Chapitre 28
Tout le monde est dans la suite parentale quand je sors de la douche. Laurent m'a aidé à nettoyer tout le sang que j'avais partout. Ça a été très long. Surtout en évitant d'abîmer la croute.
Laurent est resté en haut, le temps de choisir de quoi se vêtir, ou pas. Sauf que contrairement à moi, les autres n'ont pas l'habitude de voir des gens à poil. Les douches ne sont pas communes dans le camp, elles le deviennent dans leur espèce de base secrète souterraine.
Quand j'arrive dans la chambre aménagée, je n'en reviens pas. Ils ont trouvé le moyen d'enlever tous les meubles pour poser les quatre matelas deux places et les deux une place côtes à côtes au sol. Puis de tendre des draps et des couvertures dessus. Dans la pièce ne reste que les deux tables de chevet et une armoire, coincées dans un coin, pas très loin des toilettes et de l'immense douche. Je me demande d'où ils sortent les matelas une personne, je ne suis pas descendue ici avant la grande transformation, mais j'imagine mal une suite parentale avec trois couches.
— Ils viennent du grenier, il y a une sorte de dortoir pour enfant avec six petits lits.
— C'est du voyeurisme que tu sois tout le temps dans ma tête ! m'énervé-je. Tu agis pareil avec les autres à intervenir à la moindre de leur pensée ?
— Non, qu'avec toi, voire avec Laurent.
Je ne réponds pas et essaie de me trouver une place.
— Tu devrais protéger tes blessures, me dit Lily.
— Le bras, à la limite, mais hors de question de ressembler à un œuf de Pâques.
Ma réplique fait rire tout le monde. Sauf Lily, elle prend notre santé très au sérieux, car elle a déjà commencé à préparer une sorte de pharmacie. Elle a déniché de vraies bandes, mais en a aussi fabriqué en découpant des tissus. Et d'autorité, elle se glisse jusqu'à moi pour m'empaqueter.
Je ne bronche pas, mais je suis en colère. Depuis quelques heures, c'est le cas, voire même avant. C'est peut-être la fatigue, je me trouve agressive.
Lily ne m'a pas écouté et elle a momifié mon crâne. Elle a aussi couvert mes oreilles. Laurent arrive sur ses entrefaites et se colle à moi.
— Bonne nuit tout le monde, déclare Martin.
Les réponses fusent d'un peu partout de façon désordonnée. Nous sommes sept de part et d'autre, serrés, car techniquement il n'y a que dix places au total. Les pieds de ceux d'en face sont gelés pour la plupart. Il faut dire qu'il ne fait pas très chaud dans la pièce. Une dizaine de degrés tout au plus. Les couvertures sont tirées de tout côté, le milieu où se rencontrent nos extrémités se retrouve vite découvert. Des grognements et des soupirs ponctuent la guerre nocturne. Il est hors de question que j'en pâtisse, alors je me réchauffe.
Laura à côté de moi se colle et ceux qui ont les pieds froids sont aimantés par ma chaleur.
— Vous voulez que je montre la température de la pièce ? dis-je.
Plusieurs oui me répondent, alors j'essaie de ne pas trop surchauffés non plus, sinon nous pouvons tout aussi vite crever de chaud.
J'ai enfin plus d'espace et c'est moi qui me colle à Laurent.
Par habitude nous nous levons tôt. Mais sans le son strident et la lumière crue. Un bonheur ! Les douleurs par contre, sont bien là. Je suis moulue.
Nous terminons les céréales et patientons toute la journée dans la pièce aveugle, nous voulons évités d'être surpris. Pour ma part, ça ne me gêne pas, car je passe les heures du jour à dormir et je suis loin d'être la seule. Les bavardages ne me dérangent pas non plus. C'est plutôt le contraire, c'est rassurant, je sais que les autres sont là et que je peux compter sur eux. Le bruit de la pluie s'ajoute au reste, me berçant.
Quand la nuit tombe, le temps est toujours exécrable et il est encore trop tôt pour aller fureter dans les maisons voisines. J'espère qu'aucune d'elles n'a d'alarme, sinon nous allons être dans de beaux draps. Je profite du calme et de Laurent. Je ne peux pas m'empêcher de le toucher. Je n'étais même pas sûre de le revoir quand les vieux ont quitté notre étage. Et il est là. Chaud et rassurant.
Il y a aussi Cyril dans l'autre coin de la pièce que je ne pensais pas revoir. J'avais enfin commencé à en faire mon deuil et le voilà en chair et en os. Plus sûr de lui que jamais. Et qui dirige nos pauvres carcasses dans cette fuite désespérée.
— Toi qui as toujours été si froide avec tout le monde. Je n'arrive pas à croire que tu aies pu te trouver un copain dans la situation dans laquelle vous étiez.
— Cyril ! Mais merde ! Arrête de t'imposer dans ma tête. En quoi ça te regarde de toute façon ?
— Rien... Mais je sais pas, ça m'énerve que tu aies toujours repoussé mes attentions et que lui, il lui suffit de débarquer et tu acceptes tout sans broncher.
L'échange est lunaire, je ne sais pas quoi lui répondre.
— Il y a un problème ? me demande Laurent.
Je n'ose pas lui dire. Je ne sais pas pourquoi. C'est comme si je culpabilisais. Je me contente de hausser les épaules.
Heureusement, c'est à notre tour d'aller à la douche et c'est celle de l'étage qui se libère au lieu de celle de la suite. Je ne suis pas mécontente de m'éloigner de Cyril qui ne nous a pas quitté des yeux.
Une fois seule avec Laurent, je déchante.
— Il y a un problème entre Cyril et toi ? Vous étiez ensemble ?
— Quoi ?
— Il a beaucoup d'affection pour toi. Et depuis hier soir, il ressent un peu de colère.
— C'est à lui que tu dois poser la question. Pour moi, tout va bien.
— Il n'y a jamais rien eu entre vous ?
— Puisque je te dis que non ! m'énervé-je en espérant camoufler les remous que cette question soulève en moi.
— Il y a un truc que tu ne me dis pas, insiste Laurent.
— Il me plaisait au collège, c'est tout, il s'en est aperçu à cause de son don et depuis il me fait des critiques sur mon comportement. Satisfait ?
Laurent ne répond pas, mais il demeure pensif le temps de la douche.
Le silence ne cède pas. Et pendant nos fouilles des chalets voisins, il reste avec Martin et Laura. Alors que moi j'inspecte dans mon coin avec Charlotte et Boris. J'espère que je ne l'ai pas blessé. Je me demande bien à quoi il réfléchit. Je n'ai rien dit de singulier.
Les choses s'enchaînent rapidement après ça. Nous mangeons et nous offrons quelques heures de repos dans la même chambre que la nuit précédente, sauf que cette fois-ci nous décampons avant l'aube. Nous avons réussi à remplir huit sacs d'eau et de quelques vivres. Nous ne prenons pas la peine de ranger, il y aurait trop à faire et ce constat me serre à nouveau le cœur. Je plains les propriétaires.
Cyril ouvre la marche à l'affut de toutes pensées hostiles et Laurent la ferme. En file indienne, dans les bois sur des pentes abruptes nous réussissons à garder le rythme.
Le jour se lève et la pluie cesse. Notre répit prend fin. Et c'est peu dire. À plusieurs reprises nous entendons des hélicoptères au loin, nous assistons à un grand passage de camion militaire et au fur et à mesure les recherches semblent se concentrer sur notre position.
— Fais chier, jure Cyril, alors que nous prenons une pause.
— Quoi ? demande Martin.
— Ils se rapprochent. On est cernés et toutes les routes sont bloquées.
Je suis saisie par un profond sentiment d'effroi, vite balayé par une puissante vague envoyée par Laurent. J'ai le sentiment que nous en avons tous profité.
— Gardez votre calme, déclare Cyril. On réfléchira mieux si tout le monde a la tête froide.
— Tu nous dis qu'on est coincés. Y'a plus rien à réfléchir ! Il faudrait peut-être se séparer, argumente Thomas.
Ce dernier est toujours aussi pressé de nous quitter. Les autres discutent avec moins de défaitisme, mais surtout avec le désir de franchir tout ça ensemble. L'hostilité de Thomas n'a fait que croître depuis le début. Si j'avais su, j'aurais laissé sa cellule close.
— C'est mesquin, me fait remarquer Cyril qui ne semble pas paniquer.
— C'est pas le moment de s'amuser ! m'énervé-je.
— On va leur voler un camion, déclare Cyril alors que les discussions se tarissent.
— Bah tien ! Quelle super idée. On va aller leur demander les clefs, réplique Thomas sarcastique.
Je ne dis rien, mais il n'a pas tort. Les convois comportent au minimum trois voitures et nous n'avons pas la moindre estimation du nombre de soldats qui les compose.
— C'est simple, on rend tous les véhiculent, sauf celui qu'on veut, hors d'état, on les désarme, on vire les occupants de celui qu'on veut. Et voilà.
Cyril a disjoncté pour balancer un plan aussi bancal que ça. S'il avait le même raisonnement quand nous fuyons le centre, c'est un miracle que nous soyons sains et saufs !
Je ne suis pas la seule à être dubitative et les débats s'enflamment de plus belle. Des ébauches d'idées sont abordées. Martin doit leur voler leurs armes dans la plupart, comme il l'a fait dans la cage d'escalier durant notre fuite. Moi je dois m'occuper des voitures que nous ne voulons pas, rien que ça. Personne n'a de tactique précise sur le comment je suis supposée m'y prendre. Si je les fais exploser, nous aurons l'air fin...
Des aboiements de chiens nous parviennent de derrière nous et mettent fin aux disputes. Ils semblent loin, mais c'est mauvais signe.
— Merde, jure Cyril.
— Quoi ? le pressons-nous.
— Toutes les unités viennent d'être averties que les limiers avaient unepiste, les hélicos rappliquent.
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