Chapitre 6
— Dana ?! m'interpelle une voix fatiguée alors que nous nous rendons dans les nouvelles salles de classe.
Étonnée que quelqu'un connaisse mon nom alors que tous mes amis sont devant moi, je me retourne.
— Cyril ?
Son corps porte encore les stigmates du coma, sa silhouette fine est toute tremblante, ses cheveux châtains lui tombent devant les yeux et sa bouche tordue peine à maintenir un sourire.
J'ai l'impression de prendre un uppercut dans le foie. Ce garçon est la preuve vivante que toute mon existence dans le centre est vraie. Pas que j'en doutais, mais ça me paraissait tellement loin de ma vie d'avant. Lieu inconnu, entourée d'étrangers, j'arrivais à m'imposer de la distance. Mais avec Cyril devant moi, c'est comme un fil qui relie notre quarantaine à ma vie d'avant. C'est rassurant de ne pas être seule, mais c'est aussi le signe que le foutoir qui m'a conduit ici a vraiment touché tout le monde. Je n'ose pas parler, car j'ai peur de tout ce qu'il pourrait me dire. Je suis dans les premiers à être tombés malades, à ce moment où, l'épidémie n'était qu'une rumeur. Quand la panique n'enserrait pas le pays dans une incertitude teintée d'angoisse. Au fil des semaines et des mois dans le centre, les récits des autres m'ont labourée toujours davantage le cœur. Je suis dans le déni. Tant que rien ne me prouve que ma famille, ma classe, ma ville et tout mon quotidien ont été touchés par ce mal impitoyable, j'ai décidé de ne pas y penser.
Mais il est là. Cyril. Faible. Maigre. Le regard brun hanté. Et j'ai peur. Ces six derniers mois, je l'avais refoulée, mais je ne peux plus reculer, il me faut accepter et je crois que j'en veux à Cyril pour ça, alors qu'il n'y ait pour rien.
Je n'esquisse pas le moindre geste vers cet être en détresse qui tente de s'approcher. Vince... plus empathique que moi, va l'aider. Puis, nous restons immobiles l'un en face de l'autre. Nous n'avons jamais été amis, mais nous étions dans la même classe en cinquième Deux de mes copines sont même sorties avec, avant... avant que notre monde change. Voilà quel genre de mec il était.
Moi, j'étais la fille introvertie qui cachait toujours des mangas dans son sac pour bouquiner en douce. Celle qui faisait des dessins dans la marge au lieu d'écouter. Celle qui était prête à simuler une boiterie pour être prise en pitié et être dispensée de l'humiliante leçon de sport. Je suis presque choquée qu'il connaisse mon prénom. Il ne me faisait même pas la bise quand il venait rejoindre sa copine du moment.
— Toujours aussi froide, déclare-t-il.
— Beaucoup moins hautain.
— Un partout, sourit-il piteusement.
— Ouais...
Je suis mal à l'aise. Quoi dire ? S'excuser qu'il ait échoué ici ? Le féliciter d'avoir survécu ?
Lui demander des nouvelles de la vie dehors ?
Je ne veux rien savoir de tout ça, alors j'attends. Vince ne dit rien, par gentillesse ou pour respecter ses retrouvailles incongrues, je ne sais pas.
— Je vais me reposer... Je suis content que tu sois là.
Je ne réponds rien. Peut-être parce que la sincérité que j'ai sentie dans ses mots m'a troublée.
Nous reprenons la route pour arriver devant la porte de notre cour de français.
— C'était qui le beau gosse qui n'a pas pu attendre d'aller mieux pour t'accoster ? s'amuse Camille
— Cyril.
— Il ne la draguait pas, intervint Vince.
Je les laisse discuter. J'ai à nouveau l'énorme poids sur la poitrine, le même qu'à mon arrivée ici, celui dont Camille m'avait allégé.
Je me réveille avec cette horrible sensation de gorge nouée, celle que l'on a quand on a envie de pleurer. Je ne comprends pas de suite pourquoi. Je suis désorientée. Puis la lumière se fait. La voix dans ma tête, mon hallucination, c'était lui... Comme ce que j'imagine pour Camille, lui aussi doit être en vie. Sauf si j'ai mal interprété la discussion des médecins, sauf si je suis réellement en train de m'inventer un monde parallèle pour alléger ma solitude. En gros, je place vraiment beaucoup d'espoir sur des indices très maigres.
J'aurais dû en parler au médecin, mais je n'en ai toujours pas le courage. Je me méfie trop et j'ai peur qu'il annihile le moindre de mes espoirs.
Lasse, je me lève pour aller boire, mon pied percute un livre. Je n'ai même pas entendu qu'on était entré dans ma chambre et un frisson d'angoisse me parcourt. Il me faut être plus vigilante. Ma voix intérieure me hurle de ne pas avoir confiance en tous ces gens. Et même si ma raison me fait comprendre que c'est de la folie de ne pas croire au corps médical, je ne l'écoute pas, il y a eu trop de choses bizarres jusqu'à maintenant.
Si je dois finir folle, tant pis. Je suis déjà enfermée et privée de liberté, la situation pourrait difficilement être pire.
Après avoir satisfait mes besoins élémentaires, je lis pour occuper mon temps. Pour ne pas trop penser, pour arrêter de supputer, pour laisser une chance à la situation de changer avant que je ne me sente obligée de faire honnêtement le point sur les évènements qui se sont produits.
À nouveau des jours se succèdent, des jours où je prends soin de ne pas déclencher d'alarme avec ce curieux don que je semble avoir acquis. C'est peut-être dans ma tête, ça aussi, puisque j'ai simplement évité de m'énerver. Ça n'a peut-être aucun rapport.
Après tout, je n'ai été spectatrice de la glace qu'une fois et c'est peut-être de possibles accès de folie que le médecin craint. Mais je préfère imaginer avoir développé une sorte de pouvoir plutôt que croire que je suis devenue folle, au point d'effrayer quelqu'un.
Je m'arrange avec la vérité et tant pis pour les conséquences.
Mes phases de sommeil sont hantées par mes amis : Vince, Camille, Cyril et Ilya. Surtout Ilya, ces derniers temps, sans raison. C'était le plus jeune de notre groupe, de deux ans notre cadet. Mais déjà dans sa vie d'avant, il était précoce intellectuellement, il avait sauté des classes. Parfois, ses réactions me rappellent son âge et dans mes songes, je souris de son innocence et, éveillée, je m'y accroche. Dans ma vie d'avant, une personne comme lui m'aurait saoulée. Comme mon petit cousin le faisait à toujours mettre son nez dans ma vie privée et à cafter... Ilya ne m'a jamais vendue aux gardiens quand j'accueillais Camille dans ma chambre, par exemple. C'est peut-être aussi pour cette raison que je l'apprécie plus que mon merdeux de cousin.
Cousin qui était jeune, mais pas assez pour échapper au virus qui nous a tous conduit ici. Il est certainement mort. Je m'interdis de pleurer sans en avoir la certitude, mais ma résistance à toute cette peine semble s'étioler au fil de mon enfermement. Sans le courage de mes amis pour puiser un peu de volonté, je me sens faible.
Pour oublier, je me plonge à nouveau dans la lecture et dans le sport. Beaucoup de sport. Elias n'est plus le seul à venir me voir. Je suis testée, même sur ma capacité que je ne contrôle pas bien. Au moins, je sais qu'elle existe et c'est déjà un poids en moins sur l'état de ma santé mentale.
Grâce à la pratique, il m'est devenu naturel d'éveiller ce pouvoir. Je n'ai le droit de le faire que lors des entraînements, jamais seule. Le problème c'est que la colère en est bien le déclencheur et il m'a fallu un temps incommensurable pour ne pas la laisser exploser. Au début, j'étais un vrai danger public. Maintenant, je suis toujours dangereuse, mais je parviens à ne pas toucher toute la pièce.
Aujourd'hui est un jour comme un autre où j'ai failli congeler le docteur Elias, malgré tout, il reste avec moi en fin de séance pour prendre mes constantes.
— J'ai une nouvelle à t'annoncer. Nous avons refusé de te la donner trop tôt pour t'éviter toute pression inutile, mais je pense que, plutôt que de te faire du mal, elle va te faire du bien. Tu es un peu plus en contrôle de tes émotions et de ce qu'elles peuvent créer. Donc respire bien pour ne pas te laisser dominer par ce que je vais dire.
Il fait une pause pour voir si je l'écoute, curieuse, j'obéis et attends la suite.
— D'autres élèves ont survécu à leur seconde poussée, mais tu ne pourras les rejoindre que quand tu auras un meilleur contrôle sur ta faculté. Le but n'est pas de les blesser, s'amuse-t-il.
Hébétée, je le fixe. Il n'y a rien de drôle à son annonce. Je désespérais de l'entendre, persuadée que de m'être imaginée des choses ! Et pourtant non, je ne suis pas seule et c'est seulement parce que je suis nulle que je suis cloîtrée ici.
— Dana ? Ça va ? s'inquiète-t-il.
— Je veux les voir, dis-je la voix étouffée par ma gorge nouée.
— Bientôt, je te le promets. Maintenant, repose-toi. Tu as bien travaillé aujourd'hui.
Il s'en va, me laissant avec toutes ces nouvelles informations qui ne sont pas si nouvelles pour moi et me rassurent sur mon état mental. J'ai hâte de retrouver les autres, cette isolation forcée me bouffe.
Un point important, j'ai eu raison de me méfier des médecins, ils cachent beaucoup de choses et je suis certaine qu'ils ne me disent pas tout. Tout du moins, pour le moment, je vais être obéissante, je veux quitter cette pièce !
Et les jours ont continué à se succéder. Les semaines aussi certainement. Et même si j'ai du mal à l'admettre, les mois avec... Puisque, malgré mon envie de voir les autres, je ne progresse pas très vite.
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