Chapitre 4

J-151 – 4 novembre 2018

Je l'ai trouvée. Jing cliqua sur le profil de Rose d'un pouce tremblotant. Elle s'était rendue compte avoir oublié de demander son contact : alors elle avait cherché, cessé en allant dormir chez Alexandre, et repris une fois chez elle.

Désormais assise sur une chaise de sa petite cuisine grise, elle étudiait la photo de profil de Rose en balançant nerveusement des pieds. Elle devant un poulailler, tout sourire, un poussin dans les bras ; sa coupe blonde était d'autant plus courte.

Qui avait pris ce cliché ?, se demanda d'abord Jing ; puis elle se gronda, se dit que ça n'avait pas d'importance. Et pourtant, elle parcourut ses photos rongée par une crainte singulière. Elle la vit poser avec un grand brun pinte en main. Il passait son bras autour de ses épaules, nota-t-elle – elle déchanta malgré elle.

Donc elle a quelqu'un. Je ne devrais pas l'embêter... Ah, elle a noté qu'ils sont cousins ? Et ses épaules de s'alléger de suite. Suivirent une Rose accroupie devant une forêt aux côtés d'une rouquine : une amie. La petite à sa gauche, au carré teint de bleu ? Une amie. Et cet homme à la boule à zéro ? Un ami.

Rien n'indiquait qu'elle était en couple. Et pourquoi je cherche ça ?! se désespéra Jing. Pourquoi je suis soulagée ? Je serais une amie possessive et égoïste ?

Non, ou rien que la voir avec d'autres personnes la dérangerait. Ça va. Je peux lui parler normalement... Elle ouvrit leur discussion bien plus apaisée – puis bloqua telle une idiote face à leur messagerie. Je suis censée envoyer quoi... ?!

Elle se terrait derrière son écran, à l'image de quelques jours auparavant avant de contacter ce compte safe-place. Mais Rose et « lgbt_place_france » n'avaient rien à voir. Jing n'allait pas la questionner sur son étrange sentiment de frustration face au coming-out d'Aaron. Elles n'allaient pas échanger sur Alexandre, on n'allait pas lui répéter de faire attention et qu'on le trouvait étrange.

Je veux juste discuter avec une amie, même si Alexandre n'est pas d'accord. Alors gorge compressée et respiration saccadée, elle ouvrit leur discussion et tapa sur son écran d'un œil clos. Et sans attendre, elle ferma le deuxième et appuya sur « envoyer ».

L'attente qui suivit la tortura un peu plus chaque seconde. Durant sa cécité l'assaillirent de lointains grondements de voiture, cris de jeunes éméchés dans la rue et claquements de portières.

« À plus tard ! », l'assomma le timbre pincé de Rose. Le pouls de Jing s'affola pour de bon. Elle plaqua sa tête contre sa table, toute frémissante. Puis un « ding » la réveilla d'un coup. Elle se jeta sur son smartphone : son vissage s'illumina derechef.

Aujourd'hui 21:49

rose_lambert35 : Jing !! Je suis super contente ! Ça va bien, et toi ? Bien sûr qu'on peut se revoir ! Je ne trouvais pas ton compte, c'est génial, je te parle enfin sur instagram !

Qu'est-ce que que j'ai envoyé ? s'affola-t-elle derechef. Elle se pencha sur ses bêtises : un bonsoir, « comment ça va ? », « je suis désolée de te déranger ».

Moi, 21:47 : Et tu as dit « à plus tard », donc ça veut dire que tu veux me revoir ?

Jing écrasa pour de bon son front sur sa table. Du caractère, il lui fallait du caractère. Elle avait le sentiment d'en avoir gagné, en lui parlant à la machine à café. Ce n'était pas le même « caractère » qu'Alexandre tentait de lui apprendre, pas celui lui permettant de se défendre ; non, elle avait été active dans une discussion.

Ce qui n'était pas arrivé depuis bien longtemps, se rendit-elle compte, la bouche entrouverte. Même avec lui.

rose_lambert35, 21:50 : Oh, je sais ! On commence à 11h demain. Tu veux faire un truc ? Il pleut pas !

Oui. Elle commença à rédiger sa réponse, pour s'arrêter au beau milieu. Oui, ou pas. Dix heures allaient bientôt sonner. Alexandre allait la voir bouger sur Snapchat et lui poser des questions. Elle se retrouvait coincée chez elle, à devoir le prévenir pour ne pas qu'il s'inquiète.

Mais si elle lui disait qu'elle sortait à une telle heure, il allait l'accompagner. S'il voyait Rose, ça allait éclater.

Moi, 21:54 : Oui, je vais bien. Je suis désolée, je ne peux pas bouger de chez moi ce soir.

rose_lambert35, 21:54 : Mince. On va parler là, j'imagine !

Mais Alexandre pourrait lire mes textes... Et ça non plus, je ne peux pas lui dire. Comment l'empêcher de voir tout ça ? Elle étudia tout l'attirail d'Instagram, l'estomac noué. Masquer une discussion sans la supprimer, était-ce seulement possible ? Masquer une discussion. Masquer une discussion...

— Oh ! Si je la mets en restreint, débita-t-elle, ça va enlever nos messages de mon fil !

Elle prévint Rose et s'appliqua à la tâche – jusqu'à ce qu'on lui envoie d'autres messages.

rose_lambert35, 21:59 : Tu es certaine que ça va ?

lgbt_place_france, 21:59 : Hello ! Comment ça va ? Tu t'es décidée pour cette fille ?

La panique la compressa aussitôt. Elle effaça la seconde notification en deux-deux, puis étudia celle de Rose, les lèvres pincées. « Tu es certaine que ça va ? » : elle ne le savait pas. Alexandre, il la perturbait. Son comportement changeait.

Ou était-ce ainsi depuis le début ?

Son index resta en suspens au-dessus de sa conversation avec Rose. Se confier à une semi-inconnue, on lui avait toujours dit que c'était une mauvaise idée. Mais elle se sentait si à l'aise avec elle. Mais peut-être allait-elle lui dire que ses doutes étaient stupides.

Mais Jing, elle ne la percevait vraiment pas ainsi.

Longue inspiration. Souffle haché, coffre serré. Elle ouvrit leur conversation et répondit la chose la plus banale du monde : « je suis fatiguée ».

L'exacte même excuse lancée à Alexandre.

La culpabilité la rongea aussitôt. Non. Mentir, hors de question. Son pouce s'écrasa de lui-même sur le bouton « appeler » : une sonnerie, deux sonneries, elle réalisa sa bêtise, on décrocha avant qu'elle ne raccroche.

Jing ? s'inquiéta sa camarade de promotion. Tu veux qu'on passe en appel ?

L'intéressée ouvrit la bouche – seul un son ténu en sortit. La voix de Rose, son ton soucieux, tournèrent et tournèrent dans son crâne. Son pouls s'accéléra. Son monde s'effaça.

— ... Oui, murmura-t-elle. C'est plus simple, non ?

Oh, c'est vrai ! Mais du coup, tu voulais me dire quelque chose ?

Silence. Alors on exhala, et sembla réarranger son téléphone.

Je suis toute ouïe, Jing.

— J'étais sortie avec un garçon avant et je ne comprends plus rien, débita-t-elle derechef. Tu m'as dit de prendre soin de moi et je ne sais pas pourquoi. Alors...

Elle s'étrangla là-dessus. Ces deux phrases n'avaient aucun rapport, et elle les sentait pourtant liées. À l'autre bout du fil, Rose patienta une, deux, trois minutes sans broncher.

Elle lui tendait la main.

— Ce que je voulais dire, reprit-elle avec difficulté, c'est que je compare Alex à cet autre garçon. Des choses sont différentes. Et avoir peur de prendre un livre, je ne l'ai jamais vécu avec cette autre personne, tu vois ? Et je viens de me dire que, tenter de prendre soin de moi, ça revient peut-être à réfléchir un peu...

Réfléchir à quoi ?

— ... Alex, chuchota-t-elle.

Un ange passa entre elles. Rose lui offrait une place, pour de vrai.

Alors elle développa. Elle expliqua qu'elle s'était sentie mal à l'aise lors d'une étreinte et qu'elle craignait qu'il la voit trop sortir. Il partait sans elle mais la souhaitait présente, il la laissait seule au bar sans accepter qu'elle s'en aille. Car il avait « besoin d'elle ».

Et elle venait de réaliser, peu à peu, au fil de ses paroles et de ses pensées, que son ex-petit ami n'avait jamais agi ainsi.

— Donc selon toi, qu'est-ce que je devrais faire... ?

Silence. Jing tapota du pied les dents serrées. Le stress la prit peu à peu en étau. Elle avait trop parlé, réalisa-t-elle. Et elle en avait trop demandé. Et surtout, pire que tout, elle avait dévoilé des choses privées sur sa relation avec Alex, à la fille avec laquelle il ne voulait pas qu'elle communique.

Avait-il raison de se méfier de Rose ? Voyait-il des choses qu'elle était incapable de noter ? On la disait naïve, à penser que le monde était tout blanc. On la disait sans caractère et trop polie, si vulnérable aux manipulateurs.

Qu'en était-il de Rose ?

Jing. À défaut de pouvoir sortir, est-ce que je peux venir chez toi ? Personne ne me traque, d'autant moins... Alexandre.

Ce nom-ci, elle l'avait prononcé avec une pointe de difficulté. Et ce fut tout ce qu'elle nota, car son cerveau venait de se vider d'un coup.

Rose chez elle ? Après vingt-deux heures ? Vraiment ?! « À plus tard », revinrent ses paroles assurées. Ce « plus tard » était maintenant.

Sauf si tu ne veux pas...

— Viens ! s'exclama-t-elle par réflexe. Je suis dans le centre...

Silence. Elle plaqua aussitôt une main sur sa bouche. Elle babillait n'importe-quoi, tenta-t-elle de se persuader. Le pouls battant, la tête tournante, elle attendit une réponse qui traîna et traîna. L'urgence de raccrocher et ne plus jamais parler à Rose la compressa ; on la coupa à temps. Son interlocutrice partait d'un rire clair.

Ça marche, ça marche ! Je suis contente. Tu veux que je ramène quelque chose ?

Ses épaules s'allégèrent au point de lui donner le tournis. Elle lui dit qu'elle avait déjà du thé et lui communiqua son adresse. Là-dessus Rose se mit-elle en route ; et Jing, elle, resta figée sur sa chaise en pleine transe.

Qu'elle ne se lie pas d'amitié avec Rose, Alexandre avait répété. Que pensait-elle de Rose ?, cet administrateur du compte LGBT avait demandé. Elle prit son téléphone, la gorge nouée et la tête embrumée.

Moi, 22:06 : J'ai décidé de la côtoyer.

La sèche sonnerie de son appartement ponctua ce message. Elle se rua dans son couloir taupe et répondit à l'interphone légère comme une plume. Rose, à qui elle ouvrit sans hésiter ; deux petites minutes plus tard, et on frappait à sa porte. Dès qu'elle la déverrouilla, on lui sauta dessus en riant.

Elle rattrapa sa camarade le souffle coupé.

— Je suis enfin chez toi ! s'enjouait-elle. J'avais hâte que ce moment arrive ! Je suis navrée, je me suis permise de rapporter des gâteaux...

Mais tout ce que Jing sentit fut son torse chaud collé au sien, sa mèche rebelle caressant sa joue écarlate, ses bras autour de son cou, son souffle saccadé après avoir pris les escaliers. Son corps se figea sur place. Ne pas bouger, ne pas respirer, ne pas parler, car son cerveau n'enregistrait plus que cette étreinte.

C'était donc ça qui la perturbait depuis des semaines ; les racines mêmes de ce malaise entre elle et Alexandre ; sa déception puis son soulagement effrénés en fouillant le compte de Rose ; son profond et constant espoir de la revoir.

Et si le poids de l'ignorance s'ôta des épaules de Jing, un autre l'accabla dans la seconde. Si je ne me trompe pas, paniqua-t-elle, alors je suis en train de trahir Alex...

« Non », l'abattit soudain une éternelle voix dans son crâne.

Non, c'était peut-être juste de la gêne suite à ce contact et ces marques d'attention : Jing n'y était pas habituée. Et puis, elle n'aimait pas les filles.

Elle n'avait jamais été intéressée par les filles.

C'était inconcevable.

Elle poussa un long soupir – qui mourut dans l'instant. Les mains de Rose glissèrent le long de ses bras avant qu'elle ne se détache d'elle, et en résulta un long, très long frisson.

... Je demanderai à cet administrateur. Plus tard. Mais c'est impensable. Donc... donc je n'ai pas à m'en faire. Je suis juste un peu stressée..., se persuada-t-elle, l'estomac contracté.

— Enfin, posa-t-on alors avec plus de gravité. Que se passe-t-il ?

Elle laissa son amie rentrer, tête basse, et vérifia trois fois que sa porte était bien fermée. Que se passait-il ?

Alexandre, voici ce qu'il se passait.

— Rose, je peux te faire un tour de l'appartement avant ? déglutit-elle.

L'intéressée hocha la tête ; alors elle lui présenta son porte-manteaux accroché au mur. À côté, un miroir collé à la peinture marron clair, dans lequel elles s'étudièrent un petit instant. Les yeux de Rose étudiaient déjà tout ça avec curiosité.

Salle de bain étroite aux cloisons refaites, nuancées de gris et blanc. Une douche aux parois floutées, impeccable de la tête aux pieds, était coincée au fond ; s'enchaînaient un porte-serviettes chauffant, une armoire de bois épuré et un évier rectangulaire. Une énième glace trônait au-dessus. N'éclairaient la pièce qu'une fenêtre en hauteur, et une chaude lumière incrustée dans le faux-plafond.

Pour une raison obscure, Rose resta béate tout le long de sa visite. Aucun commentaire face à sa chambre sobre, uniquement meublée d'une penderie, d'un lit deux places et d'un bureau Ikea tout fin et métallique. Les toilettes à la douce fragrance mentholée ne se démarquaient que par leurs murs lilas. Le salon-cuisine, lui, était plus vaste ; sur des étagères reposaient des plantes tombantes ou des cactus au vif vert. Un canapé gris et une table-basse transparente plus tard, et on accédait à un petit balcon, où Jing nourrissait souvent les moineaux.

Vint la cuisine et son four, ses plaques de cuisson ébène, ses placards noirs, son plan de travail semi-marbré, sa table à manger à quatre chaises identiques, sa grande fenêtre donnant sur le parc à côté. Des lampes sur pied et autres luminaires animaient le tout de lumières chaleureuses ; elles étendirent les ombres des deux femmes sur le carrelage.

Rose leva alors le menton vers une poutre à la peinture immaculée, autour de laquelle serpentait une guirlande et ses mini-ampoules jaunes. Elle sembla être la goutte qui fit déborder le vase, car sa mâchoire se décrocha pour de bon.

— Jing, tu vis dans un Airbnb. C'est quoi, ce type quatre ?

Elle bondit vers elle et agita les mains dans tous les sens.

— Tu payes combien pour une perle pareille ?! T'as au moins quarante mètres carrés ! La salle d'eau... t'as même une machine à laver... et ce balcon, là ? Y a beaucoup d'oiseaux ? Tu y fais sécher ton linge ?!

— Ah, rit nerveusement Jing. Non, j'ai un petite buanderie, mais elle n'est pas intéressante...

— Une buanderie !

Elle plaqua sa tête contre le mur.

— Une telle richesse... Comment osé-je fouler cette demeure... ?

— Reste, paniqua Jing. Tout va bien, ce sont mes parents qui payent – et tu serais la bienvenue partout où je suis... !

Et sa face de cramer dans l'instant sous sa propre phrase ; ses lèvres se pincèrent comme si elles avaient sorti des mots bien, bien trop ambitieux. Mais Rose papillonna simplement des paupières, pour afficher son sourire le plus lumineux. Ses pommettes hautes rosissaient.

— Toi aussi ! Dis, tu ranges tes gâteaux où ? Ah, et j'ai apporté le livre LGBT si jamais tu ne veux pas parler.

Si je ne veux pas parler ? Elle a fait tout ce chemin pour m'écouter : ça ne la dérangerait pas de ne rien faire ? Elle-même s'était certes comportée ainsi après le coming-out d'Aaron – qu'il discute s'il le souhaite, qu'ils regardent une série sans rien dire sinon. Mais elle l'avait donné, jamais reçu.

J'apprécie beaucoup Aaron. Rose fait ça car elle m'apprécie beaucoup aussi ?

Son coeur rata un battement : elle l'ignora et invita sa camarade à s'asseoir. Elle occupa ses bras à préparer des tisanes, réarranger les coussins sur son clic-clac, lancer Netflix en fond. Rose offrit son aide plusieurs fois, elle la refusa par automatisme. Et enfin posée, elle parvint à oublier cet écart sentimental.

Cependant, voici que la blonde plongeait ses mirettes ciel dans les siennes, sans jamais les détourner. Elle attendait la bouche close, le souffle régulier, sans ciller une seule fois.

Cette invitation si droite lança Jing d'elle-même. Son malaise nauséeux lors de ses touchers physiques avec Alexandre, sa peur lorsqu'elle faisait un pas de travers, sa solitude paradoxale, le fait qu'elle ne pouvait pas partir. Elle répéta entre des soupirs hachés ce qu'elle avait déjà déballé en appel.

Au fil de ses mots, le sérieux de son amie se renforça de plus en plus. Et en parallèle s'accentua l'insolite crainte de Jing. Elle exagérait. Elle trahissait. Elle embobinait.

Mais elle se rattachait tant à ce monologue : cet espoir noyé ne dévoilait pas la moindre malice.

Son récit fini, elle braqua ses yeux bridés sur ses mains. Elles agrippaient son jean, toutes tremblantes. En réalité, son corps entier se tendait au point de la lancer. Elle n'osait pas regarder Rose ; et si elle avait trop étalé sa vie ?

Sa camarade prit d'ailleurs une courte inspiration. Sa chemise noire se souleva légèrement. Elle réordonna sa cravate comme pour la cacher, puis posa ses coudes sur ses genoux maigres.

— Qu'attends-tu de moi ?

Tout chez Jing se compressa aussitôt. Je l'ai embêtée, j'ai été trop loin, elle a d'autres chats à fouetter... !

Puis une paume se posa soudain avec douceur sur son avant-bras. Ses prunelles remontèrent derechef sur Rose. Non, aucun agacement sur sa face anguleuse – seules une profonde concentration... et de l'empathie, nota-t-elle, stupéfaite.

— Je voulais savoir si tu veux que j'écoute sans commenter ou donne mon avis, éclaircit-elle.

Mon Dieu. Ce brouillard si asphyxiant autour de Jing tomba, ses inquiétudes se délièrent peu à peu. Elle fixa le dos de la main de Rose : ses doigts lui brûlaient la peau. Elle n'osa pas bouger le moins du monde. Elle ne voulait pas que ce contact cesse.

— Je me sens coupable, déglutit-elle. Alex m'a dit de ne pas venir vers toi, et je te parle de lui derrière son...

— Tu t'adresses à qui tu veux, la corrigea doucement Rose. Tu choisis ton cercle d'amis à ta guise. Jing, être ensemble ne veut pas dire contrôler l'entourage de l'autre. Tu ne lui rends pas la pareille, n'est-ce pas ? Tu es dans le juste, il est dans le faux.

— Même s'il fait ça pour me protéger ? Je suis trop naïve, tout le monde le sait... !

— Te protéger de quoi ?

Elle repensa à cet homme au bar, au groupe d'Inès ; Rose souffla légèrement.

— Ces menaces, tu les détectes déjà par toi-même. Et quand bien même, des « amis » qui trahissent, on peut en trouver partout. Tu n'as pas besoin d'un guide, crois-moi, sourit-elle.

... Elle a raison. J'ai identifié ces soucis, l'une des seules choses qui me manquent est de me défendre. Et aucun de mes proches ne m'a plantée de couteau dans le dos. Je sais donc choisir ?

— J'ai donc le droit de choisir ? chevrota-t-elle. Alexandre n'a pas à contester, ni à surveiller ce que je fais ? J'ai... ma propre voix ?

Questions rhétoriques : bien sûr qu'elle avait ces droits. Quand les avait-elle oubliés ? À les énoncer à voix haute, ses yeux commençaient déjà à la brûler. Rose prit ses mains dans les siennes, un fin sourire aux lèvres.

— Exactement.

Elle cligna soudain des yeux, et porta son index à la joue de Jing. Une larme, reconnut celle-ci avec horreur. Car tout s'était décompressé si vite.

— Pardon, s'affola-t-elle. Je surréagis, je n'ai aucune raison de pleurer – je suis désolée ! Tu...

« Tu », rien de plus. Rose la prit par la taille et la serra contre elle, son menton pointu logé dans son cou. Elle caressa son dos de haut en bas, ignare du pouls complètement fou de Jing. Sa vision se flouta, ses pensées se cassèrent.

— Je suis là, d'accord ?

Ce murmure l'acheva : elle se raccrocha à son amie et sanglota en silence. Chacun de ses hoquets se dévoilait plus que le précédent.

Ce soir-ci, Jing pleura, essuya ses larmes, et se promit une chose : dire à Alexandre qu'elle décidait. Qu'il devait lui faire confiance.

— Et tiens-moi au courant, hein ? souffla Rose après un long silence. J'aurai certainement... d'autres choses à te dire.

Jing hocha la tête. Elles passèrent le reste de leur temps à échanger sur les cours, la promotion, leur vie de tous les jours. Jing profita et profita dans l'attente de franchir ce premier grand pas dans sa relation.

Les choses allaient se régler.

Son malaise allait s'effacer.

Et le lendemain, tout sauta.


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