Tempête

Elle était là, dans le noir, allongée dans son lit à fixer le plafond, cherchant désespérément le sommeil. Le souffle régulier de son partenaire, couché à l'autre bout du matelas, la berçait dans un confort propice au repos. Pourtant, elle n'arrivait pas à dormir.

Était-ce dû à l'excitation de la fête en son honneur qui s'était tenu toute la soirée ? Elle avait encore la sensation d'entendre le rythme effréné de la musique battre à ses oreilles. Bien qu'elle chérissait ces moments avec ses proches, être le centre de l'attention n'avait jamais été son fort ; les regards braqués sur elle, les sourires qu'elle devait tendre inlassablement à ses invités, les conversations incessantes qui lui demandaient de se faire violence pour sortir de sa coquille, tout cela l'épuisait. Elle avait souhaité, toute la soirée, se trouver un refuge même pour quelques minutes, le temps de se recentrer sur elle-même, de recharger ses batteries. Maintenant qu'elle pouvait enfin se détendre, son esprit en avait décidé autrement.

Elle tendit une main vers son conjoint, mais arrêta son geste avant même de l'avoir touché. Il semblait si paisible et elle ne souhaitait pas déranger son sommeil pour une raison aussi futile que de calmer le flot incessant de ses pensées. Elle se redressa alors doucement sur le lit et posa les pieds à terre. Ses orteils se rétractèrent au contact du parquet froid sur sa peau nue. Elle attendit que sa vision s'adapte à la pénombre, avant de se lever et de sortir de la chambre.

En bas, tout était calme. La banderole sur laquelle était écrit "joyeux anniversaire" pendait encore au milieu du salon, les gobelets en plastique vides, les ballons de baudruche à moitié dégonflés ainsi que les confettis éparpillés un peu partout dans la pièce, trônaient dans le noir, tels des vestiges de la fête passée. Elle les ignora et marcha à pas feutrés vers la cuisine. Ici, elle prit un verre qu'elle remplit d'eau et se posta devant la fenêtre.

Les rayons de lune peinaient à traverser l'épaisse couche de nuages. Bercées par le vent, les ombres des pins se balançaient devant la maison, mimant une dance macabre dont seule la tempête connaissait la chorégraphie. C'était envoûtant et terrifiant à la fois.

Elle ouvrit la fenêtre, laissant l'air frais entrer. Le froid de la nuit la fit frissonner, mais cela ne la gênait pas. Elle passa ses doigts à travers l'interstice, laissant le souffle de la brise caresser sa peau. C'était doux et vivifiant, un remède à ses pensées nocturnes envahissantes.

Pourtant, elle le savait, cette distraction serait de courte durée. Elle avait envie de plus, besoin de plus. D'où elle se tenait, elle ne pouvait apercevoir que le bosquet enlisé dans le sable. La dune lui coupait la vue. Elle referma la fenêtre d'un coup sec avant d'avaler son verre d'eau d'une traite. Elle se dirigea vers l'entrée de sa maison, attrapa le chandail qui pendait le long du porte manteaux et enfila ses sabots.

Elle quitta sa demeure et se dirigea vers les arbres. Les brindilles craquaient sous son poids, rythmant ses pas. Plus elle approchait de sa destination, plus ses jambes se faisaient lourdes, s'enfonçant dans le sol meuble. Les hautes silhouettes des pins s'étendaient devant elle et semblaient ne jamais finir. L'odeur du bois, chauffé par le soleil estival, flottait encore dans l'air, malgré les températures fraîches une fois la nuit tombée.

Le vent se leva, plus fort qu'auparavant, hurlant son chant à travers les branches et les épines des conifères. Son souffle s'infiltra à travers ses cheveux et ses vêtements, faisant virevolter le tissu et la poussant vers l'avant, comme pour l'accompagner le long de son chemin.

Enfin, elle atteignit l'orée du bois, le haut de la dune. Elle s'arrêta quelques instants. Ses yeux se posèrent sur l'horizon, là où les nuages noirs paraissaient sombrer dans le tumulte de l'océan. Elle retira ses chaussures et descendit vers la plage, les grains de sable froids roulaient sous ses pieds. 

Elle marcha, les yeux mi-clos pour savourer les embruns qui lui foutaient le visage à mesure qu'elle se rapprochait de l'étendue d'eau. L'odeur iodée, portée par le vent et la bruine, remplit ses poumons, lui apportant ce parfum de liberté que seuls les espaces naturels offrent. Elle s'arrêta juste avant l'estran, afin de garder ses pieds au sec et admira à nouveau la vue devant elle.

Contrairement aux autres, elle préférait la plage de nuit. L'agitation de la journée, ponctuée par les cris et rires des passants ne faisait qu'accentuer cette sensation étouffante qui lui agrippait la cage thoracique. Alors, elle préférait venir la nuit, quand tout était calme.

Elle avait grandi près de la mer, et déjà petite, la considérait comme son amie la plus proche. Adolescente, alors que ses camarades sortaient en cachette de chez eux pour aller faire la fête, elle se faufilait pour rejoindre le littoral. Elle pouvait rester des heures durant, assise sur un rocher, à admirer les vagues se briser sur la côte, à observer les mouvements de l'eau se balancer au gré de la houle. Elle était comme l'océan : derrière un calme apparant, une tempête était toujours prête à éclater, bousculant et engloutissant ses pensées dans une spirale infernale, telles les vagues faisant chavirer un navire.

Cette nuit-là ne faisait pas exception. Au loin, elle pouvait apercevoir l'amas de nuages se muer en un orage. Les premiers coups de tonnerre faisaient écho au vacarme qui résonnait dans son esprit. Le vent souffla encore plus fort, elle resserra son chandail autour de sa poitrine, essayant de se protéger du froid. Cependant, plus le temps passait, plus la tempête grondait et moins elle ne pouvait se défendre contre les intempéries. Elle restait là, immobile, à contempler le spectacle que lui offrait la nature. Subjuguée par la beauté terrifiante qui se déroulait devant elle, elle se sentit happée, coincée, comme éloignée de ce qui l'entourait.

Pourtant, une douce chaleur l'enveloppa et elle mit quelques secondes à réaliser qu'il s'agissait de son conjoint qui l'avait rejoint et avait enroulé ses bras autour d'elle. Il posa avec précaution son menton sur son épaule et admira avec elle la tempête qui se rapprochait lentement. Elle ferma les yeux s'imprégnant de son odeur musquée qui se mêlait aux fragrances salées de l'océan.

Elle finit par se retourner dans ses bras pour lui faire face. Les faibles rayons de lune éclairaient son visage et elle put ancrer ses yeux dans son regard serein. Il se pencha et ses lèvres chaudes emprisonnèrent sa bouche, ce qui fit pulser son cœur un peu plus fort dans sa poitrine et la ramena à la réalité du moment. Ils se séparèrent sans pour autant éloigner leurs visages l'un de l'autre, alliant leurs souffles. Ce fut elle qui prit la parole en premier.

— Comment as-tu su que j'étais ici ?

Un léger sourire s'afficha sur le visage de son partenaire.

— Parce que je te connais, répondit-il simplement.

Et c'était vrai. Depuis toutes ces années, il avait appris à reconnaître ses moindres failles et à les combler. Elle s'était toujours étonnée de voir à quel point il pouvait prédire ses réactions, ou deviner ses angoisses. Comme s'il savait lire ses pensées. Ce soir encore, il lui prouvait qu'il se tiendrait toujours à ses côtés, comme un rempart à ses émotions trop accaparantes.

Elle enfouit son visage dans son cou, se focalisant sur le contact de leur peau pour ne pas se perdre à nouveau dans les tréfonds de son cerveau. Il passa une main dans ses cheveux et plaça sa bouche près de son oreille :

— Allez, viens, rentrons à la maison.

Elle acquiesça sans un mot, se laissant guider par la quiétude qui émanait de lui. Alors, sans un regard vers la tempête qui faisait toujours rage derrière eux, ils se prirent la main et retournèrent vers leur refuge.

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