes civilisés ! S'exclame-t-il offensé. Si j'avais voulu le descendre j'aurais envoyé Kenan, souri-t-il mesquin.
Dans le milieu chacun a ses références, références qui sont jugée à l'action. Kenan lui c'est celui qui élimine les problèmes.
Alors si ce n'est pas pour tuer, ni pour soigner, qu'est-ce que César pouvait bien me demander.
- Cardini, tu es un bon observateur, tu sais analyser les situations et déceler quand ça sent l'embrouille. Vrai ?
J'hoche la tête m'abstenant de prendre ses hypocrites compliments pour des raisons valables de tomber dans son piège.
- T'y vas avec Tony, tu observes et si le type veut négocier tu comptes combien y a au départ et combien y a à l'arrivée, le reste on s'en charge, déroule-t-il avec une grande légèreté.
Je cherchais déjà le piège. Vouloir me faire réintégrer le clan ne suffisait pas à expliquer qu'il ait jeté son dévolu sur moi pour cette mission. Compter, surtout du pognon, tout le monde peut le faire.
- Je pense que Tony s'en chargera très bien tout seul, affirmé-je pour le pousser dans ses retranchements.
- Tony ne peut pas se charger de la chose, pas assez observateur. Pas pour ce genre de client ! S'agace-t-il.
En plein dans le mille !
César ne craint pas tant que les billets de banque se fassent discrètement la malle, ils sont imprimables et remplaçables. Non, il craint que Tony soit l'unique intermédiaire avec son client, un homme qui a son importance et qui risque de le tenter.
Dans le petit groupuscule privé de César,
Tony est ce qui se rapproche le plus d'un bras droit. Pour lui être associé veut dire pour le meilleur et pour le pire, le genre de bonhomme à qui on peut faire confiance les yeux fermés.
Visiblement pas assez.
Le vieux qui se méfie de tout le monde, connait trop bien le pouvoir de l'argent et il le soupçonne d'être tenté de vouloir manger ailleurs que dans le creux de sa main.
- Qui est ce client ? Demandé-je
- Agostini, un Sicilien, il passe tous les trimestres. Si je le renvoi il faudra attendre trois mois et d'ici là... soupire-t-il sans terminer sa phrase.
D'ici là tout peut arriver.
La situation de la France s'est tellement dégradée que la communauté internationale réfléchit à imposer une fermeture totale des frontières pour isoler le pays. Après il n'y aura plus d'entrées ni de sorties pour les précieux clients de César.
- Votre confiance m'honore, mentis-je. Mais malheureusement je suis très occupé en ce moment, refusé-je en me levant décontracté main tendue pour le saluer.
Posément, sans se presser, il croise ses doigts sur le bureau et m'observe attentivement une lueur de ruse dans ses pupilles de glace.
- Je sais que tu es occupé, et je sais aussi ce qui te préoccupe. C'est pour ça que je te propose un marché équitable.
César se lève de son siège, fait quelques pas l'air de rien en fixant le bout de ses chaussures et en ignorant mon bras toujours suspendu dont je ne sais plus quoi faire.
- J'ai entendu dire que tu cherches quelqu'un ? Prononça-t-il le plus innocemment du monde.
QUOI ?!
Je reste figé comme si la foudre vient de me secouer.
- Alors voilà, tu t'occupes de compter les billets d'Agostini vendredi soir et moi je m'occupe de retrouver celui que tu cherches. Tu as juste à me dire de qui il s'agit...
J'avais envie de l'insulter, envie de le frapper.
Mais rien de précis ne se passa parce que le dilemme tel un anaconda prenait complètement possession de moi.
Ça a été difficile de remonter la piste d'Isaak sans éveiller la curiosité de César ni passer par ses informateurs. De fil en aiguille, passant de la menace à la corruption, de personnes en personnes pendant de longs mois, j'ai fini par recevoir un appel.
Une femme d'un certain âge surnommée Coccinelle qui m'assurait qu'Isaak venait régulièrement dans le bar de son mari pour boire avec un ami. Après deux rendez-vous manqués, où le type partait avant que je ne sois arrivé, la troisième fut la bonne.
Un soir, juste avant la fermeture des portes, on a vu entrer ce type. Un homme usé par le temps, les cheveux blancs jaunis par la crasse, un mégot roulé au coin des lèvres et cuvant approximativement dix degrés d'alcool.
Promesse était faite que je ne le touche pas dans son bar, alors je l'ai suivie dans l'espoir de savoir où il vit.
De toute façon quoique je puisse lui faire il se serait brisé en deux avant d'avoir pu parler.
Il arpentait les rues malfamées tel un mendiant et, malgré la forte odeur de Pastis qui se dégageait de lui, j'ai perdu sa trace devant un parking souterrain.
J'avais un nom et un visage c'était déjà quelque chose, mais loin d'être suffisant.
Comment César l'a su ? Aucune idée !
J'étais au pied du mur, pourtant j'hésitais parce que lui cacher serait suspect.
C'était l'occasion de voir s'il le connaissait, s'il savait que ce type est lié à Isaak.
Rien de tout ça ne s'afficha sur ses traits lorsque je lui avouais être à la recherche d'un sans-abri prénommé Michel. S'il avait suspecté quoi que ce soit, il m'aurait posé diverses questions dont l'innocence exagérée ne laisserait aucun doute quant à sa suspicion. Or il se contenta d'hocher la tête en silence avant de sceller notre accord d'une ferme poignée de main.
César a des hommes dans tous les coins de rue, des oreilles et des yeux partout. Sur le territoire d'Istok et bien au-delà de ses frontières. Même ceux qui ne travaillent pas pour lui finiront un jour par le faire sans le savoir. A cause d'un mot, d'un renseignement ou tout simplement le fait d'être au mauvais endroit au mauvais moment suffit à vous connecter à lui sans jamais avoir vu son visage.
Je suis pleinement conscient qu'il me met la corde au cou avec son deal, mais ai-je vraiment le choix ? Trois mois que j'essaye de mettre la main sur ce type, et autant de nuits blanches. Arrivera forcément un moment où ma frustration me poussera à commettre une erreur qui me sera fatale.
Trois jours plus tard, la nuit débute lorsque j'arrive au Millenium muni d'une discrète oreillette qui me permettra de joindre César le moment venu.
A la réception, dans son costume couleur crème, un borsalino sur la tête et un gros cigare coincé entre ses doigts orné de chevalières, Tony tient compagnie à une serveuse qui a l'âge d'être sa fille.
Je m'accoude à côté de lui et lui vole la vedette en commandant un verre de rhum tandis que les cils de la jeune fille papillonnent en entendant ma voix.
Blessé dans sa fierté, Tony me dévisage un bref instant comme s'il ne me reconnaissait pas, puis son visage s'éclaire.
- Cardio, ça fait longtemps ! Qu'est-c'qui t'es arrivé ? T'étais en taule ? Plaisante-t-il.
- J'ai une gueule à sortir de taule ? Demandais-je sceptique.
- Non, t'as l'air d'un type qui aime vivre dans une caserne, c'est pire, ria-t-il bruyamment.
Deux heures plus tard, lorsque la Bentley grise se présenta devant l'hôtel, je prévenais César pour lui signaler que l'opération commençait.
Agostini, un petit hobbit à la calvitie bien entamée, s'extirpa avec difficulté du véhicule, son ventre semblait vouloir s'échapper de sa chemise trop serrée.
Sans un regard, il s'avança directement vers le sous-sol comme s'il était chez lui. Alors nous le suivions.
L'épaisse fumée qui régnait à l'intérieur du cercle de jeux donnait envie de tousser et il me fallut garder les yeux bien ouverts pour l'observer dans la foule.
Dans la nuit le type joua, mais ça ne devait vraiment pas être son jour de chance parce qu'il perdait à tout ce qu'il touchait. Une poisse, j'ai rarement vu ça.
Durant trois heures aucun jeu ne voulait de lui. Blackjack, roulette, punto banco, tout son fric y passait.
A vu d'œil je comptais 350 000. Les derniers cinquante il les perdit sur un coup de bluff au poker en cinq minutes.
Bon joueur, le sourire aux lèvres, il se dirigea à petit pas vers le bar presque en sautillant de joie.
Un demeuré !
Visiblement pas décidé à négocier quoi que ce soit, il était juste venu claquer son fric et j'avais la mauvaise impression de perdre mon temps.
- Il vient de perdre 350, annoncé-je dans le micro sans le lâcher des yeux au cas où l'envie lui reprenait de retourner s'appauvrir.
- Sur ? Demanda la voix étonnée de César à l'autre bout du fil.
- A 99%, répondis-je serein.
- Bon, attendez encore un peu, raccrocha-t-il fâché.
Je me posais encore la question de savoir si le type était blindé aux as pour perdre autant ou s'il venait se foutre de César en jouant pour rien, et je n'eu pas longtemps à me la poser.
Talia avança en ondulant ses courbes jusqu'à s'approcher tout près de moi, ses lèvres effleurèrent subtilement mon oreille gauche où elle me chuchota que nous étions attendus dans le petit salon. Des yeux elle me montra vers quelle porte nous devions nous diriger.
J'attrape par le bras Tony qui commençait à somnoler et c'est à l'aise dans un bureau capitonné que je compris le mode de fonctionnement de ce que j'ai d'observé toute la soirée.
L'homme ne venait pas de perdre de l'argent, il faisait une offre à César. Une sorte d'investissement pas trop illégal au cas où l'hôtel serait sous surveillance.
Après tout chacun est encore libre de perdre autant de pognon qu'il le souhaite.
Les 350 000 euros était à présent rangés dans une malle au milieu de la table entre le Sicilien et Tony tandis que je restais debout pour surveiller la négociation.
- Vous pouvez récupérer ce que vous avez perdu, lança Tony la voix tranchante en faisant glisser la mallette sur la table. César n'est pas intéressé par vos miettes.
Agostini passa ses pupilles sombres comme une nuit sans lune de l'un à l'autre, avant de lever les yeux vers moi.
- Vous direz à votre caniche qu'avant d'ouvrir sa gueule on laisse parler les invités, prononça-t-il durement avec un fort accent.
Tony se lève d'un bond, prêt à cogner, aussitôt ma main gauche s'abat sur son épaule l'obligeant à se rassoir sur sa chaise.
- Allez-y, parlez, l'invité-je sans défaire la pression.
Le Sicilien jette un coup d'œil arrogant sur sa montre de luxe qui devait afficher approximativement 4h15 puis il fit jouer mystérieusement ses doigts comme s'il pianotait l'air avant de pointer son index sur moi.
- Si j'avais continué jusqu'à 10h du matin combien il y aurait eu sur cette table ?
La question me frappe de plein fouet.
Rapidement mes pensées se précipitent pour répondre le plus vite possible.
- Un million cinquante mille, réponds-je sans rien laisser paraître de la vitesse à laquelle j'ai dû calculer ce qu'il avait "perdu" par minutes.
Dans un immense sourire délirant, il me dévoile deux canines plaquées or me faisant comprendre que j'ai visé juste.
- Je te fais cadeau des cinquante mille, ÇA c'est les miettes ! Fit-il en balayant l'air avec mépris. Considérez que le reste aurait pu être sur cette table mais que mon temps est plus précieux que vos conneries, alors dites à César qu'il a jusqu'à midi pour m'appeler per.so.nne.lle.ment, articule-t-il exagérément presque en grognant.
Se levant brusquement, il remonte son pantalon par dessus son gros ventre, ramasse l'argent et jette un dernier regard noir à Tony qui s'est recroquevillé sur sa chaise. Puis, d'une poignée de main molle et moite, il me salue avant de s'éloigner en sautillant.
A la suite d'une brève conversation téléphonique avec le patron, il fut décidé que César le contacterait dans la matinée, ensuite il me tiendrait au courant des conditions de l'échange. Et, si tout se passe bien, Tony et moi seront assignés à terminer le travail.
Mon unique préoccupation était qu'il me livre Michel, donc la question de savoir si cela me dérangeait ou non n'avait aucune importance au stade où j'en étais. D'autant que laisser Tony avec Agostini risquait de très mal tourner.
- On l'a échappé belle hein, ironise-t-il dans la voiture. Mais dit-moi, j'ai toujours pas compris le calcul qu'il t'a demandé.
- Laisse tomber, soupiré-je de lassitude. Dis-moi plutôt ce qu'il voulait en échange.
- Aucune idée, fit-il en haussant les épaules. En tout cas j'espère pour lui que ça va vraiment partir sur son île et qu'il lui viendra pas à l'idée de le refourguer aux Désaxés sinon César va l'avoir mauvaise.
Les Désaxés... Ils se donnent l'impression d'exister et d'être forts, alors qu'ils sont maintenus la tête sous l'eau par un gang beaucoup plus redoutable qu'eux.
J'irais prendre la température en rendant visite à ma mère, si un deal est en cours le bruit doit circuler et mon frère en a sûrement entendu parlé.
L'arrêt de la voiture met fin à mes réflexions.
- Merci Cardio t'es un bon, je te dois une fière chandelle, si le rendez-vous avait foiré à cause de ma grande gueule César m'aurait brisé tous les os. J'te revaudrai ça, m'assure-t-il dans un clin d'œil amical.
Dans le noir de ma chambre je me retrouve face aux problèmes, incapable d'autre chose que de rêver du jour où je pourrais enfin dormir serein. Six mois de calvaire qui, grâce à ce soir, touchent sûrement à la fin.
Le jour vient me surprendre en même temps que l'appel de César. Il accepte l'offre d'Agostini et veut me voir Lundi pour en discuter. Alors comme j'ai deux jours à perdre et plus personne à chercher, je décide de rendre visite à ma mère.
La file d'attente au poste de contrôle des entrées dura deux heures. Le gouvernement a tourné la vis au quartier du Sud en compliquant encore un peu l'accès.
Les rues de l'enclave me paraissent totalement différentes par cette matinée automnale. Il flotte dans l'air une ambiance d'été indien. Tous les habitants qui déambulent dans les artères me font l'effet d'être en vacances. Un sentiment de nostalgie pour cet endroit qui m'a vu grandir me comprime les poumons.
Garé devant le domicile familial j'observe la vie autour de moi avec une pointe de tendresse tandis que certains regards et murmures se posent discrètement sur moi.
Travailler pour César et vivre à Istok revient à avoir vendu son âme pour des gens qui réfléchissent en termes de territoire délimité par la pauvreté.
Ils en rêvent, et te haïssent d'y être.
S'ils savaient, je donnerais cher pour leur laisser ma place.
Il me faut dix bonnes minutes pour trouver le courage de sortir de la voiture et me présenter devant la porte de la maison avec les deux bouquets de fleurs.
Tel un invité, je sonne pour que la surprise et la joie de ma mère en soient plus grandes.
Une fois, deux fois, trois fois. Pas de réponse.
Spontanément je ressent la crainte qu'il leur soit arrivé quelque chose pendant mon absence et sors mon téléphone pour joindre mon frère.
« On a emmené Mamina a l'hôpital,
on sera rentré dans une heure »
Mon cœur se met à tambouriner de contrariété dans ma poitrine.
Avoir un fils médecin et préférer se faire ausculter par un inconnu ?
Être réduit à moins qu'un inconnu ?!
Blessé dans mon estime, je décide d'aller les attendre devant l'unique hôpital qui subsiste pour leur prouver que je suis là et qu'ils peuvent toujours compter sur moi.
Arrivé sur place, je remarque aussitôt Tic et Tac qui squattent les bancs face à l'hôpital.
- Weeeee Walking Dead ! Ironise bruyamment Napo en me voyant. Ça fait longtemps qu'on t'as pas vu !
Celui qui se fait appeler Napo en raison de sa ville natale Naples, c'est Eduardo.
Playboy à ses heures perdues, il se prétend dur à cuire et se vante d'être le meilleur ami de Fabio. Ce qui est vrai. Rien ne semble pouvoir les séparer ces deux-là.
Un peu prétentieux Eduardo, mais capable ! Très capable même ! Le genre à se surpasser et à faire des choses improbables par amour du risque, juste pour l'adrénaline, et pour plaire aux filles. Elles tombent à ses pieds comme des mouches. Faut admettre que l'Italien dans sa version la plus clichée ne les laissent pas indifférentes.
Quant à son acolyte Fabio, dit le Corsico, il ne sait qu'envenimer les situations et entraîner les autres à mal agir. Ce gars il est capable d'embrouiller n'importe qui pour montrer que ce n'est pas un lâche, mais dans ses yeux ténébreux il y a une colère triste, vraiment, vraiment triste.
Ce n'est pas juste un casse-couille ordinaire comme Napo qui le fait le sourire aux lèvres et les yeux provocateurs, lui tu le sens qu'il est victime d'une injustice de la vie. Un truc borderline qui fait à la fois peur et de la peine.
D'ordinaire arrogant et agressif, son attitude me parait étrange. Les sourcils froncés par l'inquiétude, il semble nerveux.
J'avale les quelques mètres qui nous sépare et
me plante face à eux, les mains enfoncées dans les poches. A en juger par leur comportement je suis prêt à parier qu'un de leur pote se trouve à l'intérieur.
- Qui c'est cette fois qui s'est pris neuf balles dans le thorax ? Demandé-je gravement, leur rappelant par la même occasion l'hiver dernier lorsqu'un de leur ami s'est fait descendre.
Il avait 16ans le gosse ! Sa bande est sortie à l'extérieur pour dépouiller une bijouterie.
Perdre la vie à 16ans pour une vulgaire montre volée ça ne devrait pas exister !
Eduardo ne rigolait plus. S'il lui en prenait l'envie, mon visage fermé suffisait pour le ramener à la réalité.
- Théa a une appendicite, marmonne le Corsico d'un regard sombre avant de détourner les yeux.
- Ouais mais on ne peut pas mourir d'une appendicite, hein Cardio ? Demande Napo d'une voix qui trahit l'inquiétude.
Chouette fille cette Théodora, son malheur c'est d'avoir cinq frères, dont le Corsico. Et apparemment d'avoir une relation cachée avec Eduardo à en juger par sa préoccupation.
Pauvre gamine, pensé-je en moi-même.
- Ne t'inquiète pas, l'appendice a autant d'utilité que vos deux neurones réunis, fis-je remarquer avec humour.
Dans mon dos se répercuta le sifflement distinctif de mon frère. Lorsque je me retourne, trois sourires chaleureux m'accueillent dissipant instantanément le poids des jours solitaires passés loin d'eux.
« Une ridicule prise de sang, j'allais pas te déranger pour si peu et puis j'ai pas l'âge de mourir », ironise ma grand-mère.
Sa bonne humeur ne suffisait pas à masquer l'inquiétude qui se lit sur le visage de ma mère.
Dans la voiture elle m'observe du coin de l'œil et calcule mentalement mes heures de sommeil, la qualité de mon alimentation et le nombre de cigarettes que je fume. Tout est passé au scanner et son air chagriné laisse comprendre qu'elle n'est pas satisfaite du résultat.
Quant à mon frère je le trouve changé. Il porte toujours son éternel uniforme jogging-sweat à capuche et son air vif, n'empêche qu'il a l'air moins enfantin, plus mature. Tant mieux.
Les avoir tous les trois sous les yeux me remplit d'émotions. Depuis février je ne suis revenu que trois fois en coup de vent, trop obnubilé à chercher des réponses à mes questions. Cette fois-ci je compte bien rattraper le temps perdu.
En retrouvant la maison de mon enfance, les murs, imprégnés de souvenirs semblent me prendre dans leurs bras, me rappelant les jours insouciants. Le parfum familier de la maison m'enveloppa pour me transporter dans un monde où le temps s'est arrêté.
Assis sur le canapé du salon, je n'échappe pas à l'interrogatoire de Livia, la reine-mère.
J'ai beau lui dire que je vais très bien et qu'en plus j'arrive à me nourrir convenablement, pas un argument ne prends. En moins de temps qu'il ne le faut pour le dire je me retrouve à table pour manger un festin de roi.
Alors que les heures passent trop vite, je m'imprègne de chaque instant, les expressions, les gestes, les rires. Et tandis qu'ils vivent leur quotidien, je ne peux m'empêcher de penser à quel point mon objectif est de retourner à cette vie-là.
De temps en temps, mes yeux se posent discrètement sur la photo d'Ambra accrochée au mur du salon.
Sa présence silencieuse amplifie douloureusement son absence, cette sœur figée pour l'éternité sous un cadre de verre. Son regard pétillant de joie, ses joues roses pleines d'un immense sourire sous sa frange brune.
On nous l'a volée ! Le compteur de sa vie s'est arrêtée à l'âge de 4 ans lorsque quelqu'un l'a arrachée à ma surveillance sur cette maudite plage, et je ne pourrai jamais me pardonner d'avoir failli à la protéger.
Avec une tendresse infinie, j'observe le visage de ma mère qui range la vaisselle. Mes yeux parcourent les sillons de tristesse creusés sur sa peau.
Elle a fini par faire son deuil après avoir frisé la folie, avançant un jour après l'autre avec cet immense vide au creux de son ventre.
Mais elle n'a plus jamais été la même femme rayonnante, car ce jour-là, sa joie a disparue avec sa fille. Ambra.
Je saurais ! Je te jure que je saurais ! Promis-je sans un mot en l'enlaçant de toute mon affection.
Revenir ici a ravivé en moi la certitude que, malgré les difficultés de la vie, j'ai toujours une maison, un foyer où je peux me ressourcer et trouver la force de continuer.
____________________
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top