Le Chat De La Vieille Dame 3/3
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Chapitre 3 : Pour la souris, le chat est un tigre*
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Vanessa était assise dans sa voiture face au cimetière. Deux semaines avaient passé depuis la mort de Madame Chastain. Deux semaines durant lesquelles Vanessa avait tourné en rond, inlassablement, attendant que quelque chose se passe, que la nouvelle fatidique arrive. Mais rien n'arriva. Elle n'eut aucune nouvelle, ni de son patron, ni même de l'officier Tremblay.
Pourtant, l'autopsie avait dû avoir lieu, étant donné sur les obsèques de son ancienne patiente se tenaient ce matin. Elle l'avait su grâce à la rubrique nécrologique du journal que lisait Rémi tous les matins. Cela confirmait donc que si l'enterrement pouvait avoir lieu, l'autopsie avait été réalisée. Alors pourquoi était-elle là devant le cimetière et pas les menottes aux poignets dans le commissariat de la ville ?
Elle avait hésité à venir, Rémi avait même essayé de l'en dissuader, craignant les représailles des proches de Mme Chastain, mais Vanessa voulait venir, devait venir. Elle était responsable de ce décès, elle le savait. Alors, rendre hommage une dernière fois à la vieille dame lui semblait nécessaire.
Cependant, elle n'était pas assez téméraire pour se rendre à la cérémonie religieuse et elle préféra attendre patiemment dans sa voiture sur le petit parking face à l'église et au cimetière. Elle avait vu les proches de Mme Chastain rentrer dans l'édifice : ils n'étaient pas nombreux. Ses enfants, petits enfants, neveux et nièces étaient probablement présents. Ce qui ne représentait pas énormément de monde, une quinzaine de personnes peut-être.
C'était une belle journée d'hiver, une journée comme Vanessa les aimait. Le froid piquait la peau, mais le ciel était d'un bleu immaculé et le soleil brillait, réfléchissant sa lumière sur le bitume gelé.
Pour la première fois en deux semaines, elle se sentait apaisée, sereine. Une page allait se tourner et bientôt, toute cette horrible histoire serait derrière elle. Du moins, c'est ce qu'elle espérait.
Ces dernières semaines avaient été éprouvantes psychologiquement. Vanessa ne pouvait rester en place, hantée par le décès de la vieille dame. Elle n'avait jamais cru aux fantômes. Pourtant, l'esprit de la défunte la poursuivait chaque jour. Elle ne pouvait s'empêcher de ressasser à chaque instant cette matinée fatidique, où le fruit à coque s'était retrouvé dans le potage de Mme Chastain. D'ailleurs, elle avait arrêté d'en manger. À la place, pour tromper son ennui et sa solitude, elle se laissait hypnotiser par le poste de télévision sans pour autant retenir la moindre information.
Rémi avait travaillé d'arrache-pied et elle ne le voyait presque jamais. Quand il était chez eux, c'est à peine s'il lui parlait, trop occupé à passer divers appels téléphoniques à son avocat.
Elle était reconnaissante de son implication et de son soutien, bien que discret, dans cette affaire. Elle avait pourtant cru un matin qu'il la trahirait, quand elle l'aperçut près de la fenêtre en train de nourrir le vieux chat noir et blanc qu'elle tenait responsable de ses malheurs.
— Mais qu'est-ce que tu fais ?! avait-elle crié.
— Je nourris le chat, avait-il simplement répondu.
Voyant le regard affligé de sa femme, il avait même ajouté :
— Mme Chastain est morte. Le moins que l'on puisse faire est de nourrir son chat.
Elle tenta d'expliquer son point de vue, mais finit par abandonner, sachant que cela ne changerait rien. Depuis ce jour, Minou ne s'était plus montré et elle se dit avec soulagement qu'il avait sans doute dû trouver une nouvelle famille.
Ces deux dernières semaines, lui avaient aussi laissé le temps d'enfin appeler sa mère. Elle se souvint de la joie qu'elle entendit dans le son de sa voix. Ne voulant pas l'inquiéter, elle décida d'agir comme si rien ne s'était passé, ce qui avait provoqué une dispute entre son mari et elle.
— Mais tu imagines sa réaction si la situation ne tourne pas à ton avantage et qu'elle l'apprend ? Tu ne la protégeras pas en lui mentant !
— Si la situation ne tourne pas à mon avantage ? Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Que je vais aller en prison ? Répliqua-t-elle.
— C'est une possibilité qu'il ne faut pas oublier, oui.
En entendant les mots de son conjoint, Vanessa s'était rué hors de la pièce en pleurant à chaudes larmes, tandis que Rémi passait un énième appel à son avocat.
Les jours suivants passèrent et se ressemblèrent. Le couple était plongé dans un mutisme profond, gérant à leur manière le drame qui s'était produit et les éventuelles conséquences auxquelles ils devraient faire face.
La veille au soir, n'en pouvant plus de ce silence étouffant, Vanessa qui tournait en rond sous ses draps, alluma brusquement sa lampe de chevet, faisant sursauter Rémi qui était sur le point de s'endormir.
— Tu m'aimes ? lui demanda-t-elle de but en blanc.
— Mais qu'est-ce que tu racontes ?
Rémi, à demi endormi, se retourna vers elle attendant une réponse. Vanessa se redressa sur ses oreillers et le regarda fixement, bien décidée à connaître le fond de la pensée de son mari.
— Est-ce que tu m'aimes encore ?
Rémi se releva et soupira en secouant la tête :
— Oui. Bien sûr que oui. Tu as merdé, sacrément merdé même. Mais oui, je t'aime encore.
Vanessa soupira de soulagement, tout n'était donc pas perdu. Rémi lui fit un sourire timide écartant ses bras pour laisser la place à sa femme de s'y glisser. La tête sur son torse, elle écoutait le son des battements du cœur de son conjoint et finit par s'endormir.
Alors oui, pour la première fois depuis deux semaines, Vanessa se sentait sereine, prête à affronter l'avenir bien qu'incertain. Rémi serait à ses côtés, il le lui avait prouvé la nuit dernière. Une lueur d'espoir naissait au creux de sa poitrine, allégeant quelque peu le poids qui emprisonnait son sternum.
Les cloches se mirent à sonner au loin, signe que la messe en l'honneur de Mme Chastain venait de se terminer. Vanessa ne bougea pas de sa voiture et vit les premières personnes sortir de l'église et se diriger lentement vers le cimetière. En-tête du petit groupe, Vanessa pouvait apercevoir deux personnes en soutenir une troisième : Élise. C'était la plus jeune des enfants de Colette Chastain, elle devait être à peine plus âgée que Vanessa. D'où elle était elle ne voyait pas son visage, mais compte tenu de sa posture, elle devinait que la benjamine de la fratrie tenait à peine debout.
Cela serra le cœur de Vanessa, tant à l'idée de voir Élise effondrée par la mort de sa mère que de savoir que Mme Chastain n'avait jamais réalisé à quel point sa plus jeune fille semblait l'aimer.
Derrière le petit groupe qui avançait vers les hauts murs du cimetière, quatre hommes sortir à leur tour de l'église portant le lourd cercueil en chêne.
Vanessa attendit encore cinq bonnes minutes s'assurant que personne ne la verrait, avant de sortir de son véhicule.
Quand elle posa le talon au sol, les graviers crissèrent sous son poids, brisant le silence apaisant des lieux. Vanessa se dirigea vers l'entrée du cimetière, essayant de faire le moins de bruit possible pour ne pas se faire remarquer.
Elle aperçut les proches de Mme Chastain debout en cercle autour de sa tombe à une cinquantaine de mètres d'elle. À pas de loup, Vanessa partit se réfugier sous le grand if du cimetière. De là, elle pouvait observer la scène tranquillement, sans être vue.
Alors que le cercueil s'enfonçait sous terre, chacun pris dans un seau par terre, des pétales de rose blanches qu'ils lancèrent dans la fosse comme un dernier adieu à la défunte.
Puis, petit à petit, les proches de Mme Chastain quittèrent les lieux et bientôt, il ne resta plus que les trois enfants près de leur mère. Ils se recueillirent quelques instants, se tenant la main, la tête baissée vers la tombe de leur mère. Quand ils se retournèrent pour partir eux aussi, Danielle et Patrice levèrent les yeux en direction de Vanessa. Celle-ci eut un mouvement de recul et tenta de se cacher derrière le tronc de l'if.
Trop tard.
Patrice commençait déjà à avancer vers elle les poings serrés et le regard noir. Cependant, il s'arrêta net quand sa sœur aînée lui posa une main sur l'épaule. Elle se pencha pour lui chuchoter quelque chose à l'oreille. Patrice hocha la tête et fit demi-tour aussitôt suivi par Danielle. Tous deux rattrapèrent leur petite sœur et quittèrent les lieux.
Vanessa poussa un soupir de soulagement. Elle rejoignit sa voiture rapidement, maintenant pressée de partir de cet endroit. Alors qu'elle allait poser la main sur la poignée de la porte de sa voiture, une voix sèche l'arrêta dans son geste :
— Vous avez du culot pour venir ici !
Vanessa déglutit avec difficulté et se retourna pour faire face aux yeux froids et impitoyables de Danielle, la fille aînée de Mme Chastain. La femme d'une soixantaine d'années portait un tailleur noir impeccable, ses cheveux gris plaqués en arrière dans un chignon serré lui donnait un air revêche, le même que sa mère.
— Je-je, balbutia Vanessa, je voulais juste rendre un dernier hommage à votre mère.
— Ma mère est morte à cause de votre négligence !
Blessée, Vanessa sentit ses joues la brûler de honte et baissa les yeux fixant le sol. Rémi avait raison, elle n'aurait jamais dû venir.
— C'était un accident, murmura-t-elle.
Vanessa entendit les pas de Danielle se rapprocher. Elle leva les yeux vers la femme qui se trouvait maintenant à moins de cinquante centimètres d'elle, envahissant son espace personnel. Mal à l'aise, Vanessa croisa les bras tout en resserrant son manteau autour d'elle comme si elle essayait de se protéger.
Danielle la fixa droit dans les yeux, ses prunelles marron, presque noires luisaient de colère.
— Je n'ai pas l'intention de faire d'esclandre ici, ma famille est en deuil et je ne veux pas les bouleverser encore plus qu'ils ne le sont déjà. Élise est... si fragile.
Danielle secoua la tête comme pour chasser les émotions qui commençaient à la gagner. Elle reprit la parole :
— Sachez cependant que vous ne vous en tirerez pas comme ça. Je compte bien porter plainte contre vous.
Elle avait dit tout cela d'une voix basse, à peine audible, ce qui rendit la menace plus effrayante encore.
Danielle ne laissa pas à Vanessa le temps de réagir et tourna les talons pour rejoindre ses frères et sœurs. Vanessa quant à elle, se glissa derrière le volant de sa voiture, tremblante. Les mots de Danielle venaient de faire disparaître le peu d'espoir qui restait en elle.
Le cœur lourd, elle démarra sa voiture et conduisit doucement jusque chez elle. Elle voyait briller des plaques de verglas sur la route et ne voulait pas risquer d'avoir un accident. Cela lui prit donc un quart d'heure de plus pour retourner jusqu'à son logement.
En arrivant sur le parking elle s'aperçut au fond, près de l'endroit où elle se garait habituellement, des lumières bleues clignotantes. Elle comprit tout de suite de quoi il s'agissait. Ne sachant que faire, elle se gara sur la première place qu'elle vit.
Son cerveau marchait à mille à l'heure et pourtant, aucune idée claire n'arrivait à se former dans son esprit. Pourquoi elle ? Vanessa n'était pourtant pas une mauvaise personne. L'angoisse et le désespoir l'empêchaient de respirer et elle se vit déjà passer le reste de sa vie derrière les barreaux.
Vanessa n'avait pas coupé le moteur et elle l'entendait ronfler sous le capot. Pendant quelques secondes, elle eut l'idée de fuir. Fuir, loin d'ici recommencer une nouvelle vie sous une nouvelle identité. Mais elle savait que c'était impossible. Et puis, il y avait Rémi. Pourrait-elle être heureuse sans lui ? Non. Elle devait affronter les conséquences de ses actes.
Vanessa coupa donc le moteur et ouvrit la porte de sa voiture. Alors qu'elle avançait vers son appartement, elle n'entendait que l'écho de ses talons résonner sur l'asphalte, battre à l'unisson avec son cœur.
Elle vit la tête de l'officier Tremblay dépasser du toit des voitures, Rémi était avec lui. Dès qu'il l'aperçu, il se précipita vers elle et l'enlaça. Vanessa s'agrippa à son dos et enfouit son visage dans son cou. Elle essaya de se concentrer sur chaque partie de son corps en contact avec le sien, de s'imprégner de son odeur de peur que ce ne soit la dernière fois qu'elle puisse se blottir dans ses bras.
Rémi inclina la tête pour que sa bouche se retrouve à hauteur de l'oreille de Vanessa et il lui murmura :
— Je suis désolée ma chérie, l'officier Tremblay vient de m'annoncer que tu étais mise en examen. Tu vas devoir le suivre au poste de police.
— Alors, c'est fini ? Demanda-t-elle dans un sanglot.
— Non, Rémi avait l'air déterminé, je vais rappeler les avocats, on va se battre Vanessa.
Il la serra plus fort contre lui et passa sa main dans ses longs cheveux blonds. Après quelques instants, il s'éloigna doucement d'elle.
— Il faut y aller maintenant, dit il en plaçant un baiser furtif sur ses lèvres.
Vanessa croisa son regard. Elle ne l'avait jamais vu comme ça. C'était un mélange de douleur, de colère et de défi. Les prochains mois allaient être une vraie bataille, mais elle eut la certitude qu'il ne l'abandonnerait pas.
Lorsqu'ils arrivèrent à hauteur de la voiture de police, l'officier se dirigea vers elle alors que Rémi regagnait l'appartement. Les yeux fixés sur son dos, Vanessa le regarda aussi longtemps qu'elle put essayant de profiter encore de sa présence. Elle entendit, comme si elle venait de loin, la voix du policier sans comprendre ce qu'il disait. Cependant, elle se doutait bien du sens de ses paroles.
L'officier Tremblay posa la main dans le dos de Vanessa pour l'inciter à avancer vers la voiture. Surprise, elle se tourna vers lui les yeux et les joues rougis par la peine.
— Vous ne me passez pas les menottes ?
L'officier Tremblay eut un petit rire sans joie puis répondit :
— Non. Mme Perrin, vous n'êtes pas une criminelle. Vous avez commis une grave erreur et serez jugée en conséquence. Avec un peu de chance, vous aurez une peine avec sursis.
Vanessa hocha simplement la tête et ils se dirigèrent tous deux vers le véhicule. Alors qu'elle marchait, elle ne put s'empêcher de penser à minou. Son destin aurait il été le même si Mme Chastain n'avait pas eu d'animal de compagnie ? De toute façon, il était trop tard pour s'imaginer ce qui aurait pu être.
L'officier Tremblay ouvrit la porte arrière de la voiture de police. Vanessa s'apprêta à s'assoir sur les vieux sièges en tissus quand elle le sentit.
Là, entre ses chevilles, la même sensation douce et agréable qu'elle avait eue deux semaines plus tôt, debout devant la cocotte dans la cuisine de Mme Chastain.
Elle baissa les yeux et croisa le regard triomphant de l'être responsable de tous ses ennuis.
Il n'avait pas disparu en fin de compte. Il était là, libre, à la narguer entre ses chevilles.
Ce fichu chat !
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*proverbe Persan
Voilà, cette première nouvelle est terminée. J'espère qu'elle vous aura plu.
Merci d'avoir pris le temps de la lire. N'hésitez pas à me faire part de votre avis en commentaire et si vous avez aimé, je vous laisse voter pour ce chapitre.
Alors, d'après vous, qui est le coupable ? Vanessa ou le chat ?
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