02 | L'empire du mal
Après une longue douche brûlante, je m'effondre enfin sur mon lit.
J'ai le tournis. Envie de vomir et de m'évanouir à la fois. Pas à cause de l'alcool qui circule en torrent dans mes veines, mais de savoir que je lui ai peut-être sauvé la peau. Ça ne passe pas. Depuis trois jours c'est bloqué sur ma conscience comme une intoxication alimentaire sur l'estomac.
Il est coriace le vieux. 9/5, grosse chute de tension. Un remontant cardiaque, de l'oxygène et une injection de largactil qui l'a fait dormir 24h.
L'annonce de la mort de son frère l'a foudroyé. Lui qui ne montre jamais rien, cette fois n'a rien pu cacher. Qu'il m'appelle à la rescousse comme infirmier, ça me ferait presque rire si l'acide ne me rongeait pas de l'intérieur.
Enfin, le principal c'est qu'il vive encore un peu.
Fidèle à lui-même, il a aussitôt sauté sur l'occasion pour parler affaires. Une façon de m'imposer un autre rendez-vous et de montrer sa reconnaissance, à tel point qu'il m'a demandé de raccompagner sa protégée.
Un sale caractère celle-là !
Elle a de qui tenir. Le nom de son père circule comme une légende urbaine, laissant suffisamment de flou entre le réel et la fiction pour ne pas vouloir en savoir plus.
Toma est un homme de poids. Beaucoup de réputations dans le milieu sont non-fondées voir exagérées. La sienne n'est pas du vent.
La légende raconte qu'il a un dossier épais comme un dictionnaire. Traffic d'armes, vols en bande organisée, grand banditisme, meurtres... Juste un dossier, sans preuves ni suspect à attraper.
Quoi qu'il en soit, il a disparu de l'écran radar depuis quelques années, pour se faire oublier ou se diversifier, lui seul le sait.
Sa fille quant à elle n'était visiblement pas prête à faire une croix sur la criminalité, allant jusqu'à se marier avec le fils unique de César. Bravo, l'ambition l'a emmenée directement au sommet. Plus haut sur l'échelle des ordures ça n'existe pas !
Mais un peu bizarre cette union si vous voulez mon avis.
Concernant le fils unique du Big-boss on pouvait au moins s'attendre à un mariage digne d'un Sheikh du Koweït. Or personne n'a été invité, aucune fête, juste un bout de papier signé à toute vitesse sur un coin de table à la mairie.
Ou alors c'est un mariage-arrangé. Une façon de lier les business des deux familles, qui sait.
C'est peut-être pour ça qu'elle l'a mauvaise et s'accroche telle un piranha à son nom de jeune-fille.
Kristina RIS-TIČ, résonnait sa voix rageuse dans ma tête.
On a compris crevette que t'es la fille de ton père. C'est pas parce que t'as une bague au doigt que ça changera quoi que ce soit, t'inquiètes pas.
C'est bien les filles à papa ça ! Tu te maries avec le rejeton du boss pour monter les échelons et tu ne veux pas en assumer le nom ?
Pourtant c'est de ce côté-là qu'elle se trouve. Elle peut jouer la rebelle et l'insoumise autant qu'elle veut, dans les faits elle est du mauvais côté. Celui des cruels.
Est-ce qu'elle se doute de mes intentions ?
Cette façon défiante qu'elle a eu de demander si je suis nouveau, comme si elle pressentait que je ne suis pas des leurs, que quelque chose d'autre coule dans mes veines. La rancœur.
Celle-là il va falloir s'en méfier, d'autant qu'elle est complètement imprévisible.
Aussi atypique qu'intrigante, elle a une façon de se comporter si différente que, lorsque ton regard la croise, tu finis fasciné. Instinctivement tu sais que tu ne reverras pas ce spécimen deux fois.
Mais complètement folle !
A moins d'être à la masse, personne ne met sa vie en danger le sourire aux lèvres. Dans un Tarantino oui, dans la vraie vie ça relève de la psychiatrie.
Putain si elle avait été percutée j'aurais eu la tête coupée !
Appel entrant « Commandant ».
J'ai vraiment envie de rejeter son appel, mais il ne va pas en dormir de la nuit.
- Dalibor ? Comment tu te sens ?
- Comme quelqu'un qui a sauvé la vie d'un ennemi.
- Tu as bien fait, tiens bon je suis certain que ce sera une opportunité.
Ses paroles ne m'aident pas. Je n'ai la satisfaction de rien, le dégoût emporte tout.
- Il a besoin de moi, la semaine prochaine, en rapport avec un Casino... lâché-je sans ressentir le moindre contentement.
- C'est bon signe ça ! S'exclame-t-il ravi. Tu vas à l'enterrement demain ?
- Oui. Ce sera l'occasion de mettre un nom sur certains visages, baillé-je au bord du coma.
- Bien, je te fais confiance mais fais attention à toi, et si tu as besoin de quoique ce soit n'hésite pas.
J'aurais aimé me reposer, impossible, mon subconscient était trop préoccupé par les derniers évènements. La colère me tenait chaud au fond de mes pensées.
Je n'ai pas toujours haïs César, au contraire. Je lui ai juré fidélité et loyauté il a très longtemps. Dix ans ? Douze ? Peu importe, j'étais gamin. Comme beaucoup, j'ai suivi le chemin que mon père a tracé pour moi.
Parfaitement intégré, je fais partie de ses nombreux « fils » comme il aime nous appeler et, sans vouloir me vanter, je suis conscient qu'il a toujours eu pour moi une admiration particulière.
Mais tous n'ont pas la mère que j'ai.
Elle fait partie des rares personnes qui ne rêvent absolument pas de voir leur fils se transformer en larbin de César. Peu importe l'argent et les multiples avantages que ça rapporte, que je mette mes talents au service de cette ordure lui est insupportable.
Oui « ordure », c'est bien le mot qui le définit.
César règne en maître absolu sur l'argent de la criminalité. Il a investi le quartier-Est parisien un peu comme les seigneurs dans les temps anciens.
Contrairement à ses prédécesseurs qui vivaient pour la gloire dans l'espoir d'être étiqueté « ennemi public numéro 1 », César, lui vit dans l'anonymat. Chaque domaine a un boss qui a un supérieur qui a un chef et ainsi de suite jusqu'au sommet de la hiérarchie où vous trouverez l'empereur assis sur son empire du mal.
Évidemment on peut se demander comment un type qui contrôle l'armement, le recèle et la fausse-monnaie depuis une trentaine d'années, n'est pas tombé dans le filet des autorités. C'est simple, il n'apparaît nulle part. César est un fantôme dont l'ombre rode partout.
Officiellement il est le riche propriétaire d'un parc hôtelier dont la valeur cumule à plusieurs centaines de millions d'euros. Partie de rien, son ascension a été fulgurante. Pendant que le pays entier était a feu et a sang, il a su profiter a temps du morcellement territorial pour imposer ses propres lois.
Mais surtout s'il peut se permet de rire au nez du fisc et des flics en toute impunité, c'est parce qu'il a à son service des centaines de personnes prêtes à prendre faits et cause pour lui. Une immense armée de fidèles.
Il pourrait tuer quelqu'un de ses propres mains en plein jour devant dix témoins, le double se présentera au commissariat pour avouer le crime à sa place et le triple témoignera d'un alibi en béton armé.
Quant aux honnêtes citoyens, imaginez si leur roi tombe, quelles seraient les conséquences ? Leurs fils redeviendraient d'inutiles délinquants, leurs maris de misérables ouvriers qui peinent à payer le crédit. On s'habitue vite à la distribution d'argent, surtout venant d'une faussaire qui en imprime à profusion.
Là est le secret de la longévité de César dans le milieu : il distribue, beaucoup, ensuite tu es redevable, le tout sans jamais étaler sa richesse, ainsi il ne fait naître aucune convoitise.
Le genre de type qui prend soin que personne ne manque de rien car César a très tôt compris que la misère engendre la colère.
Dans son système bien rodé chacun peut venir chercher de l'aide auprès de son armée, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, il trouvera toujours quelqu'un pour l'accueillir et lui apporter la solution à ses problèmes.
Que ce soit pour recadrer un fils un peu turbulent, honorer des impayés ou remplir un frigo. Aussi, ici, chacun vit pour que le clan perdure, du plus jeune au plus âgé. C'est à tel point vrai que, peu importe l'origine des habitants, tout le monde appelle ce territoire Istok (Est des Balkans).
Alors oui, sur le papier ça semble idyllique. Seulement c'est bien vite oublier tous les morts. Toutes les familles brisées. Ces gosses qui n'ont strictement aucun objectif dans la vie pour s'en sortir. Les femmes qui craignent pour ceux qu'elles aiment. Les hommes qui courbent la tête de peur de la perdre.
L'envers du décor c'est la terrible descente aux enfers pour ceux qui osent marcher un peu moins droit. Le moindre faux-pas, la moindre suspicion d'infidélité, inutile d'en expliquer la finalité.
Malheureusement le gouvernement y trouvent son compte. Une population maîtrisée, même par le plus grand des criminels, garantie une belle image de la société pacifiée.
Modèle de réussite sociale, Istok ne fait pas la une des journaux. Et tout ce petit monde s'accommode assez bien des méthodes du grand César.
Tout le monde, sauf ceux dont il a détruit la vie. Ceux qui prient en silence sa mort providentielle afin qu'au moins la justice divine puisse se faire, car visiblement sur terre ce ne sera pas le cas.
On ne peut rien contre lui.
JE ne peux rien contre lui.
Soyons réalistes, même si j'en avais la prétention, ce que je n'ai pas, ce type est intouchable. Non, moi ce que je veux c'est juste une réponse, rien de plus. Je dois la vérité à ma mère.
Alors comment du jour au lendemain on se retrouve à haïr quelqu'un pour qui on avait le plus grand respect ? Le doute.
La possibilité qu'il puisse être celui qui a détruit mon enfance, ma vie et toute ma famille. Cet acouphène permanent qui te colonise sans ton accord pour s'infiltrer dans chacune de tes pensées :
« Et si c'était lui ? »
Un petit grain de sable, minuscule et insignifiant, qui vient faire grincer les rouages d'une vie bien calibrée.
Flashback Février dernier
Rendez-vous était donné à l'hôtel Masséna, ma présence n'était justifiée que pour extraire une balle qu'un type nommé Isaak venait de recevoir dans la fesse gauche. Yeux rivés sur la plaie en essayant d'ignorer ses poils de cul, j'étais le témoin involontaire de sa discussion avec César.
- T'as intérêt à leur régler leur compte à ces cafards ! Vociféra-t-il en se tordant de douleurs.
- Tut. Tut... Tut..., émit la langue de César. Tu te démerderas tout seul, ces gamins ont beaucoup de valeur à mes yeux, fit-il indifférent.
- De valeur ? Et moi alors ? S'insurgea le blessé qui commençait à sueur à grosses gouttes en s'agrippant à la table d'opération.
- Fabio a deux cents délinquants sous ses ordres, une vraie armée, je vais pas me les foutre à dos pour sauver ta vieille carcasse ! Gueula César.
- Vieille carcasse ?! Non mais oh ! Un peu de respect ! Alzheimer te guette mon vieux, tu oublies qu'on est ami quand même !
- Les temps changent Isaak, prend ta retraite t'as plus l'âge de jouer au cow-boy ! Lui conseilla César beaucoup trop mielleusement pour que ce soit sincère.
- Aaaaah, je vois ! Môsieur César n'a plus besoin des services de son vieil ami ! Bravo ! Félicitations !
Sans répondre César tourna la tête et s'éloigna, mais plus rapide que lui les mots le suivirent.
- Ces mômes sont hargneux mais des plus fidèles que moi t'en trouveras pas ! N'oublie pas qui à enlever la gamine quand tu lui as demandé !
Je sentis le choc de ses mots jusque dans mon plexus. Mon coeur se mit a cogner fort.
De qui parlait-il ?
Pas le temps de lui demander car immédiatement il se prenait une balle dans la nuque par César himself.
Inutile d'essayer de le sauver, c'était déjà trop tard et mes mains ne répondaient plus de rien.
Fin du flashback
D'Isaak il ne reste que ces quelques mots qu'il a prononcé avant de mourir et qui tournent dans ma tête comme un manège hanté.
Est-ce que c'est César qui a enlevé et tué ma sœur ?
Tant que je ne le saurais pas, je ne trouverais pas le repos.
Je me réveille trempé de sueur en plein cauchemar.
Le même, toujours. La plage. J'ai du sable plein la bouche. Je crève de chaud. Les larmes, les vrais, ont laissées des traînées de sel sur mes joues et l'écho des cris se répercute sur les murs de la chambre.
Le passé me hante et ne me laisse aucune nuit de répit faisant du sommeil mon pire ennemi, seul moment de vulnérabilité où je ne peux pas contrôler mon esprit.
J'avale un verre de rhum et me prépare pour l'enterrement.
Il fait froid pour une matinée de septembre. Les violentes rafales balayent les allées pleines de berlines. Les convives se protègent en se recroquevillant dans leurs manteaux.
Le corbillard vire lentement dans l'allée principale, si lentement qu'il semble n'avancer que par la force du vent. Les quatre occupants dans un mouvement synchronisé sortent pour porter le cercueil vers sa dernière demeure.
Dans ce silence de mort s'élève alors la voix du pope* (prêtre orthodoxe) qui chante la liturgie dédiée au défunt.
Discrètement mes yeux passent en revue chaque personne tandis que mon cerveau les classifie en leur collant un nom et une fonction.
Mon attention se pose sur Kristina. Yeux rivés sur ses chaussures, elle tente de son mieux d'étouffer ses pleurs tandis que les larmes roulent sur ses joues. Sacha lui donne discrètement des coups de coudes, elle le repousse et décide de s'éloigner à l'écart.
De temps en temps je vois un furtif coup d'œil de César dans sa direction. Son regard croise le mien alors, d'un signe de la tête, il m'ordonne d'aller voir si tout va bien.
Touché par son chagrin, j'avance lentement pour lui laisser le temps de sécher à toute vitesse ses larmes.
J'ai jamais aimé voir une fille pleurer, je trouve ça triste.
Dans la poche de mon pantalon je trouve un paquet de mouchoirs et le lui donne sans un mot. Je m'attendais à ce qu'elle m'ignore ou me renvoi d'où je viens, mais elle l'accepte.
Trouver quelque chose à dire n'est pas évident. J'allume alors une cigarette et la lui tend. Étonnée, elle hésite avant de l'accepter. Ses doigts frôlent les miens rythmés par le tintement des multiples bracelets qu'elle porte.
- Sa mort semble beaucoup t'affecter, je suis désolé, prononcé-je maintenant que j'ai capté son attention.
- Je ne suis pas du tout affectée, affirme-t-elle en secouant la tête comme pour se persuader.
Ça crève les yeux... pensais-je en allumant une autre cigarette pour moi.
Fière et conne, têtue comme une adolescente.
- Je viens de comprendre quelque chose, murmure-t-elle l'air pensive en tirant sur le mégot.
Elle attire mon attention et mon regard en même temps qui cette fois-ci croise enfin ses yeux francs à l'iris vert délavé.
- Tu vois le petit trait entre la date de naissance et la date de décès ? Demande-t-elle sans attendre de réponse. Bah ça c'est la vie. Un petit trait de rien du tout.
Je n'ai pas le temps de répondre que ses yeux s'égarent à nouveau vers l'horizon. Son cynisme me laisse sans voix.
Si je pouvais je lui aurais dit que la vie est bien plus qu'un trait dérisoire gravé dans le marbre. Qu'a son âge la ligne de vie s'étend vers l'infini et ne mérite pas d'être mise en danger comme elle l'a fait.
Pourtant je n'ai rien dit, parce que c'était trop tard, le silence prenait déjà toute la place. Également parce que j'imagine que si elle avait perdu quelqu'un de cher, ou si elle avait un peu souffert, elle comprendrait à quel point la vie est précieuse.
Mais elle ne peut pas comprendre car elle a toujours été du bon côté. Le côté préservé qui n'est jamais menacé. C'est plus facile quand ton père et ton beau-père tuent des inconnus et détruisent la famille des autres, pendant que toi tu vis à l'abri du danger.
L'épaisseur du silence se fissurait par les murmures qui annoncent la fin de la cérémonie.
La lourde silhouette de César se détache lentement. Il serre les mains qui s'offrent à lui et reçoit les condoléances qui vont avec. Petit à petit la foule se disperse le laissant nous rejoindre, seul, les mains dans le dos, sans escorte, si ce n'est son chagrin qui le fait trainer des pieds.
Je me tiens prêt à être relevé de mes fonctions et m'écarte un peu pour laisser Kristina le prendre dans ses bras.
- On va la déposer, m'informe César qui semble ne pas vouloir se séparer de sa protégée.
Elle insiste en lui assurant se sentir bien et qu'il n'a pas de raison de s'inquiéter, mais il ne lui laisse pas vraiment le choix et se dirige déjà vers ma voiture.
Après lui avoir ouvert la portière, il s'installe avec elle à l'arrière. S'en suit un long monologue où il fait la liste des hypocrites venus rendre hommage à son frère dans l'unique but d'obtenir ses faveurs. Le temps pour moi de retenir tous les potentiels traîtres qui pourront m'être utiles.
- Et qu'est-ce que tu voulais me dire l'autre jours ? Lui demande-t-il soudain.
- Que je... Je vais sous-louer mon appart', j'en ai parlé au proprio il est d'accord.
- Et pourquoi ça ? S'exclame-t-il très étonné.
- Une amie en a besoin, alors je me suis dit pourquoi pas. Et puis comme ça mes affaires peuvent rester là-bas.
- Tu t'es fait une amie ? Où ça ? Au travail ? L'interroge-t-il surpris.
- Disons que c'est l'amie d'un ami, lâche-t-elle fuyante pour toute réponse.
- AH... Je vois... Bon, comme tu voudras.
Si les gestes et leur attitude trahissent la complicité qui existe entre eux, la façon dont elle lui répond ne laisse absolument aucun doute sur l'indocilité qui l'habite. Ce n'est pas tous les jours qu'on voit quelqu'un parler à César comme s'il s'agissait d'un vulgaire fouineur à qui on ne doit pas de comptes.
- Sacha m'a dit que tu ne vas plus au travail,... Continue-t-il l'air de rien.
- Ça ne me plaisait pas, j'ai décidé de faire autre chose.
- Tu sais si tu veux, tu peux...
- Je sais, coupe-t-elle irritée avant de se rattraper. Je vais me reposer et y réfléchir, d'accord ?
Il a compris, elle ne souhaite pas discuter.
Pire, il s'incline.
En cinq minutes j'ai cerné qu'elle est l'unique personne qu'il ne soumet pas facilement à sa volonté. Incroyable mais vrai !
Alors sans broncher il change de sujet, passant le reste du trajet à se vanter d'avoir un cœur qui ne le lâchera jamais car il élimine toujours ce qui pourrait briser sa tranquillité.
Comprendre : tuer.
Insupportable sous-entendu qui fait battre mon cœur un peu trop vite. Cette manière assurée qu'il a de se croire au-dessus du reste du monde me donne envie de me retourner et de le descendre d'une balle en plein front juste pour lui prouver qu'il n'est qu'un simple humain.
Mais si je veux savoir, il doit vivre ; et moi je dois réfréner mon envie de me venger de cette manière.
Lorsque nous arrivons à destination dans un de ces quartiers-chics d'Istok, je gare la voiture et sors sans éteindre le moteur. En bon voiturier, j'ouvre la portière et tend la main à Kristina pour qu'elle sorte.
Rien. Elle hésite.
Allez, je vais pas te manger.
Étonnée, ses yeux passent frénétiquement de César à ma main plusieurs fois, cherchant son approbation qu'il donne d'un mouvement de tête.
Après un moment, je sens enfin ses longs doigts froids se poser sur ma paume et les enserre doucement pour l'aider à sortir.
Sitôt dehors, elle met immédiatement fin à cet éphémère contact et s'éloigne aussitôt.
De l'autre côté du véhicule César l'enlace une dernière fois avant de monter à l'avant. Assis à ma droite ses mains gantées de noir sur les genoux, il l'observe jusqu'à ce qu'elle soit rentrée.
- On ne s'imagine pas qu'une fille comme elle puisse être sensible et pleurer, hein ? M'interroge-t-il curieusement.
- Non pas du tout, avoué-je.
- L'ironie c'est qu'elle ne connaissait même pas vraiment mon frère et regarde, elle l'a plus pleuré que toutes les personnes réunies. Tu veux savoir pourquoi ?
Piqué par la curiosité, j'hoche la tête plutôt intrigué de savoir qu'elle puisse pleurer un inconnu, elle qui semble si endurcie.
- Quand on grandit avec une enfance comme la sienne, la sensibilité est une faiblesse impitoyable, confesse-t-il un soupçon d'estime dans la voix. Elle a un grand cœur mais elle a dû le cacher pour survivre. Et puis peut-être qu'elle imagine son père dans le cercueil, soupire-t-il en attachant sa ceinture.
Ça c'est sûr qu'il est bien caché son cœur, pensais-je en redémarrant.
J'avais donc un peu faux à propos d'elle, et qu'un homme de la stature de César puisse être impressionné par une gamine de son genre me laisse songeur.
Survivre, à quoi ? Avec le père qu'elle a on ne voit pas trop ce qu'elle aurait pu craindre.
Main sur le levier, yeux rivés sur le retro, j'étais prêt à démarré quand, telles des griffes d'aigle, ses doigts nerveux se refermèrent sur mon poignet.
- Ne laisse jamais personne l'approcher, même la regarder, arrache-lui les yeux sans me demander la permission, ordonne-t-il tout à coup la mâchoire serrée.
Le ton de sa voix et ses yeux menaçants me provoquent des sueurs froides, il me faut quelques secondes avant de trouver quoi répondre.
- César, sans vouloir vous offenser, c'est le rôle de son mari de faire ça, articulé-je en essayant de dissimuler mon envie de lui apprendre l'amabilité.
- Qui ? Ce bon à rien ?! C'est pas un mari ça ! S'exclame-t-il rougissant de colère. Enfin tu comprends, c'est un mari d'aujourd'hui, moderne quoi, balaye-t-il l'air de dégoût.
Décidément ce mari ne semble convenir à personne.
En même temps faut voir le résultat.
C'est sûr que s'il l'avait élevé, Sacha serait bien différent. Il n'aurait pas cette arrogance qui te saute immédiatement au visage, doublé d'une lâcheté qui n'a d'égal que sa vanité.
Il a vécu avec sa mère à l'étranger jusqu'au jour où elle l'a appelé pour lui dire que son fils avait de mauvaises fréquentations, qu'elle était dépassée et que son tour était venu de s'en occuper.
César a donc récupéré son fils à contrecœur et a rapidement compris qu'il ne serait qu'une source de problèmes pour lui. Il n'était pas arrivé depuis un mois qu'il jouait déjà le chef face à des types pour qui la torture est un loisir.
Peut-être que de là lui est venue l'idée ingénieuse de le marier à Kristina. De cette façon il pourrait se débarrasser de ce fils envahissant et avoir la fille de Toma sous surveillance, qui sait.
Il m'aurait fallu du calme, repenser à tout ça posément pour parvenir à une conclusion logique. Mais cette tranquillité d'esprit je n'allais pas encore y avoir le droit car, sitôt après l'avoir déposé, je filais déjà vers le bar de Coccinelle.
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