A little prisoner
Petit défi d'Halloween : transformer une œuvre dédiée à l'enfance en quelque chose... d'halloweenesque.
J'ai choisi le roman A Little Princess de Frances Hodgson Burnett, parce que j'ai a-do-ré l'adaptation qu'en a réalisé Cuarón. Je suis fan, définitivement. J'ai toujours 7 ans et demi quand je le re-re-re-re-regarde.
***
Londres, 1915.
Plantée sur le perron de l'imposant bâtiment londonien, l'enfant observait avec abattement la large plaque de bronze fixée au mur.
Pensionnat pour filles
de Miss Minchin
Échappant un lourd soupir, elle serra plus fort la main chaude qui ne la quittait pas depuis le matin. Conscient de son trouble, l'adulte à ses côtés marqua un temps d'arrêt avant de s'accroupir à son niveau. Le regard à la fois doux et triste, il lui adressa un sourire qu'il espérait rassurant et affirma :
— Tout va bien se passer. Je suis certain que tu vas te plaire, ici.
— Je ne veux pas que tu partes.
— Nous en avons déjà discuté, mon ange. On a besoin de moi en France.
— Tu n'es pas obligé d'y aller, objecta la fillette, les yeux voilés de larmes. L'Empire britannique n'envoie là-bas que les volontaires, je l'ai lu dans le journal. Et moi aussi, j'ai besoin de toi.
Malgré sa peine, l'homme ne put réprimer un mince sourire de connivence. Lui-même s'était fait une réflexion identique l'année précédente, lorsque le conflit avait éclaté. Reclus au fin fond des Indes avec son enfant chérie, quasiment oublié de la civilisation occidentale, il n'avait renoncé à sa vie paisible et sans souci qu'en vertu de cette liberté qu'il défendait farouchement.
— Je ne pars pas de gaieté de cœur, mon ange, mais on ne peut laisser nos camarades européens se battre seuls contre l'oppresseur. C'est mon devoir d'être humain que d'apporter mon aide à mes semblables, tu comprends ? Quant à toi, je sais que tu te débrouilleras parfaitement en attendant mon retour. Tu es une jeune fille très courageuse et je ne doute pas qu'avec ta gentillesse, tu te fasses très rapidement des amies.
L'enfant se contenta de hocher la tête. Il était simple d'être aimable avec des personnes qu'on a côtoyées toute sa vie, mais en cet instant, elle se sentait profondément déracinée. Bien qu'Anglaise, elle était née aux Indes, n'avait jamais éprouvé le froid mordant de l'hiver ou les couleurs ternes des rues londoniennes.
— Et puis, n'oublie pas notre secret..., poursuivit ce dernier en adoptant soudain un air de conspirateur. Nous ne nous quittons pas vraiment, puisque chaque nuit, tu viendras dans mes rêves me rapporter ta journée, et je viendrai dans les tiens te conter de nouvelles histoires.
Un élan de douceur étreignit le cœur de la fillette. Son père n'avait pas besoin d'aller au front pour être son héros.
— D'accord. Je serai courageuse pour toi.
Derrière eux, la lourde porte émit un grincement désagréable avant qu'une haute silhouette n'apparaisse dans l'entrebâillement.
Les sens en alerte, l'enfant étudia avec appréhension la femme qui se tenait devant eux. Le port noble, la taille mince enfermée dans une imposante robe sombre, elle se distinguait surtout par la singularité de son visage. Le nez aquilin, les joues creuses, le menton pointu, les yeux d'un bleu glacier profondément enfoncés dans leur orbite, il se dégageait d'elle une aura malsaine que la petite fille ressentit immédiatement.
— Capitaine Crewe, susurra-t-elle d'une voix doucereuse, c'est un plaisir de vous recevoir chez nous. Miss..., ajouta-t-elle alors que son regard perçant rencontra celui de l'enfant.
Muette, celle-ci n'ébaucha pas un geste. Peu lui importait la bienséance, le rictus pincé de son interlocutrice ou le « Sara... » soufflé à sa droite, elle ne saluerait jamais cette femme hypocrite et fourbe que son esprit nommait déjà sorcière.
Face à son absence apparente de réaction, la femme étira davantage ses lèvres fines.
— Je suis Miss Minchin, la directrice du pensionnat. Donnez-vous la peine d'entrer, voyons, il ne faut pas rester dans le froid...
À ces mots, un sentiment d'urgence glaça la fillette. Elle eut soudain la certitude que franchir le seuil du bâtiment causerait sa perte, d'une manière ou d'une autre. Soucieuse, elle retint un instant la main de son père, qui ne perçut pas ses réticences et l'entraîna à sa suite.
Lorsque le « klang » de la porte résonna dans son dos, elle ne put s'empêcher de frissonner. Curieusement, le hall s'avérait encore plus frais que l'extérieur. Néanmoins, Sara ne s'attarda pas sur ce détail, fascinée par l'ambiance austère qui régnait dans l'entrée. Tapissés d'un brun terne, arborant plusieurs tableaux peints à l'huile, les murs semblaient se mouvoir sur le parquet sombre.
— Si vous voulez bien me suivre, intima Miss Minchin, nous allons commencer la visite par les pièces de vie. Tout d'abord, le réfectoire...
L'homme acquiesça aussitôt, laissant la fillette se familiariser à son rythme avec son nouvel environnement. Alors que les adultes disparaissaient de son champ de vision, le hall s'attiédit légèrement. Flânant devant les portraits aux mines sévères, Sara déplora l'absence totale de fantaisie dans un lieu affecté à l'éducation.
Une exclamation étouffée lui fit tourner la tête. Au milieu de l'escalier, une gamine d'environ son âge la dévisageait avec effarement. Vêtue de guenilles, un seau et une serpillière dans chaque main, sa condition de servante se déduisait aisément. Décontenancée par l'air insolite de la petite bonne, Sara se hasarda à lui sourire, ce qui sembla perturber davantage sa destinataire.
Décidée à la rassurer, la nouvelle pensionnaire fit un pas vers l'escalier, quand les voix des adultes parvinrent à leurs oreilles. Illico, la domestique s'empressa de descendre les dernières marches. Nul doute qu'elle ne souhaitait pas se trouver dans les parages lorsque Miss Minchin réapparaîtrait dans le hall.
Compatissante, Sara fit un pas de côté pour lui laisser le champ libre, mais son sourire mourut quand, arrivée à sa hauteur, l'autre marqua une légère hésitation, son regard écarquillé toujours fixé sur elle. Dans le silence troublé du hall, les enfants s'observèrent une poignée de secondes. Perplexe, Sara constata soudain que la petite bonne secouait lentement la tête de gauche à droite. Un frisson la traversa lorsqu'elle réalisa l'étendue de la terreur qui habitait la domestique.
Qu'est-ce que cela signifiait ? Que Miss Minchin lui fasse peur, soit, mais pourquoi un tel comportement à son égard ? Les autres pensionnaires se montraient-elles cruelles envers la petite servante ? Sara n'avait aucune idée des barrières séparant les classes sociales en Angleterre, elle-même ayant grandi et développé une amitié profonde avec le fils de sa gouvernante indienne.
Désireuse de creuser ce mystère, elle allait se présenter quand l'autre détala sans demander son reste jusqu'à une étroite porte de service, une seconde avant que les adultes ne reviennent dans le hall. À nouveau, une gelée incongrue enveloppa l'enfant.
— L'école est-elle à votre convenance, Miss Crewe ?
Sans mot dire, la fillette guigna les fronces complexes de la lourde étoffe de velours noir. Engoncée dans une robe aussi épaisse, Miss Minchin ne devait pas craindre le froid, elle.
Défiante, Sara planta son regard dans celui de la directrice. Les yeux de glace la transpercèrent aussitôt, et le qualificatif trouvé plus tôt lui parut plus opportun que jamais : cette femme remplissait tous les critères de la sorcière malfaisante.
— Je vous prie d'excuser cette attitude, lança alors le capitaine Crewe, confus du malaise qui s'instaurait peu à peu. Sara est un peu perturbée par mon départ, mais je vous assure qu'elle fait habituellement preuve de la meilleure politesse.
Loin de s'offusquer, Miss Minchin ébaucha l'ombre d'un rictus alors qu'elle scrutait toujours la petite demoiselle.
— N'ayez crainte, nous prenons grand soin de nos pensionnaires, susurra-t-elle, douceâtre. Votre fille se sentira bientôt à sa juste place chez nous...
De supportable, la froidure devint glaciale. Fugace, l'idée que la domestique n'ait pas eu peur d'elle mais pour elle traversa son esprit, avant que sa raison ne la chasse. Après tout, son père ne semblait pas ressentir un quelconque danger en présence de Miss Minchin. Depuis toujours, on lui assurait qu'elle possédait d'une imagination débordante. Il était probable que son trouble venait de là.
— Souhaitez-vous visiter votre chambre, à présent ? interrogea la sorcière.
Non sans effort, Sara hocha la tête. L'autre s'en montra satisfaite et pria les Crewe de la suivre à l'étage, où la décoration du même acabit que le rez-de-chaussée détourna rapidement la jeune fille de sa destination.
Suivant les adultes d'un pas lent, elle lut distraitement les prénoms inscrits sur le papier jauni placardé sur chaque porte. Ermengarde, Betsy, Lavinia... Où se trouvaient ses camarades ? Sara était quasiment certaine de n'avoir entraperçu personne dans la grande pièce attenante au hall où s'alignaient plusieurs rangées de bureaux d'écoliers. À l'extérieur, alors ?
Savourant la tiédeur bienvenue de l'étage, elle se demanda si son intégration serait si aisée que son père le prétendait. Ses deux premières rencontres n'auguraient pas d'un avenir optimiste.
Un son étouffé stoppa son errance volontaire. Fronçant les sourcils, l'enfant s'approcha davantage de la porte à sa droite, sur laquelle on avait tracé, d'une calligraphie malhabile, un énième prénom.
Charlotte
Le silence tomba dans le couloir, et Sara était sur le point de se rabrouer pour son trop-plein d'imagination lorsqu'un faible gémissement s'éleva depuis la chambre. Sans plus attendre, la fillette ouvrit la porte et s'élança à l'intérieur.
Les rideaux éventrés pendus à la tringle à demi-détachée du mur permettant une relative visibilité, Sara distingua rapidement la silhouette menue attachée aux barreaux du lit. Ébahie, elle se précipita au milieu de la pièce en désordre et échappa une exclamation indignée lorsqu'elle nota les traits rougis de larmes et de fatigue de la misérable créature blonde recroquevillée sur le matelas.
Sans hésiter, elle entreprit de libérer la prisonnière de ses liens.
— Que t'est-il arrivé ?!
— C'est la... le..., sanglotait la blondinette en lançant des œillades apeurées dans tous les sens. J'ai désobéi, alors le... le monstre m'a attrapée. Il... Il a dit qu'il allait s'occuper de moi et qu'ensuite, je me montrerai plus docile...
— Le monstre ? répéta Sara, stupéfaite.
Mais Charlotte ne put en révéler davantage. Épuisée, elle retomba évanouie sur le lit tandis que Sara s'acharnait sur la corde qui entravait ses poignets. Que signifiait une telle scène ? Pourquoi l'enfant était-elle ainsi retenue captive ?
Sur le point d'appeler son père, elle se figea lorsque la pièce se refroidit brusquement et qu'un cliquetis lugubre se fit entendre. L'instinct lui hurlant de se défendre, elle avisa la lourde lampe de chevet avant de s'emparer d'un geste vif de la tringle de rideau et faire volte-face.
— Oh, Miss Crewe, je ne pensais pas devoir sévir si tôt...
Un cri s'étrangla dans la gorge de l'enfant tandis qu'elle contemplait, épouvantée, l'abomination qui se dressait devant elle. Assurément, Miss Minchin n'était pas une sorcière.
Haute d'environ trois mètres, son buste flottait dans les airs, tandis que sous ses volumineuses jupes se déployaient plusieurs paires de pattes métalliques constamment en mouvement. La face déformée par un rictus hideux, celui qu'arborent les prédateurs lorsque leurs proies réalisent qu'elles sont prises au piège, son regard hostile suivait les moindres faits et gestes de son adversaire.
Pétrie de terreur, cette dernière recula d'un pas, heurta le rebord du lit où gisait Charlotte. Inanimée, vulnérable, à la merci de l'ennemi.
« C'est mon devoir d'être humain que d'apporter mon aide à mes semblables. »
Gagnée par une sensation confuse, l'adrénaline se répandit dans ses veines alors qu'elle levait fébrilement la tringle à hauteur de poitrine.
— N'ap... n'approchez pas ! Où est mon père ?!
— Parti là où on ne revient pas, siffla le monstre, le timbre rocailleux. Il n'y a plus que toi, désormais...
Non. Jamais son père ne l'aurait laissée sans lui dire au revoir, sans l'embrasser une dernière fois. Elle mentait. Elle mentait forcément.
— Je ne vous crois pas ! Papa ! s'époumona Sara, le cœur battant à tout rompre. Papa !
— Ne me résiste pas, petite sotte. J'ai besoin que tu conserves toute ton énergie.
Si la manière, la cause et le but demeuraient vagues, la finalité s'avérait assez explicite. Repoussante, dangereuse, Miss Minchin constituait la plus sinistre des menaces. Maîtresse incontestée de cette école maudite, la bête possédait droit de vie ou de mort sur tous ses occupants. Qu'avait-elle fait aux autres pensionnaires ? S'était-elle attaquée à son père ?
Tandis qu'une détermination rageuse s'emparait de la fillette, ses doigts se crispèrent sur son arme de fortune.
Ne lui avait-on pas assuré qu'elle saurait se montrer courageuse ?
Bien sûr qu'elle résisterait.
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