Chapitre 1

«Tue-moi si tu peux.


— Je te trouve un peu trop sûr de toi...


— Et toi, tu ne pourra pas courir éternellement. Regarde, ton énergie se rapproche de zéro aussi vite que ta confiance monte. Sans grande raison, je dois dire.


— Aurais-tu oublié que j'ai plus d'un tour dans mon sac? Tu me crois assez nul pour me borner aux règles du jeu?


— Je crois surtout que tu es une grande gueule, rien d'autre. »

L'air crispé du jeune brun s'étira en un sourire sarcastique qui lui resta accroché aux lèvres un court instant, pendant qu'il regardait son ami se démener contre la manette, ses doigts se crisper et s'entortiller nerveusement sur les boutons... ce qu'il se garda bien de faire remarquer. Il faut dire qu'Alexi n'était pas très doué pour ce type de jeu, il ne comprenais pas bien les obstacles ni même les limites de ce monde virtuel. Il pensait être capable de tout, de s'envoler à tout moment et de rire au nez de la mort... ce qui le caractérisait également dans la vraie vie.
Sans grande surprise, Noah remporta la partie haut la main, débusquant son adversaire si fier et sûr de lui malgré ses compétences plus que discutables. Un coup rapide, cinglant, dont son ami ne s'aperçût même pas jusqu'à ce que le malheureux corps de son personnage gise au sol, au beau milieu d'une tâche de sang pixelisée.

« Bah, ne te vante pas trop, tu joue tout le temps. Avec ta sœur, vous êtes tellement accro qu'on ne peut plus vous enlever la manette des mains. Bien sûr qu'avec un peu plus d'entraînement, je t'aurais battu.

Il le faisait bien rire, avec son air grincheux. Il n'écouterai donc jamais les conseils qu 'on lui donnait? Devant l'air renfrogné d'Alexi, ses mèches rousses lui barrant le visage et lui donnant un air mystérieux bien que son fidèle compagnon puisse lire en lui comme dans un livre ouvert, Noah ne pouvait s'empêcher de se retenir de rire.

— Et pour progresser, peut-être faudrait-il apprendre à écouter les conseils des professionnels... tu passe à l'attaque trop vite, il faut se laisser le temps de prendre l'adversaire par surprise avant de...
— Chacun sa technique! Se cacher éternellement, c'est pas mon truc.
— Je dois t'avouer que ta technique n'est pas si convaincante que ça.
— Ta gueule. »

Pendant que les deux jeunes adolescents turbulents se battaient et s'étripaient comme des enfants, qu'ils étaient sans doute restés au fond d'eux, le père de Noah marqua un mouvement de recul en contemplant ce spectacle quelque peu désolant. Noah tenta subitement de calmer le zèle de son camarade dès qu'il s'aperçût de cette visite inopportune. Autant dire que cette entreprise était vouée à l'échec, aussi vaine que de calmer la pluie un jour d'orage. Son père, patient, attendit donc la fin de la tempête, pendant sûrement que, décidément, il faudrait penser à ne plus inviter ce rouquin qui ne pouvait s'empêcher de tout fracasser sur son passage.

« Hum hum, les jeunes... c'est l'heure d'aller manger. »

À l'entente de ce mot, Alexi se décrispa et leva soudainement la tête, rencontrant les yeux de ce père attentif mais quelque peu timide et gêné en cet instant. Sans dérangement aucun, il entreprit donc de se lever, assénant une chiquenaude en passant sur le crâne de Noah.

Noah n'avait encore jamais invité Alexi chez lui, bien que les deux compagnons se connaissent depuis trois longues années. Sûrement parce que malgré lui, il regrettait toujours l'impétuosité et le manque de retenue flagrant du jeune roux. Tandis qu'il se livrait à ses pensées, celui-ci était d'ailleurs occupé à mastiquer bruyamment ses haricots sous le regard sceptique des parents de Noah. Sa sœur, quand à elle, préférait scruter son assiette encore pleine. La dose de malaise semblait proche d'atteindre un point de non retour, trouver au plus vite un sujet de conversation semblait donc urgent. La mère de Noah, toujours ouverte et joviale contrairement au reste de la famille, s'y attela comme elle le pu.

« Alors Alexi, qu'est-ce que tu compte faire après le lycée? Noah est un peu perdu, tu dois le savoir...
La bouche encore pleine, le jeune homme se laissa le temps de comprendre la question avant de répondre.

— Oh, j'aimerai être gamer professionnel.

Noah ne pu étouffer son rire, et, avant de laisser dire à ses parents que cette voie était intéressante et quelque peu originale, il leur confia: 


— Il est complètement nul. 


Cette remarque ayant quelque peu détendu l'atmosphère, la petite sœur étant restée en retrait jusqu'ici cru bon de rajouter:


— Moi, je veux être pianiste! J'en suis sûre!


— Mais enfin Julia, tu as juste appris quelques accords sur YouTube. On pourra t'inscrire au conservatoire si tu veux, mais ça demande beaucoup d'investissement tu sais...
Noah était hébété, en réalité il n'avait jamais cru son père capable de telles objections. Ce n'était pas parce que lui n'avait pas de rêve en particulier qu'il pouvait se permettre de briser ceux de sa sœur de la sorte. 


— Mais qu'est-ce que tu raconte, elle en serait parfaitement capable, elle est brillante! Et puis, je t'ai envoyé la vidéo que j'ai prise, où je lui demandais de jouer sur le piano de la gare? Ce n'était pas si mal!


L'air de Julia, éteint et déçu pendant quelques temps, s'allumèrent : 


— Mais oui! Je jouais la musique de Pacman, sans fausses notes!
La mère se rallia à la cause de sa fille bien aimée:


— Oui, je dirai même que c'était très encourageant! 


— Disons que je ne suis pas particulièrement sensible à ce type de musique.
La mère de Noah toisa son mari un court instant, tandis qu'elle saupoudrait ses haricots d'une masse de sel bien trop importante. Puis elle le considéra avec un air de pitié et de compréhension.


— Pardonnez votre père... en réalité, il a un passé un peu difficile avec cet instrument.


— Non, Catherine, ne raconte pas cette histoire. 


Mais Catherine ne semblait pas vouloir prêter à attention à la réaction de son dulciné, l'anecdote lui arrachant déjà un sourire qu'elle ne pouvait réprimer. 


— Oh, ce sont les erreurs de jeunesse, rien de plus... lorsque votre père a rencontré ma chère famille, nous avions un piano dans l'appartement. Et mon cher Robert a cru bon de s'essayer à enfoncer quelques touches, alors qu'à l'évidence ses mains n'avaient jamais effleuré cet objet de sa vie! 


— Catherine, un peu de retenue, s'il te plaît.


—Et puis mes parents étaient là, autour, pensant écouter un morceau de qualité... finalement, c'était la chose la plus dissonante que j'aie entendu de toute ma vie ! Tu étais si pris dans ton délire, chéri ! Tu ne voyais même plus le monde autour, on ne pouvait plus t'arrêter ! Les enfants, quand il a fallut expliquer à vos grands parents que votre père était simplement un passionné, qu'il avait bien d'autres talents... ne le prenez surtout pas comme modèle quand vous rencontrerez vos belles familles ! Ce fut la première et dernière fois que j'entendais Robert jouer!

Ce récit suscita l'hilarité générale, s'accompagnant du rire aigu et peu discret de la mère, se tenant littéralement les côtes. Son mari, quant à lui, ne semblait pas en tirer le moindre enthousiasme et paraissait même retenir une colère cinglante. Alexi souriait de toutes ses dents, creusant de magnifiques fossettes. Noah semblait chercher son attention, en vain, le rouquin semblant passionné par l'étude d'un son aussi tonitruant, observant Catherine avec une allégresse croissante. Décidément, le seul ne semblant pas vouloir prendre part à ce chaos général était bien Robert, se tapotant dédaigneusement le coin de la bouche en attendant que ce flot de joie inopiné tarisse, foudroyant l'assemblée de son regard sombre. Peine perdue : il ne s'arrêta pas jusqu'à la fin du repas, qui dit rythmé tantôt par des rires francs et dévoilés, tantôt par des gloussements à peine dissimulés. Même Julia, se sentant vengée par l'intervention de sa mère, ne pouvait s'empêcher de prendre part au rire général.

Quand il fut l'heure de regagner la chambre, les deux amis retrouvèrent les restes du jeu vidéo qui gisaient toujours, les manettes retournées et les câbles s'entortillant au sol.

« Une autre partie?


Le jeune roux le toisa avec défiance.


— Pour me faire exploser encore une fois?


— Vois-le plutôt comme une chance de progresser.


— Une chance de satisfaire ton ego surdimensionné, oui. T'en a pas assez eu?


— Bon, j'ai compris. C'est non, donc. »

Un fracas tonitruant parvient soudain à leurs oreilles, empêchant les deux amis de s'étriper encore une fois. Le bruit, sourd et mat, ressemblait à une chute, bientôt suivie d'une autre, puis d'une autre, à l'étage du dessous. Bientôt, ce fut l'avalanche. Rien de très rassurant.
Les deux garnements se regardèrent, apeurés, puis Noah fonça dans les escaliers sans plus de réflexion. Quant à Alexi qui ne connaissait pas la maison, il se perdit tout bonnement, et atterrit enfin dans la salle de bain au bout d'une dizaine de minutes, sans savoir réellement ce qu'il faisait là. Rarement il ne s'était senti aussi inutile.

De son côté, lorsqu'il arriva dans la chambre de sa sœur, Noah ne put s'empêcher d'étouffer un rire. Puis il reprit contenance, et s'approcha d'elle avec cet air bienveillant de grand frère protecteur qu'il savait si bien prendre, hormis durant leurs longues séances de jeu.
Il faut dire que Julia n'était pas en très bonne position, affalée par terre, les paumes vers le plafond, pleurant à chaudes larmes. Sa bibliothèque était elle aussi en bien triste état, une étagère s'étant effondrée et ayant déversé la totalité de ses livres sur la pauvre fillette.
La main sur son épaule, Noah ironisa :


« Bah alors, t'as bu? 


— Oui... 


Le visage du brun se décomposa en une mine terrifiée. 


— Mais enfin Julia, t'as 11 ans... 


Julia, qui ne supportait décidément pas qu'on lui oppose tant de réflexions de ce genre en une soirée, rétorqua :


— J'ai bien le droit de boire de l'eau, quand même ! Tu peux pas t'occuper de ma blessure plutôt? 


Noah se décrispa quelque peu, avant d'inspecter le crâne de sa chère sœur pour y déceler la moindre blessure. Une petite bosse s'y étaient formée. Il lui appliqua des glaçons, puis chercha à la rassurer et à connaître le motif de cette chute si soudaine. Avoir passé les premiers secours ne s'avérait pas si inutile, finalement. 


— Tu cherchait quel livre, comme ça?


— Celui que m'avait donné mamie... avant de partir.


— Lequel? Elle en a donné tellement!


— Sur le piano...


La discussion venant d'avoir lieu à table l'avait donc amenée, comme souvent, à se poser des questions sur cet instrument si fabuleux à ses yeux.  Noah admirait beaucoup l'implication de sa petite sœur, qui dès son jeune âge avait manifesté un si vif intérêt pour un objet qu'ils ne possédaient même pas dans le domicile familial. Il est vrai que cette passion pouvait être liée à cette grand mère qu'ils n'avaient pas beaucoup connu, ayant parcouru le monde pour ses tournées... Malheureusement, ce talent semblait avoir sauté une génération. Les parents de Noah et Julia étaient loin d'être des artistes : bien que Christine se plaisait à écouter divers CD de musique classique, elle ne semblait pas vouloir accorder grande importance à cet instrument, qui lui avait en quelque sorte arraché sa mère. À vrai dire ils étaient tous deux banquiers, et cette grand mère si mystérieuse n'avait jamais eu l'occasion d'apprendre à jouer à ses merveilleux petits enfants... la passion de Noah semblait elle aussi être compromise, et peu comprise. Qu'importe, il souhaitait s'y accrocher coûte que coûte, en faire sa vie, et se sentait ainsi si proche de sa sœur qu'il voulait à tout prix la rassurer, lui dire que tout était possible. 


— Julia, je suis sûr qu'un jour, à force d'entraînement, tu jouera de manière fantastique... tu n'as jamais pris aucun cours, et pourtant tu sais déjà faire des choses magnifiques! En attendant va te brosser les dents, je vais tenter de réparer ton meuble. »

Ce fut une entreprise difficile, les petites histoires de la bibliothèque rose côtoyant les grands dictionnaires hérités de membres de la famille tous plus inconnus les uns que les autres... Noah avait parfois l'impression d'avoir était renié par ces derniers, puisqu'aucun d'être eux ne venait leur rendre visite. Ou peut-être étaient-ils simplement tous morts.
Le temps de remettre la bibliothèque sur pied et de dire bonne nuit à Julia, qui semblait ne plus souffrir de sa blessure inopinée, il entendit un autre bruit en remontant les escaliers. Décidément, qu'est-ce que cela pouvait bien être? Le raffut venait cette fois d'en haut, dans la salle de bain lui semblait il.


Sans grande surprise, il y découvrit son ami, qui avait vraisemblablement glissé sur le carrelage et se retrouvait maintenant par terre, hébété.

« Mais qu'est-ce que tu fous encore.


— J'étais juste en train de parler sur mon tel et... ton carrelage est trop glissant, fais quelque chose.


— J'ai lavé hier, en sachant que tu venais.


— Tu n'aurais pas dû. 


— Ce n'était pas si glissant que ça. Tu n'es juste pas très doué. Ou bien, ta conversation devait être bien passionnante. D'ailleurs, qu'est-ce que tu fabriquais dans la salle de bain?


— Je me suis perdu.


— Oui, bon. Je pencherais plutôt pour la première option.


— Ta gueule. »

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