CHAPITRE 1 Partie 1
Une sonnerie retentissait inlassablement dans l'appartement. Aucun message. Le correspondant retentait sa chance avant même d'entendre le bip du répondeur. Allongé sur un canapé en cuir véritable, Dani Milani fumait une cigarette tandis que son regard vide fixait un point indéfini au plafond. La signification et l'importance de cet appel ne lui étaient pas inconnus. Peu de personnes savaient l'existence de cette ligne professionnelle. Cependant, il ne se mouvait pas. Il restait là, inspirant une bouffée après l'autre. Des cadavres de bouteilles et cendriers pleins jonchaient le sol. Sur la table basse du salon, le téléphone insistait. Le Faucon se leva péniblement et enjamba les détritus. Autour de lui, un torrent écarlate dévorait peu à peu le séjour, prêt à l'engloutir. Il fit les cents pas sur le tapis, le crâne pris entre ses deux mains. Tu nous as tués, Dani. Il ferma les yeux, tenta de fuir ces hallucinations, Tout est de ta faute, mais les ombres continuaient de le tourmenter.
Du plafond s'échappait une cascade d'hémoglobine, dégoulinant le long des murs blancs. Dans un ultime effort, Dani poussa un cri de douleur. Lorsque ses paupières s'ouvrirent de nouveau, murs et plafond avaient retrouvé leur couleur d'origine. Le corps tremblant, Le Faucon inspira une dernière longue goulée de nicotine et décrocha. À l'autre bout du fil, un homme à l'accent italien parla avec une voix rauque. Dario Milani, Parrain du clan éponyme, et accessoirement son père, le réprimanda de longues minutes. Ne pas directement répondre à ses appels téléphoniques était à ses yeux une véritable provocation. Idiot, Incapable, Bon à rien. Tels étaient les mots employés par le Padre, mais ces blâmes n'affectaient plus Dani. Dario était un homme exigeant sur la discipline et l'ordre, difficile à satisfaire. Marco, Luca et Dani avaient reçu une éducation stricte. Le Parrain avait toujours passé la pérennité du clan avant les intérêts de ses fils. Tous ces sacrifices... Leurs caprices d'enfants ne devaient pas empiéter sur la réussite familiale. Quand il eut fini ses reproches, Dario donna rendez-vous à son cadet, puis raccrocha.
Autour du cou de Dani, pendait une chaîne en argent à laquelle était suspendue une alliance. Il amena l'anneau à ses lèvres pour y chuchoter quelques mots, l'embrassa, puis le replaça contre sa peau. À cet instant, son estomac sembla se retourner et un désagréable frisson lui parcourut l'échine. D'une main agitée il attrapa une bouteille dans laquelle dormait un reste de whisky. Le liquide chaud coula le long de sa gorge et envahit ses veines. La bouteille vide, il la jeta sur le sol parmi ses sœurs. Un bruit de verre brisé s'ensuivit. Le Faucon se laissa tomber sur le sofa, et passa une main sous l'assise. Du bout des doigts, il sortit de là son Beretta, un cadeau empoisonné reçu de la part de Dario Milani après la réussite du premier test de son fils. La crosse de cette dernière était gravée des insignes de la famille, une rose dénuée d'épine.
Dani se dirigea d'un pas rapide vers une minuscule salle de bain, sous les grésillements des néons. Pourtant seul dans l'appartement, il prit soin de s'enfermer à clef. Il s'efforça de ne pas regarder dans le miroir et déposa le Beretta sur l'abattant des toilettes. Il quitta ses vêtements et les jeta dans la machine à laver. Il vérifia une ultime fois le verrou et glissa sous la douche en refoulant cette désagréable sensation qui lui nouait le ventre. Ses doigts tournèrent le robinet en inox. Une pluie glacée s'abattit sur son corps svelte mais athlétique. Le front plaqué contre le carrelage, Il tenta de se concentrer sur un point. Ne pas penser. Ne pas y penser. L'eau dorénavant chaude ruisselait sur son dos zébré de cicatrices. Des bribes du passé remontèrent à la surface. Désordonnées. Floues. Ses yeux se levèrent en direction du jet, le souffle court. Les souvenirs de cette nuit-là se diluèrent peu à peu sous ce flot aux vertus bienveillantes. Dani se laissa inonder par cette impression de paix. Il baissa la tête, ferma le robinet dans un geste sec et récupéra une serviette étendue contre la paroi de la douche.
La tête baissée sur le lavabo, Le Faucon avait appris à se tailler la barbe sans l'aide du miroir. Il se rinça le visage sous une lueur vacillante, et son regard remonta lentement sur son double. Son teint hâlé était gris et ses yeux noirs cernés. Emplis de dégoût, il serra les poings et d'un geste empli de rage, balaya l'ensemble des objets se trouvant sur la vasque. Rongé par la rage et le deuil, il ne parvenait pas à oublier Emily. Son parfum au jasmin flottait éternellement dans l'atmosphère. Il pouvait sentir la douceur de ses lèvres sur sa peau, la chaleur de son souffle dans son cou. Et Sofia... Son rire chantait encore au creux de ses oreilles. Dani se pencha de nouveau sur le lavabo et s'aspergea le visage d'eau glacée. Il se redressa et la porte de l'armoire à pharmacie s'ouvrit sur d'innombrable médicaments et matériels de premiers secours. Il attrapa une boite de sertraline et jeta un comprimé de cent milligrammes au fond de sa gorge. Il ferma les yeux, et les pulsations de son cœur ralentirent.
Dans une petite chambre qui jouxtait la salle d'eau, Le Faucon s'empara de vêtements sombres. Toujours. Il ajusta la veste et dépoussiéra le costume. Il ouvrit la porte coulissante menant au balcon et fuma une deuxième cigarette. Face à lui, East Harlem sortait peu à peu de la brume. Appuyé contre le garde-corps, il observa en contrebas l'incessant ballet des voitures. Durant de longues minutes, les yeux dans le vague, il contemplait un horizon mort. Emily et Sofia lui manquaient. Son enveloppe charnelle n'était plus qu'un vide. Un immense vide mêlé à un torrent d'émotion. Si seulement l'au-delà ne le terrifiait pas tant. Ici-bas, il pouvait se rappeler leurs sourire, la couleur de leurs yeux et le ton de leur voix. Rien de tout cela ne lui était garanti dans l'autre monde. Dani expira un ultime nuage de fumée et jeta le mégot dans le vide.
***
Un édifice de quinze étages dominait Park avenue. Milani International était tracé au pochoir sur la vitre opaque. Lorsque Dani pénétra dans l'agence immobilière, une des quatre hôtesses d'accueil lui envoya un sourire chaleureux. Astrid était la compagne de Marco. Il lui répondit d'un geste rapide de la main et se précipita dans un ascenseur.
— Quel étage ? Annonça l'homme présent dans l'habitacle.
— Quinzième.
Devant la porte de Dario Milani, Rafael montait la garde. Malgré son mètre soixante, le sbire était un expert en art martial et avait obtenu haut la main sa place de garde rapprochée du Parrain. Les deux hommes se saluèrent rapidement, et Le Faucon entra dans l'antre de son père. Au fond du spacieux bureau, assis sur une banquette bordeaux, un homme aux cheveux poivre et sel et au visage marqué par le temps lui fit signe d'approcher. Le regard glacé et impitoyable de Darío Milani lui transperçait les os, le poussant à baisser les yeux sur le sol marbré. Soudain, venue de nulle-part, la main droite du Parrain embrassa violemment sa joue.
— Espèce d'imbécile, grogna-t-il... Guardami ! Te rends-tu compte que j'allais envoyer Eduardo m'assurer qu'il ne t'était rien arrivé ?
Le visage en feu, Dani répondit :
— Je n'ai pas besoin de...
Le Padre tapa du poing sur la table, énervé.
— Ferme la, sciocco ! Combien de fois devrais-je le répéter ? J'ai besoin de t'avoir avec nous. Ton rôle au sein de la famille n'est pas minime.
— J'en suis conscient. Répondit Le Faucon sans affronter son père.
— Alors montre-toi à la hauteur pour une fois. Que t'arrive-t-il en ce moment ? Je ne te reconnais plus. Où est passé l'homme assidu et travailleur ?
Le regard de Dani glissa sur le porte-documents se trouvant au côté du Parrain.
— Et bien je suis là, maintenant. Pourquoi m'as-tu contacté ?
Darío Milani prit la mallette et la déposa sur la table de verre teintée.
— L'un de mes informateurs au sein du département de police de New-York m'a fourni le nom du meurtrier de Marco.
Une enveloppe particulièrement épaisse se trouvait à l'intérieur de l'attaché-case. Le Padre la fit glisser vers son fils. De nombreuses photographies y étaient précieusement archivées. Le Faucon les parcourut brièvement. Un homme dont le badge sur son uniforme indiquait qu'il s'appelait Ben Williams, était lieutenant au sein de la NYPD. Une date figurait en bas de chaque cliché. Ce type avait été la cible d'un photographe durant plusieurs mois.
— Qu'attends-tu de moi ? Demanda Dani.
Les yeux du Parrain étaient emplis d'une profonde haine. Il souhaitait voir cet homme périr sous ses pieds, le condamner pour avoir pris la vie de son fils, mais plus que tout, Darío voulait le voir souffrir.
— Le lieutenant Williams a une fille, Eva. Tue-la. Je veux que cet homme ressente toute la peine que j'ai enduré lorsqu'il a pris mio bambino.
Pour Milani, il n'existait pas d'alternative. Absolument aucune. Eva Williams devait mourir au nom de Marco, au nom de son fils. Dani lança un regard perplexe en direction de son père.
— Je croyais qu'on ne s'attaquait pas aux femmes.
— Ce fils de pourriture a tué ton frère, Dani ! La dette de sang impose qu'on lui inflige le même sort. Alors c'est tragique pour cette femme, mais le lieutenant n'a pas de fils.
Le Faucon hésita un instant.
— Padre, je...
— Y a-t-il un problème dont tu voudrais me faire part, Dan ? Questionna Dario sans attendre de réponse.
— Non, va tutto bene. Déclara-t-il en replaçant les photographies dans leur enveloppe kraft.
Le Parrain se redressa.
—Alors que fais-tu encore ici ? Tu devrais déjà être parti.
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