Chapitre 15
Je suis agitée. Je tourne et retourne dans mon lit. Mille questions tourbillonnent dans ma tête. Et la grande majorité concerne Laurent. Je ne comprends pas pourquoi il a été si gentil. Ni pourquoi il ne semble pas m'en vouloir de la punition qu'il a endurée par ma faute. Ni comment réagir maintenant que je suis si transparente à ses yeux. Je n'ai aucun secret pour lui, il a accès à mes émotions et il m'a déjà vue nue. Et ça me fait flipper. Surtout qu'il me plaît. C'est ridicule, ce n'est pas l'endroit. Dans cette vie il n'y a pas d'espace pour ça. Je regrette que mon don ne soit pas comme le sien, ça me remettrait les idées en place de savoir qu'il a simplement pitié de moi. C'est la raison pour laquelle il m'aide, ma solitude doit le toucher, car il est obligé de la subir.
C'est typiquement moi. À chaque fois qu'un mec me prend en pitié, il m'attire. C'était déjà le cas au collège avec Cyril. Et je reproduis les choses ici.
J'ai besoin de me faire soigner, ce n'est pas possible ! Vieillir aurait dû arranger ma situation. Je pensais que c'était ce qui arrivait quand on murissait, qu'on devenait moins bête. Apparemment ça ne s'applique pas à moi. Plus de quatre ans sont passés et je suis toujours autant démunis fassent aux réactions de mon corps.
Je me retourne et enfouis la tête dans mon oreiller. Si j'osais, je crierais un coup. Mais ce ne serait pas très avisé. Alors je soupire. Il me faut dormir, je suis fatiguée, mon organisme est épuisé, mais mon cerveau ne semble pas vouloir abdiquer. Pourtant, j'essaie de me raisonner, si je suis trop mal en point demain je peux à nouveau me faire punir, mais rien à faire, le sommeil me fuit.
Je sursaute quand ma porte se referme, je ne l'ai pas entendu s'ouvrir. Mes yeux sont habitués à la noirceur et la DEL verte de secours éclaire la grande carrure qui se trouve en-dessous. Je crois rêver.
Son sourire tranche dans l'obscurité quand il s'avance jusqu'à mon lit pour s'y installer.
— Qu'est-ce que tu fous là ? murmuré-je. À mon arrivée tu m'as fait tout un discours sur la dangerosité de traîner dans les couloirs après le couvre-feu.
— Faites ce que je dis, pas ce que je fais.
Je me suis redressée et assise à côté de lui. Mon cœur bat à deux mille à l'heure, je me demande si ça s'entend.
— Qu'est-ce que tu fais là ? Si on se fait gauler, la prochaine fois on va passer la nuit dans leurs foutues cages !
Un pic d'angoisse m'oppresse à l'idée de tant de temps dans cet enfer.
La main de Laurent se pose sur la mienne et je me calme instantanément. C'est un peu déstabilisant. J'ai envie de me mettre en colère contre lui de me manipuler, mais je n'y parviens pas à cause de son influence. Par contre, ça n'a pas apaisé mon cœur. Je n'ai jamais eu de contact si intime avec un garçon. Je faisais des câlins à Vincent ou à Ilya, mais c'était purement amical. J'imagine que Laurent n'a pas d'arrières pensés, mais moi j'en ai. Et ça change tout.
— C'est pas cool ce que tu me fais, dis-je.
— C'est plus pour moi que pour toi, toute la journée à devoir contrôler mes émotions au milieu de toutes celles qui me percutent, c'est compliqué et le soir je n'en ai plus le courage.
— Ça ne m'explique toujours pas ta présence dans ma chambre.
— Je suis venu te dire que tu n'es pas seule. Je le sens que ça te bouffe. Camille n'est pas une belle personne, même à son arrivée elle ne l'était pas. Elle est égoïste et un peu fausse, elle se réjouit du malheur des autres. Tu n'as rien perdu. Beaucoup se laissent avoir par la vision très violente de la vie qu'ils nous entrent dans le crâne. Et ils se mettent à mépriser la faiblesse. Mais Camille était déjà comme ça.
Ses mots me touchent, mais je suis anesthésiée par sa main qui ne m'a pas quitté. Je déglutis difficilement. Il faut que je me reprenne. Il a pitié de moi, au moins j'en ai la certitude.
— Merci. Je me souviendrais de ta mise en garde et j'essaierai de ne plus te déranger avec mes émotions.
Il s'apprête à parler quand il se tourne vers le couloir et me fais signe de me taire. J'imagine que le soldat passe devant ma porte. Alors j'attends. Laurent a resserré sa main sur la mienne. Je tente de ne pas interpréter son geste. J'ai envie qu'il s'en aille sur-le-champ et qu'il ne parte jamais... Plus contradictoire, j'aurais du mal. Je ne tourne pas rond. Je devrais me concentrer sur ma fuite de cet enfer qui semble de plus en plus compromise, car je déçois nos tuteurs. Et qu'il faut être un parfait petit soldat pour intégrer leur armée, et espérer voir à nouveau la lumière du jour.
— Dana, tu es loin d'être la seule à être perturbée par notre situation, tu ne me déranges pas. J'ai simplement envie de t'aider... De plus, depuis que je t'ai touché tout à l'heure, je ressens un peu plus clairement ce que tu traverses, même quand je m'éloigne de toi...
— Tu touches tout le temps des gens quand on s'entraîne, déclaré-je sur la défensive. Je n'y suis pour rien.
— Pourquoi tu imagines que tout est de ta faute ? Je sais que c'est parce que j'ai sciemment influé tes émotions avant qu'on nous enferme. Et depuis on n'a pas arrêté de se toucher, donc je te perçois clairement. Puis, je pourrais casser le lien, mais je crois que je n'en ai pas envie...
Ma bouche s'est ouverte dans un O muet. Je le fixe tout en essayant de faire taire mes espoirs. Il va m'expliquer quelque chose de rationnel qui n'a rien à voir avec l'attirance que j'ai pour lui. Nous ne nous connaissons pas.
Certes nous nous voyons tous les jours et il a été mon binôme à quelques reprises. Mais je n'ai jamais entamé le dialogue, c'est à peine si je répondais à ses tentatives.
— Si tu avais réussi à t'endormir, je ne serais pas là. Mais moi non plus je ne parvenais pas à dormir. J'aimerais qu'on soit au moins amis.
Et voilà ! Moi et ma capacité à me faire des films venons de nous prendre une claque monumentale.
— Tu es déçue, s'étonne-t-il un peu avant de sourire. Tu t'attendais à quoi ?
Je continue à le fixer sans rien dire. Il est hors de question que je réponde à ça. Je tente d'extraire ma main de sous la sienne. Le toucher alors que je m'aperçois que j'apprécie un peu trop ce geste n'est pas bon pour le peu de santé mentale qu'il me reste.
— Hey, Dana, je ne vais pas juger ce que tu ressens. Tu es plus forte que la plupart de ceux qui sont là. Réussir à demeurer soi-même c'est le plus dur quand on nous retire même cette liberté. Pour tout te dire, nous sommes les deux seuls dans ce cas, pour le moment. Parmi nos camarades, il y a ceux qui prennent plaisir à dominer et ceux qui sont indifférents à ce qui arrive aux autres. Ils se protègent de tout en décidant que ça ne les regarde pas. Pour ma part, je n'ai pas le choix, les blessures morales de chacun je les vis, donc je suis obligé de me questionner. C'est une malédiction, surtout que j'ai conscience du mépris des soldats qui nous entraînent et de l'excitation des médecins pour ce que l'on est.
— Pourquoi tu me dis tout ça, tu crois que ma situation n'est pas déjà assez compliquée comme ça ?
S'il ne jugulait pas mes émotions, je pense que je pleurerais. Je suis à bout.
— Parce que je ne veux pas que tu changes. Je te sens baisser les bras dernièrement. J'ai pris le risque de te dévoiler que mon don a évolué alors que je le cache à tous les autres.
— Tu ne veux pas rester seul en fait...
Ma déception est immense, j'ai vraiment cru que je l'intéressais. Mais comme moi, il est bouffé par sa solitude. Il doit savoir qu'il me plaît, il va peut-être en jouer. Et malgré ce constat, sa peau chaude contre la mienne continue à me faire de l'effet... Qu'est-ce que ça révèle sur moi ?
— C'est si mal que ça de ne pas vouloir être seul ?
— Non... Tu devrais part...
Laurent me fait taire en plaquant sa main libre sur ma bouche. Le garde et ses arrivées impromptues me mettent toujours dans des situations beaucoup trop tactiles. Je ne sais même pas dans quel sens il passe, peut-être que Laurent va être coincé avec moi encore un moment si le soldat se dirige vers les premiers chiffres des chambres.
Je me dégage doucement des mains de Laurent et cette fois il me laisse faire. Je me lève et m'écarte un peu du lit.
— Tu peux parler, m'encourage-t-il. Il est loin.
— Ne te sert pas de ce que j'éprouve pour toi. C'est moche. Je comprends que la solitude te bouffe, mais... mais...
Je n'arrive pas à exprimer ce que je ressens, mes émotions libérées de l'emprise de Laurent me submergent.
Il s'est relevé et me domine de toute sa taille. Sa paume chaude se pose contre ma joue et le tourbillon se calme. Je suis faible, car je reste au contact et je ne bronche pas quand sa seconde main termine de prendre mon visage en coupe.
Il se penche à ma rencontre et par réflexe je recule jusqu'à mon casier. Il ne m'a pas libéré, sans pour autant m'oppresser. Il est simplement là. C'est sa solitude qui parle, il ne faut pas que je me fasse avoir.
— Je ne voulais pas te brusquer. Ton amitié me suffira. De toute façon, espérer développer plus dans cet endroit, c'est se voiler la face. Désolé, si je t'ai forcé la main. Je pensais qu'on était sur la même longueur d'onde.
— Je ne veux pas être un bouche trou. Ni pour ton amitié et encore moins pour... voilà.
— J'ai dû mal m'exprimer si tu penses que c'est par défaut que je suis là. Tu es quelqu'un de bien Dana. Tu te renfermes, mais ça te détruit. Je suis là et sache que ton mal-être ne me laisse pas indifférent, mais ce n'est pas pour ça que je t'apprécie. Tu es forte, je veux simplement t'aider à l'être davantage. Ce ne sont pas des mots en l'air et je ne dis pas ça pour te coller dans mon lit où je ne sais pas quoi. Tu m'attires, mais c'est autre chose. Et ce n'est pas le lieu...Dans une autre vie peut-être.
Ma mâchoire a failli se décrocher et mes yeux sortir de leur orbite. Je dois être en train de rêver. Je souhaite vainement qu'il ne sente pas trop intensément le plaisir que ses mots ont provoqué. C'est vrai que notre situation ne s'y prête pas, mais j'ai peu d'espoir de sortir de ce trou rapidement et je n'en échapperai peut-être jamais. Et juste une fois, profiter que l'attirance que j'éprouve pour quelqu'un soit réciproque, ce ne serait pas un mal. Juste pour savoir ce que ça fait.
Une exception.
J'aimerais qu'il tente de m'embrasser à nouveau, même si ce n'était clairement pas l'idée que je me faisais de mon premier baiser. Cependant, j'imagine qu'attendre le moment parfait n'est pas pour moi. Et il faut que je m'avoue que je pensais qu'il n'arriverait jamais. L'un dans l'autre, c'est mieux que rien.
Mais je l'ai peut-être trop refroidi. Je suis horrifiée, ma bêtise me perdra. J'ai peut-être tout foutu en l'air.
— Qu'est-ce qui te tracasse, murmure-t-il.
Une de ses mains à quitter le haut de mon cou et s'est posé sur ma taille.
— Je... C'est vrai que notre situation n'est pas terrible. Mais quitte à prendre le risque cette nuit...
Ce n'est pas lui qui avance vers moi, mais l'inverse. Je me mets sur la pointe des pieds et approche mon visage du sien.
Je suis en apnée, mon ventre est serré et une énorme boule obstrue ma gorge. Je crois qu'il ne modère plus du tout ce que je ressens, car si c'est le cas, ça veut dire que sans lui je serais morte de trac, littéralement !
Je n'ose pas franchir les derniers centimètres. S'il me met un vent, je vais mourir de honte à l'instant.
Heureusement, ce n'est pas le cas et la chaleur de ses lèvres qui recouvrent les miennes fait taire mes angoisses. Elles se pressent tout comme son corps contre le mien. J'ai le sentiment que mon estomac est léger et qu'il fourmille. C'est fabuleux et grisant.
Je me laisse aller sans plus me poser de questions, même quand il présente sa langue timidement, je réponds de la même façon. Il joue et caresse la mienne. J'ai le souffle court et les rares moments où nous nous décollons je reprends profondément ma respiration avant de me perdre davantage dans la sensualité de ses attentions.
Il est torse nu et je peux enfin faire courir mes doigts sur son corps qui m'a intriguée dès mon arrivé. Sa peau est chaude et douce. Ses muscles ferment me rendent toute chose. Mais pas autant que de sentir ses mains qui ne savent plus où se poser.
A regret nous finissons par nous décoller.
— Il faut que j'y aille, sinon je vais être coincé une heure supplémentaire dans ta chambre.
J'acquiesce et accueille son baiser rapide avec plaisir avant qu'il ne disparaisse par la sortie.
Je reste plantée quelques secondes à regarder la porte close avec le fantôme de ses lèvres contre les miennes. J'ai encore envie de vivre ce genre de moment avec lui. C'était une mauvaise idée de céder, j'aurais eu plus de facilité à résister sans savoir ce que je ratais.
Je suis folle. Je viens de compliquer davantage mon séjour dans cet enfer. Car si nous nous faisons choper la punition va être terrible. Sauf que j'ai beau le savoir, j'ai déjà hâte de vivre la prochaine fois.
Je suis pathétique.
Je finis néanmoins par m'allonger en pensant à lui.
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