Chapitre 3.1
/!\ TW - Sang, violence...
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« La survie de tout clan ne dépend que de deux choses :
premièrement, des īrhīnaýsī expérimentés,
secondement, des ekėmsī »
Troisième enseignement d'Ovok pour tout nouvel īrhīnaý
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Lentement, précautionneusement, Llanasīň se retourna vers l'origine de ce son. Deux billes vertes, menaçantes, mortelles, se cachaient dans les taillis en bordure de clairière. Les ählvėrsī mâles s'armaient de patience et s'avéraient plus fortement attirés par les mouvements brusques, contrairement aux femelles plus promptes à s'élancer, cela même sans être excitée par un instinct de chasse.
Le danger rendait l'air irrespirable. Ou peut-être était-ce la terreur qui obstruait la trachée des jeunes femmes qui empêchait leurs poumons de s'oxygéner normalement ?
Kulī respirait à peine un souffle d'air aux côtés de Llanasīň. Sa tante était décédée d'une morsure d'ählvėr quand elle était plus jeune. Événement traumatisant, la jeune fille en entraperçu la fin de son agonie, ce qui expliqua l'immobilité horrifiée qui déformait ses traits.
Les Natīalsī savaient pertinemment que le moindre mouvement lancerait l'attaque de ce prédateur formidable. Le mâle plus petit que la femelle, n'atteignant certes pas les dix mètres que cette dernière pouvait avoisiner, mais s'approchait tout de même des sept mètres de longueur.
Leur seule chance honnête de survie ?
Le mâle était moins rapide que sa compagne.
Opat s'était perché dans les branches de l'arbre derrière elles. Il fallait impérativement qu'il ne bougea pas. Le moindre mouvement de sa part pourrait sans douter déclencher l'assaut de ce dernier. L'ählvėr préférait certes la chair d'īrhīňsī, il ne rechignerait certainement pas à un petit encas de deux appétissants bipèdes.
Llanasīň murmura entre mes dents, une douleur dans la mâchoire tant elle les maintenait ces dernières serrées entre-elles :
- Opat ne doit pas bouger d'une plume.
Du coin de l'œil Kulī lui glissa un regard oblique. La peur la paralysait. Elle n'aurait cependant su dire si la peur les concernait ou s'orienter plus sur celle de perdre son īrhīnī. La jeune brune ne parvenait certes pas à accomplir le llusoėňmais son lien avec Opat n'en était pas pour autant moins solide.
La connexion entre la monture et son cavalier se caractérisait notamment par une étrange capacité à transmettre par la pensée des sensations, des impressions et parfois même des sons. Ceci nous avait poussé à développer une sorte de langage simplifié formé de roucoulements plus ou moins aigus, plus ou moins rapides, ressemblant à ceux que l'īrhīňproduisait lorsqu'il communiquait avec son lié.
- Je vais essayer de transmettre...
En arrière de nous, quelque part dans les branches, Opat trilla, inquiet. Une branche craqua, l'ählvėr siffla de plus belle, dangereusement, s'avançant avec lenteur jusqu'à rendre visible sa tête sortie des feuillages, le plumage noir irisé de bleu brillant sous le soleil de ce jour si anodin de sixième lune.
Quelle ironie, ne pouvait s'empêcher de penser la plus jeune. La sixième lune correspondait à la lune du lien, mais surtout la rune de paix. Or la situation actuelle était très loin de pouvoir être qualifiée de paisible. Et Llanasīň n'éprouvait pas le moins du monde l'envie de perdre la vie pour rejoindre les profondeurs sombres et inconnues du royaume de Ğadallka en-dessous de l'īlī.
Avec une lenteur exagérée, elle bougea son bras pour tenter d'atteindre la dague rengainée dans l'étui dans son dos. Si la na'rhå devait être honnête, la plus précieuse de d'elles deux entre son amie et elle-même à l'heure actuelle, c'était bien Kulī. La survie de celle-ci valait plus que la sienne dans la balance.
La vie d'un ou d'une īrhīnaý prévaudrait toujours, en toutes circonstances, sur celle d'un na'rhå. Sans les cavaliers, l'isolement sur un lī'ut ne possédant invariablement pas toutes les ressources nécessaires à la survie, signerait la fin de n'importe quel clan à plus ou moins court terme selon la nature du biome de de la créature.
Aucun clan ne pouvait survivre à cet isolement.
Les īrhīnaýsī représentaient l'une des deux seules conditions primordiales à la survie de tout peuple. Les ekėmsī en formaient la seconde.
Le clan Sėrhėkall disparut après que le Keneğīl brisa toutes leurs orbes d'orientation.
Les doigts de Llanasīň rencontrèrent l'os d'ėlėėm sculpté qui formait le manche de sa dague à l'instant même où le prédateur au plumage de nuit produisait un nouveau sifflement annonciateur de mort. Sa main se crispa sur son arme.
- Llana... je t'interdis de faire quoi que ce soit, la prévint la jeune monteuse à ses côtés.
- L'une de nous doit ramener Dītī...
- Llana, si tu bouges...
- Tu sais que j'ai raison, insista-t-elle, et tu connais les préceptes...
Elle déglutit péniblement. Kulī savait que sur le principe, la jeune femme qu'elle considérait comme sa petite sœur avait raison. Cela ne la rendait certainement pas prête à en accepter les conséquences.
- Llana, si tu tentes quoi que ce soit, je te jure que je plonge dans l'īlī récupérer ton âme pour lui en botter le cul à t'en laisser la peau plus rouge que les ailes d'un tīrhėk
Llanasīň grimaça, l'idée ne l'enchantait guerre, elle se devait au moins de l'admettre.
- Kulī, les préceptes affir...
- J'en fais cadeau à Ğadallka de tes préceptes ! Bouge d'un poil et je te jure que ce foutu ählvėr sera le cadet de tes soucis, la menaça-t-elle encore en lui coupant la parole.
La situation semblait tendue, mais surtout bloquée. Ne pas bouger c'était bien beau... Mais elles n'allaient pas pouvoir se sortir de cet inextricable bourbier de cette manière. Les sifflements du prédateur s'étaient tus, cependant cela ne présageait en rien d'une amélioration de la situation.
- On doit...
- Llanasīň, un mot de plus et...
- Dītī ! Non... !
L'ählvėr cligna doucement des yeux, son museau pointu se détourna des deux jeunes femmes, regardant plus à l'est de leur position, vers l'origine de ce cri déchirant sorti de nulle part.
Les yeux des deux seývanaýsī s'écarquillèrent d'une stupeur mêlée d'effroi, leurs cœurs s'arrêtant brusquement dans leurs poitrines. La pierre dans la gorge de Llanasīň roula, dévala son œsophage pour venir s'échouer dans son estomac. Comment la situation pouvait-elle s'être empirée à ce point en si peu de temps ?
- Verhėm !!! NON ! hurla soudain Kulī au jeune garçon qui venait d'apparaître en lisière de forêt.
Et puis, comme dans un mauvais songe tout bascula soudainement plongeant de nouveau tout l'univers dans le chaos.
L'ählvėr siffla, se redressa, son corps se dévoilant en sortant du couvert de la végétation qui le camouflait encore aux trois-quarts. La bête tapa de sa queue aplatie pour l'impulsion requise, se propulsant en avant vers le garçon qui courait vers le corps inerte de sa jeune sœur.
Le battement de cœur suivant, les deux amies se lançaient au-devant du danger. À Ğadallka les préceptes. Il n'y avait qu'une vingtaine de mètres entre Verhėm et elles et presque autant entre le monstre et lui. Verhėm ne pouvait pas mourir ! Il fallait qu'il survive. Il était le dernier de sa famille, ses parents ayant succombés à une épidémie meurtrière quelques astraīlsī dans le passé, sa sœur désormais l'âme libre dans l'urhal.
Le garçon, tout à son chagrin, inconscient du péril fonçant droit sur lui, hurlait le prénom de sa sœur, le désespoir transcendant sa voix. L'ählvėr gagnait du terrain, la bête plus rapide sur le sol qu'aucun Natīal ne pourrait jamais l'être.
Kulī attrapa son rhīvele à son ceinturon, cordage en main. Mais que pourrait-elle faire avec un prédateur en pleines capacités ? La peur inondait tout son organisme, accélérant la course de son sang dans son corps. Elle n'était pas certaine qu'elle pourrait faire quoi que ce soit dans la conjoncture actuelle.
Llanasīň devait tenter sa chance sur une manœuvre. Elle avait toujours été bonne dans le lancer de dagues mais aujourd'hui il s'avérait urgent d'être excellente. Peut-être qu'à deux elles auraient une chance ? Verhėm représentait malgré lui une distraction pour le prédateur.
Lançant son bras en arrière, la na'rhå incurva ce dernier, puis avec un brusque élan, jeta sa dague vers la créature. Fendant l'air, la lame frôla l'épaule droite dénudée de Kulī qui la devançait d'un mètre, franchit la distance les séparant de Verhėm en un battement de cils, passa juste devant lui, continua sa course invariablement.
L'âme tanguant dangereusement sur le fil mince de l'espoir, au bord du précipice de la folie, le temps comme suspendu, Llanasīň attendait. Ses poumons la brûlaient, ses muscles la tiraillant sous l'effort sans oxygène auquel elle les suppliciait. Lählatrīl hnerhi rhėz, s'époumona-t-elle mentalement.
Dans un ultime fendillement de l'air, sous un sifflement de l'ählvėr excité par la chasse, la lame en roche d'urhaze se planta dans l'œil vert luisant de la créature. La bête se cabra instantanément sous l'assaut de la douleur qui irradia de la dague fichée dans son crâne. Ses voilures irisées capturèrent la lumière en un spectacle à peine croyable tandis que du sang giclait de la plaie et tachait le sol verdoyant à mesure que le prédateur gesticulait en tous sens, balançant sa tête pour déloger le projectile.
Llanasīň franchissait les dernières enjambées la séparant du garçon qui s'était immobilisé mi-s'arrêtant mi-trébuchant, hébété, totalement perdu. Quinze astraīlsī et désormais orphelin de toute famille.
- On dégage ! elle attrapa violemment le bras du jeune homme, le trainant à sa suite dans la direction opposée au monstre.
- Dītī...
Sa lamentation finît de lui fendre le cœur mais ils manquaient de temps pour ça. La jeune īrhīnaý venait d'entrer en action, enroulant d'un geste habile son rhīvele autour de la gueule aux crocs mortels de la bête en furie. Son amie ne pouvait que prier pour elle, pour l'heure, le plus important consistait à éloigner le garçon du danger. Ensuite, elle pourrait tenter d'obliger Kulī à s'enfuir avec Opat.
Alors que la jeune femme du les jeter au sol pour éviter de justesse Opat qui fonçait en piqué sur l'ählvėr pour aider sa liée, elle une pensée furtive pour sa mère. S'en était-elle tirée ?
La femelle se distinguait du mâle par sa virulence et sa sauvagerie. Bloquant ses pensées funestes, décidant que ce n'était pas le moment, elle les remit sur leurs pieds d'un saut, puis le tira de nouveau pour les éloigner, balançant ses sombres idées dans l'īlī de son propre esprit.
- Llana... je ne peux pas laisser Dītī derrière...
Comment pouvait-elle lui infliger ça ?
Ancrant son regard sombre dans le sien de la même teinte dont les yeux se bordaient de larmes, elle lui souffla, entendant derrière elle Kulī l'appeler à l'aide :
- Je te promets que tu pourras la pleurer. Maintenant cours je t'en supplie, et ne te retourne pas !
Le poussant violement dans le dos, Verhėm trébucha sur quelques pas, sa tête pivota vers son aînée, ses yeux glissèrent d'elle vers sa sœur, et la respiration d'après, il se retournait et courait suivant les instructions. Le soulagement qui étreignit le cœur de Llanasīň de le savoir certainement bientôt hors de danger, se fissura lorsqu'elle fit face au combat qui prenait place dans son dos.
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