Chapitre XXI
"Il n'y a pas de terreur dans un coup de fusil, seulement dans son anticipation." A.Hitchcock
Belle est arrivée en premier. Elle avait parcouru les cinq kilomètres en vélo. Ses joues étaient empourprées et les cheveux détachés. Presque en même temps, la Tesla silencieuse du père de Louis s'était arrêtée devant chez moi, avant de repartir sans un bruit.
Voir des amis à la maison, m'a redonné un peu de baume au cœur.
— Retirez vos chaussures, j'ai fait un peu de ménage et le sol est glissant. Prenez ces patinettes.
— Ça sent bon, a dit Louis qui venait de sortir un MacBook de son sac.
— C'est une surprise !
J'avais cuisiné, je voulais que mes invités soient à leur aise.
— Suivez-moi ! direction ; la cuisine !
Les yeux de Belle se sont ouverts en grand lorsqu'elle a aperçu la pile de crêpes.
— Wôw ! ça à l'air délicieux, a-t-elle lâché en avançant vers l'assiette, comme envoutée par le fumet qui s'envolait vers le plafond.
Nous avons pris place autour de la table. Scotty rôdait déjà entre nos jambes et tentait de trouver le meilleur endroit pour quémander. Après un rapide tour et un examen de routine, le chien a décidé que Belle était la cible la plus susceptible de céder à ses suppliques et s'est lové à ses pieds.
J'ai attendu que tous soient bien installés et j'ai apporté une cruche de lait et trois verres.
— Bon, merci d'être venu. Vu les circonstances, je suis bien content d'avoir un peu de compagnies, ce soir. Ma mère ne rentrera pas, ou alors très tard.
Puis j'ai pointé la tour de crêpes fumantes.
— servez-vous... et puis s'il n'y en a pas assez... Je peux en refaire au besoin.
Sans même poser son téléphone, Louis s'est jeté sur la première crêpe de la pile, puis l'a arrosé de sirop.
— Mon père doit venir me prendre assez tôt ce soir. Je ne pourrai pas rester longtemps...
Puis il a enfourné sa prise dans sa bouche tout en textant un message de l'autre main.
Belle tressautait sur son tabouret. Ses yeux bleu vert brillaient de malice. Je la connaissais un peu plus pour savoir qu'elle brûlait de nous révéler ses découvertes.
— Ça ne devrait pas être très long et puis moi aussi je ne dois pas rentrer trop tard, à cause de ma mère et du trajet en vélo !
Elle s'est fendue d'un large sourire.
— Alors, vous ne voulez pas savoir ce que j'ai découvert sur la maison ?
J'étais un peu déçu qu'ils ne puissent pas rester, mais j'étais encore plus curieux de savoir ce que Belle avait pu découvrir sur la vieille maison. Louis affichait comme à son habitude un air flegmatique et détaché. Néanmoins, il avait arrêté de texter sur son téléphone, signe qu'il était à l'écoute.
— Bon. Déjà, la maison a bien été le théâtre d'un drame, a déclaré Belle, qui n'avait pas encore touché son goûter.
— Au moment du drame, c'est la famille Bentley qui y habitait. Et cela remonte à 30 ans... Depuis une seule famille y a vécu, mais n'est pas restée plus d'un an dedans.
— On savait déjà ça, a répliqué Louis. Ses grands yeux ronds de cocker s'étaient tout de même légèrement allumés derrière les gros foyers de ses lunettes.
Belle a souri de nouveau.
— Attendez, vous allez voir...
— La famille Bentley habitait depuis trois ans dans la maison. Les articles que j'ai pu lire dessus mentionnent que c'était une petite famille très tranquille, sans histoire... apparemment.
Elle a marqué une pause, et déchiré une partie de sa crêpe. Elle en a englouti une petite portion et a donné l'autre à Scotty qui avait les pattes avant posées sur ses genoux.
— Le père était un ingénieur qui travaillait pour Bell, sa femme était professeure de physique à l'université. Ils avaient deux fils. Léo et Raphael.
— OK, l'ai-je coupé. Une famille et deux enfants ; rien de bizarre là-dedans.
— Attends ! Laisse-moi finir, ça va venir, a-t-elle répondu avec un sourire agacé.
— Je suis tombée sur une archive que j'ai trouvée sur internet qui parlait de ces deux gamins. À plusieurs reprises, des enfants du quartier ont dit que les deux enfants avaient un comportement étrange. Pendant les trois premières années ; rien de spécial. Mais, après, d'autres enfants les ont accusés... de sorcellerie !
— Genre, sacrifice de chèvres et de poulets sur un pentacle ? a demandé Louis sur un ton moqueur.
— Non non, enfin je ne pense pas. Mais il y a des enfants qui les ont accusés de jeter des sorts. Notamment, un jeune garçon qui prétend qu'il a été forcé de nettoyer la palissade toute crottée de boue par un des deux garçons.
Le jeu de cartes ! J'ai décidé de ne pas en parler.
Le visage pâle de Louis s'est tordu en une moue sarcastique.
— Tu sais, ça peut tout aussi bien être des ragots. L'imagination des enfants n'a pas de limites ; tu le sais bien non ?
— Ouais, mais c'est quand même étrange non ? Surtout quand on sait ce qui s'est passé quelques mois plus tard... le fameux drame.
Louis a haussé les épaules et engloutit une crêpe, presque sans la mâcher.
J'étais si captivé que je n'avais pas touché à la mienne.
— On a donc ces histoires d'enfants que l'on accuse d'être des sorciers et quelques mois plus tard... le père tue la mère et le cadet avec un fusil et seul l'ainé, Raphael, qui s'était réfugié dans le grenier, a survécu...
— Et le père ? ai-je demandé.
— D'après les gens, il se serait tué, constatant ce qu'il avait fait. Il serait devenu fou de chagrin.
J'ai frissonné. Le jeu avait dû jouer son rôle dans cette partie.
Bien sûr qu'un jeu à une conscience. C'est toi ou lui qui êtes en contrôle.
Les paroles de Léopard me sont revenues en tête, pleine de sens.
— Et Raphael alors ? ai-je demandé. Que s'est-il passé pour lui après ?
Belle baissé les yeux.
— On ne sait pas... Il aurait été pris en charge par un hôpital ou un service psychiatrique, quelque chose du genre.
Louis s'est essuyé les mains et consulté l'écran de son iPhone.
— Triste histoire, pauvres enfants, ils n'avaient rien demandé à personne, a-t-il commenté.
La sonnerie de son téléphone a retenti.
— Ha c'est mon père il est devant.
Déjà ?
— Hé bien c'est de l'express ! Et toi Belle tu restes encore un peu ? Il reste plein de crêpes !
Bellea hésité puis dit :
— OK, je peux rester encore une heure, deux, au maximum... ma mère a besoin de soins...
— Pas de problème, juste... ça m'angoisse d'être seul.
Louis était déjà sur le départ et avait décroché son manteau.
— Bon, à demain les amis, a-t-il dit avant de franchir le seuil de la porte.
J'ai guetté le départ de la Tesla et j'ai bondi de ma chaise. C'était à mon tour de faire part de mes découvertes.
— Viens, Belle, il faut que je te montre un truc incroyable. Tu ne vas pas en revenir !
Sa surprise s'est exprimée par un recul et d'une grimace peu avenante.
— Heu... C'est quoi ton truc ?
— Hey Belle ! C'est à mon tour, de faire une surprise... Allez viens, on va dans la chambre.
Belle se levé et m'a emboîté le pas. Mais alors que l'on gravissait les marches de l'escalier, elle a demandé :
— On dirait que t'as attendu que Louis s'en aille ? Pourquoi ?
— Je... je sais pas... je sens que je peux te faire confiance à toi.
Belle a baissé les yeux et a rougi.
— Ha. Heu merci. Et pas à lui alors ?
— C'est pas ça, mais disons que le jour où je pourrai voir ses yeux autrement que dans le reflet d'un écran de cellulaire, peut être.
Belle a ri.
— Bien vu, c'est pas très gentil, mais bien vu, j'avoue.
Avant de rentrer dans sa chambre, j'ai été pris d'une légère anxiété et je me suis tourné vers elle.
— Tu me promets de ne pas me prendre pour un fou, hein ?
— Je vais essayer, a-t-elle dit. Mais, le rictus imprimé sur ses lèvres et son froncement de sourcils, indiquait son inquiétude.
— Bon, OK, alors voilà, j'ai un truc à te dire. Dans la maison, lors de mon initiation, j'ai trouvé un jeu de cartes dans le grenier.
J'ai fouillé sous mon lit, j'ai sorti la boite et je lui ai montré.
— Il a l'air vieux... et poussiéreux... il sent un peu le moisi aussi, a-t-elle commenté.
— Oui, mais pas que ça... comment te dire... il est magique.
Belle a pouffé de rire.
— Hey, tu m'avais dit que...
— Désolée, mais là tu m'as surprise, je ne m'attendais pas à ce que tu me dises ça !
Je me suis renfrogné et me suis amusé à battre les cartes.
— Bien, tu vois le truc quand je l'ai trouvé, il n'y avait rien dessus... les cartes étaient blanches.
— Mais le lendemain, un dessin est apparu dessus. Tiens, regarde celle-là, elle est même animée. C'est complètement fou.
Je lui ai tendu alors la carte du portail.
Belle l'a pris en main, et l'a regardée sous toutes les coutures. Elle l'a tournée, en fronçant les sourcils.
Je guettais la surprise sur son visage !
— Je dois voir quoi au juste ?
Sa question m'a percuté.
— Qu... Quoi ! tu me fais marcher tu vois bien le portail, l'anneau de feu non ?
Belle a secoué la tête et m'a tendu la carte.
C'était à n'y rien comprendre ; je voyais clairement le dessin, l'anneau en feu qui tournait.
— Tu.. Tu es sérieuse ?
— Oui Clément, c'est juste une carte blanche. C'est vrai que c'est curieux. Mais... tu as l'air de vraiment croire à ce que tu...
Blam !
Belle a été coupée dans sa phrase par le son d'une porte qui claque.
Le bruit venait du bas.
Je lui ai chuchoté :
— Tu as entendu ?
Belle a froncé les sourcils et m'a adressé une moue interrogatrice, puis elle a hoché la tête.
— C'est la porte... quelqu'un est rentré.
(Il vient pour elle)
La voix ! Encore une fois !
— Tu as entendu Belle ?
Belle a haussé les épaules. L'inquiétude se lisait sur ses traits crispés.
(Il vient pour elle pour t'atteindre toi)
Non, je n'étais pas fou. La voix me parlait. Le jeu sans doute.
J'ai compris qu'il fallait agir vite. J'ai bondi, ai bloqué la porte avec mon épaule et tourné la clé pour la verrouiller.
J'ai fait un signe à Belle pour lui dire de se cacher.
Mais au moment où j'ai pointé la direction de mon lit, j'ai remarqué que Belle se comportait de manière étrange.
La jeune fille était figée sur place, ses yeux étaient grand ouverts et elle semblait marmonner des paroles à bas volume.
Au même moment j'ai perçu une masse d'obscurité envahir la maison. C'en était presque suffocant. La sensation d'un tsunami d'ombre qui s'était abattu avec force sur la demeure et l'avait engloutie. Je pouvais ressentir cette puissance malveillante à travers tout son corps.
Aspiration mentale !
La dernière fois que j'avais perçu quelque chose de semblable, c'était dans le monde des arpenteurs... sauf que la ; c'était dans mon monde !
Alors que la noirceur gagnait en puissance, je pouvais presque voir la main glacée s'immiscer encore dans mon esprit.
J'ai dégluti ; j'étais tétanisé et mes mains transpiraient une moiteur glacée.
Puis j'ai vu Belle avancer à petits pas vers la porte. Comme un automate. Son visage était inexpressif et ses yeux grands ouverts.
— Belle ! Réveille-toi !
(Utilise-moi...)
— Comment ? Ai-je hurlé à haute voix.
La porte de sa chambre a commencé à branler et alors que j'avais laissé toutes les lumières allumées dans la maison, les interstices de la porte ne laissaient rien passer, pas le moindre faisceau. Nous étions scellés par une noirceur opaque, presque solide.
(... pense à une protection... une lumière)
Belle était à présent à côté de la porte, elle avançait tout en marmonnant.
Je me suis interposé et j'ai pesé de tout son poids pour la repousser.
Mais, elle semblait ancrée au sol et malgré des efforts colossaux, je ne l'ai pas bougée d'un pouce
Belle a tendu la main vers la poignée de la porte.
J'ai hurlé ma rage et puisé dans mes dernières forces pour la faire baisser, mais c'est moi qui me suis levé du sol.
J'étais horrifié. Elle ne bougeait pas ! Elle allait ouvrir la porte.
(... si tu n'agis pas maintenant...)
J'ai pris le jeu, j'ai pioché une carte et l'ai collé à ma paume.
J'ai pensé très fort à un bouclier de lumière, un dôme éblouissant. Je me suis imaginé rayonnement intense et une chaleur irradiante. J'ai aussi visualisé une fumée noire se désintégrant à son contact.
J'ai retourné la carte et j'ai poussé un soupir.
« Bouclier de lumière » était écrit, et une illustration d'un dôme était apparue.
« Repousse et blesse les créatures de l'obscur »
« Prononcer : Salve de lumière »
« Coût : une goutte de sang »
Un prix à payer ! Un coup d'activation !
Il fallait faire vite, Belle allait ouvrir la porte et qui sait ce qui pouvait se passer après.
J'ai bondi vers ma trousse. J'ai sorti un compas et me suis planté la pointe sur la pulpe de mon index.
J'ai grimacé, puis j'ai écrasé le sang qui perlait au bout de son doigt sur la carte et hurlé
— Salve de lumière.
À mon grand étonnement, il n'y a eu aucune lumière, ni de dôme... puis j'ai entendu une plainte douloureuse : le un cri d'animal blessé. La chose hurlait dans mon esprit.
Puis l'obscurité s'est dissipée. Et la carte que je tenais dans les mains était redevenue vierge.
(... merci, jeune arpenteur)
Je me suis précipité vers Belle
— Belle ? Tu vas bien ?
La jeune fille a ouvert les yeux, m'a regardé avec effroi et a fondu en larmes.
— Mon dieu, c'était quoi Clément ? J'ai je pouvais rien faire, j'étais hypnotisée...
Elle s'est assise sur le lit. Ses paroles étaient entrecoupées par des sanglots de détresse.
— C'était horrible, cette... chose... m'appelait ! Ce n'était pas humain... c'est comme un fantôme.
— Écoute, Belle, je sais pas trop ce qui se passe, mais tu me crois maintenant quand je te dis que j'ai un jeu de cartes, qui...
Je lui ai montré mon doigt, une goutte de sang perlait à son extrémité.
— J'ai réussi à chasser cette chose, avec mon jeu de cartes... et pour ce faire j'ai dû donner une goutte de sang. Tu sais, cette histoire de sorcellerie dont tu avais parlé... je crois...
J'ai secoué la tête.
— Non, je ne crois pas, je sais que c'est vrai... je peux te raconter, je...
Belle a agité son index et secoué plusieurs fois sa tête baissée.
— Non, pas là je... je ne suis pas prête à entendre.
Puis elle a levé son visage mouillé de larmes vers moi et demandé :
— Tu crois que je suis en sécurité ?
Je l'espère.
— Oui, je crois que je l'ai chassé.
Belle a reniflé un bon coup. Je lui ai tendu un mouchoir en papier.
— Dis Clément, ça te dérange d'appeler un taxi ? J'ai peur de rentrer chez moi en vélo. Je repasserai plus tard pour le chercher.
— Non, non bien sûr, je vais m'en occuper.
Lorsque Belle a quitté la maison, je suis resté sur le seuil de la porte pour vérifier que le taxi embarquait bien mon amie. J'étais encore sous le choc.
Léopard m'avait prévenu que je pourrais être la cible des forces d'Elistar. Mais si vite ? Si brusquement ? Et par de tels moyens ? Jamais je n'avais songé que de telles choses peuvent se manifester dans mon propre monde. Les frontières étaient-elles poreuses ?
J'ai repensé à Belle, et à la façon dont elle s'était dirigée vers la... chose. Et si c'était ce qui était arrivé à Lise et à son petit frère ? Et si ces ombres ou créatures malveillantes attiraient les enfants comme Belle et s'en emparaient.
J'ai frissonné à cette idée.
Mais pourquoi ? Pourquoi Elistar voudrait-il s'en prendre à des enfants de ce monde ?
Quelles que soient les réponses, il fallait que ça cesse. Mais j'avais l'intuition que si j'acceptais le challenge, ces attaques ne feraient qu'empirer. En revanche que se passerait-il si j'abandonnais. Peut-être que tout cesserait ?
Au moment où j'ai monté les escaliers, le téléphone a sonné. Comme la matinée de la veille, j'ai su que c'était sa mère.
— Bonsoir Maman.
— Bonsoir mon chéri.
Sa voix était étranglée.
Mon cœur a bondi dans ma poitrine.
— Ton papa... il est dans le coma. Il a mal réagi... et...
Mais je ne l'entendais plus, j'ai laissé tomber l'appareil qui s'est fracassé à terre.
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