CHAPITRE 4 Partie 2

Dani bondit dans son Pick-up et roula en direction de Brooklyn Heights. Arrivé sur place, il patienta un moment à l'intérieur de son véhicule tandis que de fins flocons s'écrasaient contre le pare-brise dans un bruit presque imperceptible. D'où il était, il pouvait observer tout ce petit monde s'agitait pour servir des clients pressés. Un café pour la table du fond. Des œufs brouillés au bacon côté fenêtres. Il se demandait si ces personnes avaient vraiment choisis d'être là, si servir des hommes et femmes malpolis avaient été leur vocation. Puis, dans un sens, il se dit que lui-même exécutait le sale boulot. Dani avait tué pour la première fois à l'âge de dix-sept ans. L'ultime épreuve que chaque homme devait réussir afin d'intégrer le clan était le meurtre. L'adolescent avait dû descendre un jeune dealer marchant sur les plates bandes du Parrain. Malgré les menaces envoyées par la famille, lui requérant de bien vouloir quitter le territoire Milani, celui-ci avait continué son petit trafic. Alors, muni d'un simple Opinel — offert par son père lors sa communion — Le Faucon avait poignardé le trafiquant au niveau de la jugulaire. James O'Connell, c'était son nom, avait porté une main sur la plaie et s'était retourné les yeux écarquillés d'effroi, afin de voir le visage de celui qui l'avait saigné. Puis il s'était écroulé dans un gargouillis immonde. Cette image n'avait jamais quitté Dani. Les années passaient, l'âme et le corps s'habituaient, et le fils Milani se montrait particulièrement doué pour retirer la vie. Il était discret, méthodique, et ne semblait pas impacté par tous ces crimes. Au contraire, tuer devenait un jeu, une partie de chasse. Du haut d'un immeuble ou du fin fond d'un bar, Le Faucon observait ses proies. Il prenait un malin plaisir à les épier, connaître qui elles étaient, leurs points forts et leurs points faibles, leurs envies et leurs peurs.

C'était l'une des raisons pour laquelle il s'était installé à cette table du four seasons, lieu de travail d'Eva Williams. Dani patientait depuis un moment, détendu, mais déterminé à en finir avec ce contrat. Assis dans un coin du Café, il avait les paupières baissées sur un macchiato. Il tourna longuement la petite cuillère dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, le regard attiré par le siphon créé par ce geste. Il porta à ses lèvres ce liquide brûlant, en vida la moitié d'un trait et examina distraitement les lieux. C'était une jolie place. D'où il était, Le Faucon apercevait le détroit et le Manhattan bridge. Cet endroit aurait plus à Emily, songea-t-il, c'était son genre. Ces boiseries, ces tons sombres dans l'air du temps, ou cosy... Comme elle disait. Face à lui des photographies vintages ornaient les murs. L'une d'elle en particulier retint son attention. Audrey Hepburn arborant un collier de perles et tenant entre ses doigts une infinie cigarette. Il contempla cette image avec nostalgie. L'actrice était la figure de ses premiers émois d'adolescent, ce secret que l'on n'ose pas avouer.

— C'était vraiment une femme splendide. Déclara soudainement une voix chaude.

Une petite blonde, bien portante et plein d'entrain, un carnet rouge dans la main droite, se trouvait à ses côtés.

— Vous êtes ? Demanda-t-il.

Affichant un grand sourire, la serveuse pointa son badge « Mon nom est Susan » avec la pointe de son stylo. Dani la considéra sans rien dire. Le regard de la blonde étincelait d'une indicible admiration.

— J'adore cette femme. C'était une véritable icône comme il n'y en a plus aujourd'hui. Je l'ai adoré dans Vacances romaines. Quel talent !

Un léger sourire s'esquissa sur les lèvres pleines de Faucon, tandis que son regard sombre se posa de nouveau sur l'actrice.

Un frisson lui parcourut soudainement l'échine, suivi bientôt d'un horrible sentiment d'oppression. Il se tourna vers la serveuse, dont les yeux clairs le sondaient littéralement. Une étincelle d'horreur et de dégoût jaillit du regard de la jeune femme lorsque celui-ci s'attarda inéluctablement sur son crâne. Coupés courts sur les côtés, ses cheveux noirs laissaient entrevoir une longue cicatrice sur la zone temporale. La bouche de Susan s'entrouvrit légèrement, et ses yeux semblaient sortir de leur orbite. Elle échappa une injure de surprise.

— Oh, excusez-moi, lâcha-t-elle gênée, je suis vraiment navrée... Quelle idiote !

Dani poussa un soupir et secoua la tête.

— Ce n'est rien.

— Désolée....

Elle se racla la gorge et demanda aussitôt :

— Désirez-vous autre chose ?

— Non, merci.

— Très bien, dans ce cas je vais vous laisser finir votre café.

Susan tourna les talons et se dirigea vers le présentoir. Sentant probablement courir sur elle ce regard masculin, la serveuse prit un malin plaisir à tortiller ses fesses rebondies. Le Faucon secoua la tête, les yeux au ciel. Les femmes. Il se leva, rejoignit à son tour le comptoir et s'assit sur l'un de ces hauts tabourets. Une jeune serveuse sortit alors de l'arrière-cuisine, tandis qu'une voix d'homme semblait la réprimander. Eva Williams apportait le petit déjeuner d'un vieillard lisant le New-York Times.

— Bon appétit, monsieur O'Connell. Dit-elle avant d'accueillir de nouveaux clients.

Dani considéra la jeune femme à la chevelure auburn, dont les traits délicats, étaient adoucis par un léger sourire à travers ses lèvres pâles et rosées. Une fine frange masquait son front sur lequel se dessinait une légère, presque imperceptible cicatrice. Comme captivé, son regard effleura cette silhouette de danseuse, dont le pull au bleu canard flattait le teint de porcelaine. Et tandis qu'elle s'éloignait vers une autre table, Le Faucon ne put détacher de son sourire, de cette grâce innée. Il était si fasciné par sa prestance, par son charme, qu'il en vint durant un quart de seconde, à oublier les raisons de sa venue. Il secoua la tête. Reprends-toi... Susan apparu de nouveau dans son champ de vision. Ses yeux noirs quittèrent leur proie et vinrent se poser sur la bouche rouge vif de la blonde. La serveuse flirtait ouvertement avec lui, jouant avec le pendentif de son collier et se baissant un peu trop près pour lui offrir le contenu de son décolleté bien rempli. Bien que réticent à ses avances, Dani joua le jeu. La jolie blonde était consumée de désir. Elle le dévorait littéralement de ses yeux gris. Lui, jubilai de l'intérieur. Ce sera bien plus facile. Conscient que son charme ne laissait pas cette femme indifférente, Dani usa de ses attraits afin de resserrer un peu plus l'étau autour d'Eva Williams. Il se leva et glissa une main le long de la hanche de Susan.

— Veuillez m'excuser un instant.

Situé derrière la salle de restauration, un étroit couloir l'accueillit. Là, Dani vérifia qu'il était seul puis sorti d'une poche la clef qu'il avait préalablement subtilisée du veston de Susan. L'une des portes portait l'inscription « Réservé au personnel ». Un sourire satisfait se dessina sur son visage, et après avoir vérifié à travers le hublot donnant sur la salle, que tout le monde était occupé, Le Faucon inséra la clef dans la serrure puis pénétra dans les vestiaires. Cinq casiers lui faisaient face, dont seulement trois étaient utilisés. Il se dirigea d'un pas rapide en leur direction et entama les recherches. En deux minutes, il trouva ce dont pourquoi il était venu. Le trousseau de clefs d'Eva. Il sortit d'une poche une petite boite emplie de résine, et grava l'empreinte de plusieurs clefs à l'intérieur. Clef de voiture, appartement et boite aux lettres. Il nettoya derrière lui, et replaça tout exactement comme il l'avait trouvé. Armé d'une mémoire photographique, cela ne lui fut pas difficile. Dani quitta les vestiaires, referma la porte et alla s'humidifier les mains dans les cabinets situés juste en face. En rejoignant la salle, il procéda de manière identique : une main sur la hanche de Susan, et des excuses. Il devait malheureusement s'en aller. La serveuse lui fit promettre de revenir. Il accepta, pour la forme.

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