CHAPITRE 5 Partie 1
Au sein d'une petite chambre de son appartement, Dani avait installé un atelier improvisé. Il prit place sur une chaise et s'installa face à l'établi en acier appuyé contre le mur du fond, près de l'unique fenêtre de la pièce. Il sortit de sa poche le moulage des clefs effectué ce matin et le déposa sur la table parmi d'autres outils. Il récupéra quelques débris de métaux à basse température de fusion de l'intérieur d'un petit coffret, plaça ces derniers dans une cuillère en inox et les fit fondre à l'aide d'un chalumeau jusqu'à leur liquéfaction. Enfin, Le Faucon procéda à la coulée du métal à l'intérieur des différents moules. Après un moment d'attente, il démonta ces derniers, retira la cheminée, effectua quelques retouches sur les ébauches et obtint des doubles quasi parfaits. Les travaux achevés, il nettoya le bureau et le matériel utilisé, puis accrocha les trois clefs sur un anneau de reliure.
Pendant un instant, Dani réfléchit à la façon dont il allait descendre Eva Williams. Une balle entre les deux yeux tirée depuis le haut d'un gratte-ciel ? Non, trop suspect. Cela devait ressembler à un accident. Oui, à un banal et terrible accident... Une panne de frein ? Une explosion de réservoir ? Sa voiture est plutôt vieille. Ou bien un braquage. Sans témoin. Toujours. Jamais de victimes supplémentaires n'ayant pas leur nom écrit noir sur blanc dans le contrat. Oui, un braquage... Cela serait parfait.
En pénétrant dans le salon, Le Faucon se rendit compte de l'état lamentable dans le lequel se trouvait le séjour. Des vêtements trainaient sur le parquet usé et une montagne de bouteilles saupoudrée de cendre bordait le canapé. Il récupéra prestement pantalons et chemises, les jeta dans une machine à laver qu'il avait tant trimé à caser dans l'exiguë salle d'eau, puis enfourna mégots de cigarette et cadavres de verre dans un sac-poubelle qu'il abandonna sur le palier. Cela fait, il se laissa tomber sur le sofa. Un coup d'œil sur sa Rolex offerte par Marco quelques années auparavant lui indiquait dix-sept heures moins dix. Le Faucon attrapa l'ordinateur portable qui reposait sur la table basse, et le posa sur ses genoux afin d'enquêter un peu sur Eva Williams. Il tapa son nom dans divers moteurs de recherche et réseaux sociaux. La jeune femme demeurait introuvable hormis un compte Facebook inaccessible. Prudente, songea-t-il. Il écrivit alors celui de son père. Un vieil article clamait un jeune officier en héros. Ben Williams était intervenu lors de l'attentat de World trade Center en septembre 2001, et s'était fait pris au piège après l'effondrement de la tour sud. Lui ainsi que d'autres policiers étaient restés des heures sous les décombres avant d'être finalement secourus. Pour finir, Dani fit quelques recherches sur son frère aîné. Peu avant sa mort, un appel anonyme avait été passé au service de police de Manhattan. Un témoin certifiait avoir aperçu un homme disposer tout un arsenal dans le coffre d'une berline noire. Ce dernier ayant donné d'importantes informations telles que le modèle du véhicule, la plaque d'immatriculation ou bien des détails physiques vis-à-vis du suspect, l'alerte avait était prise au sérieux. Peu de temps après, une patrouille menée par le lieutenant Williams avait interpellé Marco Milani à un carrefour de Midtown. Ce dernier avait coopéré et ouvert le coffre de la voiture. Au premier coup d'œil les policiers n'avaient rien trouvé, mais l'un d'eux remarqua rapidement la présence d'un double fond et ordonna au suspect de l'ouvrir. Coincé, Marco avait cependant refusé d'obéir et, perdant patience, commençait à devenir provocateur et agressif. La situation s'était envenimée, le prévenu avait sorti une arme et l'un des officiers présents sur la scène n'avait pas eu d'autre choix que de tirer. Blessé par balle au niveau de l'épaule, Marco décédera dans l'ambulance d'un pneumothorax. L'article ne donnait aucune information sur les policiers ayant intervenu.
Le Faucon ferma le clapet non pas sans irritation et examina sa montre. Dix-sept heures trente. Il enfila un manteau à la hâte et s'apprêtait à sortir lorsque son regard fatigué s'arrêta sur un cadre en argent posé sur une demi-lune de l'entrée. La main tremblante, il attrapa l'objet et le débarrassa de ce voile gris qui s'était installé avec le temps, empêchant ses yeux de se perdre dans le regard amande de la jeune femme. Sur la photographie, Emily Hart, habillée d'une longue robe blanche couvrant un ventre légèrement arrondi, s'apprêtait à dire oui. Face à la future Madame Milani, se tenait un homme en costume. Son père. Lui aussi croyait en la culpabilité de Dani. Peu à peu, sa vision se troubla embuée par les larmes. Malgré les efforts de sa volonté pour les maintenir en lui, celles-ci s'échappèrent de leurs glandes lacrymales et vinrent caresser ses joues hâlées. Il secoua la tête. Un Milani ne pleure pas. Depuis la tragédie, Le Faucon n'avait ni revu sa belle-famille, ni eu de nouvelles de leur part. Ces derniers n'avaient guère apprécié le mariage de leur unique fille avec le fils d'une famille douteuse. Le Faucon abandonna l'image sur le meuble et sortit.
Dani leva les yeux sur le ciel gris. Les flocons de neige s'échouaient sans relâche sur l'asphalte et embrassaient son visage dans de bourrasques blanches. Engourdi par le froid, East Harlem semblait tourner au ralenti. Les voitures immobilisées par le verglas créaient la hargne des New-yorkais pressés. Et les passants emmitouflés dans leur épais manteau et le nez plongé dans leur écharpe, marchaient tels les empereurs des banquises, redoutant la moindre glissade qui viendrait foutre un coup à leur fierté. Il secoua la tête. De l'autre côté de la rue, un homme, clope au bec, manqua d'embrasser le macadam. Vêtu d'une vieille veste en faux cuir, le type balaya du regard les alentours, puis reprit la route la tête honteusement rentrée dans ses épaules graisseuses.
Soudain, une boule de désir lui brûla l'estomac. Alors, de la poche intérieure de son costume, Le Faucon sortit un étui en argent, l'ouvrit et prit une cigarette. Il la tapa sur le couvercle de la boite, la glissa entre ses lèvres, et l'alluma à l'aide de son briquet S.T Dupont. Dani aspira une bouffée et la maintint un long moment en ses poumons. Il inclina la tête en arrière, et de fines volutes de fumée s'échappèrent de ses narines. Son esprit se diluait en pensées vagabondes, comme lors de ces nuits d'insomnies. Et si je me jetais sous ce bus, là, maintenant ? Ce serait totalement indolore, mon âme était déjà morte. Mes tripes se répandraient sur le trottoir, mon sang s'infiltrerait dans les fissures de la route, et ce dans l'indifférence la plus totale. Parfois, cette envie lui brulait les veines. Pas maintenant. Pas tant que leurs noms resteraient invengés. Le Faucon était déterminé. Tôt ou tard, il trouverait le commanditaire. Et ce jour-là, ce dernier suppliera Dani de le tuer. Il n'était pas décidé à mourir ; pas avant d'avoir regardé ce type dans les yeux, cette pourriture ayant commandité le meurtre d'une gamine de quatre ans.
Le Faucon tira une nouvelle dose de nicotine, laissant une fumée impure se nicher dans ses poumons. Au-dessus de lui, de gros flocons s'abattaient sur l'auvent du vendeur de beignet. Dani exécrait l'hiver, haïssait la neige et toutes ces conneries de Noël. Il détestait ces foutus Père Noël et leur magie à la con. Il détestait ces putains de chansons omniprésentes à la radio ou dans les magasins, et ces saletés de guirlandes illuminées. À chaque coin de rue, une chaude et nourrissante odeur de marrons chauds faisait tourner la tête aux piétons flâneurs. Emily adorait l'ambiance festive de cette période de l'année, lorsque la ville vêtait son long manteau immaculé, et que le froid lui piquait le bout du nez. Elle aimait se balader au bord de l'East River à la tombée de la nuit, et enfouir ses mains congelées sous son trench-coat lorsque que le couple s'embrassait sur la promenade. Emily était si belle sous le clair de lune, si captivante. Aucune femme ne l'avait jamais regardé comme elle. Et il l'avait laissé partir.
De soudaines vibrations le sortirent de ses pensées. Le Faucon secoua la tête et plongea une main dans la poche de son pantalon pour y extirper son téléphone portable, puis décrocha.
— Où tu es ? Demanda Luca à l'autre bout de la ligne.
— À la maison.
— Je voulais m'excuser pour ce matin. J'ai été con.
Dani ne répondit pas.
— Tu sais, continua-t-il, cela compte toujours pour ce soir. Si tu veux passer à la maison, Charlene et moi serions ravis de t'accueillir. Eduardo sera là aussi. Je sais que vous deux avez eu quelques tensions. Mais... Enfin je pensais qu'une soirée pourrait te changer les idées
Il jeta le mégot sur le sol et l'écrasa de la pointe de sa chaussure.
— Je ne pense pas venir, Lu.
Le Benjamin soupira dans le combiné.
— Bien... Et je peux savoir où tu seras.
Sa voix se fit un peu plus sévère. Un changement presque imperceptible. Et encore une fois, Dani ne sut quoi répondre. Nulle part. Il n'avait nulle part où aller. Personne ne l'attendait le soir. Personne ne l'enlaçait en lui demandant comment s'est passé la journée.
— Je ne sais pas, finit-il par répondre, je vais probablement rester à la maison.
— Comme tu voudras... Appelle-moi si jamais tu changes d'avis. Ciao.
Puis il raccrocha. La neige avait cessé de chuter, et un fin rayon de lumière filtrait à travers des nuages gris et épais
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