Chapitre 3.2
L'ählvėr était certes encore muselé par la corde de la jeune femme, cependant cette dernière commençait à se détériorer à mesure que la bête balançait sa tête contre les plumes effilées et tranchantes qui recouvraient son corps. Il ne lui faudrait que quelques secondes pour se libérer et redevenir le démon meurtrier qu'il était. Kulī en position de combat, rendue impuissante par les mouvements furieux de la bête.
Opat se jeta contre le corps du prédateur faisant claquer son bec près du second œil vert brillant de haine de la créature. Pourtant, celui qui sortit blessé de la mêlée de plumes fut l'īrhīň, la gorge rouge, les plumes plus duveteuses de cette zone n'offrant qu'une piètre protection contre le corps taillé pour le massacre de son adversaire.
Avec horreur, les jeunes femmes assistaient impuissantes à leur duel sanglant, tandis qu'elles apercevaient le rhīvele de Kulī se disloquer lentement mais sûrement. Opat s'ébranla, battant de ses puissantes ailes grises et blanches. Par une torsion formidable de son cou, il parvint à donner un coup de bec féroce qui déchira un voile de l'ählvėr, déséquilibrant la bête qui s'écroula sur le sol.
Il n'en fallut pas plus à Llanasīň qui s'empara alors de cette occasion et s'élança dans la mêlée brièvement interrompue, Opat, son grand corps s'étant reculé pour éviter d'être entrainé dans la chute de son opposant. Son pied gauche prit appui sur le sol pour s'élancer, main droite tendue vers la dague ensanglantée qui dépassait toujours de la tête de la créature, main gauche tâtonnant à son ceinturon pour attraper son propre rhīvele. Kulī criait dans son dos.
Les doigts de la na'rhå s'enroulèrent autour du manche en os d'ėlėėm et avec une traction et un giclement de sang atroce, elle l'extirpa de l'œil de l'animal. Au moment où elle parvenait enfin à décrocher la corde de son autre main, Llanasīň vit trop tard la tête de l'ählvėr revenir brusquement vers elle et la percuter avec fracas.
Atterrissant sur le dos, la jeune femme eut la courte satisfaction de constater qu'elle était parvenue à ne pas lâcher sa dague. Courte, car elle pouvait également réaliser que sa vie courrait certainement à sa fin tragique, lorsque qu'avec effroi elle prit conscience que la bête était parvenue à se libérer de l'étau qui lui emprisonnait la gueule.
- Oh mes dieux, souffla-t-elle le souffle encore court par l'impact.
L'instant d'après, le mâle se jetait tout crocs venimeux sortis vers sa proie à terre. Levant ses bras par instinct, la lame se coinça entre sa mâchoire, le bloquant à quelques centimètres de son visage rendu rouge par l'effort déployé pour le bloquer. Dans la résistance qu'elle lui opposait, Llanasīň pouvait distinctement distinguer Opat tentant vainement d'arracher la bête de son corps. Kulī ne pouvait intervenir, les ailes de son lié battant l'air violemment lui empêchant toute action.
Les bras de la jeune fille en danger commençaient à flancher sous la force incontestablement plus grande de son adversaire. Elle ne tiendrait pas longtemps, le savait parfaitement mais ne trouvait rien à faire pour s'extirper de cette situation merdique. Les ählvėrsī savaient leur rappeler que tout Natīal qu'ils puissent être, ils ne se trouvaient pas au sommet de la chaîne alimentaire.
- Llanasīň !
Le hurlement, indéniablement masculin, la déstabilisa, offrant du terrain à son oppresseur. Quelque chose fusa, tranchant l'air dans un sifflement strident. La seývanaý fut aspergée de sang chaud, l'obligeant à fermer promptement les yeux.
La tension qu'exerçait le poids de l'ählvėr changea. Ses sifflements se turent. Llanasīň tourna la tête pour s'extraire du flot sanguinolent qui lui tombait sur le front, lui permettant de rouvrir des paupières poisseuses. Le deuxième œil de la créature abritait le manche d'une lance utralla, la pointe de la lame en torsade transperçant l'autre côté de la tête.
La na'rhå ne tenait plus. Ses membres tremblèrent. Elle n'osait effectuer le moindre mouvement de peur de s'entailler elle-même sur les crocs acérés du cadavre de la créature. Quelle mort idiote cela ferait, surtout après avoir survécu à ses assauts de son vivant.
Sa vision commençait à se troubler, des tâches noires floutant sa vue et son souffle de plus en plus fastidieux lui laissant présager de son état catastrophique. Des pas tambourinèrent le sol, se rapprochant au rythme des battement erratiques de son cœur. Ou bien peut-être était-ce une illusion auditive et s'agissait-il bien de son palpitant qui battait ainsi à tout rompre ?
Et puis soudain... la délivrance.
Des mains attrapèrent avec précaution la mâchoire mortelle de la créature et l'éloignèrent de la tête de Llanasīň. Ses bras n'eurent pas le temps de retomber sur le sol que des mains puissantes se posaient dessus et la tractaient d'un coup d'un seul pour la redresser. La tête lui tourna dans la manœuvre. Il fallait qu'elle respire, qu'elle insuffle de nouveau de l'air dans son corps. Sauf qu'elle avait l'impression d'avoir oublié comment procéder.
Le visage d'Ezalīm emplissait son champ de vision, ses lèvres bougeaient, formant très certainement des mots. Mais Llanasīň était trop occupée à rentrer dans un état de transe salutaire pour relancer les fonctions vitales de son corps. Elle se rappela, l'utralla, l'arme favorite d'un des meilleurs chasseurs du clan. Les iris dorées du cavalier essayaient de capturer son regard.
- Llanasīň ! Tu m'entends ?
Sa voix, comme encore noyée dans un ukmī lui parvenait étouffée. C'était le dernier de ses soucis. Son corps la faisait souffrir. Avait-elle finalement était éraflée par les crocs venimeux de l'ählvėr ? Non... la douleur serait sûrement bien plus insoutenable. Et déjà son cœur commençait à reprendre un rythme normal, sa respiration l'oxygénait de plus en plus et sa vision redevenait claire et nette.
- Llana ! Je parle dans le vide ou bien ?
- Non... je suis là...
Par les dieux, quel manque de considération pour une personne étant passée à un souffle de rejoindre l'urhal.
- Ezalīm tu abuses ! la défendit Kulī, le poussant subitement de l'épaule pour pouvoir faire face à sa sœur de coeur.
Ses iris argentées papillonnaient sur son visage, scrutant le moindre signe qui pourrait lui laisser croire qu'elle allait plus mal qu'elle n'en avait l'air. Ses yeux s'emplirent soudainement de larmes, les perles salées dévalèrent ses joues et la seconde suivante les deux jeunes femmes s'étreignaient mutuellement avec une force à leur briser les côtes. Kulī pensait sûrement à raison que la crainte qui l'avait éprise lui ôta certainement quelques années d'espérance de vie.
- Par les Dieux ! Par les Dieux... Llana ! J'ai cru te perdre...
- J'ai cru que j'allais y passer aussi...
Elles restèrent ainsi encore quelques instants, faisant redescendre la pression. Elles étaient vivantes...
Les amies parvenaient difficilement à le croire.
Vivantes...
Mais pas Dītī...
Ezalīm n'apparaissait plus dans leur champ de vision. Le chaos avait certes pris fin, néanmoins les séquelles de cette horreur seraient dures à surpasser. Llanasīň s'extirpa doucement de l'étreinte de mon amie qui se redressa et l'aida à se remettre sur ses pieds à sa suite. La jeune femme regrattait déjà la chaleur des bras de son aînée.
D'un même mouvement, elles se tournèrent vers le corps de la jeune enfant, désormais recouverte d'une cape de vol d'un bleu nuit profond. Alaatal, l'īrhīň au plumage gris sombre d'Ezalīm posé quelques pas plus loin. À côté du corps sans vie de l'enfant, son frère endeuillé, Verhėm, lui tenait la main, assis, la tête entre les genoux, le visage caché dans son bras libre. Le chagrin devait le ronger de l'intérieur avec la violence d'un llanasīal.
Llanasīň amorça un premier pas en sa direction lorsqu'une pensée fugace lui traversa l'esprit. Comment avait-elle pu ne pas s'en enquérir plus tôt ? Bon... il était vrai qu'elle ne fut pas tellement en état de le faire... mais tout de même.
- Ezalīm... ma mère... tu saurais ce qu'il en est ?
- Elle va bien. Des blessures mineures. Elle est tombée sur ma patrouille de chasseurs, ils sont intervenus et ont pris le relais pour neutraliser l'īnak'ählvėr.
- Pourquoi tu...
- Pourquoi je suis là ? la questionna-t-il en inclinant sa tête sur le côté.
Ezalīm comptait parmi les plus charmants chasseurs, mais surtout parmi les plus expérimentés. Le jeune homme, de quelques lunes son aîné, respecté, parfois envié, représentait une voix puissante pour le clan. Il savait se faire entendre et son intelligence attisait l'intérêt, lui valant d'être écouté par beaucoup.
- Quand Īnīs vous menace de vous ligoter nu avant de vous laisser sans défense dans un nid de kīň'asar si vous n'allez pas trouver immédiatement sa fille... pas trop le temps de tergiverser, lui lança-t-il avec un regard complice.
- Je veux bien te croire...
La Natīal non-liée réprima une grimace, lui destinant plutôt un sourire compatissant. Après tout, elle se trouvait la mieux placée pour pouvoir juger du monstre que sa mère pouvait devenir pour se faire écouter.
Elle respira de nouveau, ne s'étant pas rendue compte qu'une fois de plus elle avait arrêté son souffle dans l'attente de sa réponse. Il lui tardait de rejoindre Verhėm, peu désireuse de le laisser sombrer corps et âme dans un chagrin incommensurable, cependant elle devait encore savoir. Le clan était plus fragile que jamais il ne l'eut été depuis l'épidémie ayant sévi et emporté notamment les parents du garçon.
- D'autres blessés ? Ou morts... ? la devança Kulī.
- Rien de grave, rien qui ne sache pas être soigné, les informa-t-il tout en commençant à s'affairer autour du cadavre de la bête. Du moins, avant que je n'eusse pas le choix de partir.
La na'rhå reprenait son chemin quand soudain les plumes gris perle dans la chevelure noire de son amie l'interpellèrent. Elle attrapa son bras, le pressant sûrement plus fort que ce qu'elle ne devrait. Sa question fusa dans l'air sur le ton d'une inquiétude non feinte :
- Kulī... Opat, comment va-t-il ?
- Je... je suis d'abord venue te voir, lui confia-t-elle coupable.
- Va le voir, je m'occupe de Verhėm !
- Llana je ne vais pas te...
- Valī ! la pressa-t-elle sans ménagement. Je vais bien ! Va voir ton īrhīnī. J'espère de tout cœur qu'il n'a rien de trop important.
Kulī s'en alla rejoindre en courant son lié, non sans avoir jeté un dernier regard à sa cadette pour s'assurer qu'elle allait réellement bien avant de la laisser. Llanasīň la regarda étreindre son lié avec une précaution incroyable, et commencer à l'inspecter. La jeune fille ne put empêcher une pointe d'envie d'étreindre son âme. De loin, elle devinait le plumage rougi par le sang à plusieurs endroits mais il ne paraissait pas être en trop mauvais état.
Sans Opat pour tirer en arrière l'ählvėr lorsqu'il menaçait d'abattre ses crocs sur son visage, elle y serait certainement restée. Ce dernier, son regard orange couleur de feuilles de dīmaøň se braqua sur elle comme s'il avait senti que la Natīal l'observait. Et chose à laquelle Llanasīň ne se serait jamais attendue, il cligna lentement des yeux à son égard.
Elle fit de même, inclinant légèrement la tête au passage. Qu'un īrhīň qui n'était pas le leur montre sa reconnaissance n'était pas bien courant. Elle laissait le soin à son amie de s'occuper de son lié, se dirigeant enfin vers le jeune homme effondré.
Et parce que la jeune femme savait bien qu'aucuns mots ne seraient suffisant pour atténuer sa souffrance, elle ne fit que s'installer à ses côtés, lui faisant savoir par sa seule présence qu'il n'était pas tout seul. Piètre réconfort. Sa sœur, sa dernière famille... et il venait de la perdre.
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Fin du chapitre 3 mes petits wattpalecteurs ! On finit sur une touche sacrément dure niveau rebondissement. Hâte de lire le chapitre 4 ?
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