Realizing - Part 2
—Comment as-tu pu faire ça ?
Dans le grand salon d'une maison de style victorien, Viola, assise sur une haute chaise au bout d'une magnifique table à manger en bois massif, leva les yeux de son assiette remplie de légumes verts et de poisson, pour les porter vers sa mère qui la dévisageait avec des yeux larmoyants.
Viola ressemblait beaucoup à sa mère. Elles avaient toutes deux des yeux d'un vert qui tirait vers le gris, de longs cheveux blonds et une peau très pâle, quasiment fantomatique. Mais ces attributs étaient à peu près tout ce qu'elles avaient en commun.
Sa mère, en plus d'être hautaine et manipulatrice, était d'un égoïsme sans borne. C'était d'ailleurs ce dernier trait de caractère qui avait conduit le père de Viola à quitter leur maison un soir d'hiver, en disant qu'il préférerait encore habiter à l'angle d'un toit et être exposé aux intempéries, plutôt que de vivre un instant de plus dans leur demeure.
Après avoir lancé un regard plein de tristesse à sa fille qui l'observait depuis les escaliers, il était parti en claquant la porte. Cela remontait à plus de quatre ans maintenant.
Ce n'était pas tant le fait qu'il fût parti sans lui avoir dit au revoir qui avait brisé le cœur de Viola, mais plutôt qu'il fût parti sans elle.
Si au début, elle s'était dit que son départ emmènerait peut être sa mère à se « détourner de ses mauvaises voies », elle dut très vite déchanter. Au lieu de changer pour le meilleur, sa mère avait plutôt changer pour le pire. En effet, cette dernière ne voyait en Viola qu'une extension d'elle-même et non un être à part entière. Viola devait s'habiller, parler et même penser comme sa génitrice le lui ordonnait.
Le pire était que sa mère n'imposait jamais sa volonté par la force, mais d'une manière tellement subtile qu'à la fin, vous ne pouviez pas l'accuser de vous avoir forcé à faire quoi que ce soit.
—Es-tu bien sûre de vouloir porter cette robe ma chérie ? Pense à ce que les gens diront lorsqu'ils te verront.
—Désires-tu vraiment regarder une série dans laquelle deux filles s'embrassent ? Tu sais qu'elles iront en enfer, n'est-ce pas ? Veux-tu aller en enfer ?
Viola finissait toujours par se ranger de son côté. Était-ce par peur de la décevoir ou par lâcheté ? Certainement un peu des deux.
Mais ce jour-là, après des années à subir sa tyrannie silencieuse, Viola décida qu'il était temps de s'affranchir.
—Qu'ai-je fait de si grave? répondit-elle de sa petite voix fluette en regardant sa mère droit dans les yeux. J'ai simplement dit à une personne que je l'aimais.
—Pas à une personne ! Tu l'as dit à une fille comme toi ! Bon Dieu, n'as-tu donc rien retenu de ce que je t'ai enseigné ces dernières années ? Ou alors souhaites-tu vraiment aller en enfer ?
—Non, bien sûr que non...
—Alors pourquoi as-tu fait une chose pareille? Tu aurais pu au moins penser à moi avant de –
—Penser à vous... ? PENSER À VOUS ?
Cette fois, c'en était trop pour Viola. Comment sa mère osait-elle... !
Elle se leva de sa chaise.
—Toute ma vie je n'ai fait que penser à vous ! Et vous, mère, avez-vous pensé à moi ? Avez-vous déjà dans toute votre vie penser à quelqu'un d'autre que vous-même ?
—Comment oses-tu... ?
—Je ne fais que dire la vérité ! Si vous pensiez à moi, vous me soutiendriez, car cette fille je l'aime !
Un silence de plusieurs secondes s'installa. Mère et fille se dévisageaient sans rien dire.
—Mais... ma chérie, c'est une fille... C'est contre-nature, tu le sais bien...
Viola continua de la fixer, la bouche légèrement entrouverte. Elle réalisa à cet instant que peu importe ce qu'elle pourrait dire, sa mère ne l'accepterait jamais telle qu'elle était vraiment. Il y aurait, pour toujours, ce mur entre elles.
Dans un flash, elle revit Bethany s'enfuir en courant juste après qu'elle l'eût embrassé. Elle avait su à ce moment-là que Ymir avait eu raison. Elle n'avait aucune chance...
Par conséquent, si elle ne pouvait pas être avec la personne qu'elle aimait, elle ne voulait pas en plus de cela perdre sa mère.
Elle se rassit. Puis, d'une voix sépulcrale, elle dit :
—Oui, mère. Vous avez raison... Je vous demande pardon, je ne sais pas ce qui m'a pris. Je ne recommencerai plus.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top