Chapitre 42

Le scratch de ma brassière de sport est cousu de travers et dépasse un peu au contact de ma peau. Mon dos me gratte, c'est l'enfer. Je l'ai installé moi-même et je suis nulle en couture. Mouvement d'épaules, après mouvement d'épaules je tente de soulager la démangeaison.

Vous me rendez fou avec ces soutiens-gorges qui vous grattent.

Ça nous rend dingue aussi, dis-je de mauvaise humeur.

On va trouver une couturière pour tous les reprendre.

Ce serait louche... Même si l'idée est tentante.

Mais non, tu es parano. Je doute que quelqu'un fasse le lien entre des scratchs sur des sous-vêtements et nous. Il faut être prudents, mais là, ça devrait aller.

Cyril a sûrement raison. C'est moi qui suis trop sous tension.

Il bifurque, je lui emboîte le pas. Mon stress monte en flèche quand nous nous perdons à nouveau au milieu de ce dédale de rues étroites à l'odeur toujours aussi immonde. Il est cinq heures du matin, les rues sont désertes, aucun lampadaire ne fonctionne et le ciel est d'un noir insondable. C'est à peine si je parviens à discerner où je mets les pieds. Sans parler du fait que j'ai peur de marcher dans les excréments qui parfument l'air.

Trois motos s'allument en démarrant droit devant nous. Je suis éblouie et ce n'est que parce que Cyril me plaque contre un mur que j'évite d'être renversée. Je n'arrive pas à croire qu'ils nous jouent le même scénario que la première fois !

— Les fils de putes, grogne-t-il les dents serrées.

J'imagine qu'ils l'ont fait exprès ?

Oui. Ils étaient prêts à prendre le risque de nous tuer. Je te jure que si un jour on n'a plus rien à perdre que je trouverai le moyen de m'occuper d'eux et de leur chef. Ce Parrain de mes deux !

Je souris même si la situation ne s'y prête pas, parce que voir des réactions humaines chez Cyril me fait plaisir. Savoir qu'il n'est pas constamment dans le contrôle a un petit côté touchant.

Fais gaffe, tu pourrais tomber amoureuse, me nargue-t-il en reprenant la route.

Je rougis jusqu'à la racine de mes cheveux, je déteste quand il me fait ça. Et je suis contente qu'il ne me contredise pas, car, lui comme moi, savons que cette affirmation n'est pas tout à fait vraie non plus.

Nous sommes accueillis comme la première fois par un molosse à la porte qui nous braque et qui nous conduit avec une bonne escorte jusqu'au bureau du boss.

— Les fameux amis de Gus, vous êtes ponctuels, j'aime ça.

Il est drôlement enjoué et je remarque les restes d'une sorte de poudre blanchâtre sur le bois devant lui. Génial. Il est défoncé !

— Vous avez le reste de ce qu'on avait prévu ? attaque Cyril d'emblée.

— Vous avez l'argent ? réplique-t-il.

— À votre avis ?

Ce jeu de questions sans réponse ne me plaît pas des masses.

Le gars ricane.

— Vous êtes de drôles d'oiseaux. J'ai parlé à Gus, il ne vous connaît pas si bien que ça. Et personne ne connaît votre bande de voleurs, c'est intrigant, vous ne trouvez pas ?

— On est juste très bon... Mais ça ne nous plaît pas des masses que vous parliez de notre existence autour de vous, gronde Cyril. Après la fin de la transaction, nous ne nous reverrons plus, vous n'êtes pas de confiance. Et si on a le moindre problème à cause de votre manque de discrétion, vous allez comprendre pourquoi personne ne peut témoigner de notre existence.

Je me retiens de lever les yeux au ciel et de libérer mon trouillomètre, c'est un peu contradictoire, mais ce concours de bite contre un mec dangereux à quelque chose d'irréel. J'ai confiance en Cyril, il sait ce qu'il fait, même si, à mon sens, menacer Le Parrain n'est pas une bonne idée.

— C'est la guerre, c'est pas bien compliqué de disparaître, sourit notre vis-à-vis.

Je ne sais pas s'il nous menace ou pas. J'imagine que oui.

Pour toute réponse Cyril jette l'argent sur la table. D'un signe de tête, le boss envoie un de ses sbires chercher le reste des armes. Elles nous sont remises. Et Cyril après les avoir vérifiées une par une comme un vrai expert – grâce à Laurent – demande à prendre congé.

— Je fais aussi dans les faux papiers, réplique le trafiquant.

Je le regarde sans comprendre pourquoi il nous avoue cette part de son commerce illégal.

— Tant mieux pour vous, lui répond Cyril avec nonchalance.

— Je ne veux pas paraître insistant, reprend-il. Mais vous me semblez un peu jeune. Seize, dix-sept, voire peut-être dix-huit ans.

— Et ?

Je ne comprends pas où il veut en venir et mon cœur bat de plus en plus fort, car j'ai bien noté que Cyril s'était tendu.

— Et on ne voit jamais de gens de votre génération. Ils sont soit six pieds sous terre, soit enfermés dans un immense labo géant quelque part.

Je reste impassible – du moins, je l'espère – et fixe notre interlocuteur qui ne doit pas être aussi défoncé que je le croyais pour avoir visé aussi juste.

— Nous n'avons pas à justifier notre âge. Je ne sais pas ce que vous vous imaginez, mais je pense que comme tout le monde, nous avons énormément perdu de personnes qui nous étaient proches lors de l'épidémie pour éviter de remuer le couteau dans la plaie.

— Vous avez raison de ne pas me faire confiance. Mais j'aurais du mal à vous mettre une aussi grosse douille que le gouvernement, s'amuse-t-il.

Cyril se détourne pour partir.

— Si jamais vous avez été là-bas, je peux payer cher pour des informations, ajoute le dealer.

— Dommage pour nous, alors, commente Cyril en partant pour de bon.

Les sacs pèsent des tonnes, mais je ne m'arrête pas. Il me tarde d'arriver chez nous pour relâcher la pression.

Il sait.

Il sait quoi ? m'inquiété-je.

Que nous nous sommes évadés de là-bas. Il ne sait pas que nous sommes des monstres de foire. Mais il se trouve qu'une partie des armes du Centre proviennent de chez lui. Le gouvernement veut sûrement garder secret qu'il constitue une armée et ne passe pas par le circuit normal. Par contre, du coup ce mec sait... Il nous faut peut-être le tuer. Lui et tous les gars à qui il a pu parler.

T'es pas sérieux ?! m'horrifié-je.

S'il continue à creuser sur notre compte, ils vont nous retrouver. Si ce n'est pas déjà trop tard. Il nous faut bouger.

Je...

Cette situation est cauchemardesque et il me faut quelques secondes pour réorganiser mes pensées.

Il va nous trahir ? Tu l'as lu dans sa tête ?

Non. Il a son frère au campement figure-toi et il cherche un moyen de le récupérer. Il a perdu trois sœurs durant l'épidémie.

Trois ?

Cyril a dû comprendre que c'était le calcul de l'écart entre leur naissance qui m'interpelle, car il m'éclaire.

Une paire de jumelles et la jumelle du frère qui était avec nous.

Ah merde !

Je suis sincère, je n'imagine pas l'horreur. Pour ses parents aussi cette épreuve a dû être un véritable enfer.

On en parlera avec les autres, finit par trancher Cyril. Peut-être qu'on pourrait se servir de lui... Je t'avoue que pour une fois, je ne sais pas.

Si Cyril ne sait pas quoi faire, je devine déjà que les conversations vont être encore plus houleuses qu'à l'accoutumée.

Et ça ne loupe pas. L'agitation gagne vite notre havre de paix, certains remplissent même des sacs pour fuir dans la minute. La situation part dans tous les sens. Laurent déploie son don pour calmer tout le monde. L'effort semble lui coûter, il faut dire qu'il y a du monde à chaque niveau de la maison. Du sous-sol pour ceux qui sont partis chercher des affaires, jusqu'au grenier où nos sacs prêts pour le départ nous attendent à chaque instant. Nos amis courent dans tous les sens.

— Ça va aller, surenchérit Cyril en interceptant Laura.

— Tout le monde monte à la chambre ! ordonne Laurent. Il nous faut parler calmement.

Docile, j'obéis, car quoiqu'il arrive je ne compte quitter aucun des deux garçons. Lui, Cyril et même Martin finissent par bloquer tout le monde dans le grenier.

Grâce à Laurent et Estelle, le débat ne dérape pas à coup de bourre-pif de la part de ceux qui veulent fuir. Par contre, peu importe comment est abordée la situation, certains veulent partir sur-le-champ.

— Il nous faudra peut-être partir, mais il nous faut un plan de repli. Surtout que s'il remarque qu'on s'est fait la malle, notamment si Gus lui dit qu'il ne nous voit plus, il va comprendre qu'il a visé juste. Et alors il nous faudra le tuer.

— On va pas assassiner des gens ! Et encore moins de sang-froid ! s'insurge Martin.

— Il n'y a pas de bonnes solutions, mais partir sans le tuer, c'est la pire, il va chercher à comprendre et là nous sommes sûrs de finir par être remarqués.

— Mais on sera loin ! réplique Lily.

— Il faut se rendre à l'évidence, notre âge peut nous trahir n'importe où.

— On ne sortira plus. On volera tout ! avance Benoit. On va ailleurs, sans tuer qui que ce soit et on se planque. On est opérationnels, la seule chose qui nous manque ce sont les couteaux en céramique. On peut les voler dans une autre ville.

Les échanges durent jusqu'à ce que Jennifer me prenne à partie :

— Toi tu étais là-bas, Dana, tu l'as vu, tu penses que c'est quoi le mieux ?

— Le tuer s'est pas la solution. Et si on part, il va trouver ça louche et plus creuser. On va pas le mêler à nos affaires, mais il ne sait pas où nous trouver, je pense qu'on est tranquille encore quelque temps ici. Au moins de quoi retourner une ou deux fois chez Gus, histoire qu'il ne pense pas nous avoir fait fuir. Ça nous donnera le temps de trouver peut-être une autre ville où aller.

Finalement, à ma grande surprise, c'est mon avis qui finit par convaincre tout le monde. Du moins pour quelques jours, car certains sont pressés que nous partions.

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