Chapitre IV

"Quand on n'a rien à se reprocher dans la journée, on ne craint pas que les fantômes viennent hurler à la porte au milieu de la nuit." Proverbe Chinois.  

Cette soirée a été le point de départ de toute mon histoire...

J'allais finir mes devoirs et commencer la lecture d'un roman lorsque ma mère m'a appelé depuis le bas des escaliers.

— Clément, il y a des amis qui te demandent.

J'ai lâché ma feuille d'algèbre et je me suis levé d'un bond.

Des amis ? Je n'avais pas d'amis !

J'ai jeté un œil rapide à travers la fenêtre de ma chambre. Il y avait trois enfants devant ma porte. Louis, un garçon de ma classe, Belle, et un autre garçon un peu plus grand et costaud que je n'avais jamais vu. Des vélos étaient étalés sur le gazon fraîchement coupé.

J'ai hésité. Belle était une fille gentille. Mais je ne connaissais pas les autres.

Et puis je me suis dit que c'était peut-être l'occasion de m'intégrer.

— Dis-leur que j'arrive maman !

— Et au fait, tu as fait tes devoirs ? a demandé ma mère.

— J'en ai pas ce soir. Je peux sortir maman ?

J'avais dû lui mentir. Je n'étais pas fier.

— Bien, mais ne rentre pas trop tard, alors !

J'ai enfilé une veste, caressé la tête de Scotty et dévalé les escaliers. Maman était dans le vestibule et affichait une mine suspicieuse.

— À ce soir ! lui ai-je dit sans m'arrêter.

Les enfants m'attendaient dehors.

— Salut ! Vous êtes venus pour quoi ?

Le plus grand s'est détaché du groupe et s'est avancé. Il était massif, et devait être plus âgé que les autres. Il portait un t-shirt noir sur lequel était dessinée une énorme tête de mort.

— Salut Clément ! moi, c'est Brad. Belle m'a dit que tu étais nouveau ici. On habite tous dans le quartier et on joue ensemble. Ça te dirait de venir avec nous ?

— Quoi faire ? ai-je demandé.

— On va faire une balade en vélo, tu en as un ? Et prends aussi un sac à dos. Pour le reste, c'est une surprise.

Brad a ponctué sa phrase d'un clin d'œil et a renfoncé sa casquette NY qui semblait trop haut perché sur sa chevelure frisée.

Une surprise ?

J'ai tenté d'aller chercher un indice dans le visage de Belle, mais elle était restée distante et en retrait. Louis pianotait sur son cellulaire sans que ses yeux ne se détachent de l'écran.

Mais après tout, qu'avais-je à perdre ?

— Bien, c'est OK. Je prends mon vélo et un sac à dos.

Et cinq minutes plus tard, je chevauchais mon vieux vélo rouge et grinçant à peine dépoussiéré.

Je dois dire que cela faisait un bien fou de pédaler. En revanche, j'étais à la traine. Les autres fonçaient et zigzaguaient, à l'aise dans les rues de leur quartier. Même Belle, d'apparence pourtant si frêle, semblait impossible à arrêter.

Ils ont sillonné tout le bloc résidentiel et pour finir, ils se sont engagés dans une grande et large rue, qui, au vu des maisons, devait être habitée par les familles les plus huppées de la ville. Manoirs, villas, maisons d'architectes se succédaient et rivalisaient de prestance.

La rue m'a semblé interminable et il nous a fallu plusieurs minutes pour parvenir à son extrémité ; un cul de sac.

J'ai toute de suite remarqué la maison du bout de la rue, qui émergeait des herbes hautes. Elle tranchait avec les bâtisses voisines. La demeure était tout aussi massive et possédait un terrain tout aussi grand, mais elle était dans un tel état de délabrement qu'il devait être impossible d'y vivre. Il ne restait rien de la splendeur de ce qui avait dû être un magnifique manoir victorien. Le bois était ébréché, et la peinture avait pelé. Les fenêtres étaient scellées par des planches en bois clouées, et le jardin était une vraie jungle en friche. Seul un arbre décharné parvenait à dominer les mauvaises herbes qui avaient envahi la pelouse.

Ils se sont arrêtés un à un, à commencer par Brad, devant le panneau « à vendre » planté près du trottoir. En plus de la photo du vendeur, un certain monsieur Guy Tremblay qui affichait sa dentition étincelante, on pouvait y lire un numéro de téléphone et une adresse. Ils ont posé leurs vélos. J'étais fasciné par la bâtisse et la détaillait en silence.

Belle a brisé ma bulle.

— Bon, Clément on ne va ne pas tourner autour du pot. Si on t'a amené ici, c'est pour que tu passes le test ! Voilà, c'est dit !

Puis elle a regardé le sol, gênée par ce qu'elle venait d'annoncer.

La surprise a dû se lire sur mon visage.

— Un test ? Quel test ?

Louis et Brad se sont échangé un regard complice.

— Je suppose que tu ne connais pas l'histoire de cette maison, Clément ! a dit Brad.

J'ai secoué la tête. Je n'arrivais toujours pas à détacher mon regard de l'imposante bâtisse.

Brad a continué :

— Il y a trente ans, un homme a tué sa famille ici, dans cette maison. Il était devenu fou et a tué ses enfants, sa femme et même la grand-mère qui vivait avec eux. Seul le garçon qui avait douze ans a survécu. On se demande encore par quel miracle d'ailleurs. Il parait qu'il était dans le grenier lorsque cela s'est passé.

J'ai senti un frisson glacial me parcourir le corps. J'avais deviné ce qu'ils attendaient de moi.

— Attendez ! Vous ne voulez quand même pas que j'entre dans cette maison, si ? C'est ça votre test ?

Brad et Louis se sont échangé un nouveau regard.

— Bah, si tu veux faire partie de notre gang, il va bien falloir ! Tu sais c'est pas si terrible. Tu as juste à y rentrer, ramener quelque chose de la maison, je sais pas moi, un truc qui traine là-bas et tu seras officiellement des nôtres.

— Belle pense que t'es pas game et trouve notre test un peu... puéril, a ajouté Brad en triturant sa casquette. Moi je ne suis pas sûr non plus que tu aies le courage d'entrer. Et toi Louis, t'en penses quoi ?

Louis a levé la tête de son écran de cellulaire et a secoué la tête.

— Pas game non plus !

Ça puait l'arnaque. Ce Brad était vraiment un type louche.

— Et vous ! Vous l'avez déjà fait vous, au moins ? Ai-je demandé.

— Hey, tu nous prends pour qui ? Bien sûr qu'on l'a fait !

J'étais hésitant. L'endroit était lugubre surtout avec la lumière du jour qui déclinait. En même temps, j'avais envie de le faire. Cela n'avait rien à voir avec l'intégration dans leur gang, même si la perspective d'avoir des amis officiels n'était pas déplaisante. Non, j'étais fasciné par cette maison.

Game ! Ai-je lâché. Bien sûr que je suis game !

Belle s'est renfrognée et a secoué la tête. Le fait que j'accepte le défi l'avait contrariée. Brad a exulté pendant que Louis s'est contenté de sourire.

— Super ! Dis Brad. On va juste te montrer par où entrer ! Tu peux faire le guet Belle, s'il te plait ?

— Et pourquoi est-ce que c'est moi qui fais le guet ? A-t-elle protesté la mine boudeuse.

— Parce que t'es la dernière à faire partie du gang, a répondu Brad du tac au tac.

Il s'est approché de moi et m'a glissé dans l'oreille :

— Et aussi parce que c'est une fille.

J'ai donc suivi les autres garçons dans les herbes hautes... et humides.

De l'eau s'infiltrait dans mes baskets trouées.

— Faites gaffe les amis, on ne sait jamais, il peut y avoir des serpents, a averti Brad.

— Sérieux ? A demandé, Louis, inquiet.

— Pfff, t'es vraiment trop bête. On est au Canada...

Ils ont contourné la maison par le côté droit, et nous sommes parvenus dans ce qui devait être le jardin. Les restes d'une balançoire étaient encore présents. L'armature en métal était rouillée et recouverte de mousse. À quelques mètres derrière, un bassin à poissons vide était rempli de diverses cagettes en bois et quelques détritus. Il y avait même un reste de feu de camp, garni de déchets alimentaires et de cannettes de bière.

— Y'en a qui viennent camper le soir ici, a commenté Brad en haussant les épaules.

Puis il a ajouté :

— Bon, Clément, c'est simple. La porte de derrière est fermée, mais on s'est fait une sorte de passe partout. On a un peu de misère à la crocheter, mais ça passe quand même.

Brad a sorti un trousseau de son sac à dos. J'ai cru halluciner. Il y avait au moins une dizaine de clés dessus. Je me suis demandé si toutes étaient des passes partout et combien de portes ce garçon pouvait ouvrir dans le quartier.

Il a également sorti une lampe de poche, une maglite. Brad s'est assuré qu'elle contenait encore des piles. D'un geste rapide, il l'a braqué sur moi et l'a allumé. Le faisceau m'a à moitié aveuglé.

— Hey, tu pourrais pointer ça ailleurs, s'il te plait ?

Brad a reniflé et me l'a tendu...

— C'est pour toi mon gars. Y'a plus d'électricité dans cette baraque, et sans lampe, je te souhaite bien du plaisir. Crois-moi, tu seras bien content de l'avoir quand tu vas te trimbaler dans la maison. Alors, toujours partant ou bien t'as peur de tomber nez à nez avec un revenant ?

— J'ai pas peur, ai-je menti.

Je venais soudain de réaliser que la visite d'une maison abandonnée à la lueur d'une lampe torche n'aurait rien d'une ballade de santé.

— Cool. Alors, on m'a dit qu'il y aurait encore des livres à l'étage. Si tu en ramènes un...

— Comment ça on t'a dit ! Je croyais que t'y étais déjà allé toi-même.

— Hey, la ramènes pas le nouveau ! Fais ce que je te demande, ou alors renonce... je m'en fous moi.

Je l'ai fixé dans les yeux et j'ai saisi la lampe d'un geste sec.

— Pour le reste, prends tout ce que tu peux dans ton sac, a ajouté Brad.

— Je ne suis pas un voleur.

— Tu ne voleras personne. Les propriétaires sont morts.

— Mouais...

Brad m'a souri puis a inséré le passe et commencé sa bataille avec la serrure.

— Il parait que t'as des soucis avec Thomas, m'a-t-il demandé pendant son crochetage.

La question m'a surpris.

— Si par là, tu entends que ce gars passe son temps à me chercher des noises, alors oui, on peut dire que j'en ai. C'est vraiment un sale type.

— C'est mon cousin...

— Sérieux ?... Sincèrement désolé pour toi alors.

— Il n'est pas si méchant, une fois que tu le connais.

— Je n'ai pas envie de le connaître.

Brad a ri et la porte s'est ouverte.

— Bien, nous y voilà. À toi de jouer, le nouveau !

J'ai inspiré un bon coup et j'ai franchi le seuil en une seule enjambée.

La porte s'est refermée sur moi, accompagnée de quelques rires. Brad s'est adressé à moi une dernière fois.

— On compte sur toi le nouveau, on t'attendra ici !

Et dire que si j'avais reculé, rien ne serait arrivé...

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