Chapitre 2 - 3/3

Il ne fallut que trois secondes pour que le cœur de Llanasīň s'arrête de battre sous la menace de la crainte qui l'envahissait à l'idée de perdre sa mère.

La première seconde, le cri mélodieux d'Īlīmī qui déchira le ciel, s'élevant au-dessus des sifflements furieux de l'ählvėr qui se stabilisait sur une seconde branche, encore deux en-dessous de leur position.

La deuxième seconde, la valeureuse monteuse qui s'élança dans le vide, rhekėt en avant, frappant d'un coup puissant la tête du monstre serpentin dans sa chute, avivant une rage nouvelle dans son regard de prédateur.

La dernière... la silhouette de sa mère disparaissant entre les arbres, poursuivie par un prédateur plus rapide sur le sol que n'importe quel Natīal, finit d'assécher son âme. Un souffle de vent violent passa au-dessus de leur crâne alors que l'īrhīň bleu-argent lié se jetait dans une poursuite à l'issue encore incertaine, pouvant s'avérer fatale pour la paire.

Īnīs courrait pour elles trois, pour Dītī, mais aussi pour tous les membres du clan. Signant sûrement sa mort, la femme s'était élancée dans la direction la plus éloignée du camp de Sīrhal et de la clairière où les jeunes filles iraient retrouver Dītī à l'agonie.

L'ählvėr sifflait son excitation dans sa poursuite. Le prédateur appréciait la chair des Natīalsī, mais plus encore celle des īrhīňsī. Et la bête savait comment attirer sa proie préférée de manière à ce qu'elle soit isolée de la volée. En s'en prenant à un lié.

Tout avait été si rapide. La forêt semblait silencieuse pourtant des bribes sonores de la poursuite qui se déroulait plus loin pouvaient encore être perçues. Kulī et Llanasiīň, encore sous le choc, descendirent de leur perchoir.

- Je crois qu'Opat n'est pas loin également, lança la première tout en émettant un sifflement puissant pour appeler son īrhīň.

- Tu n'as pas encore réussi à accomplir le llusoėň ?

La cavalière pinça les lèvres, comme agacée et frustrée. Ce degré de lien représentait l'absolue connexion. Les jeunes femmes s'élancèrent vers le corps de Dītī étendu dans la mousse entre des racines de vīlėøň.

- Ce n'est pas si simple, certains monteurs n'y parviennent jamais.

Lame sortie, elles s'arrêtèrent derrière un buisson, observant brièvement les alentours. Tout paraissait être revenu au calme et seul la respiration désormais sifflante de la jeune fille troublait le silence. Aucun ğonō ou tallhlaň pour chanter dans ce lieu de désespoir et de souffrance.

Parcourant les derniers mètres qui les séparaient de Dītī, Llanasīň tentait de faire abstraction de la bile qui lui montait et de la peine qui avait fait son nid dans sa gorge, la serrant à l'en étouffer.

La pauvre enfant gisait étendue sur le sol, des traces de lacération sur le corps, laissées par les plumes aiguisées de l'ählvėr qui l'avait condamnée. Son regard sombre transpirait une douleur sans nom, mais son corps trop épuisé par le combat qu'il menait contre le venin n'arrivait plus à transmettre le moindre signe apparent.

S'agenouillant à ses côtés, déplaçant sa tête pour la mettre sur ses genoux, la na'rhå commença à entonner un air que tout Natīal connaissait. Son petit corps encore secoué de spasmes s'été rigidifié sous l'action de la substance mortelle.

Llanasīň s'étranglait dans son chagrin... les runes ne sauraient mentir.

- Les mots sont coincés dans ma gorge...

Kulī regarda son avec une peine immense et le cœur sûrement aussi lourd que le sien, et se mit à chanter pour elles trois, sa voix mélodieuse brisée par la tristesse.

« Sa hna ýlo lů lå letzo meto
Lune mėalo hsėldam lů ýlo delkeløk lune letzo hnähr
Tsėtul'aøk l
ů rhūvėl vedīň
Lītrīň ýlosī lű ğazøk trīň kameve
Urhal sē'luasýl lů saīk köme senetra
Kėlīaz lů suave
Hlezatėt ağåstrīň zesaýl
Volarhīň lune ähvähň
Lů volähň lune seneīlat
Dröğanė dīze lů valkā tesīlīk
»

Aux derniers mots du lo'elīs lů dat'elīs, Dītī paraissait peiner d'autant plus pour respirer. Son regard accrocha ceux de ses aînées, et la lumière joyeuse qu'abritaient d'ordinaire les iris joueuses de la petite fille, mourut dans le silence du matin tout juste né.

Les mains de Llanasīň tremblèrent spasmodiquement. Cela avait été si soudain. Quelques minutes avant cela seulement, toutes trois faisaient route sereinement pour cueillir quelques hnatsī pour du dīňtī... Deux jours plus tôt, Dītī accompagnait Llanasīň et Ėlaītaň pêcher sur l'embouchure de la rivière Rhėv avec le grand lac.

Kulī guettait le regard de son amie, semblant profondément inquiète pour celle-ci... Elle savait pertinemment que son amie avait entretenu de forts liens avec la plus jeune de cette fratrie. Dītī rayonnait de joie et de candeur, toujours la première pour aller se promener en forêt, ou grimper dans les arbres. À l'image de Llanasīň, elle était d'une rapidité certaine pour se hisser entre les branches, agile comme un soköm.

Si elle ne trouva le temps de monter pour tenter de se sécuriser, ce fut sûrement pour une seule raison, l'ählvėr était un très bon prédateur. La créature patientait souvent dans les buissons, discrète, guettant le moment de frapper de sa queue pour se projeter en avant sur sa proie. Une bête très intelligente.

Une bête très intelligente !

Llanasīň releva soudainement la tête, une peur irascible inondant ses veines. Si Konall n'approuvait pas la volonté de son frère de devenir īrhīnaý et décourageait ses propres velléités à songer en devenir une aussi, il n'avait néanmoins pas négligé leur éducation. Et cette dernière comprenait notamment l'édification à la connaissance de la faune et de la flore, qu'ils se spécialisent ou non dans la chasse. La seývanaý écarquilla les yeux, l'horreur prenant possession de son regard.

Non...

Ce n'était pas possible...

Il fallait que cela ne le soit pas !

- Kulī... les plumes à l'arrière de la tête de l'ählvėr...

Kulī la regarda sans comprendre, se redressant doucement, encore inconsciente du danger que sa compagne sentait pointer sur elles.

- Kulī... leur couleur ?

- Et bien quoi, quoi leur couleur ?

- Elles étaient grises ? pressa la plus jeune en se redressant aussi, lentement, tendue.

- Et bien je crois oui, mais qu'est-ce que cela change ? Oh, je crois qu'Opat arrive.

Un battement d'aile discret, lointain, se distinguait doucement, grandissant à mesure que le lié de la jeune femme approchait. Il ne fallait pas...

- Il ne doit pas se poser ! Kulī, empêche Opat de se poser ! hurla Llanasīň soudain, lui attrapant brusquement la main pour la tirer vers l'arbre à sa suite.

- Qu'est-ce que tu racontes ? Qu'est-ce que tu fais ? On ne peut pas laisser Dītī ici !

La peur lui bloquait la voix, elle tirait sur le bras de Kulī d'autant plus fort, commençant néanmoins à recevoir de sa part une traction inverse.

- Kulī, peina-t-elle, grises... femelle...

- Et alors ? Llana, on doit s'occuper de ramener Dītī au cas où l'ählvėr reviendrait !

L'instinct de la na'rhå, un effleurement comme une brise chaude sur les bordures. De sa conscience. Inquiétude. Lukaň. Lukaň la prévenait. Ses tympans bourdonnaient du sang qui battait dans ses tempes. La crainte. L'horreur de la réalité.

- Kulī... l'ählvėr est une femelle... nous n'avions pas eu d'individus sur Lukaň depuis deux astraīlsī.

- Et ? la jeune femme s'était défaite de sa poigne et s'éloignait de nouveau de l'arbre, de leur seule chance de survie.

Opat trilla dans le ciel, amorçant une descente, concentré sur sa liée. Opat, d'un âge équivalent à cette dernière, en était tout autant inexpérimenté. Llanasīýň se jeta vers lui, battant des bras frénétiquement. La brune écarquilla les yeux, pensant que son amie venait de perdre la tête.

Les īrhīňsī étaient connus pour ne pas spécialement apprécier se trouver proches des Natīalsī, à moins d'être liés. Et même après cela, ces nobles créatures n'acceptaient que la présence de leur lié aussi près d'eux.

Cependant, ce peuple ne pouvait que les vénérer. Sans eux, sans la capacité à voler d'un lī'ut à un autre qu'ils leur offraient en se liant à certains d'entre eux, les Natīalsī ne pourraient espérer prospérer. La vie de ces créatures devait être honorée, respectée et protégée.

Opat lança les serres de ses ailes secondaires en avant, et Llanasīň roula au sol de justesse pour éviter d'être lacérée. Sur ses pieds la seconde d'après, brandissant un bâton et feintant de le frapper.

- Llanasīň !! Es-tu donc folle ?!

- Atėp ! Vīla ! Saaňde Opat ! hurlait-elle.

Déjà Kulī revenait vers son amie en courant, furieuse et en proie à l'incompréhension. Mais sa fureur importait peu, Opat reprenait les airs, froissé, furieux. La cavalière obligea sa cadette à soudainement faire volte-face vers elle en lui attrapant violemment les épaules.

- Kulī ! Les īnak'ählvėrsī ne voyagent jamais seules d'un lī'ut à un autre ! Son compagnon est forcément venu avec elle !

Kulī la regarda, hébétée, puis l'effroi déforma son doux visage, tandis que dans le dos de Llanasīň, le sifflement caractéristique d'un ählvėr s'élevait dans l'air.

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Vont-elles s'en sortir mes chers wattpalecteurs ?

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