Chapitre 46

La journée suivant la fête n'a pas été productive, tout le monde a cuvé sa bière, c'est à peine si nous nous sommes parlés.

Mais malgré cet excès, nous avons décidé de nous accorder un jour de relâche par semaine. Et une nouvelle routine s'est installée. Les entraînements, les repas, les moments de complicités, les chamailleries et pas mal de désaccords. Malgré ceux-ci, notre groupe reste soudé et je sais que si nous sommes un jour retrouvés, je pourrais compter sur tout le monde. Cette idée me rassérène, j'ai beau avoir conscience que les disputes sont normales, que nous ne pouvons pas toujours être d'accord, une peur sourde que certains nous lâchent ne me quitte jamais vraiment.

Nous sommes déjà presque à la fin du printemps, nous avons un peu mieux apprivoisé le monde qui nous entoure. Dernièrement, nous avons les nerfs mis à vif par des passages d'avions de chasse au-dessus de la ville. Ces va-et-vient assourdissants nous ont beaucoup angoissés au début, mais après une enquête de notre télépathe, il s'avère que partout sur les côtes les usines qui transforment l'eau de mer en eau potable sont sabotées par des attaques terroristes plus ou moins discrètes. Pour affaiblir un pays, certains sont prêts à tout. Nous avons acheté des journaux pour connaître la situation géopolitique et ne plus être trop largués. Nous avons appris qu'il y avait eu des manifestations suite à notre mise en quarantaine que certains n'ont pas cru au virus envoyé par un autre pays. Ce que nous savions déjà grâce à Cyril. C'est notre propre pays qui nous a infligé ces changements et qui a tué près d'un million et demi d'enfants. J'ai une haine sourde qui gronde en moi à chaque fois que j'y pense. Donc je m'occupe et me porte souvent volontaire pour faire main basse sur de l'argent.

Et cette nuit, comme à chaque fois, je suis claquée en entrant dans la maison. Cyril, Charlotte, Boris et moi venons de cambrioler des habitations. Boris avec sa télékinésie et tout aussi rapide que Martin pour forcer des serrures, en plus il arrive à contenir le son ce qui nous garantit une grande discrétion, même si grâce à Cyril nous savons en général si des gens nous entendent. En somme, personne ne pourra jamais nous mettre la main dessus. C'est presque trop facile.

La nuit est bien entamée, j'abandonne mon sac plein du butin que j'ai ramené en haut des marches du grenier et me rend dans la douche d'une des chambres vides pour me délasser avant de pouvoir retrouver ma place dans l'amoncellement d'adolescents qui se partage notre chambre. Il n'y a que dans ces moments-là où je me sens pleinement détendue. C'est idiot, car je sais que pour la majorité, nous dormons comme des masses et je ne suis pas certaine de notre efficacité en cas de réveil impromptu. Mais je ne tarde pas sous l'eau et vais rapidement rejoindre les autres.

À pas de loup, je rampe pour rejoindre les bras de Laurent. Il ne dort pas, comme Estelle doit être réveillée par notre arrivée même si elle ne partage pas la même pièce que nous. Leur don est vraiment très performant, je n'aimerais pas être sortie de mon repos si facilement, mais aucun des deux ne se plaint de ce fait. Laurent se contente de m'embrasser au creux du cou et de m'envoyer une vague d'amour. Je peine à ne pas la contrer et j'ai encore plus de mal à ne pas m'énerver contre ma capacité à me couper de lui. Malgré tout, la fatigue à vite raison de mon petit sursaut de colère et j'imite rapidement mes camarades qui ronflent depuis longtemps.

De violents coups frappés à la porte me font sursauter. J'ai l'impression d'avoir à peine eu le temps de fermer les yeux. Je cherche du regard le réveil digital que nous avons installé dans un coin et je constate que mon ressenti n'était pas loin de la réalité, il est tout juste six heures du matin.

Le bruit sourd du bois malmené une nouvelle fois me fait prendre conscience de ce qui se trame. Mon cœur accélère au point d'en être douloureux. Je me retourne vers Cyril qui fixe Laurent, il y a peu de luminosité, mais à leur échange de regards, je comprends qu'ils communiquent. Donc patiemment, j'attends les instructions tout en m'habillant en vitesse, comme les autres. Ceux qui dormaient au premier arrivent en catimini pour que nous formions un bloc. Ils n'ont même pas fini de se chausser.

— Viens avec moi, m'ordonne Cyril en chuchotant.

Un coup d'œil à Laurent qui me fait un léger signe de tête et me voilà à descendre quatre à quatre les escaliers pour faire cesser le tambourinement à l'entrée qui va finir par ameuter le moindre couillon sur un pâté de maisons à la ronde.

C'est le Parrain devant la porte, pas le temps de tout t'expliquer. Il ne connaît que nous deux, c'est pour ça que je t'ai dit de venir avec moi.

J'acquiesce, le cœur plus comprimé que jamais. Ce type ne m'inspire aucune confiance.

Cyril ouvre l'imposante porte en bois et sans surprise nous découvrons le sourire affable du Parrain, heureux de son petit effet sur nous. Il nous repousse du passage et s'engage à l'intérieur, suivi de pas moins de cinq de ses gorilles. Devant la porte s'aligne six motos que je n'ai même pas entendues se garer, je referme, parce que j'ai besoin de m'occuper pour garder contenance et que Cyril suit les intrus qui détaillent notre demeure sans la moindre gêne.

— Que nous vaut votre visite de courtoisie ? demande Cyril avec dureté.

— Vous auriez préféré que nous nous donnions rendez-vous ? s'amuse le Parrain.

— Vous envahissez notre espace et j'aimerais savoir pourquoi ?

Cyril se campe devant eux pour leur couper le passage, pour ma part, sans instruction, je décide de rester dans leur dos, même si deux des motards se sont retournés pour me faire face.

— Il y a des rumeurs, comme quoi un voleur dépouille beaucoup de maisons, sans rien laisser derrière lui, commence le Parrain. Certains le surnomment : le fantôme. Sais-tu pourquoi ?

— Non et je crois que je m'en fous. Maintenant, cassez-vous. Nous aimerions finir notre nuit.

— Tatata, ça ne se passe pas comme ça. Montpellier est à moi, rien ne peut s'y passer sans que je ne sois au courant. Pas un seul des gratte-papiers qui restent dans se mouroir enfumé ne peut péter sans mon autorisation. Je connais chaque bande de petits voleurs à la tire occasionnel, chaque perversion des gens friqués. Et chaque nouvelle arrivée. Je ne sais toujours pas d'où vous sortez, car même sous la menace aucun type n'a voulu avouer qu'il vous avait rencardé sur moi. J'ai pensé un temps que vous étiez des représentants de l'ordre venus tenter de vous démarquer en mettant au pas la racaille du coin. Mais entre vôtre âge et les autres choses que je sais, j'en ai conclu que je n'avais rien à craindre de vous. Puis, il y a eu ces histoires de fantômes. Pas la peine de nier, je sais que c'est vous. Il faut un talent assez inouï pour les tours de force que vous parvenez à faire. Je ne sais pas comment vous entrez et sortez sans rien fracturer. C'est au point où certains n'ont pas la moindre idée depuis quand leurs biens ont disparus. Alors voilà ce qui va se passer, vous allez bosser pour moi, puisque vous vivez dans ma ville.

Cyril se met à éclater de rire.

Je vois les muscles du Parrain se tendre et ses gorilles l'imiter. Puis Cyril se calme au point de devenir effrayant par la dureté que je perçois.

— Un mouvement et vous ressortez d'ici sans même vous rappelez comment vous vous appelez. Et si, et seulement si, je suis de bonne humeur vous serez capables de marcher, les avertis froidement Cyril.

— Ta gonzesse et toi, vous présumez un peu de vos capacités. C'est pas parce que vous êtes de bons rats à vous faufiler chez les gens qu'il faut vous imaginer pouvoir être crédibles.

— Un seul de nous deux suffit pour venir à bout de personnes comme vous.

J'essaie de ne pas avoir l'air complètement ahuri devant les bravades de Cyril. Il est tout le temps suicidaire dans ce type de circonstance. J'essaie de me convaincre que c'est parce qu'il cherche à dévoiler certaines pensées dans l'esprit adverse, mais plus ça va, moins j'y crois. Il aime simplement se sentir supérieur.

— Tu nies toujours la présence de vos amis ? Pourtant c'est un peu grand pour deux cette baraque, non ?

— Sortez !

Cyril avance pour empoigner le Parrain, deux des gardes du corps lui barrent le passage. Il esquive et commence à frapper dans le tas et je me vois forcé de l'imiter. C'est étrange de se battre contre des gens qui n'ont pas appris avec nous. Au départ, je suis un peu déstabilisée par leur position ce qui me vaut de me manger un coup, mais alors que je prends le dessus le Parrain intervient :

— Ça suffit ! hurle-t-il, de suite obéi. Je sais que vous êtes des rescapés de cette putain d'épidémie. Et vu le grabuge qu'il y a eu dans le maudit campement où sont supposés être gardés chacune de vos précieuses vies, je suis venu vous proposer un marché en échange de votre travail pour moi.

— Vous continuez à vous imaginer des choses et nous ne voulons rien, réplique Cyril.

— Tu es jeune et stupide. Tu sembles te cramponner à des principes qui aurait peut-être court dans un superbe conte en refusant de pactiser avec le méchant de l'histoire. Mais souviens-toi que vous êtes des voleurs équipés d'armes de guerre. Excuse-moi de devoir te faire ouvrir les yeux, mais vous êtes de la même engeance que moi. De celle qui survit coûte que coûte. Je veux savoir ce qui se trame dans ce campement de malheur et en échange de votre collaboration, je vous fournirai de nouvelles identités toutes proprettes. Et surtout véridiques. Qui peuvent passer n'importe quel contrôle, même ceux à reconnaissance faciale.

Cyril a un temps de réflexion, il quitte des yeux le Parrain quelques secondes avant que ses prunelles maronnes ne le sonde.

— Écoutez, nous ne pouvons pas vous faire confiance. Qui nous dit que vous nous balancerez pas une fois que vous aurez ce que vous voulez ?

— Mon jeune ami, vous êtes des cambrioleurs hors pair, c'est ce dont j'ai besoin pour faire entrer des gens dans cette base. Et en plus vous la connaissez.

— Et pourquoi vous voulez y entrer ? demande Cyril qui a repris un air suffisant.

— Ça me regarde !

Cyril s'avance, les gorilles s'approchent, mais le Parrain les stoppe.

— Écoutez, ce que vous voulez demande une parfaite collaboration, vous savez tout sur nous. Qu'est-ce qui vous intéresse dans ce campement ? Quelles informations vous manquent alors que vous leur vendez des armes ?

— Tu es très bien informé, réplique le Parrain.

Il essaie de le cacher, mais je vois qu'il est contrarié que nous sachions cet aspect de son business. Il ignore que nous savons aussi pour son frère, j'imagine que ça ne lui plairait pas beaucoup.

— Très bien, reprend notre interlocuteur. J'aimerais pouvoir faire sortir un des gosses de là-dedans. Toutes ces fadaises comme quoi les militaires sont là-bas pour vous protéger, je n'y ai jamais cru et il semblerait que j'ai eu raison. Alors, est-ce que oui ou non, vous pourrez faire entrer une équipe pour quelle récupère l'enfant en question ?

— Non.

Cyril est sans appel, en haut des marches, j'entends le chuintement des murmures de certains de nos amis, mais c'est trop ténu pour que j'en saisisse le sens.

— Tu refuses ! s'exclame le Parrain.

— Écoute, Timothée. Même avec la meilleure volonté du monde nous ne pourrions pas faire sortir ton frangin de là-dedans et encore moins discrètement.

Le Parrain est décontenancé, tout comme moi, qui met du temps à comprendre que Timothée est le prénom du trafiquant.

— C-comment tu sais ?! s'énerve-t-il.

Cyril ne répond pas et tous nos amis descendent. Je lance un regard de pure désapprobation à Cyril puis à Laurent. Ils ne m'ont pas averti de leurs manigances et je fulmine. Je trouve leur action stupide. Dévoiler nos visages et tout ce que l'on sait, nous rend vulnérable.

Femme de peu de foi, s'amuse Cyril.

Oh ferme-là. Tu y arrives depuis tout à l'heure, c'est pas le moment de venir m'emmerder !

— Que voilà un tableau intéressant, ce reprend ledit Timothée en avisant les neuf adolescents qui viennent d'arriver.

Laurent s'avance, dépassant Cyril et vient se planter devant le Parrain. Sa large carrure donne l'impression que son vis-à-vis est petit et chétif. Et même si Timothée bombe le torse, il fait vraiment pâle figure.

— On va vous la faire simple. Si jamais il nous arrive des emmerdes suite à l'échange de ce soir, on s'occupera de vous, de vos proches et de chacun des gros bras décérébrés qui te suivent.

— C'est mignon ces menaces. Vous savez qu'il existe des murs entiers de commémorations pour tous ceux qui nous ont quitté suite à cette maladie de merde ? Mais le plus intéressant, c'est qu'il existe des sortes de groupes de prières – toutes religions confondues – pour vous. Vos photos s'y trouvent pour la plupart d'entre vous, si elles n'y sont pas, il y a vos noms.

Le Parrain nous met en garde de façon plus subtile que Laurent. Cette situation devient intenable.

— Bon ! Merde, j'en ai ma claque de ce ping-pong de menaces ! explosé-je malgré moi.

Laurent arque un sourcil avec une réelle surprise et tout le monde a son attention rivée sur moi.

— Faites pas genre ! continué-je. Le Parrain ou Timothée ou je sais pas qui, nous menace, on sait très bien qu'on aura un coup d'avance sur lui. Donc soit on lui dit merde et il repart faire ses machins. Soit on se réuni et on discute de ce qu'on va faire.

— C'est que la seconde fois que j'entends le son de ta voix et tu trouves le moyen de m'insulter plus que tes deux copains réunis. Je comprends mieux pourquoi c'était toujours le play boy qui marchandait.

— Oh toi, t...

Cyril a traversé l'espace qui nous séparait pour plaquer sa main contre ma bouche et m'empêcher de pourrir mon interlocuteur.

— Elle a raison, on va discuter. Pendant ce temps, vous n'avez qu'à vous installer, déclare Cyril affable.

Je me retiens in extremis de le frapper et le suis alors que tout le monde se replie au premier pour discuter.

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