Chapitre 22

Les promesses s'épuisent vite face à la réalité. Le chef ne m'a plus vraiment en grippe, il a les nouveaux pour ça, mais je ne peux pas dépasser les capacités de mon organisme. Il est exténué. Et je ne serais jamais aussi souple ou aussi endurante que d'autres.

Je suis rapide à tous les niveaux : avec mes dons, en esquive, pour cribler une cible de balles, pour exécuter certains enchaînements. Mais je n'ai pas la force qu'ont certains mecs ou l'agilité d'autres. Je perds mes duels parfois et ça me fout en rogne contre moi-même.

C'est la seule chose qui n'a pas changé ces deux dernières semaines. Je suis habitée par une colère proche de la haine contre tout, contre la vie en général. C'est mon moteur. Le seul et l'unique.

Je ne parle à personne en dehors des entraînements. Je mange seule à l'ancienne table des vieux. Je lis en salle de repos et j'aiguise mon double don en secret. Ce n'est pas bien différent d'avant, mais l'absence des autres change tout.

Dans l'immense cage d'escalier, en dessous de nous, il m'a semblé entendre un grand nombre de pas cadencés une fois quand nous retournions à notre étage. Je me suis penchée et je n'ai rien vu. Je perds peut-être la raison. Entre mes rêves qui virent en cauchemar quand le souvenir de Cyril s'y invite et le fait que je tienne toujours la promesse prononcée face à ce cette hallucination, je deviens peut-être folle.

Mais qu'importe. Je ne survivrais pas sans tout ça.

Demain c'est relâche, je suis sur les rotules et je ne suis pas la seule. Il n'y a pas de gros débordements et personne ne court pour descendre les cinq étages qui nous séparent de notre dortoir. Sauf que cette fois-ci, venant d'au-dessus de nous, le martèlement de dizaines de rangers nous interpelle. Les gardes nous demandent d'accélérer. Mais nous avons tous entendu et levons la tête vers le groupe qui arrive sur nous.

Mon cœur a accéléré, j'espère voir Laurent débouler.

Un soldat me bouscule, je manque tomber. Les autres se sont disciplinés et ont accéléré. Moi je reste accrochée à la rambarde les yeux levés.

— Dernière fois Cinquante-six ! Soit tu avances, soit tu passes la nuit en isolement.

Je descends une marche, la peur guidant mes pas. Ils ne sont plus très loin, peut-être que je les apercevrais. Cependant, impossible pour moi de me résoudre à finir toute une nuit dans l'alvéole.

— Plus vite, hurle le soldat qui m'a menacé plus tôt.

Je sursaute et tombe.

J'amortis la chute avec mon bras et évite à ma tête de percuter les angles en acier. Et c'est en glissant que je parviens au palier du dessous. J'ai mal. J'ai déchiré mes habits et je me suis râpée la peau.

— Debout !

Il reste encore un étage à franchir pour arriver à notre dortoir et le troupeau qui descend est juste au-dessus.

Je me relève et feints une boiterie. Le garde, énervé, me bouscule.

— Demain, tu auras droit à l'isolement ! Je vais rapporter ton comportement au chef.

Ma gorge se noue, mais j'aurais eu ce que je voulais. Le militaire me plaque contre le mur alors que nos anciens camarades passent à une allure harmonisée. Sauf qu'il manque Laurent.

— Camille où est Laurent ? demandé-je sans réfléchir.

Le sourire arrogant qui étire ses lèvres me broie le cœur.

Je regarde Théo, Zelda, Quentin et Malou. Ils font la moue et Quentin secoue la tête comme pour dire non.

Un trou béant me perce la poitrine. Il est mort ? C'est ce que leurs visages veulent dire.

C'est la perte de trop, mes jambes se dérobent sous mon poids.

L'un des trois chefs qui accompagnaient le groupe s'arrête et me relève par la gorge en demandant au garde avec moi ce qui m'arrive.

— Elle cherchait Cinq.

— C'est un traitre, il est en réhabilitation ! Tu sembles suivre son chemin ! Tu devrais être dans votre dortoir !

J'inspire à nouveau. Il est vivant ! Mais simplement le mot « réhabilitation » me donne froid dans le dos. Peut-être qu'il vaudrait mieux pour lui qu'ils l'aient tué.

— Oui, chef. Je suis tombée, dis-je par automatisme alors que mon cerveau tourne à toute allure.

— Elle a appelé un des soldats par son prénom ainsi que Cinq, balance le garde.

— Je vois ! Ça fait beaucoup de désobéissance d'un coup. Je pense qu'une petite nuit en isolement va lui remettre les idées en place.

— Non, dis-je en couinant.

— Tu ne semblais pas pressée de retrouver ta chambre. Tu y mettras plus d'entrain la prochaine fois, jubile-t-il.

— Non, répondis-je à nouveau, mais avec colère.

Je suis à bout. Ça suffit ! Je perds le contrôle de mes émotions et l'air autour de moi se refroidit. La main qui me retenait toujours par la gorge me lâche.

— Tu veux jouer à ça ! cri-t-il. On va jouer.

Il actionne quelque chose à sa ceinture, mais je m'en fiche.

— Où est Laurent ? demandé-je.

— Oh ne t'inquiète pas, tu vas le rejoindre.

Le garde et le chef s'éloignent de plus en plus. Le froid se repend en nappes autour de moi, toujours plus loin. L'air s'alourdit, des sortes de nuages de brume courent au sol et dégringolent les étages. J'avance vers les militaires.

— Où vous l'avez enfermé ?

Les canalisations apparentes émettent des bruits étranges. Certaines cassent sous l'extension de l'eau qui devient glace.

Personne ne me répond, mais je vois bien qu'ils commencent à être terrifiés.

Du personnel médical rapplique. L'un d'eux a un fusil et il me tire dessus de l'étage qui me surplombe.

L'aiguille perce la peau de ma cuisse, ce n'est pas agréable. C'est une seringue hypodermique. Je préfère ça qu'une vraie balle.

Très peu de produit a eu le temps de se diffuser, il avait commencé à geler avant même d'être propulsé.

Je comprends que c'est un sédatif et décide de jouer le jeu. Mollement, je me l'arrache, le brise et je fais mine de tomber à genoux, puis je m'étale au sol.

J'espère que c'est crédible.

— Beau travail. Amenez-là au niveau moins trente avec les deux autres. Elle voulait retrouver Cinq, elle va subir le même traitement que lui. J'ai toujours su qu'elle était de la mauvaise graine.

Deux ? Qui est le second ?

Ils mettent un peu de temps à me ramasser. Ils sont allés s'équiper en conséquence pour ne pas perdre un membre en me soulevant par les aisselles.

Mes pieds traînent au sol, mais je reste impassible, alors que c'est loin d'être agréable.

Ils ne sont que quatre à m'escorter. Hors de question que je les laisse m'enfermer. Plutôt crever. Mais j'attends d'avoir pénétré le niveau moins trente pour agir.

Le sas s'ouvre. Puis se ferme.

— Il gêle ! s'exclame un des gardes de la porte.

— Oui, c'est elle.

— Mais elle est sonnée, son don ne devrait plus être actif, non ?

— C'est ce qui arrive avec la majorité des enfants, mais chez elle, ça n'a jamais été le cas. On présume que c'est un mécanisme d'autodéfense de son organisme.

Je n'avais pas pensé à arrêter ma capacité, mais je viens de comprendre mon avantage. Je me concentre pour chauffer mon oreille où se trouve le mouchard, ils ne le verront pas. L'appareil est déjà très chaud, ils vont peut-être croire que c'est l'action de mon don défensif. Il faut que je dose assez pour le griller sans le faire fondre au point qu'il tombe au sol.

Je pense avoir réussi. Il était temps, car ils s'arrêtent devant une porte blindée, comme celle de ma cellule quand je me suis réveillée dans le complexe. Peut-être que j'étais déjà à cet étage. Je tourne légèrement la tête et remarque d'autres pièces identiques.

— Déverrouille, demande l'un de ceux qui me portent au militaire armé près de la cellule.

Si je n'agis pas maintenant, c'est peut-être fini, ou alors je mise sur ma capacité à faire fondre le métal de la porte, sauf qu'ils me verront et ils ont peut-être muni la ventilation d'un système gazeux pour endormir leurs sujets récalcitrants. J'ai peut-être regardé trop de films. Mais dans le doute, je ne préfère pas prendre le risque.

Je colle des coups de coude aux deux qui me retiennent. Ils sont tellement étonnés qu'ils me libèrent. J'en profite et saute sur le garde. Il n'est pas prêt à dégainer, c'est ma chance. Avec une main je frappe à sa mâchoire et avec la seconde dans sa trachée en un enchaînement rapide. Il se tient la gorge et peine à respirer. J'espère avoir frappé assez fort, car je dois m'occuper des quatre autres personnes. Ils ont tous des gants énormes, la seule arme qu'ils peuvent utiliser c'est leur bâton. Je ne l'avais même pas remarqué avant qu'ils ne le sortent, comme je n'avais pas remarqué la petite arme d'appoint dans leur dos ! Heureusement, sinon je n'aurais peut-être pas osé me libérer. J'esquive deux coups, mais subit les deux suivants. Je saisis deux des armes et concentre ma capacité de chaleur dans mes paumes.

Les autres me frappent, l'un à l'arcade — le sang a commencé à perler avant de geler—, l'autre au bas des reins, me faisant tomber à genoux. Je suis un peu sonnée, mais une paire de bâtons est inutilisables, j'arrive à en saisir un troisième tout en esquivant le dernier.

— Putain ! Personne ne nous a avertis qu'elle était capable de faire ça ! panique l'un d'eux en reculant.

Je me baisse une nouvelle fois contre l'attaque du seul qui a les moyens de m'assaillir, ses collègues sont autour, mais ils ont peur.

— Ouvrez les cellules des deux prisonniers où je vous fais tous rôtir, hurlé-je au visage du quatrième en le saisissant par le col.

Mes doigts à l'intérieur de son espèce de doudoune frôlent sa peau qui rougit, alors que la matière synthétique fond un peu. J'essaie de me maîtriser pour ne pas exsuder cette chaleur par tous mes pores, car sinon mes habits pourraient prendre feu !

L'homme tremble et urine.

Le garde commence à se relever et les trois autres comprennent qu'ils doivent partir chercher de l'aide, je le vois à leur manie de regarder vers là d'où nous venons.

Je bouscule violemment celui que je tenais pour l'envoyer dans la pièce où ils allaient me jeter. Juste à temps pour intercepter le soldat qui parvient néanmoins à me flanquer un coup, mais il n'a pas complètement récupéré et j'arrive à le faire valser dans ma cellule aussi. Je me baisse promptement sur la carte magnétique qu'il a laissé échapper lors de mon tout premier assaut et ferme le blindage. Plus que trois et je dois faire vite, qui sait si des gens ne regardent pas les moniteurs qui surveillent la pièce.

L'un des mecs qui reste, reprend ses esprits et ce mets à courir, je ramasse une matraque fondue et lui lance en pleine tête. Je fais mouche et il s'étale.

— Le prochain qui se barre, je le bute ! Et je ne plaisante pas.

Je saisis l'arme dans le holster de celui qui est le plus proche, enlève la sécurité et les pointes.

— Où sont les deux autres ?

L'un des trois lève un doigt tremblant et malgré le gros moufle je comprends qu'il me montre la cellule voisine de la mienne. Elle n'a pas de vitre, je me méfie. Sans quitter des yeux mes trois prisonniers, je passe la carte dans le lecteur. La porte s'ouvre.

Dana ! Tu es exceptionnelle.

Stupéfaite, je tourne la tête vers la personne qui franchit le seuil.

Cyril.

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