Folie:
« Folie : trouble mental ; égarement de l'esprit.»
Cette définition, c'était celle que l'on trouvait dans n'importe quel dictionnaire. Claire Duhauciel soupira avec dépit et referma avec exaspération l'exemplaire du Robert qu'elle lisait encore un peu plus tôt. Oui, les livres papier existaient encore en 2095... Chose que les gens semblaient oublier trop souvent lorsque le réseau se mettait à disjoncter. De son côté, elle trouvait rassurante la texture râpeuse du papier. Elle la préférait à celle d'un écran froid et sans vie. Non, elle n'était pas vraiment fan de la technologie actuelle... Quelque chose d'assez préoccupant quand on savait qu'elle appartenait elle-même, en quelque sorte, à cette technologie-là.
Elle soupira de nouveau tout en jetant un coup d'œil à l'heure. 17h30. Elle avait assez trainé à la bibliothèque Barthendieu. Il était peut-être temps de penser à son cours de danse... Nouveau soupir. Quelle joie. D'un mouvement ample et gracieux, elle jeta son sac de cours sur son épaule et prit celui de sport à la main, sa tenue de danse virevoltant autour d'elle. Elle s'était changée avant, sa tenue de cours étant trop sale pour elle.
L'air frais amené par le soir lui balaya les cheveux, et d'une démarche rapide, elle se dirigea vers l'Ecole Avelucchi, nommé après le célèbre danseur, le premier cyborg à être devenu danseur étoile. Et Claire avait l'honneur de l'avoir comme professeur. C'était d'ailleurs avec lui qu'elle prenait des cours particuliers ce soir-là. Et elle savait déjà que des heures d'entrainement infernales l'attendaient. « Pour être la meilleure, tu dois faire des sacrifices. ». Voilà la phrase qu'il lui répétait comme un leitmotiv.
La meilleure. Ah ! Elle ne voulait pas être la meilleure. Elle ne l'avait jamais voulu et ne le voudrait jamais.
Sa mère, elle, était d'un autre avis.
Elle arriva dans la rue Joyaround et grogna mentalement en voyant qu'elle était, comme à chaque fois, bondée. Logique. On était un vendredi soir, les cours étaient terminés et c'était l'endroit le plus populaire de la ville. Et les grandes marques l'avaient parfaitement compris. Elle roula des yeux en apercevant une pub pour un rouge à lèvre tendance sur l'écran géant, qui trônait sur une boutique de cosmétique.
Elle détestait cette foutue société. Toujours à vous forcer à consommer. Toujours à vous pousser à atteindre le sommet. Toujours à écarter ceux qui ne voulaient pas rentrer dans le moule. Ce système était gangréné.
Et ce n'était pas la seule chose qu'elle détestait.
Elle détestait la danse. Il fut un moment où ce fut sa passion. Elle n'avait juré que par cela : danser. Elle avait commencé tôt, vers quatre ans. A huit ans, elle remportait déjà des prix. Elle était douée. Tellement douée que sa mère avait vu les choses en grand. C'était décidé : elle serait danseuse étoile. Mais voilà, avec les implants, la danse comme on la pratiquait il y a des décennies n'avait plus rien à voir avec celle d'à présent. Le monde de la danse, sportif même, s'était divisé. D'un côté, les non-modifiés, des génis dans leur domaine, qui ne pouvait pas rivaliser avec les Cyborgs, et de l'autre, ces derniers, qui recherchaient perpétuellement la perfection. Danser avait été son moyen de vivre, de s'exprimer. Avant qu'on ne l'« améliore ».
Elle détestait ces saloperies de modules. Elle avait quatorze ans -l'âge légal dans sa situation pour subir des modifications− lors de ses premiers implants. Pour « améliorer » ses capacités physiques. Ses poumons tout d'abords. Le cœur avait suivi juste après. Suivi de ses jambes, de ses bras ; la quasi-totalité de ses muscles y était passé. Son visage, aussi. Elle était magnifique. Une vraie poupée de porcelaine. Des lèvres pulpeuses, un nez droit, légèrement en trompette, des pommettes rehaussées, avec une constante rougeur sur les joues, des yeux qui changeait de couleurs sur commande, et une chevelure blonde, douce comme la soie. Une folie. Parfois, elle avait l'impression de ne plus être humaine.
Elle détestait sa mère. Vers ses douze ans, Claire avait commencé à ne plus gagner de compétitions, ses notes de danse à baisser ; elle ne pouvait plus suivre le rythme. Comparée à d'autres, elle n'était pas assez douée. Et alors que Claire comprenait qu'elle ne pourrait pas être danseuse, sa mère, elle, n'en démordait pas. Elle serait danseuse étoile, point. Même si elle devait subir des modifications pour le devenir.
Elle se détestait. Avec les modifications, elle avait vite rattrapé son retard, et s'était faite connaître sur la scène nationale, internationale même. Tous s'étaient mis à la regarder comme une déesse. Comme un modèle. Mais elle ne voulait rien de cela ! Un modèle ? Quelle connerie ! Ne comprenaient-ils pas qu'elle était un monstre ? Que les gens comme elle étaient dangereux ? Toxiques ? Incontrôlables ?
Une sonnerie résonna dans la rue, coupant l'adolescente dans ses pensées. Un communiqué allait être diffusé.
« Un nouveau meurtre à été commis par n°509 234. Le corps de la victime à été retrouvé à la bibliothèque Barthendieu. La mort remonterait à un laps de temps très court. La brigade Newcops a été chargée de l'enquête. Les autorités vous encouragent à être très prudents et à les prévenir en cas de besoin.», annonça une voix robotique avant de s'éteindre.
Les Psychés. Les gens qui, comme elle, avaient subi des modifications. Et ces dernières les conduisaient à la folie. Pour l'éviter, Claire prenait des médicaments.
Enfin, était censée.
« Clai-reuh !, » chantonna une voix bien trop familière à son oreille.
Claire serra les poings et fit demi-tour. Finalement, pas de cours de danse pour elle. On avait déjà découvert sa dernière victime, la bibliothécaire. Et nul doute que Newcops devait déjà être sur ses traces.
« Oh, ne m'ignore pas voyons ! Tu vas me vexer ! »
Claire stoppa sa marche.
« La ferme. », lâcha-t-elle avant de reprendre sa route. Elle l'entendit rire derrière elle. Mal, son hallucination la plus démoniaque. Des semaines qu'elle lui tournait autour. Qu'elle la forçait à faire des choses. Elle sentit une main prendre la sienne et lui donner une pression rassurante. Claire sourit légèrement. Heureusement que Bien était là pour l'aider à se tempérer. Même si cela ne fonctionnait pas toujours.
« T'es dans la merde, ma belle, fredonna Mal sur ses côtés. Qu'est-ce que tu comptes faire, hein ? Newcops est chargé de l'enquête. Et on sait bien ce qu'ils font aux Psychés dans ton genre...
-Ne l'écoute pas, Claire, la rassura Bien d'une voix calme, en serrant sa main plus fermement. Tout peut encore s'arranger. Ce n'est pas de ta faute ce qu'il t'arrive. Si tu te rends, je suis sûre qu_ ! »
Mal lança un regard réprobateur à Bien, sa main sur la bouche de cette dernière.
« Elle n'a pas tout à fait tort, tu sais... », minauda Mal en rivant son attention sur Claire, qui s'était arrêtée.
Bien commença à se débattre.
« ...ce n'est pas de ta faute ! », fit Mal, un sourire mauvais sur les lèvres.
***
Claire referma silencieusement la porte derrière elle, en se déchaussant à l'entrée avant de partir vers la cuisine, les deux apparitions derrière elle.
Arrivée dans la salle, elle se servit à manger. La voix de sa mère retentit près d'elle :
-Tu n'as pas danse ?
Mal ricana à ses côtés. Bien posa sa tête sur l'épaule de Claire. La jeune fille se contenta d'hausser les épaules.
Il y eut un silence tandis qu'elle continuait de se préparer son gouter.
« Il faut que l'on parle, Claire. », déclara soudainement sa mère.
Etait-ce bien de la peur qu'elle venait de percevoir dans sa voix ?
« Quoi ? », demanda Claire brutalement.
Bien lui offrit un câlin réconfortant.
« Tu as pris ton médicament ce matin ?
-Non, répondit Claire en serrant les dents.
-Ni hier..., s'amusa Mal.
-Et hier ? », fit sa mère.
Pas de réponse.
« Depuis quand ne prends-tu plus ton médicament ?, lui demanda sa mère, un tremolo nerveux dans la voix.
-Oui, c'est vrai, Claire ! Depuis quand ne prends-tu pas ton précieux petit médicament ?, singea Mal en prenant une moue moqueuse.
-La ferme !, hurla Claire en s'écartant des deux apparitions. Tu n'existes pas ! Vous n'existez pas !»
Sa mère se figea à ces mots.
« Mon dieu. », lâcha-t-elle.
Mal ricana sadiquement à ces paroles. Bien, elle, tentait de capter le regard de Claire, rivé au sol.
Regarde dans mes yeux.
« Claire. Tu peux encore revenir en arrière. Tout peut s'arranger. On peut te soigner, expliqua gentiment Bien en lui prenant le menton d'un geste affectueux.
-Ah ! A la bonne heure ! Madame l'optimiste est de retour ! Et les trois autres qui sont morts, on en parle, hein ? Et Newcops à nos trousses, hum ? », cracha Mal en tirant violemment Bien en arrière.
Claire se mit les mains sur le visage et lâcha un long gémissement.
Sous ma peau, il y a une violence.
« Newcops comprendra qu'elle n'est pas vraiment fautive ! Elle n'a que dix-huit ans ! Cesse de la manipuler comme bon te semble !, fit Bien en se dégageant de l'emprise de Mal.
-Toi, tu commences vraiment à me faire chier ! », grogna Mal en se jetant sur elle et en l'immobilisant.
Claire entendit des bruits de coups, des cris douloureux, puis plus rien. Elle écarta ses doigts pour observer les dégâts. Bien était au sol, perdante, Mal sur son dos, vainqueur.
« Claire, prend le couteau sur ta droite. », lui ordonna Mal, son ton sans appel.
-Ma chérie..., tenta sa mère en faisant un pas dans sa direction.
-N'approche pas ! , hurla-t-elle hystériquement.
-Prend ce couteau, Claire, siffla Mal. Prend-le et tue la. Ça nous fera du bien à toutes les deux.
-Claire, ma chérie... Je sais que je n'ai peut-être pas fait les bons choix pour toi, mais j'ai fait tout ça pour toi, pour ton propre bien... Je suis désolée, ma chérie... Si j'avais su... Oh, si j'avais su ! », sanglota sa mère.
Claire regarda un instant sa mère, puis le couteau, puis les deux apparitions. L'une avait un air radieux, l'autre, désespéré.
« Pas fait les bons choix ? Pour ton propre bien ? Tu l'entends, Claire ? Môman est désolée ! Môman regrette ses choix ! Car Môman sait qu'elle va mourir ce soir !, lâcha cruellement Mal en partant dans un rire hystérique. Et puis..., reprit-elle d'une voix mielleuse.
« ...Qui ferait ça à son enfant ! », cria Claire en prenant le couteau d'une main ferme.
Une arme dans les mains.
Sa mère lâcha un petit glapissement et se laissa tomber au sol, tremblante de terreur. Elle était livide.
« Claire...Non... Tu peux... encore t'arrêter... Si tu fais ça... tu perdras vraiment... ton humanité... », haleta Bien alors qu'elle se mettait sur ses coudes, en la suppliant de ses yeux.
Claire hésita.
Je suis prête à donner un sens à n'importe qui, à n'importe quoi...
« Oh, mais tu vas te la fermer toi !, grogna Mal en donnant un coup de pied à Bien, la faisant cracher une gerbe de sang. Claire, fais-le ! C'est trop tard de toute manière ! Tu as déjà perdu ton humanité ! Et à qui la faute ? Tue-la ! »
Responsabilité personnelle.
Claire prit un air déterminé et s'approcha de sa mère, le couteau tenu d'une poigne froide et forte.
« Ne...fais pas... ça ! », la supplia Bien.
Les sanglots envahirent la pièce.
« Tue-la ! », lui asséna Mal.
Plus d'hésitation.
« Tue-la ! »
Elle leva son arme.
« Tue-la ! »
Un coup. Puis d'autres.
« Tue-la ! »
Un hurlement. Puis d'autres.
Le rire de Mal. Les pleurs de Bien.
Des éclats de sang volèrent sur le sol et les murs.
Encore, encore et encore.
Comme une machine qui répétait un acte mécanique.
Puis, plus rien.
Seulement Mal et elle.
Réponse personnelle à la folie.
Mal l'enlaça doucement, un sourire malsain sur ses lèvres.
« C'est bien, ma belle... Montrons leur le monstre que nous sommes... »
2 000 mots !
Challenge réalisé dans le cadre de Rêves d'Androïdes et ses Challenges S-F, pour Icare revisité !
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