IV - Ezarel

 « Merde ! »

Le feu s'était répandu sur la paillasse. Les flammes rouges se propageaient en une trainée incandescente qui auréolait la pièce d'un halo cauchemardesque. Ezarel jeta un regard anxieux à la liasse de papiers vers laquelle rampait le brasier incontrôlable, ses notes si précieuses proches d'être réduites en cendres.

Il tendit la main et sa manche prit feu à son tour. Il recula en jurant copieusement, courut plonger sa main dans le baquet qu'il gardait toujours à proximité de ses expériences, avant de saisir ce dernier à bras le corps. Poussant un énième juron, il le déversa sur son plan de travail.

L'eau éteignit les flammes dans un sifflement aigu de vapeur et la puissance du torrent emporta une partie des récipients qui se brisèrent au sol.

« Merde. Merde ! » s'écria-t-il en s'accroupissant au milieu des débris de verre. Trente pièces d'or négociées pour ces noyaux arcaniques et il n'était pas foutu d'en faire bon usage ! Il baissa les yeux sur son matériel endommagé et sur la flaque d'eau où trempaient misérablement ses notes. Des jours... ! Il lui faudrait des jours pour les retranscrire.

Il brûlait d'envie de hurler quand il entendit une présence derrière lui qui se mouvait discrètement ; un seau fut posé sur les lattes du parquet. Ses yeux fous de colère se tournèrent pour rencontrer le regard rose de Méline. La jeune femme lui adressa un petit sourire placide. Sans dire un mot. Ezarel n'en avait jamais entendu un venu d'elle.

Il souffla bruyamment, fulminant contre son erreur de calcul, et se penchait pour ramasser les tessons mais la main de Méline se posa sur son bras. Ezarel eut beau protester, elle s'obstina à secouer la tête. Il finit par la repousser sans ménagement.

« Oh, et puis fais comme tu veux ! » lâcha-t-il avec humeur, avant de sortir par la porte arrière.

Il se retint de la claquer derrière lui. Une fois à l'extérieur, il inspira profondément. L'air pur eut pour effet immédiat de relaxer ses nerfs. Il porta son regard sur la colline où le soleil de fin d'après–midi jetait ses rayons obliques. Derrière elle plongeait la vallée verdoyante creusée par le fleuve de l'Ystros, émaillée de bosquets de verdure sauvages et de terrains cultivés. Des vergers florissants bordaient les villages aux toits bleus et bruns. Les cieux calmes charriaient des petits nuages effilochés qui laissaient entrevoir dans le lointain les chaînes des monts Sizhe.

Ezarel ferma les yeux et écouta les bruits de cette campagne où rien ne changeait vraiment. Des libellules survolaient l'herbe du jardin ; un oiseau gagnait son nid en battant de l'aile ; l'air vibrait du frôlement du vent et du passage incessant d'une faune minuscule. On entendait les bruits de la nature, apaisants et harmonieux, sur un fond de merveilleux silence. Soudain, un cryslam poussa un bêlement haut et fort. Ezarel rouvrit les paupières : l'animal avait relevé son long cou et le fixait de ses yeux bleus au-dessus du portillon qui fermait le pâturage.

« Eh, comment ça va, petit père ? »

En quelques enjambées, il eut rejoint la créature et flatta le crâne duveteux entre les deux cornes cristallines.

« Toi, tu sais qu'on va bientôt te priver de cette grosse toison de tombeur, hein ? »

Un autre cryslam étendu dans l'herbe renâcla en réponse. Ezarel sourit et posa son menton sur ses bras croisés sur la barricade. La tonte devait avoir lieu au plus vite avant la saison des pluies ou la laine humide attirerait les insectes qui y pondraient leurs œufs par centaines. Il avait déjà perdu deux bêtes ainsi la première année quand il manquait encore d'expérience. Il s'en occuperait la semaine prochaine, quoique... Il tourna ses yeux en direction de la chaumière à la toiture usée. L'eau s'infiltrait déjà par des failles dans le plafond, et de fortes pluies risquaient de tout inonder pour de bon cette fois, compte tenu de sa fichue tendance à tout repousser à plus tard. Sa conscience obstinée refusait d'admettre que ces travaux étaient sa responsabilité, car cette part de lui le pensait encore de passage, mais il fallait bien se rendre à l'évidence depuis tout ce temps : il habitait ici.

Il se méprisait chaque fois de faire ce constat, méprisait ce verbe qui figeait sa situation dans le marbre. Au départ, et même s'il ne l'avait dit à personne en quittant Eel, il était persuadé de rentrer à la Garde un jour. Prendre la décision de partir avait été un déchirement mais il savait qu'il aurait été incapable de tourner la page, emmuré dans son rôle de chef. La pression le tuait à petit feu. Les responsabilités drainaient son énergie, lui qui passait son temps à tout reconstruire sauf son âme, que le chagrin et la violence avaient laissée déchirée. Quoi de plus naturel qu'il ait pris ses distances. Il voulait seulement se laisser du temps, si tant est qu'on peut se relever des affres de la guerre. Des mois suffiraient. Une année peut-être. Mais force était d'admettre qu'au lieu de s'atténuer, les cauchemars et les insomnies étaient venus en plus grand nombre. Les jours où il cessait de se mentir à lui–même, Ezarel savait qu'il avait épuisé pour toujours sa capacité à diriger qui que ce soit.

Bellac avait été une évidence pour sa retraite. À sa mort, dame Kaylin lui avait légué la chaumière qu'elle avait elle–même habité après avoir remis sa démission. Ezarel avait plus d'une fois rouspété contre cet héritage qu'il jugeait absurde, mais il n'avait jamais trouvé le courage de revendre la maison.

Et quand, dans les suites de la guerre, il était venu à la recherche d'une échappatoire, d'un lieu de repli, de n'importe quoi qui l'aiderait à oublier, à peine avait-il posé ses valises qu'il avait trouvé ici la sérénité. La nature avait enrobé sa douleur, avait enveloppé son cœur meurtri comme le duvet autour du bourgeon et, après un long et morne hiver, un jour il s'était réveillé dans le printemps. Il avait écouté les bruits des insectes, le chant des oiseaux, respiré l'odeur des fleurs et de l'herbe ; il s'était abîmé dans la contemplation de la vallée pendant qu'un souffle frais passait sur son visage et il avait su qu'il n'y aurait pas de retour en arrière.

Lui qui ne jurait autrefois que par la vie citadine, il se remémorait avec angoisse la foule et le vacarme permanents de la plus grande cité d'Eldarya.

Ezarel entendit une porte grincer à l'intérieur de la maison. Il vit par la fenêtre Méline qui se rendait aux bacs de nettoyage. Les tresses qui s'entrecroisaient sur sa tête brillèrent d'un éclat de nacre quand elles captèrent un peu de la lumière du jour. Il laissa traîner son regard sur le foulard qui ne quittait jamais sa gorge, descendit sur ses épaules à la courbe douce... Lorsqu'il se rendit compte qu'il la fixait, il détourna la tête avec embarras.

Soudain ses oreilles frémirent. Un attelage approchait. Des clients ? pensa–t–il avec aigreur. Il n'était vraiment pas d'humeur marchande et il espéra que la voiture qu'il entendait venir ne prévoyait pas une escale chez lui avant d'arriver au village. Toutefois, au martèlement prononcé des sabots, il sut que les voyageurs avaient emprunté le petit chemin vers la maison. Avant même qu'il songe à aller voir, la porte de l'arrière s'ouvrit à la volée. Méline sortit dans la lumière déclinante, la figure blême, tremblant des pieds à la tête.

« J'y vais », lança-t-il, sans savoir pourquoi il prenait encore la peine de le préciser. Méline n'allait jamais ouvrir. Elle détestait quand il recevait des visites.

Ezarel quitta l'enclos des cryslams et contourna la maison, longeant le potager où poussaient de jeunes salades à côté de la rangée de glelles. Il avait récolté la semaine précédente des tomates énormes et juteuses qui avaient eu l'air de faire plaisir à Méline. Il avait aussi des arbres qui donnaient quantité de fruits qu'il avait l'habitude de vendre ou de troquer. Quant à ses fleurs, elles étaient belles, grandes et d'une vigueur remarquable. Il s'enorgueillissait d'avoir la main si verte, une évidence pour un ancien membre de l'Absynthe, son chef qui plus est.

Avant de passer le coin de la maison, il essuya son visage et sa manche lui revint noircie. Quelle image devait-il renvoyer avec son visage poudré de suie et ses cheveux bleus ébouriffés en tous sens ! Il soupira, renonçant à sa présentation.

Il arriva en même temps que l'attelage et s'apprêtait à congédier les visiteurs quand il se figea.

Tout sourire, le conducteur du véhicule agitait sa main en guise de salut. Ezarel n'en revenait pas. Ces cheveux de jais, cette pâleur vampirique, cet œil provocateur qui lui rappelait un borgne qu'il avait connu, certes plus rieur mais...

Sa bouche s'ouvrit sans savoir quoi dire quand la vision de la jeune femme qui descendait du chariot le frappa en plein cœur.

Il s'entendit chuchoter encore : « Merde » (n'avait-il que ce mot à la bouche aujourd'hui ?) et frotta ses yeux incrédules.

Il savait qu'il avait forcé de l'épiphane hier soir. Rien qu'une petite dose de plus, un minuscule grammage qui l'avait jeté dans le délire quand il l'avait reniflé sur sa table de nuit comme un malfrat, lumière éteinte pour se cacher de Méline. Une affreuse inquiétude le traversa. Était-ce donc le début de la fin ? Lui, l'un des génies de son temps, succomberait-il à une mort aussi vulgaire qu'un excès de drogue ?

Ezarel ne disait rien, ne bougeait pas, n'osait même pas respirer, terrifié par l'hallucination qui s'était matérialisée devant lui, si semblable à une personne faite de chair et d'os. Soudain Erika étouffa un sanglot et courut vers lui. Quand elle jeta ses bras autour de son cou, il fut happé par une odeur qu'il n'avait plus sentie depuis sept ans, une odeur chaleureuse et solaire qui lui évoquait un foyer... sa famille. Il ne voulait pas y croire, il ne fallait pas... Mais Ezarel mit de côté ses doutes et la serra en retour contre lui. La sensation était réelle. Son corps, sa chaleur, tout ce qu'il y a de plus réel. Il se recula, toucha son visage. « Comment est-ce possible ... ?

— On ne sait pas, Ez', gémit-elle dans un bruit sourd partagé entre le sanglot et le rire. On ne sait pas. Mais je suis de retour ! »

Une fois certain qu'il n'avait pas perdu la raison, l'émotion entrava sa gorge. D'un rapide battement de cils, il chassa les larmes qui perlaient à ses yeux. Il se ressaisit et, lentement, se tourna vers Nevra.

« Dis donc, Rugova... » Ezarel se sentit venir un sourire d'une outrecuidance familière. « Je vois que tu as enfin décidé d'être adulte, continua-t-il sur un ton terriblement frondeur. J'ai bien failli ne pas te reconnaître sans ton joujou de pirate. »

Il fut étonné de sa propre hardiesse comme si sept années ne les avaient pas séparés.

Le vampire découvrit ses dents d'un air matois, dévoilant deux canines brillantes.

« Et moi donc, mon vieux ! nota ce dernier en le détaillant de haut en bas. Putain, on peut dire que tu as changé de style. »

Ezarel haussa les épaules. Nevra pencha la tête en écartant les mains et il ne fallut qu'un instant pour que les deux amis se jettent dans les bras l'un de l'autre. Grande et miséricordieuse épiphane ! pensa Ezarel, ému, au milieu de cette étreinte. S'il perdait la tête, au moins la perdait-il heureux...

L'instant d'euphorie dissipé, il remarqua que le chariot transportait une troisième personne qui patientait humblement à l'écart, le visage dissimulé sous un ample capuchon blanc. Quand il reconnut Leiftan, le sourire d'Ezarel retomba comme un soufflé. Il demeura figé dans un moment de stupeur terrible, et cette stupeur était sur le point d'imploser en colère mais le bêlement d'un cryslam rompit le fil de ses pensées.

Erika s'éclaircit la voix.

« Est-ce qu'on peut entrer ? »

* . * . *


Ezarel les introduisit dans le séjour qui faisait également office de salle à manger. Nevra et Erika entrèrent pieusement et regardèrent autour d'eux comme s'ils exploraient un lieu saint. L'intérieur n'offrait pourtant qu'un tableau rustique : tout en pierres grises, sans artifice. Méline avait déjà tout rangé et, de l'accident qui était survenu, il ne subsistait rien, sinon une odeur de soufre.

La lumière du jour déclinait dans la pièce. Le soleil était bas sous la colline. Après avoir indiqué deux chaises à ses visiteurs, Ezarel se laissa tomber dans la sienne et passa une main sur son visage.

« Je vais être honnête, dit-il en ouvrant un œil : je ne m'attendais vraiment pas à ça en commençant ma journée. »

Erika gloussa. Le cœur d'Ezarel se serra à l'entente de ce son. Il n'arrivait pas à se défaire de cette impression de rêver, d'être toujours imprégné de son shot d'épiphane et que tout pouvait disparaître d'un moment à l'autre.

« Depuis quand est-ce que ... ? » Il n'osait pas prononcer le mot qui restait en suspens. Depuis quand es-tu ressuscitée ? Et tout à coup une pensée lui vint, si terrible qu'elle le rendit profondément malheureux : et s'il y avait longtemps qu'Erika était de retour mais qu'elle prenait la peine de l'en informer seulement maintenant ?

« Je me suis réveillée il y a bientôt un mois, dit-elle, coupant court à cette pensée.

— Il s'est passé quelque chose ? » s'inquiéta Ezarel avant qu'une anxiété le foudroie. « Est-ce que... le cristal... !

— Rassure-toi. Le cristal n'est pas en danger. À vrai dire, nous n'avons pas de franche explication sur le pourquoi de notre réveil. Pourquoi maintenant ? Pourquoi Leiftan et moi ? Simplement... pourquoi ? souffla-t-elle en baissant les yeux. Je l'ignore.

— Alors c'est un miracle, conclut Ezarel qui n'avait pas manqué l'intensité avec laquelle Nevra observait la jeune femme. Du moins, en ce qui te concerne. Désolé mais je ne peux pas me réjouir pour le traître qui rôde dans mon jardin. »

Leiftan n'avait pas demandé à entrer, pas plus qu'Ezarel ne lui avait proposé l'asile. Grand bien lui fasse ! Il l'aurait foutu à coups de pieds dehors si le céleste avait eu le toupet de s'inviter chez lui.

Erika acquiesça en silence mais il y avait du chagrin dans ses yeux. Ezarel devait reconnaître que certains points de la situation lui échappaient. Pourquoi avoir pris la peine d'emmener Leiftan pour une (banale) visite de résurrection ?

« Vous avez fait tout ce chemin pour m'annoncer que tu es vivante ? » demanda-t-il de but en blanc.

Une désagréable impression se logea en lui quand il nota le regard que ses anciens compagnons échangèrent. Après avoir pris une inspiration, Erika fouilla son sac et posa sur la table une pierre dont l'aura bleutée lui était familière.

Le souffle d'Ezarel se bloqua dans sa gorge.

« Par tous les dieux, murmura-t-il, qu'est-ce que... ?

— Pas de panique ! s'empressa-t-elle de répondre. Tout va bien, je te l'ai dit. C'est... On a juste, tu vois... emprunté un morceau. »

Emprunté. Horrifié, il ne put manquer le sourire amusé que Nevra dissimula derrière sa main.

« Le cristal ne fait pas partie de ces choses qu'on emprunte comme le torchon de son voisin de chambre, Erika ! rétorqua-t-il, perdant patience. Qu'est-ce que vous mijotez tous les deux ?

— On reforme la bande. Ou presque. »

Les sourcils d'Ezarel s'élevèrent, interrogateurs. Il n'eut pas besoin de poser la question, la réponse venant d'elle-même :

« On va ramener Valkyon. »

À ces mots, Ezarel manqua de s'étrangler. Ses yeux effarés se posèrent sur le visage d'Erika dont les traits exprimaient une gravité solennelle. Cette expression... Pour l'avoir déjà vue des centaines fois, il savait ce qu'elle signifiait. Elle est sérieuse.

Il se frotta la nuque, pris d'un malaise.

« Écoutez, je veux bien croire aux miracles mais j'ai vu comme vous deux Valkyon... » Il s'interrompit. Prononcer la vérité, même après toutes ces années, restait infiniment douloureux. « Je l'ai vu mourir. J'ai porté son corps et le calice qui contenait ses cendres. J'ai gravé son épitaphe dans la pierre. Tu étais là, toi aussi », ajouta-t-il à voix basse en regardant Nevra.

Le vampire resta silencieux. Ezarel le dévisagea. Il l'avait connu en joli garçon un peu trop conscient de ses charmes, soucieux de son image et des mondanités, mais l'étranger au masque de pierre qu'il avait en face de lui, enveloppé par les ombres, dégageait une telle aura de létalité qu'il ne put réprimer un frisson.

Erika prit la parole. « Tu connais la légende du Mont de Tamur ?

Ezarel sourcilla à ce nom. Bien sûr qu'il la connaissait. Comme tout savant qui se respectait, il s'était intéressé de près à la genèse.

« Qu'est-ce que ça a à voir avec... ? Oh merde ! » fit-il en comprenant ce qui se tramait.

Il la fixa avec horreur et les yeux d'Erika brillèrent, lui confirmant qu'il avait vu juste.

Il se tourna brusquement vers Nevra. « Nom d'un foutu molecat, Rugova ! lança-t-il sans se soucier d'élever la voix. Tu es d'accord avec ça ? »

Avec un petit sourire contrit, le vampire haussa les épaules. Il désigna la faelienne d'un mouvement de tête. « Il faut bien que quelqu'un l'empêche de foutre sa vie en l'air. Et puis... ça ne coûte rien d'essayer, non ? Qu'est-ce qu'on a à perdre ? »

Des années à nous être reconstruits, pensa instantanément Ezarel. D'être brisés. Une fois de plus. Son ventre se tordit à cette idée mais il n'en dit rien.

« C'est de la folie, contra-t-il à la place. Le Mont du Tamur est à l'autre bout du continent. Il faudrait compter au moins deux mois pour s'y rendre, et je parle seulement de l'aller ! » Et il ne mentionnait pas les imprévus car ils se glisseraient naturellement, à n'en pas douter, comme dans tout voyage. « Les routes de l'ouest n'ont rien de semblable avec celles d'ici. Les bandits tendent des embuscades et chaque année des voyageurs sont dévorés par des monstres. Les gars, ça n'a rien d'une promenade de santé !

— Tu as toujours été le rabat-joie de la bande », commenta Erika avec le plus grand sérieux.

Ezarel sentit ses joues s'échauffer.

« Parce que je n'ai pas ton insouciance, Erika, ni la dextérité de Nevra, ni la force de Valkyon pour me tirer d'affaire, j'ai appris à compter sur mon cerveau. Ce qui ne fait pas de moi un rabat-joie mais quelqu'un de réfléchi et de prudent. Et ma prudence est ce qui a vous a sauvé la vie un bon paquet de fois, je te rappelle !

— C'est pour cette raison qu'on a besoin de toi. »

Ezarel fut décontenancé. Son regard glissa vers le visage d'Erika levé vers lui – ô si touchant –, empreint d'une détermination certes sans faille, mais fragilisé par les incertitudes et par une perspective si terrible qu'il savait qu'elle l'avait enterrée quelque part au fin fond de son esprit : celle de l'échec.

Bras croisés, Nevra écoutait sans intervenir. Son silence taciturne interpellait Ezarel. Il aurait donné cher pour savoir ce que le vampire pensait de cette histoire mais il avait l'impression qu'il avait suivi Erika dans sa folle entreprise par souci de veiller à sa sécurité.

« Ez', finit-elle par murmurer doucement, souviens-toi comme on formait une équipe du tonnerre. On adorait partir en mission à nous quatre. On trimait et on flippait tous ensemble mais, à la fin, on en riait autour d'une bouteille d'hydromel. Cette époque était la meilleure de ma vie et je chéris ces souvenirs. » Elle les observa tour à tour. « Je sais qu'il en va de même pour vous. Alors ce voyage, il faut qu'on l'accomplisse ensemble. Il faut qu'on se donne toutes les chances de sauver Valk'. Partons pour une dernière aventure, comme au bon vieux temps...

— Je ne peux pas, souffla-t-il misérablement.

— Je ne te demande pas de le faire pour moi mais pour lu-

Arrête ! » s'écria-t-il.

Il se tint les tempes à deux mains. Le silence tomba sur la pièce. Il s'obstina à secouer la tête, le regard baissé.

« Sept ans sont passés, Erika. Merde, il y a une heure encore, je te croyais morte ! Et tout à coup tu débarques chez moi et tu t'attends à ce que je laisse tout en plan pour... pour te suivre à l'autre bout du monde mener un projet complètement dingue dont je pourrais ne jamais revenir ! Je suis désolé mais les choses ne fonctionnent pas ainsi. Plus. »

Les doutes le submergeaient. Une part de lui n'aspirait qu'à répondre à l'appel du voyage avec ces gens qu'il avait considérés comme sa propre famille, mais il avait aussi conscience qu'il n'était plus le même et qu'il risquait de s'effondrer pour de bon à poursuivre une chimère. Il osa enfin lever les yeux. Une douleur cinglante le frappa quand il vit la souffrance peinte dans les traits d'Erika.

Près d'elle, le regard de Nevra se fit tranchant.

« Qu'as-tu ici qui te retient ? »

Ezarel déglutit, mal à l'aise. Il savait que le vampire devait avoir une conscience aigüe de l'odeur de Méline. Il l'avait probablement flairée dès son entrée dans les lieux. Qu'il aborde le sujet n'était qu'une question de temps.

Au même instant se fit un bruit discret et une ombre passa rapidement dans le couloir.

« Qui est-ce ? » demanda Erika en se redressant.

Ezarel se leva, ferma la porte et se tourna vers eux.

« Elle s'appelle Méline.

— Elle et toi... ?

— Non, fit-il d'un air las en brassant l'air de sa main. Ne vous faites pas d'idées. Elle et moi, nous n'entretenons pas ce genre de relation. Ce n'est pas à cause d'elle que je refuse. C'est... » Il s'obligea à formuler sa pensée à voix haute. « Erika, la mort fait partie de la vie. Je sais, crois-moi, je sais, qu'il n'y a rien de pire que perdre un être cher. La douleur nous déchire. On a l'impression de perdre un bout de son âme, on a l'impression qu'on ne guérira jamais... Mais le chagrin et le deuil sont les étapes d'un processus naturel. Nous avons tous une fin. Tôt ou tard, je mourrai. Nevra mourra. Et toi aussi, Erika, un jour tu cesseras de respirer, sans cristal pour te retenir prisonnière.

— J'entends ce que tu dis, Ez'. Mais Valkyon avait toute la vie devant lui. Sa... mort, prononça-t-elle avec difficulté, n'avait rien de naturelle. Il est parti trop tôt.

— Et tu as raison. Mais il n'est pas le seul car une guerre tue et les guerres existent depuis la nuit des temps. Et quand bien même, les morts prématurées arrivent. Des maladies sévissent, des accidents ont lieu tous les jours. À la fin, le résultat est le même : les défunts quittent ce monde l'âme en paix et ce sont toujours les vivants qui souffrent. Ce n'est pas juste mais c'est ainsi. Valkyon était un guerrier. Au moins est-il mort avec honneur sur le champ de bat-

— Il s'est empalé en haut de cette putain de tour, Ezarel. Au nom de notre amitié, ne me parle pas d'honneur. »

Erika respirait fort et elle était très pâle ; de faiblesse ou de rage, il l'ignorait.

« Je respecte ta souffrance, dit-il en soutenant son regard, mais il n'est pas le seul à être tombé ce jour là. »

Elle s'assombrit et Ezarel crut percevoir un jugement dans ses yeux.

« Eh bien, il est le seul assez aimé pour que ses proches entreprennent ce voyage », cracha-t-elle.

Cette obstination farouche lui fit perdre patience.

« Tu ne comprends pas où je veux en venir, Erika ! s'écria-t-il, renonçant à chercher les mots justes. Les morts sont morts mais les vivants continuent de souffrir ! Tu parles de ramener Valkyon à la vie. Que se passera-t-il si nous échouons ? Si nous arrivons trop tard ? Si Amdar refuse de répondre à ton vœu ? Ou pire, imagine si tout cela n'est pas réel ? Qu'arrivera-t-il ? Sauras-tu t'en relever ?

— Et si c'est réel ? rétorqua-t-elle avec un calme et une dignité qui le prirent au dépourvu. Imagine que nous arrivions à temps. Imagine qu'Amdar réponde à mon vœu. Toi, imagine, ce que cela pourrait être. »

Sa réponse réveilla en Ezarel quelque chose qu'il croyait mort depuis longtemps : un substrat de candeur et de lumière qui lui rappelait ce qu'était l'espérance. Il laissa tomber son visage dans sa main, étouffant un rire sans joie.

« Par les dieux, tu as raison. Je suis bien le rabat-joie de la bande. »

La jeune femme se contenta de le regarder. De l'autre côté de la table, Nevra ne fit aucun commentaire.

« Je suis désolé, dit Ezarel à mi-voix, honteux. Donne-moi juste... un instant pour y réfléchir. »

Ses doigts tremblaient. Une pellicule de sueur couvrait son front. Merde, il avait une folle envie d'épiphane. Il cherchait un prétexte pour rejoindre sa chambre où il pourrait s'enivrer de sa délicieuse petite drogue, mais il songea à Méline qu'il trouverait probablement cachée près de l'armoire si elle n'était pas déjà terrée dans un trou du jardin, et il renonça à l'idée.

Ezarel se laissa aller contre le dossier de sa chaise, massant ses tempes. Il prit une profonde inspiration et jeta un coup d'œil par la fenêtre.

« Leiftan, les gars, sérieusement ? »

Leiftan était assis sur le tertre, immobile, contemplant le jour mourant. Nevra suivit son regard. Son expression était sinistre.

« Le type est bizarre depuis son retour, déclara celui-ci. Des deux, c'est lui qu'on a trouvé le premier. Une nouvelle de l'Absynthe a entendu des cris en provenance de la Salle du Cristal. Il paraît qu'il était en train de hurler et de se débattre comme un diable et qu'il a fallu une incantation d'Eweleïn pour le calmer. Elle l'a emmenée avec elle et l'a gardé une nuit en isolement. Il est comme ça depuis qu'il en est sorti.

— Il ne parle pas », renchérit Erika.

Ezarel pianota sur la table, réfléchissant. « Tu as des souvenirs de ton temps passé dans le cristal ?

— Aucun, admit-elle d'une voix enrouée. Ces sept années sont passées comme si je m'étais endormie un soir et que je m'étais réveillée le lendemain. »

Quelle horreur ! songea-t-il – une pensée qu'il prit soin de garder pour lui. Il préférait cent fois revivre ses tribulations que renaître en étranger dans un monde qui avait progressé sans lui. Autant demeurer endormi à jamais...

« Peut-être que Leiftan l'a vécu différemment, avança-t-il. Peut-être que lui n'était pas en état de sommeil. »

Erika blêmit. « Tu penses qu'il a pu être conscient durant tout ce temps ?

— Je l'ignore. C'est une hypothèse. Mais à le regarder, ce qui est sûr, c'est qu'il a vécu des choses là-dedans. »

Il fut surpris, disant cela, d'éprouver de la pitié pour lui. Leiftan n'en méritait aucunement. Il était un traître qui s'était glissé parmi eux, avait partagé leur table, leurs secrets sans qu'il n'ait un instant douté de son intégrité. Ce n'était que justice qu'il paie pour ses actes. Il jeta un coup d'œil à Erika dont le visage était troublé par une lucidité toute nouvelle. Elle semblait ne pas avoir envisagé une réalité aussi cruelle, que Leiftan ait pu voir le temps s'écouler pendant sept ans, prisonnier de sa propre conscience.

Un nouveau silence passa. Ezarel contempla la vallée rosie par le crépuscule, puis il ferma les yeux.

« C'est d'accord, décida-t-il. J'en suis.

— Tu n'es pas obligé de venir avec nous, hésita Erika qui ne savait plus comment réagir.

— J'ai quitté Eel parce que ce qui est arrivé me hantait. J'ai tout laissé derrière en pensant que je pourrais refaire ma vie mais je n'ai jamais réussi à tourner la page. Rien n'était pareil sans vous. » Ses yeux trouvèrent ceux de Nevra, lui transmettant des excuses silencieuses. « Franchement, j'ai su que je vous accompagnerais dès le moment où tu me l'as demandé. Pfft, idiot que je suis... j'ai fait semblant de résister pour me donner bonne conscience. »

L'émotion fit luire les yeux d'Erika. La lumière du crépuscule se refléta dans ses larmes. Elle tendit ses mains par-dessus la table et les referma sur les siennes.

« Merci, souffla-t-elle. Merci, Ez'. »

Ainsi était décidé. Ezarel serra ses mains en retour, puis se leva vivement.

« Bon ! Ce genre de retrouvailles, ça se fête, non ? Vous voulez boire quelque chose ? Enfin... je crains d'avoir seulement de l'hydromel en réserve.

— Le contraire m'aurait étonné », commenta Nevra avec un petit sourire pincé.

Ezarel sortit trois chopes d'un placard, qu'il dépoussiéra, et déboucha une bouteille de liqueur dont il prit le temps de humer le bouquet. Pendant un instant, on entendit seulement le bruit de l'hydromel versé dans les coupes. Lorsque tous furent servis, il leva sa chope.

« À quoi on trinque ?

— Ta maison, tu décides.

— Dans ce cas, dit-il, solennel, à Valk'. Il était le meilleur d'entre nous. »

Chacun acquiesça et ils burent en son nom.

« Donc, commença Erika en reposant sa chope, les lèvres humides de liqueur dorée, une chance qu'on voie le bout du nez de cette Méline avec qui tu vis ?

— Non. Excusez-la, elle est du genre réservée. »

Comme ils attendaient la suite, Ezarel soupira.

« Il y a deux hivers, je l'ai trouvée dans la vallée où j'ai l'habitude de récolter mes ingrédients. Elle mourait de froid. » Le souvenir lui arracha un frisson. La vision de cette jeune fille à l'air hagard, recroquevillée dans des fourrures couvertes de sang séché l'avait ébranlé. Elle n'avait même pas essayé d'allumer un feu. Il fit l'impasse sur les détails. « Bref, je l'ai recueillie, elle est restée, puis je suppose que je ne l'ai pas mise dehors. Je crois que... j'avais besoin de compagnie. »

Il fit semblant de ne pas voir l'étincelle de douleur dans l'œil de Nevra. Il lampa son hydromel et préféra changer de sujet :

« Comment vont les choses à Eel ?

— Bien, répondit sobrement Nevra. La Garde a une sacrée allure maintenant. Elle est loin de ce qu'elle était autrefois, tu sais. Les jardins sont tout le temps en fleurs. Personne ne manque de nourriture ; d'ailleurs, on ne manque plus de rien. Et on a beaucoup construit autour du Refuge. Des gens de tous horizons viennent à notre porte avec l'espoir d'intégrer nos rangs. » Il fixa un point dans le vide. « Hua est une bien meilleure dirigeante que l'était Miiko.

— Je crois que plus personne n'est à convaincre », convint Ezarel.

La démission de la kitsune, venue quelques semaines après la sienne, n'était qu'une affaire de temps. Elle n'avait pas l'étoffe d'une dirigeante. Il avait cru, au tout départ, voir en elle un germe d'un potentiel qui n'avait jamais complètement mûri. Miiko avait de l'autorité mais elle ne faisait appliquer aucune loi, entendait les revendications sans les écouter ; elle avait fait entrer Eel dans une errance politique et dans une misère sociale dont le mouvement séparatiste s'était saisi. Son gouvernement désorganisé était une des raisons pour lesquelles la guerre était parvenue à sa porte. Mise devant le fait accompli, elle n'avait eu d'autre choix que de renoncer à ses fonctions.

Le visage d'Erika se fit sombre.

« Mais elle a changé, dit-elle. Hua, je veux dire. Je peux comprendre qu'elle ait des obligations mais elle qui prônait la bonté et la tolérance, elle est devenue si... je ne sais pas... autoritaire. Je ne peux plus rien faire, ni dire qui aille contre son avis...

— Non, elle est toujours la même, fit remarquer Ezarel avec indulgence. La droiture et la fermeté sont des qualités plébiscitées par les feng-huangs. Hua ne s'en est jamais cachée. Lorsqu'elle venait épauler Miiko pour lui dicter à l'oreille la marche à suivre, ce n'était qu'un avant-goût de la politique qu'elle mènerait une fois parvenue au pouvoir. Elle a du charme et beaucoup de présence. Tu étais aveuglée par sa façade, comme tant d'autres l'ont été. »

Les membres du Conseil avaient toujours su à quoi s'en tenir en ce qui concernait Hua. Leiftan l'avait détestée dès le moment où elle était venue mettre son nez dans leurs affaires, pour la bonne raison, avait compris Ezarel, que sa présence lumineuse balayait l'emprise qu'il exerçait sur Miiko. Même Valkyon, qui était le plus naïf d'entre eux, avait exprimé des doutes quant à l'ouverture de leur cercle à une étrangère, aussi secourable soit-elle. Seule Miiko n'avait pas pris conscience de la menace qu'elle avait laissée entrer, perdue comme une enfant au milieu de grandes discussions d'adultes.

Néanmoins, Hua avait instauré des règles dans un fragile système où menaçait d'éclater l'anarchie. Elle avait permis de faire prospérer la Garde ; cela, Ezarel devait bien le reconnaître.

Nevra, silencieux, regarda le fond de sa chope. « Je ne sais pas si tu as eu vent des nouvelles mais elle est mariée à Eweleïn. »

Il en était informé. Quatre ans plus tôt, il avait entendu les rumeurs. Il ne pouvait nier que la nouvelle avait rouvert en lui de vieilles blessures. Il s'était réjoui pour Eweleïn mais il s'était demandé s'il n'avait pas laissé filer avec elle son unique chance d'être heureux.

« Il paraît que c'est la sœur de Hua qui a repris le commandement de l'Absynthe, dit-il, soucieux de passer à autre chose.

— Huang Chu est la personne la plus qualifiée pour le travail, acquiesça Nevra. Elle est sérieuse, compétente et, ma foi, aussi cynique que son prédécesseur. Vous avez beaucoup en commun. Il lui manque juste une dose d'humour... et un soupçon de tyrannie ? »

Ezarel voulut écraser son pied sous la table mais Nevra se déplaça avec élégance, chantonnant qu'il l'avait bien dit.

« D'accord, parlons peu, parlons bien ! Et toi, mon vieux, tu en es où ? Toujours pas fatigué de diriger l'Ombre ? »

Nevra cligna des yeux. « Il y a longtemps que je n'occupe plus ce poste. Je suis un membre à part entière de l'Étincelante à présent. »

Ezarel hoqueta. « À part entière ? Qu'est-ce que ça veut dire ?

— Je suis le second de Hua. Son ministre, son conseiller, son ambassadeur, dépendant des circonstances, expliqua son ami en sirotant son hydromel. Mon poste est l'équivalent de celui qu'occupait Leiftan à l'époque. »

Ezarel était tellement surpris qu'il lui fallut un instant pour digérer cette information. Il fit tourner sa boisson dans son verre.

« Qui t'a succédé alors ? Karenn ?

— Chrome.

— Chrome », répéta Ezarel en hochant lentement la tête.

Que l'Oracle lui vienne en aide ! Il n'était plus autant au fait de l'actualité qu'il pensait l'être.

« Il est si grand maintenant ! fit remarquer Erika avec un tendre sourire. Tu aurais du mal à le reconnaître. Notre louveteau pense et parle comme un adulte. Ça me fait drôle de le trouver si changé. Quand je pense qu'il a mon âge...

— Mouais. Pour moi, il restera toujours le sale morveux qui chipait le miel de la réserve pour une fille qui le traitait comme une sous-merde. »

Le regard que Nevra lui lança lui fit froid dans le dos.

« Tu parles de ma sœur, gronda ce dernier. Et ils sont ensemble maintenant.

— Ravi de l'apprendre. Ça ne change pas le fait qu'elle le traitait comme une sous-merde. »

Le vampire se figea. Un rictus tira les commissures de ses lèvres et il laissa fuser un léger rire. « Ouais. Peut-être. »

Chrome, fait capitaine ! Ezarel avait du mal à le croire. La Garde était décidément le lieu de tous les possibles où l'on distribuait des promotions à n'importe quel abruti.

Il lissa sa moustache après avoir vidé son verre. Il les resservit et but une nouvelle rasée d'hydromel.

« Je n'aurais jamais pensé le dire, avança Erika qui l'observait, une main sous le menton, mais la barbe te va plutôt bien. »

Il sourit.

« Tu te souviens du jour où tu m'as trouvé à ton chevet après ta mésaventure avec la potion de syronomajie ? Chrome et toi, vous reveniez de l'île de Jade. Brillants comme vous êtes, vous aviez paumé le bateau.

— C'est faux. On nous l'avait volé !

— Vous l'aviez quand même paumé. Bref, je me suis collé une fausse moustache sur la figure et j'ai voulu te faire croire que cent ans étaient passés. Tu y avais presque cru. »

Erika sourit, puis son expression se voila.

« Oh, Ez', j'ai l'impression que ça fait cent ans. »

Un étau serra le cœur d'Ezarel, une vague de nostalgie au souvenir de cette époque si heureuse et prospère. Il crut déceler une émotion similaire chez Nevra avant que son visage se referme tout aussi subitement.

Quand elle se rendit compte du silence qui avait accueilli ses mots, Erika battit des cils.

« Zut ! dit-elle en rougissant. Je suis désolée, les gars. Je voulais pas plomber l'ambiance. »

Elle avait été privée de corps et de conscience pendant sept ans et elle s'était réveillée dans un futur où elle n'avait plus sa place. Cette même terrienne qui avait été propulsée dans un monde étranger et qui avait dû faire le deuil de sa terre natale. La mort de Valkyon donnait l'impression que le sort s'acharnait sur elle. Ezarel ne pouvait même pas imaginer la profondeur de sa détresse.

« On sera toujours là pour toi », dit-il avec douceur.

Il n'avait pas pris le temps d'y réfléchir mais il supposait – non, il savait – qu'il en allait de même pour Nevra.

Erika hocha la tête avec reconnaissance. Tous les trois sirotèrent leur boisson en silence, abîmés dans leurs réflexions. L'estomac d'Ezarel était vide et l'hydromel faisait monter dans sa poitrine et sa tête une chaleur frétillante.

Dehors, les derniers rayons du soleil couchant enflammaient l'horizon. Les silhouettes éparpillées des cryslams formaient comme des boules de coton dans l'herbe.

« La nuit est presque tombée ! s'écria-t-il en se levant précipitamment. Attendez-moi ici, je dois rentrer les cryslams. »

Il allait prendre sa veste quand Nevra et Erika s'entreregardèrent et hurlèrent de rire. Ezarel se figea, le cœur transporté par un extraordinaire sentiment qui l'avait déserté : la joie. Il laissa ce sentiment s'épanouir, répandre sa lumière dans les zones de ténèbres qui avaient noirci son âme.

Il se rendit compte qu'il s'était senti vide tout ce temps.

Une dernière aventure, se répéta-t-il en ouvrant la porte. Oui, il leur devait bien ça.


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Merci de m'avoir lue ! 

Ca y est, la bande est réunie. Si vous avez joué à NE, je pense que vous comprenez pourquoi j'avais hâte d'arriver à ce moment ^^

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