Chapitre 31
Nous ne prenons pas de pause. Il faut rejoindre les autres coûte que coûte. À treize, nous serons plus forts. Et même si c'est un peu lâche, je compte sur Cyril pour nous dire quoi faire, pour ma part, je suis larguée.
Aucun de nous ne se plaint de la marche à allure forcée dans cette forêt impénétrable. J'ai remarqué, depuis une bonne heure, que je ressentais la douce chaleur que me procure le don de Laurent. Il est certainement en train de nous garder positifs pour que nous ne flanchions pas. Je n'ai jamais eu l'occasion de lui demander s'il pouvait influer ses émotions, si ce n'est pas le cas, il est certainement le plus fort de nous tous. Il doit supporter nos peurs et nos doutes en plus des siens. Une bouffée de reconnaissance et d'amour me submerge.
— Vous pensez qu'on les rattrape un peu ? demande Boris après une énième chute.
— Je ne sais pas, je ne les ressens pas encore, répond Laurent.
— Y'en a peut-être un qui a trouvé le moyen de se téléporter et ils auront fait le trajet en un claquement de doigts, réplique Charlotte en ricanant.
Les spéculations sur les dons sont toujours légion entre nous. Il n'y a plus que Benoit, Laura, Estelle et Julien qui n'ont pas découvert les leurs. Il nous faudrait plus de dons offensifs. Ils sont tous inquiets de ne pas être capables à s'en servir. Mais je suis confiante, peu importe ce qu'ils auront, nous trouverons un moyen de le tourner à notre avantage de toute façon, surtout que j'ai bien peur que Thomas balance aux militaires le don de Charlotte. Nous avons la chance qui n'ait pas assisté à l'éveil de la télékinésie de Boris, c'est un bon point. En plus lors de la révélation, contrairement à celle de Charlotte, je n'ai pas souffert. Il faut espérer qu'aucun autre ne nous explosera à la tronche. Même si Lily affine ses capacités, nous ne pouvons pas nous permettre d'être blessés.
Machinalement, je touche le haut de mon crâne et la croute qui s'y trouve, la douleur a pratiquement disparu, grâce à Lily. Mon bras c'est une autre histoire, à force de me débattre contre mes entraves, j'ai rouvert un peu la plaie, mais surtout je le sens plus faible.
Perdue dans mes pensées, je suis moins vigilante et c'est à mon tour de m'étaler.
La main secourable de Laurent me redresse presque immédiatement.
— Merci. C'est vraiment la merde.
C'est à peine si je vois les yeux de Laurent briller et ses dents renvoyer le peu de luminosité qui nous entoure. Ça ne l'empêche pas de viser ma bouche. Il y a applique un baiser rapide qui me donne des ailes. Il reprend la marche sans lâcher ma main.
Un roc inébranlable, voilà ce qu'est Laurent. Il a toujours eu énormément d'assurance, là où moi je me serais effondrée un millier de fois. Rien de tel qu'une randonnée nocturne dans les bois pour prendre conscience de mon égoïsme de ces dernières semaines. Car comme sa main secourable de cette nuit, il ne m'a jamais laissée tomber.
— Je ne sais pas à quoi tu penses, mais tu aimes me donner du travail, s'amuse-t-il.
— Désolée, dis-je réellement en colère contre moi-même de toujours lui infliger mes états d'âme.
— Hé ! Je rigolais ! Ça ne me gêne pas.
Ses doigts enserrent ma paume plus fermement et une vague violente de bien-être m'envahit. Elle n'est pas aussi intense que quand il m'a anesthésiée les sens pour que je supporte le soin de Lily, car cette fois-là, c'était proche de... Je ne sais pas, mais c'était tellement puissant que ça m'a paru intime et presque douloureux.
Je reste cramponnée à sa poigne, j'aimerais moi aussi être capable de faire profiter de mon don les gens. Les protéger des fortes chaleurs ou du froid autrement qu'en jouant sur l'atmosphère qui les entoure. Mais est-ce que ce serait seulement possible ? J'attends peut-être trop de mon don qui est déjà très étendu.
— Les autres se sont arrêtés pour dormir, nous ne sommes plus très loin d'eux, nous informe Laurent.
Il est soulagé, ça s'est entendu dans le timbre de sa voix. Avant ce moment, impossible de deviner qu'il doutait, ne serait-ce que de la direction que nous avions prise.
Laurent nous guide jusqu'à nos amis. Cyril et Martin sont réveillés. Je ne sais pas s'ils se sont mis d'accord pour monter la garde, mais je sais que Cyril veille toujours autant qu'il peut pour surprendre l'arrivée du moindre danger.
— Content de vous voir, murmure Martin pour ne pas déranger les autres.
Je remarque qu'il joue avec un couteau à lame incurvée et avec un manche en bois. Il sourit en le secouant quand il avise mon intérêt.
— C'est un couteau à champignon, je l'ai trouvé en marchant. J'aiguisais mon don.
J'acquiesce d'un air entendu. Il est puissant, sans lui nous n'aurions jamais quitté la base. En plus, avec sa grande carrure, il a un côté rassurant.
Nous nous installons avec les autres, sauf Laurent qui reste assis alors que je suis déjà roulée en boule contre Laura.
— Tu veux qu'on réveille Lily ? me demande Cyril.
— Non.
— Tu as mal, je le sens et Laurent aussi.
— Ça ira mieux demain. Bonne nuit.
Malgré l'inconfort et la douleur, je m'endors vite.
— Joyeux anniversaire ! hurle Camille en sautant sur mon lit.
— Cam, râlé-je. C'est jour de relâche, je pouvais me lever plus tard.
— Tu as seize ans ! Ça se fête.
— On le fêtera le dernier weekend du mois, avec celui des autres.
Malgré ma nuit écoutée, je souris. Le fait qu'elle se souvienne que c'est supposé être ma journée me touche. Elle me pousse pour que j'aille à la douche. Surtout que les camarades qui partagent ma chambre dans le chalet commençaient à s'énerver. Camille risque d'être punie pour être venue jusqu'à moi, nous ne sommes pas logées ensemble ce mois-ci.
Une fois lavée, je l'accompagne pour le petit-déjeuner et j'ai la surprise de constater que mes autres amis sont là aussi. Le self reste ouvert jusqu'à dix heures et il n'y a pas de services obligatoires le jeudi, c'est notre jour de weekend si on veut. Beaucoup attendent le dernier moment pour s'y rendre. Dont la plupart des personnes à cette table. Je suis émue.
Enfin tous attablées, les discussions vont bon train pour définir le programme de la journée. Il ne fait pas très beau, mais Cyril et Camille veulent que nous jouions au basket. Ilya et Vince grimacent à l'idée, mais je sais qu'ils seront là. Par contre, Line et Flavien ne se donneront pas la peine. Ils aiment jouer à des jeux de stratégies ou de rôle. Ce n'est pas bien grave, trouver des joueurs n'est jamais difficile. Au milieu de trois mille adolescents, il y a même quelques petites guéguerres qui se règlent sur le terrain. Je ne prends pas part à l'échange, je ferais ce que Camille aura décidé, même si ça veut dire jouer avec Cyril. Il ne m'a toujours rien fait, il est toujours aussi gentil, mais je me sens comme une merde quand il est là. Je suis maladroite, je n'ai jamais rien à dire et sa manie qu'il a de toujours me demander mon avis et de m'afficher dans mes difficultés, m'énerve. Mais je ne suis pas assez stupide pour ne pas voir qu'il ne le fait pas méchamment.
Tout le monde a fini de manger et m'attend, je n'aime pas être le centre de l'attention donc je tente de faire au plus vite pour terminer tout ce que les autres m'ont cédé comme cadeaux d'anniversaires. C'est le bon côté de cette journée, même si je vais me sentir lourde toute la matinée d'avoir engloutie autant de beurre et de confiture.
Je me perds dans la douceur de se souvenir, je m'y accroche, mais malgré ça, je suis réveillée par mes habits trempés. Nous sommes prisonniers du brouillard. C'est désagréable. Quand je me redresse et ouvre enfin les yeux, je remarque que je ne suis pas la seule à ne pas aimer ça. Les mines endormies, pas coiffées, les bâillements et les corps avachis sont un bon exemple de la petite nuit que nous venons de vivre. Encore. Laurent dort près de moi, mais Cyril est réveillé. J'espère qu'il a dormi un peu.
— Oui, Laurent a veillé pendant que je me reposais. Il me certifie que même en dormant il sent les gens, mais je ne préfère pas prendre le risque.
— Je sais que tu ne le fais pas exprès, mais mes réflexions n'attendent pas de réponse !
Il sourit avec une pointe d'arrogance. Et je comprends, que je suis grillée, qu'il a deviné mes pensées profondes. Que même s'il m'énerve, j'adore qu'il me porte autant d'attention. Pourtant, ce n'est pas faute de le nier et de m'auto-engueuler.
— Ton rêve était intéressant, finit-il par déclarer.
— C'était un souvenir.
— Je sais, je m'en souviens très bien aussi. On trouvera un moyen de récupérer les autres, je sais qu'ils te manquent. Mais tant qu'ils n'ont pas fait leur seconde poussée de fièvre, c'est trop dangereux d'aller les chercher. De toute façon, de ce que j'ai perçu dans les esprits des militaires, il y a des chances que la prochaine fois ils nous envoient certains de nos camarades, ils en entraînent spécialement dans ce but. Seulement, les plus dociles. Ça ne va pas être évident pour Laurent. Il y en a certains qu'il apprécie et ils ont vécu en petit groupe un moment.
— Y'aura peut-être Camille, fais-je remarquer.
— Je sais. Il va falloir qu'on trouve un moyen de s'entraîner.
— On ne sait même pas où aller ! De ce que tu nous as dit du monde qui nous entoure c'est la misère qui règne. Pourquoi tu ne nous dis pas tout d'ailleurs !
— Il y a eu des morts Dana, beaucoup. J'ai vu dans la tête des autres que beaucoup s'accrochaient à l'espoir de retrouver leur vie, même en sachant que tout est différent. Sauf que si au camp, ils ont fini par ne plus nous laisser voir nos parents, c'est pas simplement pour ne pas nous distraire, c'est parce que certains étaient morts.
— Pourquoi tu me le dis alors ? m'horrifié-je.
Je n'ai plus la force de le regarder, alors je m'occupe et me sèche. Je suis contente de voir que mon don semble de nouveau opérationnel alors je l'applique aux autres, tout en écoutant Cyril.
— Parce que, contrairement à la plupart, tu n'as pratiquement pas pensé à ta famille depuis notre fuite. Tu as conscience que le monde a changé et qu'on va devoir se battre pour exister. Laurent, toi et moi sommes les seuls à savoir. Mais je compte le dire à Martin et Laura très bientôt, car nous allons finir par rejoindre la civilisation et il va falloir qu'on soit quelques-uns à pouvoir empêcher les autres de vriller.
— L'armée va nous retomber dessus, si on reste trop près des villes ou autres ! Comment tu veux qu'on fasse ?
— Ils ne vont pas revenir de suite. Ils attendent d'être équipés et que l'équipe qu'ils veulent nous envoyer soit prête. Ça nous offre du temps.
Il est fou, mais je n'ai pas de meilleure idée. Je chauffe l'air et m'amuse à chasser la brume autour de nous, le temps que tout le monde se lève. Et nous reprenons la route.
J'ai soif, nous n'avons plus d'eau. Seulement deux sacs ont pu être sauvés par Martin. Car après que je me sois évanouie les militaires ont délesté mes amis. Le tas de nos affaires était au bord de la route. Martin tout en dégageant le passage pour notre fuite a tenté de les attirer à lui. Il s'en veut de ne pas avoir réussi à tout récupérer. Mais moi, et les autres, sommes déjà impressionnés de ce qu'il est capable de faire.
— Personne n'a de connaissance de plante où de je ne sais quoi pour survivre en forêt ? se désole Benjamin.
Les autres ne lui répondent pas, avec la gorge sèche nous économisons nos mots. Même si Benjamin ne suit pas cette règle et râle de temps en temps. Certains ont bu dans des flaques, moi je n'ai pas encore osé. J'ai surtout plus faim que soif pour le moment, j'ai l'impression que mon estomac s'autodigère. Je sais que ça va finir par s'estomper, mais ce n'est jamais agréable pour autant. Marcher me distrait un peu, surtout que nous n'avons fait aucune pause depuis notre réveil, à quoi bon étant donné que nous n'avons rien à avaler.
— Laurent me conseille de m'éloigner de Benoit. Tu devrais en faire de même.
— Pourquoi ?
— Parce qu'à force, Laurent dit qu'il remarque le changement dans les sentiments des gens avant l'éveil d'un don, et aucun de nous ne sait ce qui peut arriver.
— Pourquoi tu n'avertis pas les autres alors ?
— Je vais le faire, mais il ne faut pas l'inquiéter. Personne ne sait ce qui se passerait si on interrompait la montée de son pouvoir.
Je ne le distrais pas plus. J'imagine que durant les mois de captivités il a glané assez d'informations de nos geôliers pour savoir ce qu'il fait.
J'ai de la chance, je suis derrière Benoit et je peux donc voir ce qui se trame. Tout le monde est tendu, mais il ne le remarque pas, il doit être perdu dans ses pensées en train de ruminer quelque chose. Chez moi, c'est comme ça qu'il s'était manifesté.
Puis je me rends compte que de fines gouttelettes sont en train de grossir tout autour de lui. Je retiens mon souffle, il ne l'a pas encore vu, mais même s'il sait qu'il va avoir un pouvoir c'est dur d'encaisser qu'on devient capable de réaliser quelque chose qui nous semble impossible. Benoit remarque enfin les sphères qui gravitent autour de lui.
— Oh ! Les gars ! Putain, je... Oh !
L'eau retombe au sol. Et Benoit se retourne pour nous faire face, il semble totalement ahuri, ses yeux à deux doigts de quitter leurs orbites.
— J'ai fait... ! Oh, bah merde ! C'est complètement ouf ! continue de s'émerveiller Benoit.
— Dis-moi que tu te sens apte à recommencer ! le supplie Benjamin
Notre ami essaie. Laurent qui a côtoyé Émilie et Malou longtemps lui donne des conseils. Et Benoit parvient à rassembler une sphère au-dessus de sa main. Sauf qu'il a dû mal à en avoir le contrôle et échoue à la faire entrer dans une bouteille. Il n'arrive pas à la modeler. Après plusieurs essais infructueux, nous buvons tour à tour à même l'eau en suspension. Notre soif n'est pas étanchée, mais pour ma part, ma gorge me semble moins en train de se craqueler. Avec un don tel que celui-là, nous sommes bien partis pour pouvoir contrecarrer les possibles attaques de personnes ayant la même capacité.
Car c'est bien ça le problème, c'est que nous pouvons vite nous retrouver démunie devant une compétence que personne ne possède ou ne connait.
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