Le Chat De La Vieille Dame 2/3

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Chapitre 2 : Un œil sur la casserole et l'autre sur le chat*

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Vanessa était assise au milieu du salon sur un fauteuil, celui de Mme Chastain. De l'autre côté de la pièce elle pouvait voir les secours s'affairer autour de la vieille dame.

Ils avaient tout essayé : le masque à oxygène, le massage cardiaque, l'injection de différentes substances pour faire redémarrer son cœur. Mais le corps de Colette Chastain était trop vieux et son cœur trop fatigué pour se remettre à battre. Suite à l'arrivée du médecin des urgences, son décès fût enfin prononcé et maintenant, les urgentistes plaçaient son corps dans une housse mortuaire.

Alors qu'elle les regardait faire, Vanessa fût frappée par l'odeur de rose qui émanait du tissu du vieux fauteuil sur lequel elle était toujours assise. Elle ne s'en était jamais rendu compte, mais Madame Chastain portait toujours ce même parfum douceâtre qui maintenant donnait la nausée à l'aide à domicile. Un sentiment étrange naissait en elle et pour la première fois depuis que l'incident eut lieu, elle réalisa que Madame Chastain était partie, que plus jamais elle ne sentirait ce parfum.

La mort de sa patiente lui fit également prendre conscience que son avenir serait inéluctablement compromis. Qu'allaient penser les gens. Ses collègues ? Son mari ? Allaient-ils croire qu'elle était négligente ? Ou pire, qu'elle avait mis sciemment des fruits à coques dans le potage.

Le doute commençait même à l'assaillir. Machinalement, elle porta ses doigts à sa bouche et se rongea les ongles, perdue dans ses pensées. Elle se revoyait debout, dans la cuisine, la main au-dessus de la cocotte, l'amande au creux de son poing. Pendant un instant, elle y avait pensé. Une petite seconde, cette idée lui avait traversé l'esprit. Mais jamais, non jamais elle n'aurait été capable d'une chose pareille. Elle se repassait le film en boucle. Avait-elle ouvert la main et laissé tomber le fruit dans la soupe, sans s'en rendre compte ? Comme quand, involontairement, notre corps nous pousse à agir par instinct ? Non. C'était impossible. Vanessa veillait toujours au bien-être de ses patients et même si Madame Chastain était insupportable de son vivant, jamais elle n'aurait pu commettre un acte aussi cruel. Alors comment expliquer la mort de la vieille dame ?

Un goût de métal remplit sa bouche et Vanessa grimaça en inspectant ses doigts. L'ongle qu'elle grignotait s'était cassé, laissant apparaître une goutte de sang sur sa peau maintenant à nue.

Des bruits de pas attirèrent son attention et en levant les yeux elle aperçut un homme portant l'uniforme bleu de la police avancer au milieu du salon. La trentaine, grand et élancé, il paraissait plutôt amical. Pourtant, son regard perçant laissait deviner qu'il ne commettrait aucun impaire.

Le policier s'approcha de Vanessa et esquissa un sourire crispé, trop professionnel pour être sincère :

— Madame Perrin ? Bonjour, je suis l'officier Tremblay. J'aurais quelques questions à vous poser sur ce qu'il s'est passé.

Vanessa se leva maladroitement. Elle acquiesça, ne sachant quoi répondre à l'officier. Celui-ci sortit un petit calepin noir et un stylo avant de s'éclaircir la gorge.

— Bien, commença-t-il les yeux rivés vers la femme, pouvez-vous me décrire comment c'est arrivé ?

Vanessa ouvrit la bouche sans trop savoir quoi dire. Comment c'est arrivé ? Que voulait dire l'officier Tremblay avec cette question ? Fallait-il qu'elle raconte chaque événement de la matinée ? Qu'elle donne des faits, des hypothèses ? Qu'elle avoue qu'elle pensait être coupable de la mort de Madame Chastain ?

Vanessa regarda autour d'elle à la recherche d'une aide extérieure qui ne viendrait pas. Ses yeux se posèrent sur Minou. Le chat la fixait. Il l'avait fixé toute la matinée, comme s'il savait, comme s'ils partageaient un même secret. Son esprit vagabonda et elle se souvint du comportement inhabituel du félin. Il avait toujours été particulier, intelligent. Il semblait comprendre ce que les humains disaient, il semblait agir de façon réfléchie et non aléatoire comme tous les autres chats. Mais aujourd'hui, il avait s'était comporté d'une manière beaucoup plus inhabituelle qu'à l'accoutumée. Son affection soudaine, son air satisfait et fier. Et pourquoi diable était-il monté sur l'étagère la seule fois où Vanessa avait laissé traîner son paquet de fruits à coques ? Cela ne leur était jamais arrivé auparavant, ni à elle, ni à lui. Il savait. Il avait tout prévu. C'était la seule raison plausible à ce concours de circonstances.

Vanessa ne détourna pas ses yeux de l'animal et sans donner plus d'explications répondit à l'officier Tremblay :

— C'est le chat.

— Le chat ?

— Oui. Le chat.

L'officier Tremblay soupira et se pinça l'arête du nez. Il semblait peu enclin à perdre son temps sur une affaire aussi peu palpitante que la mort d'une vieille femme, accidentelle ou non.

— Que voulez-vous dire, Madame Perrin ? Que le chat est un meurtrier ?

Vanessa entendit bien le ton sarcastique qu'avait employé le policier. Mais cela ne la découragea pas pour autant.

— Le chat a fait tomber un fruit à coque dans la soupe et Madame Chastain en était allergique... C'était un accident, Monsieur Tremblay. Juste un malheureux accident.

Vanessa tentait de se défendre tant bien que mal, mais elle voyait bien que l'officier ne semblait pas convaincu. Qui, de toute façon, pourrait croire en cette histoire saugrenue ?

— Un fruit à coque, vous dites ? Mais si vous saviez que Madame Chastain y était allergique et que le chat, comme vous le prétendez, avait fait tomber un fruit à coque dans la soupe, pourquoi ne l'avez vous pas enlevé ?

— Je... Il n'y en avait pas. Enfin, je veux dire si, il devait y en avoir, j'ai vérifié-

— Vous avez vérifié s'il y avait des fruits à coques ? Interrogea l'officier incrédule.

— Non ! J'ai vérifié s'il n'y en avait pas.

— Et...? Il n'y en avait pas ?

— Non, enfin apparemment si, Vanessa se mordit la lèvre. Je ne sais pas.

L'officier Tremblay secoua la tête :

— Écoutez Madame Perrin, pour le moment nous ne connaissons pas officiellement la cause du décès de Madame Chastain. Il faut attendre le retour du médecin légiste. Vous pouvez rentrer chez vous, je vous recontacterai.

— Est-ce que je vais aller en prison ? lâcha-t-elle d'une voix plus forte qu'elle ne le voulait. Certains secouristes tournèrent même la tête vers elle avec curiosité.

— Ça, ce n'est pas de mon ressort, lui répondit simplement l'officier Tremblay avant de lui tourner le dos et de se diriger vers le médecin.

Vanessa rassembla ses affaires machinalement, comme si quelqu'un d'autre le faisait pour elle. Elle n'osa pas regarder en direction du corps de Madame Chastain et se hâta dans le hall d'entrée remis ses bottes fourrées et s'apprêta à sortir. Quand elle ouvrit la porte, elle vit le chat se faufiler par l'interstice et s'échapper dans le couloir en direction de l'escalier.

— Minou ! l'interpella-t-elle.

Mais elle n'eut pas le temps de partir à sa poursuite que les ambulanciers sortaient le brancard sur lequel reposait Madame Chastain.

Vanessa fit un pas de côté pour les laisser passer et attendit patiemment que le couloir se vide avant de regagner la cage d'escalier.

Elle traversa à nouveau le parking, en sens inverse cette fois-ci. Tentant de lutter contre l'impression désagréable que ses voisins la regardaient. Comment auraient-ils pu savoir ?

Elle claqua la porte de son appartement et s'adossa contre elle. La pièce était plongée dans le noir, uniquement éclairée par l'écran de télévision.

Quand il l'entendit rentrer, Rémi ne leva même pas les yeux du poste pour la saluer :

— Ah, c'est toi chérie. Ça va ?

Vanessa ne répondit pas, mais alla s'installer sur le canapé à côté de son mari. Rémi tourna la tête vers elle et se rendit tout de suite compte que quelque chose clochait.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.

— Madame Chastain est morte.

— Qu-quoi ? Rémi prit la main de sa femme dans la sienne, je suis désolé chérie, tu dois être sous le choc. Tu-tu l'as trouvée comme ça où...

La question de Rémi resta en suspens. Il n'osait pas aller au bout de sa pensée. Il resserra la prise autour de la main de sa femme tentant, par ce geste, de lui apporter son soutien. Cependant, son regard se faisait pesant, une curiosité morbide l'envahit et il attendait impatiemment que sa femme lui donne plus de détails, sans se douter un seul instant que sa réponse le desarçonnerait.

— Le chat l'a tué, répondit-elle dans un souffle.

— Le chat ? répéta-t-il. Qu'est-ce que tu racontes chérie ? Les chats ne tuent pas les êtres humains, juste les souris.

— Mais, si ce n'est pas le chat qui l'a tué, ça veut dire que c'est moi.

Vanessa leva ses yeux larmoyants vers son conjoint et il comprit. Il comprit, qu'elle disait vrai. Les mains de Rémi s'ouvrir instinctivement laissant une sensation de vide sur la peau de Vanessa. Il posa ses coudes sur ses genoux se frottant le visage.

— C'est pas vrai, répétait-il à mi-voix, on est dans la merde, on est dans une sacrée merde !

Il se tourna soudain vers sa femme :

— Mais, le chat ? Qu'est-ce qu'il vient faire dans tout ça ?

Alors Vanessa se mit à tout lui raconter. Les reproches de la vieille dame, l'idée morbide de faire tomber un fruit à coque dans le potage, le chat qui renversait le paquet au-dessus de la gazinière. Pendant tout ce temps, Rémi faisait des allées et venues dans le salon, répétant sans cesse, "c'est la merde, c'est vraiment la merde !" Quand elle eut enfin fini, il l'interrogea à nouveau.

— Quand tu dis que tu as pensé mettre le fruit dans la soupe. Tu-tu te rappelles l'avoir fait ?

— Non, je ne sais pas.

— Vanessa réfléchis s'il te plaît !

Rémi s'approcha d'elle et s'assit à nouveau sur le canapé, plaçant ses mains sur les épaules de sa femme pour la forcer à le regarder. Vanessa se concentra de toutes ses forces, essayant de se rappeler si elle avait ouvert le poing et fait tomber le fruit à coque dans la soupe. Mais rien n'y faisait, elle ne parvenait pas à se rappeler si elle avait cédé à ce désir morbide ou si sa raison l'avait emporté.

— Je n'arrive pas à me souvenir, je-

La voix de Vanessa se coupa sous l'émotion et une vague de panique s'empara d'elle. Elle plongea ses yeux dans ceux de son conjoint espérant y trouver de la compréhension, mais son regard n'exprimait aucune compassion à ce moment.

— Ce n'est pas moi ! Je ne voulais pas ! Je ne voulais pas que ça arrive, c'était un accident !

Des larmes chaudes commencèrent à rouler sur les joues de Vanessa. Rémi, voyant sa femme si désemparée, s'adoucit et la prit dans ses bras.

— Je sais, je sais ne t'inquiète pas. Le problème, c'est que ce n'est pas moi qu'il faut convaincre.

Il la relâcha brusquement et frotta nerveusement ses mains contre son visage.

— Dans le doute, il faudrait trouver un avocat. J'ai peut-être-

Mais il fut interrompu par la sonnerie stridente du téléphone. Tout deux sursautèrent, mais Vanessa réagit en premier. Elle se leva et se dirigea vers l'appareil.

— Qu'est-ce que tu fais, Vanessa ? Ce n'est pas le moment, son mari pesta.

Elle ne l'écoutait pas et décrocha le combiné qui était fixé sur le mur séparant le salon de la cuisine.

— Allô, dit-elle d'une voix éteinte.

— Vanessa ? C'est Roger.

Vanessa reconnut tout de suite la voix de l'homme au bout du fil. Roger Gagneux, son patron. Elle serra les dents, cette conversation n'augurait rien de bon. Sans même lui laisser le temps de continuer, son interlocuteur reprit la parole.

— Je viens d'avoir la police au téléphone. Ils m'ont dit ce qu'il s'était passé avec la vieille Chastain. Il faut que vous rappliquiez au bureau. Tout de suite !

Son ton était impérieux et il ne servait à rien de négocier avec lui. Le ventre de Vanessa se tordit à la perspective de la confrontation avec son employeur.

— D'accord Monsieur Gagneux. Je serai là dans une demi-heure.

Roger soupira et sans répondre, il raccrocha. Vanessa n'était même pas étonnée. Ses employés lui devaient le respect, mais l'inverse ne semblait pas s'appliquer. Lentement, elle remit le combiné à sa place et se tourna vers son mari.

— Monsieur Gagneux veut que je vienne, dit elle simplement.

Rémi hocha la tête sachant pertinemment que sa femme n'avait pas le choix. Il la regarda partir sans un mot et se rassit devant la télévision, l'esprit ailleurs, les pensées occupées à chercher une solution à leur problème.

Quand elle retourna sur le parking, Vanessa fut frappée par le vent glacial qui lui fouettait le visage. Maintenant que le soleil d'hiver commençait à tomber sur l'horizon, l'atmosphère s'était immanquablement refroidie.

Elle avança à grandes enjambées vers sa Citroën AX bleue et se réfugia à l'intérieur de l'habitacle. D'un geste vif, elle alluma le moteur et le chauffage, puis se frotta les mains pour combattre le froid ambiant. Une odeur d'essence lui fit froncer le nez à mesure que la chaleur grimpait.

Par habitude, elle mit en route le lecteur cassettes oubliant que celui-ci était cassé et se résigna donc à écouter la radio pour lui tenir compagnie. Les notes du dernier hit du moment résonnèrent : une énième chanson de rupture parlant de la vie après l'amour en tête du top 50 depuis la mi-décembre 1998.

Alors qu'elle conduisait, Vanessa tapait de ses doigts le volant en rythme avec la musique électronique. Il n'y avait personne sur sa route, contrairement aux voitures qui roulaient en sens inverse. En cette heure tardive de l'après-midi, les gens tentaient de fuir la ville après leur journée de travail et se retrouvaient maintenant bloqués dans les embouteillages. Au moins, Vanessa n'avait pas ce problème.

Ses pensées voyagèrent à nouveau vers Madame Chastain et plus particulièrement vers ses enfants : Danielle, Patrice et Élise. Étaient-ils déjà au courant ? La détestaient-ils ? Après tout, elle les avait privés de leur mère. Auraient-ils des regrets de ne pas avoir pris plus souvent des nouvelles de Madame Chastain maintenant qu'il était trop tard pour le faire ?

D'ailleurs, Vanessa se rappela qu'elle n'avait pas appelé sa mère comme elle se l'était promis plus tôt dans la matinée. Elle jeta un coup d'œil à l'horloge de sa voiture. Il était 17h24, si M. Gagneux ne la retenait pas trop longtemps, elle aurait le temps d'appeler sa mère en rentrant.

Le poids de la culpabilité lui pesait sur l'estomac et quelle que soit l'issue de cette histoire, elle savait qu'elle n'en sortirait pas indemne. Elle espérait juste avoir le temps d'échanger avec sa mère une dernière fois, avant que toute cette histoire ne déchire leurs liens et leurs vies.

Vingt minutes plus tard, elle se gara sur le petit parking jouxtant les bureaux de son employeur : il n'y avait plus que cinq voitures de présentes.

Elle passa les grandes portes battantes du bâtiment. Le hall d'accueil était vide, la réceptionniste était déjà partie. Vanessa se fit la réflexion, en remarquant le néon blanc clignoter au-dessus de sa tête, que le lieu n'avait rien d'accueillant ce qui accentua son appréhension.

Elle se dirigea vers la petite porte située à gauche du guichet d'accueil. Vanessa prit une grande inspiration avant de l'ouvrir et d'entrer dans l'open-space où travaillaient les employés d'administration.

Il ne restait plus que trois personnes présentes : Bruno à la compta, Sylvie à la gestion de la paie et bien sûr, la pire de tous, l'assistante de M. Gagneux, Nathalie. Enfin, Nat' comme elle voulait se faire appeler « parce que tu comprends Vaness' à l'aube de l'an 2000 les diminutifs ça rend cool et dynamique ».

Dès qu'elle l'aperçu, Nat' se leva d'un bond. Elle attendit que Vanessa s'approche de son bureau, qui se trouvait à côté de la porte menant à celui de M. Gagneux, avant d'avancer vers elle.

Nat' était plus petite que Vanessa malgré ses hauts talons, ce qui ne l'empêchait pas de se croire imposante. Elle essaya de prendre un air compatissant, mais ne put réprimer le sourire moqueur qui se dessinait sur ses lèvres. Comme d'habitude, elle mâchonnait un chewing-gum à la menthe, qui n'avait probablement plus de goût depuis longtemps, ce qui accentuait sa moue narquoise.

— Vaness', ma chérie ! dit-elle en lui prenant les mains, j'ai appris ce qu'il s'était passé. Tu dois être sous le choc.

Son ton se voulait empathique, mais ses yeux brillaient de malice et Vanessa savait qu'elle ne cherchait qu'à connaître les détails croustillants qu'elle déformerait à sa guise pour colporter des ragots.

D'ailleurs, elle n'était pas la seule. Vanessa pouvait sentir les regards de Bruno et Sylvie peser sur elle. Elle était soulagée que leurs bureaux soient éloignés l'un de l'autre, auquel cas elle était sûre qu'elle les entendrait chuchoter dans son dos.

— J'ai rendez-vous avec M. Gagneux, dit simplement Vanessa à Nat'.

— Je le sais bien, répondit Nat' de sa voix faussement doucereuse. Vaness' surtout, si tu as besoin de parler, je suis là. Tu peux te confier à moi.

Vanessa était tellement stressée qu'elle en avait la nausée et le comportement de Nat' n'arrangeait rien. Le son de mastication du vieux chewing-gum résonnait aux oreilles de Vanessa. Elle serra les mains de Nat' dans les siennes. Celle-ci prit cela pour un signe de détresse, mais en réalité Vanessa essayait de se retenir de crier sur sa collègue. Et si elle pouvait lui écraser au passage quelques phalanges, cela l'aiderait à apaiser sa colère.

Nat' grimaça sous l'effet de la douleur et retira ses mains de celles de Vanessa comme si elle avait touché quelque chose de brûlant. Elle se racla la gorge :

— Bon, je vais prévenir M. Gagneux que tu es arrivée.

Nat' se rendit au bureau de son patron. D'où elle était, Vanessa pouvait entendre la voix de M. Gagneux répondre à sa collègue, mais elle n'arrivait pas à comprendre ce qu'il disait.

Quand elle ressortit de la pièce, Nat' fit un signe de tête à Vanessa, lui indiquant qu'elle pouvait entrer. Vanessa prit une dernière grande inspiration pour se donner du courage. Dès qu'elle franchit le seuil de la porte, elle l'entendit claquer derrière elle.

La pièce était en désordre, des piles de papiers jonchaient le bureau de M. Gagneux et une odeur de tabac froid embaumait les lieux.

M. Gagneux leva les yeux vers Vanessa et sans dire un mot lui indiqua de s'installer sur la chaise face à son bureau. Il s'assit au fond de son siège et sortit de son tiroir un gros cigare qu'il alluma, recrachant la fumée en direction de Vanessa ne se souciant pas d'incommoder son employée.

Vanessa, assise au bord de sa chaise, ne broncha pas et se contenta de fixer son patron, attendant qu'il prenne la parole. Après avoir pris plusieurs bouffées sur son cigare, il parla enfin, sans l'enlever de sa bouche.

— Bon, Vanessa, il ne sert à rien d'y mettre les formes. Je viens d'avoir notre cabinet d'avocats, le mieux, en attendant d'y voir plus clair dans cette affaire, est une mise à pied.

— U-une mise à pied ? Répéta Vanessa sans comprendre.

— Oui une mise à pied. Vous savez ma petite, quand un employé fait une faute grave et qu'il n'est plus autorisé à venir travailler, répondit M. Gagneux d'un ton condescendant.

— Oui, je sais ce qu'est une mise à pied, mais...

— Mais quoi ? la coupa son patron, vous avez tué la vieille Chastain. Je sais qu'elle était infecte, mais tout de même !

— Je ne l'ai pas tué ! se défendit Vanessa.

— J'attendrai le résultat de l'enquête. Pendant ce temps et par mesure de sécurité, je ne peux pas vous autoriser à venir travailler. Vous comprenez Vanessa, mon entreprise est en pleine émergence. Si je vous laisse reprendre le travail, que vont penser les gens ? C'est un coup à mettre la clé sous la porte. Estimez vous heureuse ma petite, pour le moment, vous n'êtes pas virée.

Vanessa ne répondit pas, trop abasourdie par la nouvelle. Elle regardait le cigare bouger entre les lèvres de son patron pendant qu'il parlait, faisant trembler dangereusement les cendres qui s'y accumulaient.

Ce qui devait arriver, arriva. La cendre tomba sur le costume de M. Gagneux. Celui-ci recula son fauteuil en pestant et en époustant sa veste. Quand il s'aperçut que son employée se trouvait toujours dans son bureau, il lui fit signe de sortir.

— Qu'attendez-vous ? Rentrez chez vous ! J'ai encore du boulot, moi.

La gorge de Vanessa se serra et elle ne put répondre. Elle acquiesça, seulement, avant de se lever et de sortir du bureau de son patron d'un pas lent.

L'open-space était plongé dans le noir, ses collègues étaient déjà partis. En traversant la pièce, Vanessa heurta le coin d'un meuble et fit tomber des dossiers par terre. Trop abattue par la situation, elle ne prit pas la peine de les ramasser. De toute façon, il s'agissait des dossiers de Nat'.

Elle regagna sa voiture, tel un robot, et prit le chemin du retour. Ses mains tremblaient sur le volant, mais cette fois-ci, ce n'était pas dû au froid. Les voitures la dépassaient, certains conducteurs la klaxonnaient, Vanessa se résigna à s'arrêter pour reprendre ses esprits.

Une fois en sécurité sur le bas-côté, elle ouvrit sa fenêtre et prit plusieurs grandes inspirations espérant que cela finirait par la calmer. Ses yeux la brûlaient, mais aucune larme ne coulait. Un cri de rage lui déchira la poitrine et elle tapa du poing sur le tableau de bord. Comment en était-elle arrivée là ?

Cela lui prit plusieurs heures avant de pouvoir reprendre la route, son pare-brise commençait même à se couvrir de givre quand elle repartit.

Elle se gara devant chez elle et traversa, pour la dernière fois de la journée, le parking à présent vide et uniquement éclairé par la lune.

Son appartement était silencieux, Rémi était déjà allé se coucher. Elle se rappela qu'il avait une réunion importante le lendemain matin à la première heure et devait sans doute avoir besoin de repos.

Alors qu'elle traversait son salon pour se rendre à la cuisine, elle aperçut sur l'appui de fenêtre, son logement se trouvait au rez-de-chaussée, Minou qui attendait patiemment. Elle se précipita dans sa direction et cogna contre la vitre pour le faire fuir.

— Va-t'en, Minou !

Elle savait que cela n'avait pas sens, mais elle lui en voulait. Elle avait besoin d'un coupable à ses malheurs et Minou était le seul qui pouvait endosser la culpabilité de la mort de Madame Chastain à part elle. Le chat, de l'autre côté du carreau ne bougeait pas. Il la jaugea eu regard pendant quelques secondes et voyant qu'elle ne céderait pas, il sauta par terre et disparut dans la nuit.

Une fois arrivée dans la cuisine, Vanessa remarqua une note laissée par son mari «il reste des lasagnes au frais.» Elle ouvrit le frigo prête à prendre le repas que lui avait préparé Rémi, mais elle n'avait pas faim. Au lieu de cela, elle nettoya la vaisselle restée dans l'évier pour se changer les idées. L'eau trop chaude lui brûlait la peau, offrant à Vanessa la distraction qu'elle cherchait.

Il était presque minuit quand elle alla enfin se coucher. Elle se glissa sous les draps froids et jeta un coup d'œil à Rémi qui lui tournait le dos. Sa respiration calme indiquait qu'il était profondément endormi. Vanessa lutta contre l'envie de le réveiller et de chercher le réconfort dans ses bras. Elle se contenta de fixer le plafond attendant le sommeil. La lumière rouge que son réveil diffusait plongeait la pièce dans une atmosphère menaçante peu propice au repos.

Plus tard cette nuit-là, quand Morphée eut enfin pitié d'elle et la laissa sombrer dans l'inconscience, Vanessa fit face à deux constats : Rémi avait raison, elle était dans une sacrée merde et en plus de cela, elle n'avait toujours pas appelé sa mère.

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*proverbe espagnol

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