Chapitre 2

La veille, les deux adolescents avaient eu décidément bien du mal à trouver le sommeil, ce qui expliquait leur mine défaite et leur regard ténébreux en ce doux matin d'avril, rapprochant leur allure de celle de deux zombies en manque de vitamine.

C'est qu'un grand débat avait éclaté, pour savoir si oui ou non Alexi était bien un imbécile, ou s'il avait simplement... simplement rien, en fait: celui-ci ne parvenait pas à se défendre, et était cependant persuadé d'avoir remporté le débat haut la main. Et puis, il n'avait pas manqué de faire remarquer à Noah que sa famille était elle aussi bien particulière et qu'il ne pouvait donc pas le juger. Argument irrecevable, bien sûr, Noah se sentant totalement en décalage avec ses parents... à qui il n'osait révéler la sublime nouvelle qui lui trottait dans la tête depuis bien deux semaines.

Cependant, à Alexi, il pourrai bien le révéler. Il pourrai lui dire, mais pas dans l'immédiat, cependant, ce dernier semblant plus prêt à en découdre qu'à écouter attentivement.

« Je n'ai pas changé d'avis pendant la nuit, ta famille est vraiment bizarre.

Noah prit un air faussement inspiré et poétique :

— Que de belles paroles dès le matin, tu sais parler à mon âme. Et puis, tu peux parler avec ta chute dans la salle de bain sans aucune raison. Je dois cependant te remercier pour le fou rire que tu m'as apporté en cette douce soirée.

— Oui bon... erreur de parcours. Il faut dire que ta sœur n'est pas très douée non plus.

— Elle avait une raison bien plus convaincante que la tienne, avec ton téléphone... je me demande bien à qui tu parlais, d'ailleurs.

— Une raison plus convaincante... attends, elle galérait à prendre un livre dans sa propre bibliothèque?

Les sourcils de Noah se froissèrent tandis que le visage du roux se barrait d'un sourire sarcastique. Un sourire cruel, relevant ses pommettes déjà exagérément hautes, lui conférant un air hautain. Un rictus horrible, qui lui fit froid dans le dos. Le seul qui seyait à Alexi, c'était ces sourires éclatants, sublimes et fiers, que Noah s'efforçait de cultiver à longueur de journée. Et puis, il avait beau avoir une affection sans limites pour Alexi, celui-ci ne pouvait se permettre de critiquer sa famille de la sorte. Mais après tout, il ne pouvait s'empêcher de tourner tout le monde en ridicule, de la même manière. Il laissa enfin échapper un soupir :

— Alexi, elle est petite... toi, tu es un grand dadais de dix-sept ans.

Manifestement blessé dans son estime, Alexi ne su cependant que répondre, sa légendaire répartie l'ayant quittée avec le sommeil.

— Oui, bon...

— Sur ce bel échange matinal, voyons quel temps nous attend en cette douce journée. »

En ouvrant les rideaux, Noah fut agréablement surpris. De sa fenêtre du cinquième étage, d'où il pouvait contempler la paisible ville s'étendre presque dans son intégralité, un spectacle oui aussi des plus charmants s'offrait à ses yeux: le ciel d'un bleu éclatant surplombait les meulières dispersées ça et là, les branches des arbres bordant de larges allées géométriquement parfaites se balançant paresseusement. On ne pouvait pas dire que le quartier de Noah était des plus désagréables, il ne s'en plaignait nullement. Il était même très heureux d'avoir passé son enfance ici, dans ce petit immeuble si bien situé : depuis tout petit, il n'avait eu à faire qu'un pas pour se rendre à son école, au conservatoire, chez Eléonore... il chassa cette pensée aussi vite qu'il le pu. Ce visage se reconstituant pièce par pièce dans sa tête lui donnait toujours autant de souffrance, il ne pouvait le voir sans regretter le temps passé. Sa vie avait constitué un tel vide après son départ... heureusement, le phénomène roux était déjà là, fidèle et infaillible, donnant tout de même un sens à son existence. Pourquoi penser plus longuement à Eléonore ? Il était très bien, dans sa situation actuelle, et jusqu'à maintenant il avait réussi à ne pas y réfléchir trop longuement. Un fait qu'une voix derrière lui contredit dans l'instant:

« Tu pense encore à ton ex?

—Non. »

Oui... tant que son ami était là, à ses côtés, la vie lui semblait tellement douce et calme, à la manière de son quartier. Pourtant, bientôt, il allait devoir quitter tout cela, et il le savait. Il n'en était pas malheureux pour autant, le considérait comme une chance, une aventure.

Quitter son port d'attache pour découvrir une autre ville, une autre vie. Tout quitter pour...

Un bruit mat le tira de son intense réflexion. Il n'eut pas même besoin de se retourner pour savoir que son fidèle ami venait de tomber de son lit, conséquence de son cerveau non seulement déficient, mais aussi mal réveillé. Décidément, il devait tout faire dans cette maison...

« Donne moi une raison de ne pas me foutre de ta gueule.

— Tu sais que tu es très drôle, quand tu t'y met.

— Bon, ça va quand même?

En se retournant, Noah entreprit de tendre la main à Alexi pour qu'il se relève, attitude conciliante mais vaine comme il devait s'en douter.

— Ça va très bien merci, j'ai besoin de personne pour me relever. »

Marmonna Alexi tout en trébuchant sur le drap, tombé lui aussi suite à sa chute catastrophique. Sur la question de l'équilibre humain, Alexi devait être une exception. Il se rétamait si fréquemment qu'il n'en ressentait même plus le moindre mal, à vrai dire. Il régnait en lui comme un anesthésiant permanent, qui lui faisait penser que tout était en son pouvoir, qu'il ne pourrait jamais ressentir cette souffrance physique dont ses semblables semblaient se plaindre si souvent.

Après sa remise sur pied laborieuse, le rouquin se posta au côté de son compagnon pour profiter lui aussi de ce paysage qui avait décidément l'air de rendre Noah bien songeur.

« C'est vrai qu'il est beau, ton quartier... vraiment magnifique. De ma chambre, on a pas la même vue.

— Il faut dire que tu vis dans un sous sol.

— Pas faux.

— Il est quand même pas mal ton sous sol... y a de la place pour... tes livres.

— Oui bon, essaye pas de te rattraper.

Après un court silence, durant lequel les deux garçons accoudés à la balustrade scrutèrent longuement le paysage, essayant de percer ses mystères, Alexi émit enfin une remarque intéressante :

— Attends... elle t'observe souvent comme ça, cette fille?

— Mais enfin Alexi, qu'est-ce que tu racontes?

Alexi avait l'habitude de sentir sa crédibilité mise à rude épreuve à chaque instant où il ouvrait la bouche . Cependant cette fois, il était sûr et certain de ne pas halluciner: il y avait bien une fille aux longs cheveux bruns, vêtue d'une robe noire, qui semblait les observer sur le trottoir d'en face. Malgré la distance les séparant, il pouvait même distinguer quelque peu son teint cuivré, ses yeux sombres en amande... oh non. Il venait de la reconnaître. Tandis que Noah plissait les yeux d'une manière quelque peu ridicule afin de distinguer la silhouette de la nouvelle venue, il s'enfonça dans la chambre, se protégeant de regards inopportuns pouvant venir de l'extérieur.

« Ah oui! Tu as raison, c'est étrange je ne l'ai jamais vue auparavant... je ne sais pas si c'est nous qu'elle regarde, après tout.

— Non, non... ce n'est sûrement pas nous. Aucune chance.

— Et pourtant... son visage semble bien tourné dans notre direction.

— Mais ça n'aurait aucun sens! Tu l'as dis toi-même : tu n'as jamais vu cette personne avant.

— C'est vrai mais... comment tu pourrai expliquer qu'elle se plante là, devant chez moi ?

— Qui sait ? Je pense qu'elle admire la magnifique façade de ton cher appartement ? Les sculptures, les...

— On devrait aller lui demander ce qu'elle veut. Cela fait bien cinq minutes qu'elle semble nous fixer, je n'aime pas trop ça.

— Ferme les rideaux alors, tu n'as aucun compte à lui rendre ! Tu ne la connais même pas !

— On n'a qu'à lui dire de partir, alors...

— Mais quelle idée! Franchement tu en sort souvent des comme ça ? Allez viens, on va plutôt prendre le petit déjeuner.

— Ou sinon, on lui crie d'ici d'aller voir ailleurs...

— Bon Noah, tu es encore fatigué, tu prends des décisions discutables...

Au grand damn de son ami, Noah semblait prendre de plus en plus de plaisir avec ce jeu insensé. Alexi n'avait pas l'habitude de l'admettre ni de prévoir ce genre de choses, mais allait finir par commettre une gaffe, cela était sûr et certain...

— Regarde, elle me fixe avec encore plus d'attention, ça doit lui sembler étrange que je parle seul! Pourquoi tu recule ? Tu ne vient pas lui dire bonjour ?

— Non...

— Tu es timide, c'est mignon. Pourtant habituellement, c'est l'inverse.

— Arrête... tu es au courant que c'est malsain et quelque peu impoli, d'observer des inconnus de la sorte ?

— Tu es au courant qu'elle a commencé ?

— Viens prendre le petit déjeuner.

— Très bien, je te suis.

Alexi se mit en marche, il ouvrit la porte de la chambre afin de descendre les escaliers, puis rejoindre la salle à manger. Il fut lui-même surpris de son étonnant sens de l'orientation, avant de réaliser que son ami guidait ses pas en le poussant dans une direction, puis dans l'autre.

— Voilà, on va s'installer tranquillement, puis...

— Je descends!

— Noah, non! »

Le brun semblait bien convaincu par son initiative périlleuse, et s'accrochait déjà à la poignée de la porte d'entrée, malencontreusement située non loin de la table. D'un instant à l'autre, il allait s'engouffrer dans les escaliers, descendre et... Alexi ne pouvait s'imaginer la honte qui le gagnerait ensuite, il n'avait pas envie de croiser cette fille dès ce matin, en pyjama. La situation était urgente. Alexi devait réagir au quart de tour et dans les plus bref délais, comme il savait si bien le faire. L'improvisation, c'était son point fort.

Et il sut le montrer mieux que personne lorsque son ami fut sur le point d'ouvrir cette maudite porte: dans un élan aussi vif que violent, il se précipita sur lui, le percuta, s'accrocha à ses épaules puis l'accompagna dans sa chute. Noah eu donc à peine le temps de réagir qu'il se retrouvait dos contre terre, le poids de son ami l'écrasant, son visage interloqué coincé sous le sien. Et le long silence qui suivit illustra bien l'incompréhension de l'un comme de l'autre. Pétrifié, Noah avait encore du mal à réaliser ce qu'il venait de se produire, la réaction d'Alexi lui paraissant quelque peu excessive et improbable.

« Mais enfin Alexi... qu'est-ce que tu fous?

Alexi, soucieux, maintînt sa position, comme si un quelconque danger pouvait encore avoir lieu.

— Tu allais entacher notre réputation pour toujours, et je me devais d'éviter cette catastrophe.

Ç'en était trop pour Noah, qui ne comprenais décidément pas l'importance que son ami donnait à cette situation. Voulait-il seulement jouer les héros, sans se résoudre à l'évidence?

— Alexi... tu ne crois quand même pas que j'allai descendre dans la rue en pyjama, si?

Seul un silence septique lui répondit, Noah reprit donc :

— C'était une blague... une simple blague. Alors maintenant relève toi, j'étouffe.

Les traits de visage d'Alexi se recomposèrent dans une mine contrite et sincèrement désolée :

— Oh non Noah, je suis vraiment sincèrement désolé... je pensais vraiment que...

— Que j'allai descendre tous les étages de l'immeuble, au risque de rencontrer des voisins, habillé comme ça, puis naturellement sortir comme si de rien n'était?

— Oui, c'est que, tu avais l'air si déterminé...

— Eh non.

— Je suis vraiment un attardé, j'aurai dû me rendre compte que...

— C'est vrai que c'était un poil exagéré comme réaction... tu connais cette fille, pas vrai ? C'est la seule explication.»

Un autre événement inattendu dispensa Alexi d'une réponse qu'il ne voulait pas donner.

Julia voulait vraisemblablement prendre elle aussi un bon petit déjeuner, quand un obstacle des plus conséquent qu'elle n'avait nullement prévu bloqua son élan, et elle s'écrasa à son tour sur le sol avant qu'elle n'aie pu avoir le temps de s'inquiéter, ou même de s'interroger.

Robert était en train de jardiner depuis bien une heure lorsqu'il entendit cet énième fracas et ce qui s'en suivit. Ses sourcils broussailleux se plissèrent donc une énième fois de colère, sentiment qui semblait décidément lui être des plus caractéristiques. Tout en ratissant ses pommes de terre, il se fut encore une fois une réflexion bien désagréable :

Ils n'auraient jamais dû adopter cette gosse...Ils n'auraient jamais dû adopter cette gosse...

Toujours aucune idée de ce que je fais, mais on est là🤚

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