Chapitre 27

Les deux cumulus ne sont pas toujours pas chauds, donc personne ne s'est encore lavé. Par contre, les pâtes sont enfin cuites et tout le monde s'est jeté dessus. Aucune conserve ne résiste non plus et pour finir nous ouvrons une boîte de céréales.

— Dommage qu'on n'ait pas de lait, déclare Lily alors qu'elle semble être au septième ciel avec cette douce friandise.

Plusieurs acquiescent. Même moi je me délecte. En dehors des fruits, nous n'avions jamais rien de sucré à part une ridicule part de gâteau une fois par mois pour la fête des anniversaires. Sauf que pour ma part, celle de Cyril ou celle de Laurent, ça n'a pas eu lieu depuis des lustres.

Entre deux bouchées nous avons discuté. Certains veulent que nous passions la nuit et une journée de plus ici. Je les comprends, nous sommes tous fatigués, surtout que plusieurs sortent d'un coma. Sûrement pas trop long, mais assez pour les avoir épuisés.

Moi la première, je suis tentée par l'idée. La suite parentale au sous-sol est aveugle, nous passerions inaperçus, surtout que la météo ne semble pas s'arranger et que le garage fracturé n'est pas visible de la route. Et il faudrait en plus que quelqu'un vienne au fond du cul-de-sac. Ça ne serait pas de chance. Le seul hic, c'est que nous avions pour projet de visiter les autres maisons, car au niveau vestimentaire nous sommes loin du compte. Je ne suis pas encore allée jeter un œil. Mais il n'y a que des habits estivaux à part quelques-uns pour faire de la randonnée. Par contre, il y a beaucoup de pointures différentes et même si les chaussures sont usées jusqu'à la couenne, j'espère trouver une paire qui ira à mes pieds. C'est un vrai sasser d'os.

— Oh ! Tout le monde, je reviens du garage ! s'exclame Martin.

— Et ? dis-je, car nous ne sommes plus que trois au rez-de-chaussée, les autres furètent où se douchent.

Martin ne répond pas, mais il tient un panneau en bois d'où plusieurs clefs pendent.

— Qu'est-ce que c'est ?

— T'es miro ! m'engueule-t-il.

Je regarde mieux, mais je ne comprends pas à quoi correspond cette collection.

— C'est les clefs d'autres chalets ! s'enthousiasme-t-il.

— Sérieux ! déclare Laura.

— Ouais ! Si on est là demain soir, on va pouvoir les fouiller et peut-être qu'on sera moins pouilleux.

— On n'a pas encore décidé si on restait, lui fait remarquer Laurent. De plus, ici il n'y a plus que les céréales. Je ne suis pas sûr que ce soit judicieux d'attendre d'avoir à nouveau faim.

Martin hausse les épaules et part annoncer la nouvelle aux autres.

Je choisis de monter aussi, pour voir ce qui reste comme fringue pour qu'après mon décrassage. J'ai hâte d'être enfin propre !

Le niveau où j'arrive est tout en bois comme le premier. Une essence chaude, cocooning. Il y a quatre pièces à cet étage. Une salle de bain avec double vasque et trois chambres de taille respectable. Les habits ont tous été réunis dans une et sommairement triés. Je déambule, soulevant un peu tout et n'importe quoi. Je me focalise sur les chaussettes. Je n'ai pas froid, mais j'aime quand elles sont douillettes.

Je n'ai pas trouvé mon bonheur que Laurent, Laura, Julien et Boris débarquent. Ils font tomber tous les habits présents sur la couche au sol, retirent le tissu blanc qui protège les draps — comme il y en a sur chaque meuble partout dans la maison. Ils jettent le linge de lit et les coussins sur le parquet, s'emparent du matelas et descendent.

Personne ne m'a rien expliqué, j'ai le sentiment d'avoir raté quelque chose. Mais j'imagine que si c'était important, ils me l'auraient dit.

Pour pouvoir mieux présenter les habits et continuer ma recherche, je pousse le sommier dans un coin de la pièce, ainsi que les tables de chevet. J'étends correctement le tissu de protection et j'entreprends de trier les vêtements par catégories et tailles. J'ai une chance folle, nous sommes tombés sur les seules personnes qui ne coupent pas les étiquettes.

— Je peux t'aider ? me propose Charlotte dont les cheveux blonds gouttent jusqu'au sol.

— Ouais avec plaisir.

Nous sommes efficaces, il faut avouer que nous ne nous embarrassons pas à plier.

— Dana ?

— Oui ?

— Tu crois qu'on va s'en sortir ?

— Franchement, avant qu'on arrive ici, j'avais un doute, mais là, je me dis que c'est bien parti. Cyril doit avoir une idée. Je sais pas, peut-être qu'il nous suffirait de fuir loin d'ici et de trouver la police.

— Tu penses pas qu'ils nous renverraient là-bas ?

— J'en sais rien. Mais les gens ne peuvent pas cautionner qu'on soit traité comme on l'est, c'est pas possible !

— Peut-être. En tout cas, merci. J'en pouvais plus de ne rien comprendre. Ils faisaient que me marteler que j'étais trop fragile pour m'expliquer, alors que je me sentais bien ! Ces connards, jamais ils ne nous ont dit que certains survivaient. Ça me fout dans une colère pas possible ! s'énerve-t-elle. Il y a quelques jours j'étais en court, puis cette maudite fièvre. Bordel ! Mais c'est l'enfer.

J'assiste, médusée à la manifestation d'un don. Une énorme boule de feu apparait en une sphère parfaite autour de Charlotte et explose, m'envoyant valser à l'autre bout de la pièce.

Je cogne durement un peu partout et Charlotte hurle. Mes oreilles bourdonnent et pourtant son cri parvient à passer outre. Elle est paniquée. Quant à moi, j'ai l'impression que j'accumule la malchance. J'essaie de me lever, mais ma main glisse sur du sang. Mon sang ! Je comprends à peine que je suis allongée et pas assise comme je le pensais. Et que c'est de ma tête que fuit l'hémoglobine.

Putain !

— Dana !

Je ne sais pas qui m'appelle, tout tourne. Pourtant, passé le moment du choc, je ne souffre plus vraiment.

Merde !

Laurent me redresse, j'ai l'impression qu'il vient de se matérialiser devant moi. Ses lèvres bougent, mais je n'entends rien, malgré tout je répète plusieurs fois que je vais bien.

Lily dont des bulles de shampoing couvrent toujours ses cheveux arrive en courant seulement vêtue d'une serviette. Sa bouche aussi est en mouvement, mais mes oreilles sifflent trop fort, je n'entends rien. J'espère ne pas devenir sourde.

Elle applique ses mains sur mon crâne et une douleur vive me prend.

— Stop ! hurlé-je. Stop ! Stop.

Elle arrête, me regarde et me parle.

— Je vous entends pas, j'ai les oreilles qui bourdonnent.

Elle te dit de rester tranquille, qu'elle va arrêter le saignement. Tu as un trou sur la peau du crâne, on voit ton os, mais il ne semble pas cassé.

Putain, ne me dis pas ça. C'est dégueulasse. Je vais tourner de l'œil !

Là elle te dit qu'elle peut essayer de s'occuper de tes oreilles d'abord, m'explique Cyril qui sert d'intermédiaire. Mais vu comme ta tête saigne, tu devrais la laisser commencer par là.

Docile, j'accepte.

Là elle te dit qu'elle va être obligée de puiser chez toi pour guérir la blessure et que ça va faire mal. Mais ne t'inquiète pas, Laurent et moi on veut essayer un truc.

Bordel, mais je veux pas être le cobaye de trois dons en même temps !

Qu'est-ce que tu jures quand tu as mal, s'amuse-t-il.

Laisse-moi te frapper les couilles, on va voir si tu restes stoïque.

Sans m'avertir, Laurent me dope avec un bien-être un peu trop intense. Enfin, peut-être qu'il m'a averti, mais je n'entends rien. Je sens aussi la présence de Cyril, écrasante, là où d'habitude je ne le sens pas. Il me touche lui aussi. J'ai des mains posées un peu partout, heureusement que je ne suis pas réfractaire au contact humain !

Lily recommence sa tâche. Ma peau chauffe, elle tire, mais je sens beaucoup moins la douleur. Seulement, une immense fatigue.

C'est normal que tu te sentes fatiguée, ton corps consomme en quelques minutes ce qu'il aurait mis des jours ou des semaines à utiliser pour cette plaie. Je ne fais que te dire ce qu'explique Lily.

Mon crâne semble être bien, je ne sens plus de liquide poisseux le dévaler. Les mains de Lily sont rouges de mon fluide vital, malgré tout elle les applique sur mes oreilles. J'espère que l'explosion ne les a pas abîmées définitivement, ce n'est pas le bon moment pour devenir sourdre et apprendre à vivre avec, bien que je ne pense pas qu'il y ait un moment idéal pour ça. Là aussi les garçons ne me lâchent pas et je n'éprouve presque rien. Mais est-ce que c'est eux qui souffrent du coup ?

C'est supportable, ne t'inquiète pas. C'est moi qui détourne ce que tu ressens, Lily en est capable aussi, mais elle ne parvient pas à faire tout à la fois. Nos multiples bobos auront eu le bon côté de lui permettre d'essayer des choses. Elle devient de plus en plus rapide.

Ouais... Mais si les plaies par balle ou les explosions ça pouvait arriver à quelqu'un d'autre, ça m'arrangerait ! Tu crois que quelqu'un a entendu ?

Possible, mais il y a de l'orage de nouveau cette nuit. En tout cas pour le moment, personne n'approche.

— Voilà, j'ai fini, s'enthousiasme Lily. Tu entends ?

— Oui, c'est un peu étouffé, mais j'entends à nouveau.

— C'est bien, je ne peux pas faire plus. Les petites plaies, j'arrive à les faire disparaître, mais pas les gros dégâts. C'est comme si j'avais lancé un processus qui devait se finir seul, je crois.

Je garde pour moi que ce n'est pas très engageant quelqu'un qui te soigne et qui n'a pas l'air de savoir ce qu'il te fait.

— Merci.

Je me relève et cache que j'ai mal partout. Mais je remarque une œillade de Cyril, bien évidemment à lui, impossible de lui cacher quoi que ce soit. Je le menace de le frapper s'il l'ouvre et ça semble marcher. Je vais me laver rapidement les mains avant de revenir dans la pièce.

— Les fringues n'ont pas cramé ! m'enthousiasmé-je.

— C'est parce que l'espèce d'explosion a été très courte. Charlotte n'est même pas capable de nous certifier que c'était une explosion, m'explique Martin.

— C'était entre la boule de feu et l'explosion. On verra bien plus tard, il faut qu'elle apprenne à modérer ses émotions. Mais Laurent est là, ça devrait aller.

— Je suis tellement désolée, Dana. Mon Dieu ! J'aurais pu te tuer, s'excuse Charlotte les larmes aux yeux.

— Tu ne l'as pas fait exprès. Je sais comment ça arrive la première fois, ça te submerge comme une montée de rage et ça sort. Moi j'ai gelé l'eau de ma douche la première fois. Si quelqu'un avait été à côté de moi, j'aurais pu le tuer, mais ça ne se maîtrise pas. Ça va aller, lui souris-je. Puis il faut bien que Lily s'entraîne.

Tout le monde reprend ses activités et moi j'aide à nettoyer sommairement le sol. Sauf que le bois a pompé mon sang et il devenu marron.

— Quand les propriétaires vont revenir, ils ne vont rien comprendre, s'amuse Laura.

Je m'en veux un peu de piller les biens des gens de la sorte. Ce n'est pas moi. Jamais je n'aurais cru voler ou saccager une baraque, qu'elle m'appartienne ou non. J'espère qu'ils ne seront pas traumatisés.

J'essaie de ne pas trop y penser, c'est une question de vie ou de mort, nous n'avons pas décidé ce qui nous arrive. Personne ne peut nous en vouloir de tenter de survivre avec les moyens que nous trouvons.

J'ai enfin déniché mon bonheur pour la nuit quand Laurent arrive :

— Tu viens te doucher ?

— Tu te choisis pas des habits d'abord ?

— J'irais en sortant.

J'acquiesce, s'il a envie de se promener à poil ou en serviette devant tout le monde c'est son problème.


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