Chapitre 44

Victor cligna des yeux quelques instants. Puis, il prit le temps de me répondre :

"- Tu devrais partir. Ici, le chef veille sur ses semblables. Non sur les humains, même si tu es née en cet endroit."

Partir ? Mais où ?

Et pourquoi ne pourrait-il simplement pas me considérer en tant que métamorphe ?

De plus, je ne peux pas partir et quitter ma famille.

"- Je souhaite m'entretenir avec le chef. S'il te plaît, Victor. Demandai-je."

Il me dévisage de longues secondes avant de me répondre positivement. Je laisse Youenn rejoindre son père, il m'enlace et s'en va, conscient qu'il ne sera pas autorisé à m'accompagner.

Je suis les pas de l'homme toujours nu. Il m'emmène devant sa propriété et me précise l'emplacement de son père.

Je torture la planche de bois de trois coups, attends un "entrez" et enclenche le mécanisme de la porte. À peine ai-je levé le regard que je croise celui du chef.

Il critique ma nouvelle senteur en essayant de ne pas paraître aussi agressif que son fils puis me demande la raison de ma visite.

"- Vous comptez sérieusement me retirer de ce village ? De cet endroit détenant mon enfance et mes proches ? Questionnai-je, hésitante.

- Mon fils a déjà répondu. Articule le doyen.

- Et vous connaissez la véritable identité de Leiv. Constatai-je.

- En effet.

- Ainsi que notre précédente relation. Continuai-je.

- Je sais effectivement qu'il est ton demi-frère.

- Et vous l'avez tout de même réintégré au village.

- Je le pensais innocent. Avoue-t-il."

Je le considère quelques instants.

"- Je veux me souvenir de lui.

- En es-tu sûre ?

- Absolument.

- C'est impossible."

Je suis bouche-bée. Il reste calme et tranquille. Il m'a fait espérer un court instant.

"- Ta chère mère a sûrement quelques photos ou vidéos. Elle passait le quart de son temps à tenir son objet rare.

- Pourrais-je lui rendre visite ?

- Ta présence en mon territoire aura disparue avant vingt heures pétantes."

J'acquiesce énergiquement et quitte le bâtiment.

Ce chef agaçant me laisse seulement cinq heures pour profiter de ma famille.

Je ne vivrais plus jamais sur quatres pieds. Je ne me sentirais plus protéger par un doux pelage roux. Je ne serais plus câlinée comme un petit chiot.

Je ne serais plus jamais un beau petit renard roux.

Cette simple et vulgaire pensée humidifie mes yeux.

Léon-Leiv-Lurt m'a retiré une partie de moi par simple jalousie.

J'arrive dans ma propriété après avoir traversé une mare de regards critiques.

Un instant... Et s'ils m'effacaient la mémoire ?! Non. Il faut que je me méfie. Je ne boirerais rien, je ne mangerais rien et je ne me laisserais pas faire.

J'ouvre la maison et pénètre à l'intérieur.

Des bras viennent m'encercler. Trois autres paires accompagnent ces derniers. Je souris tristement.

××××××

"- Maman. Te rappelles-tu de Lurt ? Prononçai-je, sérieusement."

Elle pleure. Elle pleure de mon futur départ. Elle s'inquiète pour moi plus que je le fait pour moi. Elle pleure sûrement également du fait que son père est son âme sœur et qu'ils sont séparés à jamais.

"- Oui. J'imagine qu'il t'a raconté votre histoire et la sienne ? Il est venu plus tôt. Il m'a reproché de ne pas avoir été là pour lui. D'avoir refait ma vie sans lui. Que j'étais une mère indigne. Je lui ai répondu que son père me l'avait enlevé. Il ne l'a pas bien pris. Monologue-t-elle, pensive.

- Gardes-tu des photographies ou des vidéos de nous deux ? Interrogeai-je."

Elle m'a dévisagée puis m'a répondu dans le positif. Elle me les offre comme je le voulais. Je l'enlace fort. Je fais de même avec mes trois sœurs.

Je remonte rapidement dans ma chambre. J'attrape un sac à dos trainant sur le parquet, l'ouvre et glisse à l'intérieur une douce mais fine couverture, quelques provisions que j'ai piqué dans la cuisine plusieurs minutes plus tôt, des vêtements pour une dizaine de jours, le cellulaire me permettant de rester en contact avec les métamorphes, je l'espère, une lampe de poche, ainsi que les présents que m'a offert ma mère plus tôt.

Je remonte la fermeture éclair, enfile un manteau trainant dans ma chambre puis pose le sac sur mon dos. Ça va, il n'est pas si lourd !

Je détaille une dernière fois ma chambre bleutée. Légèrement en bazar. Je quitte la pièce et descends les marches formant l'escalier couinant sous chacun de mes pas.

Ma mère n'a pas bougé. Seules des larmes animent son être. Je cours l'enlacer chaleureusement. Elle passe ses bras dans mon dos et les ressèment. Je pleure avec elle.

J'espère de tout cœur la revoir. Souvent. Mes sœurs nous rejoignent et pleurent avec nous.

Léon-Leiv-Lurt a réussi.

Il me prive de notre mère.

Je mets fin à notre étreinte et quitte mon ancien logis. Je vais rendre visite à Edwige, histoire qu'elle ne me cherche pas demain.

Lorsque j'arrive à sa hauteur, elle me saute dans les bras en pleurnichant. Décidément, mon départ arrive à faire pleurer plusieurs personnes.

Elle me raconte qu'elle sait ce qu'il va m'arriver car les nouvelles vont vite.

"- Je t'aime ! Ne l'oublie jamais. Tu resteras mon amie, je crois même ma seule vrai amie. Me Déclare-elle.

- Moi aussi Ed', moi aussi... Murmirai-je."

Après une bonne demi-heure d'adieux douloureux, nous nous séparons.

Je marche vers les frontières du village. Le ciel est gris et menace de pleurer, lui aussi. Néanmoins je n'ai pas le choix. Je dois partir, si je ne veux pas porter préjudice à mes proches .

Soudain, je sens une matière chaude me passer dans la main. Je baisse le regard : une autre main vient de s'incruster dans la mienne. Mon regard remonte le long du bras, chevauche la large épaule, détaille un cou assez pâlichon, traversé des lèvres rosées puis un nez imposant, observé les fleuves dévalant deux joues rebondies et rencontre enfin des iris rouge.

Rouge tel du sang.

Youenn. Il pleure. Par ma faute.

"- Pas toi... Arrêtes de pleurer Youenn ! Je ne veux pas te faire pleurer ! Protestai-je tristement."

Il m'enlace en guise de réponse. Puis il déposa son menton sur le haut de mon crâne. Je n'avais jamais remarqué qu'il était aussi grand.

"- Tu penses que je pourrais venir avec toi ? Me demande-t-il soudainement."

Je me décolle de lui et plonge mon regard dans ses yeux rouges, toujours humides.

"- Tu serais banni. Et tes parents seraient inquiets.

- Il y a sûrement d'autres clans pouvant m'accueillir. Lâche-t-il.

- C'est ici chez toi. Et puis, je reviendrais.

- Je n'aime pas quand tu dis cela. J'ai l'impression que tu vas t'en aller loin.

- Tu prendras soin de ma famille. Souriai-je."

J'embrasse sa joue droite, tourne les talons et quitte le territoire. Dorénavant, seul mon sac à dos me portera compagnie.

J'entends des reniflements puis ses pas s'éloigner. J'ai à peine marché cinq minutes que Victor me rattrape. Il se dresse devant moi rapidement puis me tends une bouteille d'eau que j'attrape pour ranger dans mon sac.

Je pari que cet eau lui permettra de m'effacer la mémoire.

Il prononce deux phrases si courtes mais pourtant si blessantes.

"- Maintenant, il vaut mieux pour toi d'oublier tes origines. Dorénavant, tu n'es plus des nôtres, Fanny Hope."

Je baisse la tête et le dépasse.

Dire que je le pensais mon ami... Il a été celui qui m'a fait découvrir la ville des humains, il s'occupait de moi là-bas, puis il est devenu mon ami. Mais il l'a fait car son père le lui a ordonné. J'ai été trop naïve ! Il ne veut plus de moi parce que mon renard a disparu...

Je continue mon chemin vers la ville des humains. Mais pourquoi irais-je là bas ? Ce n'est pas non plus chez moi ! Et je ne veux pas être de nouveau confronté à des policiers.

De plus, je crois que JunHo me rejette toujours. Je ne veux pas avoir l'air d'une pauvre mendiante réclamant un toit.

Une odeur d'essence vient chatouiller mes narines. Le bruit des moteurs vient s'ajouter à cet odeur. Je suis enfin arrivée en ville.

Bon, je pars vers où ? L'est ? L'ouest ? Où encore le sud ?

Mon instinct me dit de longer la forêt vers l'est. Donc, c'est parti !

Moi et mon sac à dos débutons une grande expédition ! Je ne sais pas où je vais, néanmoins je sais d'où je viens et je reviendrais !

Tiens, d'ailleurs il faudra que je pense à vider où même jeter la bouteille d'eau que Victor m'a confié.

Finalement, peut-être que Léon-Leiv-Lurt a simplement voulu que je découvre ce monde que les humains occupent...

____________________________________Merci de votre lecture et à bientôt !



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