01 | Calvaire
23 Août, banlieue parisienne
Dans courage il y a rage, je crois que tous les passagers du métro l'ont bien remarqué sur mon visage car ils me regardent un peu en biais par-dessus leurs téléphones.
Eux qui d'ordinaire sont très enclin à ne strictement rien remarquer de la vie qui les entourent, ils doivent bien la voir cette invraisemblable fureur qui m'habite.
Pourtant tout avait commencé normalement dans mon existence peu banale. Je me suis levée prête à faire semblant que tout allait bien pour cette nouvelle journée. Poussée par un invisible vent contraire à ma volonté je me dirigeais vers mon travail, arpentant le bitume, toute essoufflée, le cœur cognant plus vite que les minutes qui détruisent ma ponctualité.
Mais une fois arrivée sur le quai, impossible de bouger.
Je pensais à Eduardo qui ne répond pas depuis hier, surement en garde à vue pour ne pas changer, et à mon irrépressible besoin de me réfugier dans ses bras malgré l'interdiction qui court depuis 99jours.
Soudain les mille et une nuits qui m'attendent me semblent insurmontables.
Non ce n'est même pas un jeu de mots, c'est précisément le nombre de jours qu'il me reste.
Ne plus pouvoir le voir, supporter la présence de Sacha, faire semblant...
Comment ai-je pu me retrouver à accepter que l'un soit remplacé par l'autre ?
Que ma vie soit réduite à ça ?
Comme réveillée d'un long coma je réalise que mon attachement envers César creuse un cimetière existentiel duquel je ne vois aucun espoir de sortir vivante.
De désespoir la seule chose que je suis en mesure de faire c'est prendre le quai opposé pour retourner me coucher.
Insignifiante petite contestation qui me donne l'illusion de maîtriser quelque chose, signifiant juste assez que j'en ai marre, que je n'en peux plus, que j'aimerais faire ce que je veux, m'enfermer, dormir, ne plus me réveiller.
Cependant je comprends très vite que ça ne changera strictement rien. Certes je vais perdre mon emploi, mais je continuerai à vivre une vie dont je ne veux pas. Alors tous les phares de la rébellion se sont allumés en moi. D'un coup, sans prévenir s'érigeait dans mon esprit un gros panneau STOP.
Je dois arrêter tout ça ! Maintenant !
Résolue j'avance, un pas après l'autre en tapant fort du pied pour annoncer ma détermination, pour que mon courage ne se fasse pas la malle et que ma rage reste bien en place, je vais en avoir besoin.
Surtout je fais bien attention à ne pas partir trop loin dans mes pensées, à ne pas accoster sur les rivages de l'incertitude, ne pas me perdre, ne pas manquer la station.
J'enclenche mon incroyable capacité à ignorer le tumulte de pensées qui me soufflent de m'arrêter quelques instants pour réfléchir avant d'agir, de reculer, de faire n'importe quoi mais de ne pas y aller parce que ça va mal se passer.
Il faut avouer qu'entre rater une journée de boulot et décider de confronter César sur un coup de tête, il y a deux mondes et des conséquences bien différentes.
Sauf qu'à présent la machine est enclenchée alors je fonce tête baissée. Je vous laisse imaginer mon signe astrologique. Oui, c'est bien celui-là qui se dirige droit devant dans l'espoir d'aller défoncer les barrières de mon existence.
Tout du moins donner un significatif coup de burin dans les invisibles murs de ma prison, un petit coup sec sur cette laisse sur laquelle je tire depuis des mois, qui m'étrangle et qui va craquer pour de bon.
Je me dirige entre deux réflexions tortueuses, me rapproche, gauche, droite, encore deux rues et j'y suis.
Le passé est droit devant moi, dans chaque pas que je fais, et mon corps avance aidé par la tempête de ma colère qui me suit comme une ombre.
Ça ne se passera pas comme ça !
Au loin se dessine le portail que je n'ai pas vu depuis le mois de Mai, il est entouré de colonnes au-dessus desquelles trônent deux immenses aigles de granit, impossible de le rater.
César et sa démesure légendaire, c'est d'un kitch.
Inutile de me présenter aux trois hommes qui font le pied de grue, je n'ai même pas besoin de ralentir le pas que les portes du portail sont déjà grandes ouvertes pour moi. Sans un regard ni le moindre sourire, à mon visage ils comprennent qu'il vaut mieux ne pas me ralentir.
Je traverse sans un mot l'armée de Robocops munis d'armes de guerre qui protègent sa maison 24h/24, 7j/7.
C'est quel genre de vie d'avoir douze hommes armés devant ta maison ? Et eux, ils n'ont pas de vie ? Une femme, des enfants ?
Non évidemment, eux le seul honneur de leur existence c'est d'avoir réussi à être au service de « Sa Majesté César ».
Quand j'ouvre la porte d'entrée, il n'y a personne.
Rien.
Silence inhabituel dans l'immense demeure qui semble vide.
Le cœur battant j'enlève mes chaussures pour ne pas salir le beau sol en marbre qui donne l'impression de glisser sur de l'eau, mais me ravise d'enfiler mes chaussons poussiéreux qui n'ont pas bougé depuis quatre ans. Ultime vestige de ma vie passée ici, cette vision ne me procure aucune nostalgie juste du dégoût.
En me relevant je frôle la crise cardiaque.
Silencieux comme une tombe, le taré se tient à moins d'un mètre de moi et ses yeux plantés dans les miens obstruent mes artères.
- Où est César ? Articulais-je en délogeant mon cœur coincé dans mes cordes vocales.
Allez savoir pourquoi, un microscopique sourire se dessine sur la commissure de ses lèvres et d'un mouvement sec de la tête il me désigne l'étage.
Mon infarctus ayant décidé de me laisser la vie sauve, j'en profite, je fonce.
- Tu ferais mieux de l'attendre dans le salon, entendis-je à peine tant mon sang tambourine dans mes oreilles.
- Je sais ce que j'ai à faire, balançais-je par-dessus mon épaule sans m'arrêter.
Je n'ai pas monté la moitié des marches, qu'un autre spécimen les descend en sens inverse.
Lui aussi il faut le voir pour le croire.
Immense.
Plus grand que mon espérance de vie.
Habillé comme un employé de banque, la sobriété de ses vêtements se brise sur l'accumulation des bagues et multiples colliers qui se balancent au rythme de ses pas jusqu'à ce qu'il s'arrête à une marche de moi.
- César ne peut pas vous recevoir maintenant, prononce-t-il dans le plus grand des calmes.
« Vous » ? S'aurait pu être risible si nous n'étions pas pile le jour où mon caractère a décidé de ne pas y aller avec le dos de la cuillère mais directement la cuillère dans le fond de la gorge.
S'il pense que ses paroles suffiront à me faire changer d'avis et que ses épaules à l'envergure d'un gouvernail seront suffisantes pour me bloquer le passage, il rêve le pirate !
- Il ne peut pas ? On va voir ça ! M'agaçais-je en le bousculant.
J'avance, et son ombre qui se dessine sur la moelleuse moquette des interminables couloirs me confirme qu'il me suit de près.
Lorsque mes doigts se posent sur la poignée de sa chambre je retiens ma respiration quelques seconde pour rassembler mes esprits, je frappe et sans attendre de réponse j'ouvre résolument la porte.
Mon sang se figea aussitôt. Pétrifiée, incapable de bouger, je me retiens à la poignée tandis qu'un sanglot vient se loger en travers de ma gorge. Si soudain, si violent, que ma main libre se pose sur ma bouche de peur que ma douleur ne s'en échappe.
Allongé sur son lit, branché à un appareil respiratoire, César semble planer et mourir à la fois.
Blême, je m'approche comme le ferait un condamné à mort et tombe à genoux près de lui sans oser le toucher.
Plus de colère, plus de courage, plus de rage, j'ai de nouveau six ans et les larmes bordent mes paupières tandis que les siennes restent affreusement closes.
Dans mon dos la porte se referme en grinçant doucement sur le pirate, il me regarde dépité en secouant la tête tandis que je cherche dans son regard des réponses aux mille questions qui s'entrechoquent dans ma tête.
Mon attention revient aussitôt sur César qui donne signe de vie en tapotant affectueusement le dos de ma main. Ne pouvant pas parler son geste et ses yeux mi-ouverts se veulent rassurants.
- Il en a encore pour une heure...
- Avant de mourir ?! M'exclamais-je affolée.
- Non ! Non ! Une heure d'oxygène, c'est juste une hypoxémie, dit-il tout en réprimant une évidente envie de se moquer.
César lui ne peut s'empêcher de rire, un peu car immédiatement il tousse à s'en décoller les poumons. N'y tenant plus il se débarrasse finalement de son masque pour me gratifier d'un immense sourire.
- Tu ne m'as pas dit que tu me rendrais visite ma petite ? Articule-t-il la voix éteinte.
- Pour que tu m'évite encore ? souriais-je tristement. C'est quoi tout ça ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu es malade ?
- Attend moi en bas tu veux bien ? Prends un café, je te rejoins, m'assure-t-il en faisant signe à son homme de main de m'accompagner.
Foutu pour foutu à l'évidence notre mise au point ne se fera pas aujourd'hui. Résignée je redescends avec le pirate sur les talons tandis que les questions continuent de tourner en rond.
Assise sur le canapé ma colère mue à une vitesse fulgurante en amertume. Je me sens comme une traîtresse qui voulait l'abandonner dans un moment difficile, une égoïste doublée d'une ingrate. J'ai envie de fuir, de disparaître.
Tandis que je me ronge les sangs et l'intérieur des joues, mon dégoût se multiplie sous le regard insistant de cet inconnu debout face à moi qui ne prend même pas la peine de dévier les yeux.
C'est aussi agréable que d'avoir le trou noir d'un Beretta braqué sur moi.
De ses pupilles brillent deux iris de la couleur du feu, un mélange d'orange et de jaune.
Dans ce duel de regard, je me demande même si ce ne sont pas des lentilles.
Son attitude m'agace vraiment, on dirait qu'il m'étudie en me scrutant.
Il doit probablement se demander : « qui c'est cette farfelue habillée comme une réceptionniste et qui ose se comporte ainsi avec César ? ».
Faut avouer que j'ai l'air de rien avec cet affreux tailleur et mon chignon de bonne à tout faire.
Mais aujourd'hui je ne suis pas d'humeur à servir de bête de foire aux regards étrangers, alors je m'éloigne vers la fenêtre en défaisant rageusement mes cheveux.
D'habitude ses sbires font semblant de ne pas me voir, tout du moins ils baissent les yeux pour ne pas se les faire arracher, c'est bien le seul avantage que me confère mon statut de vache sacrée du Sérénissime César.
Lui visiblement on ne lui a pas encore appris comment ça fonctionne dans la famille. Pire encore, tel un perturbateur endocrinien il décide de venir fumer à la fenêtre et se plante un peu plus près de moi. L'espace vital semble être une notion qu'il ne connaît pas.
Si ça continue je vais le remettre à sa place dans pas longtemps c'est une certitude, mais pas tout de suite, avant j'ai besoin d'une cigarette sinon il va passer directement par la fenêtre.
Je l'extirpe du paquet, l'allume et fixe le jardin pour avoir un semblant d'occupation dans ce temps qui me parait étrangement long. Les yeux toujours rivés sur moi, contrairement à moi il n'essaye pas de faire semblant de regarder ailleurs.
Qu'est-ce qu'il me veut à la fin celui-là ?
N'y tenant plus je décide de briser le silence.
- T'es nouveau ? Demandais-je agacée.
Il secoue légèrement la tête pour indiquer que c'est à peu près ça, tout en continuant à me dévisager un léger sourire imprimé sur les lèvres lui donnant l'air espiègle de celui qui joue dangereusement avec mes nerfs.
- Ok super, fis-je dans une moue blasée en détournant la tête.
Je déteste les réponses qui ne sont pas claires. S'il veut se donner un air mystérieux, c'est raté, ça n'éveille pas du tout ma curiosité.
Je m'en fiche qu'il soit nouveau ou pas, c'est juste très gênant de rester l'un en face de l'autre dans un salon qui fait la taille d'un musée.
Et César qui ne n'arrive toujours pas.
- Comment tu t'appelles ? demande-t-il de cette voix qui prétend savoir mais a besoin d'une confirmation.
- Kristina, répondis-je sèchement sans même lui accorder un regard.
- Ah, c'est toi, fit-il l'air terriblement rusé en piquant ma curiosité par la même occasion.
Intriguée, mes yeux perçants se braquent immédiatement dans les siens. Son sourire en coin qui s'élargit trahit sa satisfaction d'avoir attiré mon attention et m'agace un peu plus.
- La femme de Sacha, précise-t-il le ton calme, la voix posée, en continuant à m'observer.
Entendre cette phrase me donne envie d'exploser.
Être réduite à ça, comme si je n'ai pas d'identité propre, que je ne suis pas une personne à part entière. Comme si savoir ça, c'était déjà tout savoir à mon sujet.
Roulant des yeux et soufflant fort mon exaspération, j'écrase violemment ma cigarette à peine entamée et m'appuie contre le mur en croisant les bras, fermée à toute discussion.
Le regard rivé sur la porte, j'attends César en me retenant de tout casser.
Cependant, lorsqu'il approche sa cigarette à ses lèvres juste à hauteur de mon visage, mon attention est attirée par un tatouage dans le prolongement de sa main. Fin, discret, d'une belle calligraphie qui capte ma curiosité.
Quelque chose est écrit et je n'arrive pas à distinguer quoi. Omn...
- Omnia Fert Aetas, murmure-t-il, c'est du latin, ça veut dire...
- Je sais ce que ça veut dire ! Coupais-je froidement en détournant le regard.
(Le temps emporte tout, en latin)
Mon cœur embrayait brutalement, d'avoir été démasquée en train de l'observer, mais également d'être revenue au concret.
Le moine shaolin avait beau m'analyser de ses yeux flamboyants, il ne pouvait pas deviner que je suis calée en latin. Moi, ce n'est pas écrit sur ma peau que j'ai fait de la littérature ma spécialité, ni que je suis traductrice, que je parle couramment six langues et que je pourrais lui faire une thèse sur la signification de cette locution de Virgile.
Non ça évidemment tout le monde s'en fiche parce que je ne suis QUE la femme de Sacha.
César apparu enfin.
- Ma préférée ! S'exclame-t-il tout sourire en m'ouvrant grands les bras.
Je m'enfuie immédiatement me réfugier dans l'odeur de l'enfance, enlaçant son corps moelleux qui sent bon l'eau de Cologne. Moi qui m'attendais à le trouver à l'article de la mort je suis rassurée et heureuse ne serait-ce que de le voir marcher.
Enfin, traînant plus que marchant vraiment, mais il est debout c'est déjà bien.
- Assieds-toi, fit-il en tapotant le velours du canapé. Et il est où son café ?! S'agace-t-il tournant la tête dans tous les sens à la recherche d'une domestique.
Il faut avouer que dans la famille c'est de notoriété publique qu'il faut au moins un expresso pour capter mon attention quelques minutes, car c'est globalement le temps que je concède avant de perdre patience. Au vu de la gravité des événements, je peux faire une entorse à la règle.
- Ça ira, j'en ai beaucoup trop bu. Dis-moi ce qu'il se passe, demandais-je pressée de savoir ce qui l'a mis dans cet état.
De ses yeux de givre il m'observe silencieusement un moment en replaçant quelques mèches sauvages derrière mon oreille. Ses doigts tremblants le rendent subitement très âgé et vulnérable, ce qui a pour effet de me briser le cœur tout en me faisant craindre le pire.
Après une longue et laborieuse inspiration il se racle la gorge prêt à m'annoncer les choses tandis que je retiens mon souffle en priant intérieurement qu'il ne soit pas atteint d'une maladie incurable.
- Lazar est décédé d'une crise cardiaque ce matin, articule-t-il en quittant subtilement mes yeux pour lever les siens au plafond afin de ne pas pleurer à l'énonciation de ces mots.
- T... ton frère ? Le père de Greg ?
Il soupire son affliction tandis que sa main se raccroche à la vie en resserrant un peu plus la mienne.
César a toujours été très proche de son frère aîné. Avant ils travaillaient ensemble, et se voyaient souvent. Malheureusement depuis quelques années ils n'étaient plus en bons termes, principalement à cause de la mère de Greg. Une femme avec un fort caractère qui tient d'une main de fer les affaires de son mari.
Petite j'allais parfois passer le week-end chez eux et chez les autres aussi.
Cette famille est une dynastie. La faute aux grands-parents qui se sont reproduits tant qu'ils ont pu mettant au monde 12 enfants, dont deux aînés qui n'ont pas eu meilleure idée que de tremper dans la criminalité et d'entraîner tous les autres avec eux en faisant ruisseler l'argent et les problèmes.
César pétri de pudeur et d'honneur pouvait feindre toutes ces années de s'en ficher de cette rupture, je sais que la famille compte plus que tout pour lui.
Et puis inconsciemment il se disait sûrement que dans l'ordre naturel des choses il serait le suivant. C'est le double effet kiss-cool.
- Enfin, c'est encore la meilleure mort qu'il ait pu avoir, soupira-t-il monotone cherchant du positif dans ce drame.
- Je suis désolée, bredouillais-je ne sachant pas quoi dire pour le soulager.
- L'enterrement aura lieu vendredi, on viendra vous chercher à dix heures, après il y aura le repas mais tu n'es pas obligée de venir je sais que tu n'aimes pas ces trucs-là, fit-il en grimaçant.
Certainement que lui aussi se serait bien passé d'un repas en compagnie de sa belle-sœur qui a tout fait pour les éloigner l'un de l'autre. Malgré mon nouveau statut de membre de la famille il ne m'oblige pas à honorer cette réunion, c'est toujours ça de pris.
La sonnerie du téléphone du pirate nous rappelle soudain sa présence. Bras croisés il se tenait toujours au même endroit près de la fenêtre, et en quittant la pièce il nous fait redescendre des nuages de pensées sur lesquels nous dérivions chacun de notre côté.
- Mais dis-moi, que me vaut ta visite à l'improviste ? M'interpelle-t-il comme s'il revenait sur terre.
Oh une broutille, je venais vous envoyer collectivement vous faire foutre, trois fois rien.
- Aucune importance, ça attendra, souriais-je en me forçant d'un air assuré alors qu'au fond de moi c'est le désespoir.
Ses pupilles iceberg examinent un peu mieux mes traits. Certainement que le feu de mes joues, mon mascara en vrac et les plaques rouges qui courent le long de mes clavicules trahissent l'évidente colère qui m'habitait quelques minutes avant et n'échappent pas à son analyse.
Il n'en croit pas un mot évidemment, cependant la prudence lui murmure de ne pas insister.
- Bon, tu m'excuseras je dois prendre des médicaments et me reposer. Attend dehors, je vais voir qui peut te raccompagner.
J'ignore si son état ne lui permet vraiment pas de rester en ma compagnie où s'il ne souhaite pas prendre le risque que je finisse par avouer la raison de ma présence. Quoiqu'il en soit je n'ai pas envie de m'éterniser non plus sachant que Tanya finira par arriver.
- Prends soin de toi, d'accord ? L'enlaçais-je tendrement.
Je suis ressortie soulagée. Soulagée qu'aucun danger ne plane sur César, mais mécontente de devoir repousser la fin de ce calvaire.
Appuyée sur la calandre d'une voiture, je fumais pendant que mon esprit rabâchait déjà l'échec monumental que je venais de subir.
Tout ça pour rien...
Il ne pouvait pas mourir un autre jour lui ?
Bien sûr que non !
Et moi je n'aurais pas pu me décider avant, hein... Combien de jours il me faudra maintenant avant de lui dire que j'en ai marre et que je veux tout arrêter ?
Lorsqu'il quitte la maison, je remarque que le pirate et le taré se jettent mutuellement un regard assassin qui ne passe pas inaperçu et ne laisse aucun doute quant à l'hostilité qu'ils se portent.
- Je te raccompagne, fit-il en déverrouillant à distance une voiture quelconque.
Je ne prends même pas la peine de réagir.
Dominant tout l'espace de sa hauteur, il attend que je finisse tandis que mes réflexions se consument au rythme de ma cigarette.
- Je te dépose où ? Demande-t-il en démarrant.
- Aucune idée, laissais-je échapper dans un long soupir.
- Comment ça aucune idée ? T'habite où ? Insiste-t-il.
- Ça te regarde pas où j'habite, soufflais-je exaspérée. Dépose-moi à Bastille, voilà !
Défaut de formation, ne jamais donner mon adresse à un inconnu. Quand bien même César lui fait confiance, ça ne compte pas. C'est un principe permanent auquel je ne déroge jamais.
Sa conduite était plutôt normale, jusqu'à ce qu'une notification fasse vibrer son téléphone. Un coup d'œil et, sans prévenir, il braque brusquement à gauche pour faire demi-tour. Ma tête l'insulte de tous les noms tandis que je m'accroche au siège de toutes mes forces.
- Mais tu vas où là ? Demandais-je en reprenant enfin une posture digne.
- Comme je te l'ai dit, César a dit de te raccompagner alors je te raccompagne, répond-t-il le plus naturellement du monde.
- J'en ai rien à faire de ce qu'il a dit ! Je vais là où moi je décide d'aller, c'est clair ?! M'énervais-je sentant mon sang bouillir.
Il se contenta de faire une moue plutôt amusée par mon culot sans pour autant dévier du trajet.
Ils sont insupportables ces exécuteurs d'ordres pour qui seules les volontés de César comptent. Cette cour servile qui ne sait qu'obéir en hochant la tête comme les petits chiens en plastique à l'arrière des voitures.
Je suis épuisée, je n'ai pas envie de voir Sacha, ni d'être enfermée entre quatre murs dans son appartement qui pue le tabac froid, j'ai besoin de solitude et d'énormément de calme, qu'ils disparaissent tous, le monde entier avec eux.
- T'attends quoi pour retourner vers Bastille ? Insistais-je agacée.
- Que tu te calmes et que tu écoutes, souffle-t-il indifférent à mon agressivité.
Il commandait le mec ! Il ne conseillait pas non, il ordonnait et devait être écouté.
Stupéfaite, je me demande vraiment d'où peut sortir ce type qui s'imagine pouvoir me persuader d'obéir. On ne lui a donc strictement rien dit à propos de moi ? Aucune mise en garde ? Pas même le minimum syndical ?
- Que je me calme ? Tu sais qui je suis au moins ?
- Kristina, la belle-fille de César, répond-il en haussant les épaules.
- Non ! Je ne suis pas «la belle-fille de César » ni «la femme de Sacha » ! Je suis Kristina Ristič ! Pas Nikolič*, RIS-TIČ, articulais-je exagérément. Et toi t'es qui pour me dire ce que je dois faire, hein ? Gueulais-je excédée.
(*nom de famille de César et de son fils Sacha).
- Enchanté de faire ta connaissance Kristina RIS-TIČ, moi c'est Dalibor Cardini et les ordres sont les ordres, je te dépose ensuite tu iras où tu voudras, prononce-t-il serein en se moquant ouvertement de moi.
A quoi bon répondre ? Lui expliquer que c'est absurde ? Négocier comme s'il avait la moindre importance ?
Inutile d'insister avec des imbéciles pareils qui ont de la crème fraîche à la place de la cervelle. Déceler une once de réflexion chez ces gens-là relève du miracle.
Je m'enfonce dans mon siège en ravalant ma fierté.
Un silence impressionnant s'installa dans l'habitacle. Un silence qui ne paraissait pas devoir prendre fin jusqu'à destination.
C'était sans compter sur les joies de la circulation des boulevards parisiens.
Bras tendu son pouce tapote inlassablement contre le volant et le ronronnement de la vitre contre mon crâne ne m'empêche absolument pas d'entendre ce bruit insupportable.
Agacée par cet écho qui perturbe mes pensées, je décide de mettre fin au calvaire autant pour lui que pour moi.
- C'est bon arrêtes-toi au prochain feu, je vais finir à pied, décrétais-je sans dévier mon regard de la fenêtre.
- Non je suis désolé, je dois te ramener chez toi.
- « Chez moi » ? Relevais-je cyniquement.
- Si je dis « chez Sacha », tu vas encore t'énerver ma belle, souri-t-il en me gratifiant encore de ce regard défiant qui ne doute strictement de rien.
- Si tu m'appelles encore « ma belle » le seul endroit où tu iras c'est direction l'hôpital avec le crâne fracturé, le prévenais-je m'imaginant déjà lui ouvrir le front en deux contre le volant.
D'un coup il freina violemment me faisant brutalement revenir en arrière sur mon siège.
- Oups, j'ai eu peur... ma belle, ironisa-t-il moqueur.
Ok c'est bon ça suffit !
Profitant qu'il soit encore à l'arrêt, je me débarrasse de ma ceinture et sors en vitesse du véhicule. Avançant la rage au ventre j'entendis dans mon dos sa portière claquer tandis qu'il m'appelle.
Seuls quelques mètres nous séparent et s'il y a bien une chose que je déteste, mis à part qu'on joue avec ma patience, c'est de courir et de me comporter comme une lâche. Alors je m'arrête, me retourne et plante mes yeux dans les siens.
Malgré la distance, je vois parfaitement se dessiner le rictus vainqueur qui s'étire sur son visage tandis qu'il contourne la voiture pour m'ouvrir la porte passager dans une révérence exagérée.
Tu penses pouvoir gagner si facilement Cardini ?
Admire un peu le spectacle...
Mon regard greffé au sien je tire fort sur le frein à main de mon instinct de survie et recule lentement jusqu'à ce que mes pieds quittent le trottoir.
Tout ce que je ne ressens pas se lit en gros, en gras et surligné sur son visage. L'étonnement, l'incrédulité aussitôt remplacée par la crainte qui le colonise lorsqu'il comprend ce que je suis en train de faire.
Telle une funambule en équilibre sur le fil de ma vie, j'entreprends la traversée du boulevard un pas derrière l'autre.
Grimaçant, détournant parfois les yeux, il est complètement impuissant face à la situation et visiblement Monsieur Cardini n'est pas habitué à se retrouver dans cette position.
Me concentrer sur lui me permet aussi d'oublier ce que je fais, mieux de m'en convaincre d'autant qu'il est très drôle à regarder.
Le problème n'est pas le danger, encore moins mon insignifiante petite existence qui mériterait bien qu'on y mette fin. Non, mais ça serait injuste pour l'innocent chauffeur a qui César réglera le compte après avoir dissout Dalibor dans l'acide. Alors je n'ai pas le droit d'échouer, il faut que j'arrive de l'autre côté en un seul morceaux.
Je continue progressivement mon évasion à reculons tandis que les klaxons me déchirent les tympans dans cette danse macabres qui fait virevolter mes cheveux et ma jupe à mesure que les voitures me frôlent.
Dans ses yeux je devine la distance qu'il me reste.
Il ressemble d'un supporter crispé devant le match de sa vie qui prie pour ces quelques mètres, résiste à l'envie de bouger, se retient même de respirer.
Je m'attends d'un instant à l'autre à le voir faire une ovation lorsque j'aurais atteint le côté opposé.
Plus je me rapproche du but et plus il y croit, car il sait que de ma survie dépendra la suite de sa vie.
Mon talon touche enfin le rebord annonçant la fin de mon épopée, soulagé il s'attrape la tête.
- Et là ? T'as eu peur Daliborné ? Criais-je fière de moi.
Au vu de ses gestes désordonnés je devine que mon évasion ne l'arrange pas du tout et qu'il va se faire engueuler par papa-César.
Bien fait ! T'avais qu'à pas être obéissant comme un chien bien dressé !
Pliée de rire, je le salue de la main avant de partir.
Téléphone vissé à l'oreille je peste que décidément rien ne va dans cette journée car mon périple m'a coûté une boucle d'oreille, et tente pour la troisième fois de joindre Eduardo.
Aucune réponse.
Pas même une sonnerie.
Direct sur répondeur.
Trop frustrée d'avoir échoué à mettre un terme à mon contrat avec César, je n'ai absolument plus envie de me balader. Il faut que je me calme et que je réfléchisse à une stratégie.
Je sais où je peux me réfugier pour avoir la paix.
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