V - Le clandestin
Ballottée à l'arrière du chariot, Erika contemplait le spectacle du ciel à l'heure où le soleil glissait sous l'horizon. Depuis le dernier village qu'ils avaient passé dans l'après-midi, la nature s'étendait à perte de vue au milieu de la plaine rase sur laquelle ils cheminaient. Les rawists marchaient au pas sur un sentier de terre qui passait en lisière de forêt. D'énormes arbres penchaient sur la route, hébergeant une obscurité profonde. Ils en étaient si proches qu'elle pouvait sentir les effluves des bois.
« Je dois dire, déclara Ezarel, assis en tailleur, qui examinait la carte sur ses genoux, que ce plan est absolument désastreux. Lequel d'entre vous a cru que ça fonctionnerait ? Non, plus important... Qui a validé ça ? »
Erika se dégagea des barrières pour lui faire face. Ils avaient quitté Bellac la veille à l'aube après avoir laissé une nuit à Ezarel pour rassembler ses affaires. Ce dernier s'était absenté un moment durant la soirée. À travers les murs, Erika l'avait entendu doucement toquer à une porte et le son de sa voix basse expliquer la raison de son départ ; mais elle n'avait rien perçu d'autre qu'un profond silence en retour. À croire que cette Méline était un fantôme...
Elle avait bien du mal à reconnaître son ami. Ezarel avait toujours été beau, comme tant d'autres elfes. Seulement, à la différence de Nevra, cette beauté allait de pair, non pas avec une coquetterie vaniteuse, mais bien des traits obsessionnels, si ce n'est phobiques : le chef de l'Absynthe portait une attention scrupuleuse à son hygiène.
Elle ne cessait donc de s'ébahir de ses cheveux bleus négligemment taillés à hauteur d'épaule et enroulés en une petite bugne difforme, eux qui étaient autrefois si longs, lisses et brillants, noués dans un catogan identique de jour en jour. La pilosité de son visage l'avait laissée stupéfaite mais elle avait eu la surprise de le trouver rasé de près ce matin. Aussi stupide que cela pût paraître, elle l'avait toujours cru imberbe. Elle ignorait simplement qu'à l'époque, il avait consommé des potions pour maintenir sa peau glabre – un des symptômes maladifs de son trouble obsessionnel.
« Excuse-moi, se défendit-elle, vexée, mais je te rappelle que j'ai disparu pendant sept ans et que je me suis coltiné une quantité astronomique de bouquins en l'espace de quelques jours pour essayer de nous tracer un itinéraire cohérent. Et puis, ce n'est pas ma faute si... ! »
Elle se renfrogna. Elle refusait de parler de l'implication de Lance et d'admettre qu'elle avait construit son plan sur la base du carnet qu'elle lui avait dérobé.
Ezarel ne parut pas remarquer son hésitation. Les sourcils froncés, il écrivait sur la carte qu'il avait raturée de long en large. Ses longues oreilles frémissaient au gré de ses expressions tandis qu'il annotait ses idées et les assemblait bout à bout en un organigramme complexe qu'il était le seul à pouvoir déchiffrer.
« Cela dit, reprit-il sans la regarder, tu as raison à propos de la mine de Bul Darul. La Garde a un laissez-passer et le raccourci au Thalbor nous permettrait de gagner un temps précieux. Il faut qu'on traverse la mer et qu'on atteigne l'Oblivion avant l'arrivée du front venteux.
— Écoute, je te laisse carte blanche. C'est toi l'érudit.
— Tu m'en diras tant », répondit-il avec un naturel qui fit lever les yeux d'Erika au ciel. Mais elle se mordilla les lèvres pour s'empêcher de sourire.
Avec l'intention de le laisser à son travail, elle changea de position et son regard tomba sur Leiftan qui contemplait le vide, emmitouflé dans une couverture. Son visage était fermé, son expression lointaine et ses yeux sans couleur. Seules les ondulations de sa tresse jetée sur son épaule rappelaient qu'il était un être de chair et de sang. L'inertie dont il faisait preuve depuis son réveil commençait à la troubler. Elle faillit aller vers lui mais se ravisa.
Nevra, assis sur la banquette, conduisait les rawists en silence. Elle se déplaça à genoux jusqu'à lui et attira son attention.
« Nev', la nuit tombe. Est-ce qu'il n'est pas temps de s'arrêter ? »
Il ne fit aucune réponse. Sans doute ne l'avait-il pas entendue...
« Nevra ? l'appela-t-elle. Qu'est-ce que tu... ?
— Non. »
La fermeté de sa voix la surprit. Elle redressa la tête, prête à l'invectiver, quand elle remarqua la tension qui s'était inscrite dans les traits du vampire. Sa poitrine se soulevait à intervalles trop rapides et ses narines frémissaient presque indistinctement. Elle avala sa salive, se tut et patienta, consciente que l'instinct de Nevra trompait rarement.
Il lui fallut plusieurs minutes avant de sentir l'odeur. L'air puait la mort et la chair pourrie.
Ne tardèrent pas à s'ajouter des formes gisant sur le bas-côté de la route. Des cadavres de dalafas. Leur pelage de faon aux macules roses était éclaboussé d'écarlate ; leurs frêles carcasses avaient été déchiquetées. Erika détourna la tête. Elle ne supportait pas cette vue, ce qu'elle lui rappelait, les flaques de sang, les champs de cadavre et, empalé sur la tour...
Un vertige lui montait à la tête. Elle ouvrit les premiers boutons de son manteau avec l'impression de manquer d'air.
Les rawists commencèrent à regimber. Leurs naseaux se dilatèrent et ils frappèrent le sol de leurs sabots, agitant leurs queues.
« Euh, se fit entendre Ezarel depuis l'arrière du chariot, avec des trémolos dans la voix, cet endroit plait pas bien à nos canassons. Mon petit doigt me dit qu'on ferait mieux de ne pas continuer par là-bas.
— Et ton petit doigt de génie, il voit un autre chemin peut-être ? » marmonna Nevra.
Le vampire serra les rênes plus fort. Ses yeux gris restaient concentrés sur la route et sur le couvert des arbres. Erika se demandait s'il pouvait distinguer quelque chose. Elle recula prudemment dans le chariot et bougea sa main, cherchant à tâtons son épée près d'elle. Il était rare que des rawists montrent de l'agitation. Ces destriers aveugles étaient silencieux et stoïques par nature.
Elle eut tout à coup l'impression d'être observée et une violente chair-de-poule parcourut sa peau. Ezarel dut le ressentir également car il ne tint plus.
« Bon, allez, ça suffit ! décréta–t-il brusquement. Qu'on fasse demi-tour et qu'on trouve un endroit où camper loin d'ici. On avisera demain mat- »
Soudain, les rawists se cabrèrent ; le chariot fut secoué en tous sens. Projetée en arrière, Erika tomba sur Ezarel qui poussa un copieux juron. Leurs membres empêtrés, ils s'entreregardèrent et la même inquiétude traversa leurs pupilles. Elle se rattrapa aux parois du chariot et se redressa vivement, angoissée par ce silence qui était plus terrifiant que si des cris avaient retenti.
Quand elle vit ce qui leur barrait le passage, ses entrailles se contractèrent.
Des bêtes se dressaient devant eux. C'étaient des créatures humanoïdes aux muscles noueux tapissés d'un pelage fauve tacheté d'ocelles noires. Elles avaient des torses et des épaules aussi robustes que des pugilistes, et leurs oreilles étaient courtes et rondes en haut de leur crâne. Leurs yeux, avides, semblaient rire d'elle autant que leurs gueules sournoises. Erika songea vaguement que ces êtres ressemblaient à des hyènes qui auraient évolué en tant que bipèdes ; mais cette pensée n'empêcha pas la peur d'embraser ses veines à la vue de leurs dents cauchemardesques imprégnées de sang.
« Des éventreurs », chuchota Ezarel, pâle d'angoisse.
Nevra agit plus vite que son ombre. Ses deux dagues étincelèrent dans la nuit et il partit comme une flèche en direction des monstres.
Il fallait se battre, comprit Erika. Le groupe n'avait aucune chance de distancer cette menace.
Le cœur de la faelienne cognait fort contre ses côtes mais elle sauta à terre, son épée dégainée en main. Ezarel manqua de trébucher en descendant à son côté et elle l'entendit adresser une prière à l'Oracle. Elle chercha brièvement Leiftan des yeux pour le trouver recroquevillé tout au fond du chariot, les mains sur la tête comme un enfant effrayé.
Elle siffla une injure entre ses dents mais n'eut pas le temps de s'attarder sur son sort : une des créatures s'élançait vers elle en émettant un bruit qui ressemblait à s'y méprendre à... un rire. Erika eut un mouvement de recul. La faim vorace qu'elle lisait dans les yeux rouges de la bête la faisait frémir de terreur.
Non, se dit-elle en s'exhortant au calme. Tu sais quoi faire. Elle raffermit sa prise sur son arme, esquiva la charge en pivotant et frappa, guidée par des réflexes que lui avait valu son long entraînement avec Valkyon et Jamon. L'épée trouva sa cible et entailla un des muscles pectoraux. La créature poussa un grognement de douleur. Du sang imbiba la fourrure mais elle manquait de force pour blesser son adversaire sévèrement.
Nevra s'était déjà débarrassé d'un monstre et s'attaquait à deux autres. Ses lames tranchaient dans la chair avec une précision chirurgicale. Il sautait et se déplaçait entre eux avec une grâce de chat, menant un ballet que les yeux d'Erika ne parvenaient guère à suivre, mais elle savait que les éclaboussures de sang qui jaillissaient dans la nuit étaient de son fait. Il tombait sur eux, tel une ombre de mort.
Le front moite, elle se concentra sur son propre combat. Son adversaire était encore debout et il n'allait pas en démordre si facilement. Tout à coup, Ezarel fut près d'elle.
« Recule ! » cria-t-il.
Elle obéit, se jetant en arrière. De son index, Ezarel traça une rune dans l'air, un symbole de vent dont les contours se mirent à briller d'une lumière blanche. Erika entendit un « pouf » sonore et les mâchoires de l'éventreur se refermèrent sur... une barbe à papa. La bête ébroua la tête et cracha le nuage de sucre, des filaments roses absurdement accrochés à ses dents.
Ezarel grimaça. « Oups. »
De toute évidence, ce n'était pas le sort qu'il avait en tête.
Ses doigts étreignant son amulette, l'elfe recula en titubant. Il dessina une nouvelle rune d'une main tremblante mais celle-ci se désintégra sans rien produire. Le visage tordu par l'épouvante, il trébucha dans une fondrière pendant que la créature se jetait sur lui, prête à le dévorer tout cru. À la dernière seconde, elle s'affaissa subitement, et pour cause : Nevra la retenait, deux dagues fermement ancrées dans son dos.
« Pour l'amour du ciel, grommela ce dernier, une goutte de sueur au front, ressaisis-toi, Ezarel !
— Désolé. Je... Ouf ! j'ai perdu le coup de main. »
Erika posa le regard sur les trois cadavres des éventreurs tailladés et dévisagea Nevra qui tenait en équilibre sur la dernière créature. Elle ne croyait pas l'avoir jamais vu agir avec une efficacité si redoutable.
Tout à coup, elle prit conscience que le chariot n'était plus là. Les rawists avaient pris peur et s'éloignaient dans la nuit avec leur unique moyen de transport.
« Leiftan ! » cria-t-elle en s'élançant à leur poursuite. Elle ignorait s'il pouvait l'entendre, s'il était toujours enfermé dans sa torpeur. « Leiftan, saisis les rênes ! »
Un bruit siffla à son oreille. Erika se jeta sur le côté, échappant de peu à des griffes meurtrières. Son épaule heurta la terre et elle comprit avec horreur qu'un autre éventreur venait de sortir du bois. Des pattes massives et velues emplissaient son champ de vision.
Elle se redressa sur les coudes, appelant la magie dans ses veines. Une faible lumière clignota dans sa main, qui s'éteignit aussitôt. Elle leva des yeux épouvantés sur les mâchoires truffées de crocs qui s'ouvrirent en grand lorsque la créature fut au-dessus d'elle. Le sang battait sourdement à ses tempes. Elle tenta de rejeter la peur mais elle savait qu'elle n'avait plus aucune chance. Elle n'était pas assez douée au combat. Elle avait échoué aux épreuves des Ombres et des Obsidiens, et même l'Absynthe, à son arrivée, l'avait tenue à l'écart des missions. Sans ses pouvoirs, elle ne valait rien.
L'éventreur fondit sur elle. C'est la fin.
Elle serra les paupières... Mais rien ne se passa.
Quand elle osa rouvrir les yeux, la première chose qu'elle vit fut la vapeur de son propre souffle qui montait en colonne dans la nuit. L'air était glacial. Depuis quand les températures avaient-elles chuté à ce point... ? Elle étouffa un hoquet de stupeur car l'éventreur s'était figé devant elle. Son corps massif était prisonnier d'une couche de glace ; des pellicules de gel s'étaient formées sur sa figure horrible et bleuie, et seuls ses yeux bestiaux parvenaient encore à s'agiter dans leurs orbites.
Elle sut qui elle trouverait à l'instant où elle leva la tête.
Lance se tenait à quelques mètres, trainant son épée comme un bourreau. Des écailles givrées luisaient sur son front à la lueur de la lune. Son visage était d'un calme terrifiant, et ses yeux... ! Elle frissonna. Ses yeux avaient la couleur froide des brasiers bleus de Mémoria.
Une fissure craquela la glace qui retenait l'éventreur, puis celle-ci vola en éclats. Le monstre fit volte-face en rugissant.
Lance fit un pas de côté et abaissa son épée avec violence. Le coup fendit le corps de l'épaule jusqu'à la hanche. Le sang jaillit à gros bouillons, fumant dans la nuit glacée. De nouveau la lame traça dans l'air un sillon d'argent et ce fut fini : la tête, détachée du corps, alla rouler dans l'herbe.
Le silence revint dans la nuit.
Erika recula sur les fesses aussi loin qu'elle le pouvait, loin de ce geyser de sang, de ce tronc sans tête, et continua de trembler malgré le froid qui s'était dissipé. Elle sursauta lorsque des mains vigoureuses se posèrent sur ses épaules. C'était Nevra, ses habits noirs étonnement épargnés malgré le carnage qu'il avait commis. Elle le laissa l'aider à se remettre debout.
« Je me demandais quand est-ce que tu allais te montrer », lâcha-t-il d'une voix plate.
Mais il ne la regardait pas. Elle se raidit en comprenant que ces paroles ne lui étaient pas adressées. Lentement, ses yeux se tournèrent vers Lance qui essuyait son épée dans la fourrure du cadavre à ses pieds. Ce dernier renifla dédaigneusement.
« Moi qui croyais être passé inaperçu. Je t'ai donc sous-estimé. »
Nevra le considéra avec une singulière expression.
« Tu es peut-être un bon épéiste mais, en matière de furtivité, tu ne peux pas duper un ancien commandant de l'Ombre, un vampire qui plus est.
— Tu savais ! » fulmina Erika.
Nevra soupira. Il lui fit face, l'air grave. « Je ne peux pas assurer votre protection à moi tout seul.
— Salaud ! » s'écria-t-elle.
Elle le fusilla du regard et le bouscula avec véhémence pour se planter devant Lance.
« Et toi ! Je t'ai dit que je me débrouillerais sans toi. Tu n'as rien à faire ici. Fous le camp ! »
Le dragon la toisa de toute sa hauteur.
« Parle-moi sur un autre ton, fit-il sèchement. Je viens de te sauver la vie.
— Je ne t'ai rien demandé ! »
Lance rentra l'épée au fourreau et darda sur elle ses yeux de glace.
« Ça suffit. Je n'ai pas de temps à perdre avec tes fadaises. Tu veux que je m'en aille ? Très bien ! Alors remets-moi le cristal. » Et il continua, avant qu'Erika puisse répondre : « Putain, vous avez tout foutu en l'air avec le gigantesque bordel que vous avez laissé derrière vous ! Hua est verte de rage. Elle a placé la salle du Cristal sous surveillance jour et nuit. Il est impossible d'en approcher maintenant, même une Ombre n'aurait aucune chance, spécifia-t-il à Nevra. Ce fragment en votre possession est ma seule chance de ramener mon frère. Donnez-le-moi et je disparaîtrai.
— C'est hors de question ! Dégage !
— Je t'ai dit de me parler sur un autre ton. »
Erika ne pouvait plus le supporter. Elle vit rouge. Une vague de pouvoir la traversa soudain des pieds à la tête et une onde jaillit de sa poitrine. Lance eut seulement le temps de tendre une main devant lui. L'énergie frappa son bouclier de glace de plein fouet, qui vola dans la nuit en milliers de particules cristallines.
Haletante, vidée d'énergie, elle examina son ennemi dont les yeux étaient agrandis par la surprise. Les pieds du guerrier, ancrés dans le sol, avaient reculé de plusieurs centimètres. Une rigole de sang s'écoulait d'une coupure à sa tempe et...
C'était tout.
Elle tomba à genoux.
« Pourquoi, gémit-elle, appuyant ses paumes dans la terre humide, pourquoi je n'y arrive plus... »
Des larmes de frustration perlèrent à ses cils, qu'elle se fit violence afin de contenir.
Le silence s'éternisa. Au bout d'un long moment, les bottes de Lance s'arrêtèrent près d'elle. Elle leva le visage pour la seule raison qu'elle ne voulait pas paraître plus misérable qu'elle l'était déjà ; et dans ce mouvement, elle fut saisie par la violente colère qui étincelait dans ses yeux.
« Ancre bien ce que je vais dire dans ta petite tête de décérébrée, murmura-t-il entre ses dents. Valkyon est mon frère. J'ai passé des années à vouloir réparer mes erreurs et, aujourd'hui, on a un moyen de le faire revenir. Je n'ai pas planifié ce voyage pour que tu viennes mettre ton grain de sel et que tu fasses tout foirer. Alors tu as deux options, parce que je le ramènerai quoi qu'il m'en coûte : ou tu me donnes ce putain de cristal et tu rentres sagement à Eel en attendant notre retour, ou je me joins à votre équipe de bras cassés. Je t'ai proposé qu'on s'entraide mais tu m'as planté un couteau dans le dos.
— Va te faire foutre.
— Alors j'imagine que je viens avec vous. »
Erika se détesta de baisser les yeux. Une ombre la surplomba et Nevra vint se placer devant elle.
« Tu as quelque chose à dire, Rugova ? jeta froidement Lance.
— Oui. Si on doit faire alliance avec toi, j'ai trois conditions. »
Le dragon arqua un sourcil et soutint son regard. La cicatrice qui traversait son nez accentuait la dureté de son visage. Sa barbe, taillée avec une discipline nouvelle, laissait voir les lignes puissantes de sa mâchoire.
« Premièrement, le cristal reste avec elle et ce point est non négociable. Deuxièmement, tu agiras comme tu l'as fait jusqu'à maintenant, c'est-à-dire en nous suivant de loin. Tes besoins et ta gamelle, je veux pas en entendre parler. Troisièmement. »
Les traits de Nevra se durcirent, empreints d'une menace voilée.
« Tu restes loin d'elle, dit-il en désignant la faelienne prostrée à terre. Si je te vois, si je t'entends ne serait-ce qu'essayer de l'approcher, je te trancherai la gorge au moment où tu t'y attendras le moins. »
Lance ricana. « Toi, tu te crois capable de me trancher la gorge ?
— Tu veux parier là-dessus ? »
Les deux hommes se regardèrent en chiens de faïence. Ils semblaient prêts à s'entretuer quand Ezarel s'éclaircit la voix et s'interposa entre eux.
« Ahum... Je ne suis pas certain d'avoir compris toute la situation mais, en ce qui me concerne, je suggère de suivre la proposition de Nevra. »
Lance découvrit les dents.
« Et quoi encore ? Tu me prends pour ton putain de gallytrot ?
— Non. Bien sûr que non. Tu aurais plutôt le rôle de... disons... d'un genre de garde du corps ? »
Lance semblait à deux doigts de le transformer en statue de glace mais Ezarel lui tint tête, le visage grave.
« Je ne suis plus très au fait de ce qui se passe à Eel, continua ce dernier, le menton haut, aussi gracieux que digne, et il est évident que j'ai manqué des informations importantes pendant mon absence. Mais j'étais là il y a sept ans. Je n'ai pas oublié ce que tu as fait, Lance. Tu as trahi ta faction. Tu as trahi tes amis... ta famille. J'ignore pourquoi tu es en liberté après les horreurs que tu as commises mais je ne peux pas agir – aucun de nous ne le peut – comme si rien ne s'était passé. »
Le dragon baissa les yeux avec humilité. N'aurait-il pas la peau mate qu'une rougeur aurait coloré ses joues. Il y eut un silence et il fit un signe d'assentiment.
« Très bien, accepta-t-il, calmé. Les conditions me vont. »
Erika se sentit malade. Son cauchemar se concrétisait et elle ne pouvait rien faire d'autre que subir les faits comme si elle y assistait derrière une vitre. Lance mit le fourreau de son épée à son épaule et se prépara à partir.
« Une dernière chose », le retint Nevra. Sur son visage opalin se forma un rictus féroce. « Tu as intérêt à garder les yeux ouverts, sait-on jamais qu'on parte sans toi. Et surveille bien tes arrières parce que ce n'est pas un de nous qui te couvrira.
— Je sais m'occuper de moi-même, merci. Contrairement à certains », ajouta Lance, caustique.
Ce disant, son regard darda droit vers Ezarel, qui subit l'offense, puis vers la calèche qui avait dérivé sur la plaine où Leiftan les contemplait de loin dans l'inanité la plus manifeste.
Nevra l'observa un long moment.
« Tout est dit. Montons le camp. »
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