Chapitre 2

Mon corps est moulu. Je grogne, me retourne et manque tomber de la couchette sur laquelle je suis allongée.

Mes yeux papillonnent. Je ne reconnais pas la pièce. Elle est vide, blanche. La paillasse que j'occupe est à quinze centimètres du béton. Dans l'autre coin, il y a un petit panneau tactile.

En regardant mieux, je comprends qu'il actionne la douche dont le pommeau est dissimulé dans le mur. Il sert aussi de toilette à la turque en faisant coulisser la partie au sol. L'horreur !

Au travers du hublot de la porte, j'aperçois quelqu'un. Je me redresse promptement. Mais mon corps est épuisé et je tombe de tout mon long sur le sol en grognant. La fine blouse d'hôpital n'a pas amorti la chute et je sens mon dos exposé au courant d'air.

Un bruit grésille dans les haut-parleurs alors que je redresse péniblement la tête.

— Dana, tu es en sécurité. Tu as fait une poussée de fièvre. Par miracle, elle est sous contrôle. Tu es trop affaiblie pour que nous puissions te laisser sortir d'ici. Tu as une sonnette près de la porte. Au moindre problème, sensation ou chose anormale, tu dois nous prévenir. Ta santé est encore très fragile. Tu comprends ?

— Oui.

Ma voix est blanche, je suis assommée, j'ai répondu par automatisme.

— Ne t'inquiète pas, nous sommes persuadés que nous trouverons un moyen de te soigner tout à fait. Peut-être que, grâce à toi, tous les autres pourront être guéris aussi. Je te laisse te reposer. Les repas seront apportés à heures fixes dans le passe-plat sécurité de ta porte. Dors.

J'obéis en rampant jusqu'à ma couchette. Mes muscles me semblent tout mous. Étendue sous cette lumière crue, mon esprit vagabonde vers les autres. Il y a peut-être un espoir... Ce serait tellement bien de quitter cet endroit. Et en plus, grâce à moi. Ça valait peut-être la peine de revivre la fournaise. Cette fois, elle a été moins accablante que la première. Peut-être parce que ma fièvre est montée plus haut, au point d'avoir des hallucinations plus fortes ou l'inverse. Comment savoir ? Quoi qu'il en soit, cette voix bienveillante et familière m'a aidée. Elle avait un ton bas, rassurant malgré l'empressement qui l'habitait.

Perdue dans les réminiscences de ces instants, je m'assoupis.

Curieusement, en me réveillant, je me sens nettement mieux. Je me retiens de justesse de sauter du lit avec énergie, car l'avertissement de la voix de mon hallucination me revient en mémoire. Me voilà qui deviens paranoïaque. Il ne manquait plus que cet aspect à ma vie. Je ne sais pas quel choix serait le plus stupide : jouer la prudence et obéir à une illusion, ou ne pas en tenir compte.

Je reste un moment les pieds ancrés au sol à retourner le problème dans ma tête. J'ai rêvé de la personne à qui appartient ce timbre bas et vibrant qui m'a aidé à tenir quand j'étais dans les choux. Je n'ai pas vu son visage, mais l'individu n'est pas un étranger. C'était un homme, c'est ma seule certitude.

J'aimerais pouvoir parler à quelqu'un. À Vince notamment. Il a toujours été si sage, à faire plus vieux que la plupart d'entre nous. Lui saurait me conseiller. Avant, c'était à Camille que je me confiais le plus, mais elle n'est plus là. Si j'étais retombée malade avant elle, peut-être que les évènements auraient pu être différent. Est-ce que les médecins ont annoncé aux autres que je n'étais pas encore morte ? Ils ne nous ont jamais avertis de celle de nos camarades. Ils venaient simplement chercher leurs affaires et certains nous lâchaient quelques murmures de condoléances. La poigne autour de ma gorge m'étreint avec force, empêchant ma salive de descendre. Pour diminuer la puissance de l'étau qui m'étouffe, j'essaie de penser aux vivants. Mais ce n'est guère mieux. Ilya et Vince doivent m'imaginer perdue... Est-ce qu'ils font ce qu'on a toujours fait ? C'est-à-dire prétendre oublier ceux qui disparaissent pour ne pas trop souffrir ?

Je réalise égoïstement que cette idée me vexe et que ça me blesse de les croire sans chagrin de m'avoir perdue. C'est bien ma veine ! Suivre les conseils d'une voix dans ma tête et me fâcher contre mes amis qui ont sûrement de la peine, même s'ils ne la montrent pas.

Après une énième hésitation, je décide de me lever prudemment. Je m'étire. Tout semble en ordre, voilà un bon point. Il y a un pansement sur ma main, ils m'ont certainement perfusé, je suis contente qu'ils ne me l'aient pas laissé, un autre côté positif. Les explosions dans mon rêve étaient peut-être les décharges électriques pour relancer mon cœur comme la première fois. Mais maintenant tout va bien, me voilà rassérénée. Je suis toujours un peu confuse et un peu inquiète, même si j'essaie de ne pas y penser.

— Bonjour, Dana, grésille le haut-parleur, mais cette fois, je n'aperçois personne derrière le hublot. Comment te sens-tu ?

— Ça va, dis-je d'une voix égale, sur mes gardes.

— Tu as chaud ? Froid ? Mal quelque part ? C'est important.

— Non, je vais bien.

— Je t'ai vu regarder tes mains et mettre du temps à te lever. Tu as de drôles de sensations aux extrémités ?

— Non, je vous assure, répliqué-je un peu irritée par son insistance.

— Bien. Le docteur Elias va passer te voir sous peu pour t'ausculter.

La seule chose que j'ai retenue de cet échange horripilant, c'est qu'ils me regardaient. Même si j'en étais persuadée. Qu'ils le déclarent sans même s'excuser pour mon intimité me met un peu en colère. Il est déjà loin le soulagement d'avoir survécu et de peut-être aider à la guérison des autres. Je ne supporte pas d'être prisonnière et à leur merci. Je regarde d'un mauvais œil la caméra à l'angle de la pièce, les mâchoires crispées, j'essaie de contenir mes émotions qui bouillonnent. Il va me falloir m'occuper pour ne pas y penser. Ma vie ne se résume qu'à ça, toujours lutter contre elles, pour ne pas qu'elles me bouffent.

La distraction arrive vite, il me faut aller aux toilettes. Tendue, je prends sur moi pour ne pas montrer que je suis affectée à l'idée qu'ils violent mon intimité de la sorte. Je bidouille un moment les boutons pour comprendre le fonctionnement de la commande et finis par me soulager. C'est peu après que le docteur arrive. Il porte un masque et des gants, son visage m'est vaguement familier avec sa tignasse poivre et sel et ses grands yeux noirs. Et je suis heureuse de ne pas le voir en tenue complète. C'est rassurant sur mon état.

— Bonjour, Dana, installe-toi.

J'obéis docilement et m'assieds sur la couchette alors qu'il se pose à genoux au sol. Il a des difficultés à m'ausculter à cause de sa position et tente de me détendre :

— Si on avait un peu réfléchi, on aurait mis un lit amovible sur des rails. Il est si bas pour éviter de grave chute, se sent-il obligé d'expliquer.

— Vous y penserez pour les prochaines fois, souris-je.

— Tu as raison, il faut être optimiste. Ton cœur bat bien, ta tension est parfaite, ton souffle régulier et sans anomalie. C'est bien. J'ai vu les différentes analyses avant de venir, tout était en ordre.

— Je vais pouvoir retourner avec les autres ?

Les yeux du docteur Elias se plissent et je devine qu'il affiche un sourire couplé à une grimace compatissante.

— Tout doux, demoiselle. Malheureusement, non. Il nous faut comprendre pourquoi ton corps a été aussi résistant. On a lancé tout un tas de tests sur tes prélèvements pour vérifier la concentration du virus et son génome. Peut-être a-t-il muté ? Nous n'en savons rien pour le moment. Tu es restée inconsciente une paire de jours après qu'on ait fait baisser ta fièvre et on ne comprend pas pourquoi.

J'ai la drôle de sensation qu'il n'est pas très franc. C'est peut-être dû au fait qu'il ne me fixe plus. Mais j'imagine qu'il ne veut pas m'inquiéter et je n'ai pas le courage de creuser. Je m'étais voilé la face, je n'ai pas envie de mourir. Vraiment pas. Avant ma rechute, je n'y croyais pas vraiment, c'était abstrait, je me sentais en pleine forme. Et comme pour tout ce qui augmente la pression contre ma trachée, j'avais tout caché sous le tapis. Toutefois, maintenant que c'est arrivé, que je suis ici, scrutée d'encore plus près qu'avant, je réalise que même si toutes ces ingérences dans ma vie me déplaisent, je me tais parce que je ne veux pas crever.

— Tout va bien ? Si tu as des questions, n'hésite pas, dit-il en attrapant mes mains pour plier et déplier les articulations.

— Qu'est-ce que vous faites ? demandé-je avec brusquerie.

— Tu as eu l'air d'avoir une gêne en te levant, c'est ce qui était noté sur ta fiche. Je vérifie que tout semble en ordre, tu aurais pu te blesser en tombant.

— Arrêtez, s'il vous plaît, je vous ai dit que ça allait ! Et tant que j'y pense, j'aimerais récupérer des habits plus... conventionnels, si c'est possible. Votre chemise d'hôpital me gêne.

Il me libère et me fait un sourire contrit – que je devine aux plis autour de ses yeux – en refusant ma demande. Ce ne serait pas raisonnable pour ma sécurité d'après lui. Je suis obligée de prendre encore sur moi.

— Si tu as d'autres réclamations ou la moindre chose qui ne va pas, tu sonnes. On est d'accord ?

— Oui, répliqué-je un peu exaspérée.

Le médecin toque à la vitre pour qu'on le libère, il n'y a aucune poignée ici. En plus, la porte semble lourde quand le garde l'ouvre. Je reste stupéfaite devant les habits militaires de la personne derrière, mais je n'ai pas le temps de m'appesantir sur cette découverte qu'une adjuration dans ma tête me perturbe.

Dana ! Dana ! Dana !

Je ne réponds pas de suite tellement la litanie me déconcerte. Pourquoi quelqu'un voudrait à tout prix me parler ? Ou plutôt, pourquoi mon cerveau m'appelle-t-il ? Je décide d'interrompre cette prière implorante :

Qui est-ce ?

— Tu m'entends, il fa...

Le signal sonore du verrouillage de ma cellule sonne aussi la fin de mon échange mental. Frustrée, je regarde d'un œil mauvais l'énorme barrage blindé par lequel j'ai aperçu une personne armée. Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

Étourdie, je m'assieds sur ma paillasse et finis par couvrir mon visagede mes mains pour réfléchir. Je suis perdue.

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