CHAPITRE 1 Partie 2


Assis au volant de son pick-up garé devant une épicerie de la première avenue, Dani étudia le dossier avec minutie. Les vitres teintées du véhicule empêchaient les regards curieux de s'aventurer à l'intérieur de l'habitacle. Il n'avait pas eu de contrat depuis onze mois et il lui tardait de se remettre en course, d'avoir l'esprit occupé. Sa dernière mission avait été plutôt expéditive. Deux mois. Rapide et efficace. Le commanditaire, un homme haut placé, s'était réjoui de la célérité à laquelle le contrat avait été exécuté. À l'inverse, cette facilité avait privé Le Faucon d'une certaine satisfaction. Sa cible était un ancien pilote de la Navy durant la guerre du Vietnam. James Nicholls venait tout juste de prendre sa retraite, quand des accusations d'avoir participé au massacre de Mỹ Lai étaient venus ternir son image d'héro de guerre. Décoré de nombreuses médailles, certaines dents s'étaient mises à grincer. Après la médiatisation des faits, le type s'était retrouvé avec une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête. Le pilote criait sans cesse son innocence. Or, quelques semaines plus tard, les accusations s'étaient confirmées et Dario Milani avait reçu le dossier Nicholls. Pas une seule seconde Dani n'avait hésité à l'exécuter. Cette ordure avait violé des femmes, tué des enfants. Deux mois après la signature symbolique du contrat, James Nicholls avait été retrouvé chez lui une balle entre les deux yeux, son MAS 49 à ses pieds. La thèse du suicide avait été retenue par les enquêteurs.

Dani examina les photographies. Six d'entre elles visaient une jeune femme à la chevelure rousse et au teint clair. Eva Williams. Selon les règles du clan, les crimes de sang ne devaient jamais viser ni les enfants, ni les femmes, sauf en cas de trahison pour ces dernières. En seize années de services au sein de la famille, Dani n'en avait jamais éliminé. L'unique fois où Le Faucon s'en était pris à la gent féminine, il s'agissait d'un pentito, une repentie. Son époux et membre du clan étant sous les verrous, la police lui avait promis une réduction de peine si elle divulguait des informations. Sous les ordres du Parrain, Dani avait dû lui couper la langue puis la menacer de représailles si jamais elle parlait. Peu de temps après cette agression, la traîtresse avait quitté la ville.

Le Faucon jeta l'enveloppe au fond de la boite à gant et sortit du pick-up. Il remit son costume en place et traversa la rue. Une clochette fixée au-dessus de la porte annonça son entrée dans l'épicerie. Peu de client à cette heure-ci. Tant mieux. Sobre, la foule le rendait nerveux. Il ne supportait pas l'idée de se sentir noyé au milieu de toutes ces âmes. À ses yeux la ville était tel un purgatoire. Tous ces regards accusateurs, ces murmures, ces soupçons. Les hommes et les femmes le fixaient de leurs yeux méprisants comme s'il était l'unique responsable des vices du genre humain. Il n'était pas innocent. Il le savait. La vie lui avait simplement appris à écouter les pensées méphistophéliques de sa part d'ombre.

Dani salua le gérant et vaqua à ses achats habituels : Deux packs de Lager, du whisky, cartouches de cigarette, nécessaire de toilette et nourriture pour une semaine. Puis il regarda tout autour de lui, histoire de ne rien oublier. Soudain une fillette au rayon biscuit attira son regard. Sur la pointe des pieds, la gamine essayait d'attraper l'un de ces paquets chocolatés. Le Faucon scruta les alentours, aucun des quelques adultes présents ne semblaient prêter attention à l'enfant dont les longs cheveux bruns lui voilaient la moitié du visage.

- Eh toi, tu as besoin d'aide ?

Elle leva sur lui son regard empli de lumière, sans dire un mot. Et là, une vive émotion lui broya la poitrine. Un déchirement. Les mêmes cheveux, les mêmes grands yeux, le même sourire. Paniqué, Dani haletait et son cœur lui cognait les côtes. Tout autour de lui devint subitement sombre et flou. Le crâne de la fillette présentait un trou béant d'où s'échappait un flot de sang. Il secoua la tête et sentit le sol se dérober sous ses pieds.

- Ça va, niño ? Demanda un vieillard, en posant une main sur son épaule.

- Senior Hernandez ? Balbutia Dani.

Les clients autours dévisageaient la scène, murmuraient entre eux.

- Vale, le spectacle est fini ! S'exclama le vieil homme dans de grands gestes.

José Hernandez lui fit face.

- Tu es sûr que ça va, niño ?

Dani cilla pour évacuer.

- Oui... Je...

Derrière José, une fillette courue rejoindre les bras de sa mère. Il souffla :

- Ça va.

Hernandez posa une main sur son avant-bras. Le soir de noël, trois ans auparavant, le vieillard fermait son rideau de fer quand leurs chemins s'étaient croisés. Dani n'était pas du coin. Ça, José l'avait remarqué aux vêtements de grande marque sur son dos. Ses joues creuses n'avaient pas rencontré de rasoir depuis plusieurs semaines, son regard semblait éteint. Une immense tristesse planait tout autour de lui. Ce malheur ne lui était pas passé inaperçu. Et pour une raison inconnue, Hernandez lui avait tendu la main.

José scanna les articles un à un. Quand il arriva aux bières, le vieillard fit une moue. Il passa un pack et abandonna le second sur le côté.

- Seulement un, lança-t-il, tu sais ce que je pense de ces trucs-là

Dani hocha la tête.

-Je le sais, oui.

Son regard abattu se perdait dans la rue. Derrière la vitrine, la mère de famille tenait la main de sa fille et s'apprêtait à traverser. José s'attarda sur son visage. Il fut frappé par la pâleur, l'infini désespoir qui se lisait dans ses yeux noirs. Toute cette torture subie après la perte d'un être aimé.

- Écoute niño, je sais que cette période de l'année est difficile. Mais je suis là pour toi, lo sabes ?

Le Faucon se racla la gorge.

- Combien je te dois ? S'enquit-il en fouillant dans son portefeuille.

- Trente-cinq dollars et vingt-six cents.

Il sortit deux billets de vingt dollars et les tendit au vieillard.

- On se voit tout à l'heure ? Demanda José Hernandez en récupérant son dû.

Dani répondit par la négative. Hernandez acquiesça et lui rendit la monnaie. Le vieillard savait où son ami passait la plupart de ses nuits. Il était contre, évidement. Mais avait-il son mot à dire ? Ils se saluèrent et Le Faucon quitta l'épicerie. Le froid lui mordit les membres et lui brûla les poumons. Il plongea les mains dans les poches de son trench-coat et se dépêcha.

***

Dani habitait un petit appartement de l'East Harlem au-dessus d'un vendeur de beignets, dans l'un de ces immeubles anciens faits de briques rouges. Il vivait là depuis trois ans et certains cartons n'étaient toujours pas déballés. Il n'avait pas le courage. Les souvenirs étaient bien trop douloureux. Il poussa un soupir de mélancolie. Tout était si silencieux. Affreusement silencieux. Il prit de soin de fermer les multiples verrous vissés sur la porte, rangea les courses dans la cuisine puis gagna le séjour au milieu duquel trônait un canapé en cuir. Dani s'alluma une cigarette, aspira profondément la fumée dans ses poumons, et entreprit d'étudier une dernière fois le contrat Williams. En plus de photographies, il y était noté d'importantes informations sur la cible : adresse, habitudes et lieux fréquentés. Il enregistra le contrat dans les moindres détails, après quoi, les preuves seraient détruites par les flammes au fond d'un lavabo.

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