Chapitre 3
Silvain ouvrit les yeux. Il était dans une petite pièce dont il était – a priori – le seul occupant. Il reposait sur un petit matelas, recouvert d'une fine couverture polaire, en tête à tête avec le mur brun sombre qui lui faisait face.
Il se redressa légèrement, puis se souvint des événements de la veille. Ou tout du moins, avant son sommeil, car dans cette pièce sans fenêtre, il n'avait aucune notion du temps.
Il revit les Ombres l'assaillir... avant de brutalement sombrer dans l'inconscience.
Il avait bien cru qu'il ne s'en sortirait pas. Mais si. Il était toujours vivant. À moins qu'il ne soit mort et que son « âme » ne soit cloîtrée ici... Bien que n'ayant jamais cru en une quelconque forme de Dieu, Silvain commençait à se remettre en question, les Ombres ne sont-elles pas mortelles ?
Enfin, elles n'étaient plus là, non ? Le jeune homme regarda autour de lui, la salle n'était pas sombre, bien que pas très lumineuse, et aucune Ombre ne semblait être là.
Silvain soupira. Il leur avait échappé.
Quand une question lui vint à l'esprit.
Qui l'avait amené ici ? Qui l'avait sauvé ? Qui l'avait reposé dans cette couchette, au sein de cette salle ?
Bien trop curieux pour se taire, il demanda, à demi-voix :
— Il y a quelqu'un ?
Il attendit moins de cinq secondes ; sentant son cœur battre plus fort et une sueur froide couler sur son front ; avant que ne lui réponde une voix féminine :
— Ah, tu es enfin réveillé...
Au timbre de sa voix, l'interlocutrice devait être assez jeune, avec tout de même une voix assez grave et rocailleuse au parler.
— Euh... continua le jeune homme, qui est là... ?
Quelque chose de sombre bougea à gauche. Silvain se retourna et vit un petit chat noir – bien réel, ce n'était pas une Ombre – s'avancer vers lui.
N'y voyant aucun danger, il se remit à chercher du regard l'interlocutrice. Aucune autre forme de vie que lui et ce chat ne semblait se présenter...
— Excuse-moi, je ne me suis pas présentée... fit la voix.
Silvain tourna la tête dans la direction de la voix ; celle du chat.
Voyant son air surpris, le petit animal rit un peu avant de reprendre :
— Ah, excuse-moi, j'avais oublié que tu n'as pas l'habitude de parler aux chats.
— Qui... êtes... vous...
Le félin le fixa d'un regard interrogateur.
— Êtes-vous... un démon ?
— Question de point de vue, répondit le chat. Je n'ai pas – pour ma part – l'impression d'être si maléfique que ça, mais beaucoup me voient en tant que tel. Comment définirais-tu un démon ?
— Un démon... répondit Silvain, terrorisé par l'aisance et la répartie de son interlocutrice, c'est... une créature méchante qui possède des forces du mal...
— Ah, alors je n'en suis pas un. Je ne suis pas « méchante » ! Et mes Ombres ne sont pas des forces du mal !
— Vos... Ombres ?
— Oui, oui, mais viens, tu dois avoir faim, fit le chat en se dirigeant vers une porte en bois assez sombre pour que Silvain ne la remarquât pas. Je t'ai préparé un repas, en attendant que tu te réveilles.
Le jeune homme se rendit alors compte de la véracité des propos du petit matou. Il mourrait de faim, mais avait été trop tétanisé pour s'en rendre compte. Un peu rassuré, il se leva et suivit son hôte.
Le chat passa la porte, et l'emmena vers une cuisine. Il monta sur le plan de travail et désigna une assiette fumante de nourriture.
— C'est pour toi.
Le jeune homme s'en saisit, et se dirigea vers la table à manger, non loin, pour déguster son plat.
— Au fait, fit le matou, assis sur la table en face de lui, comment t'appelles-tu ?
Le jeune homme avala ce qu'il avait dans la bouche avant de répondre :
— Silvain. Et toi ?
Il reprit alors une bouchée, la mâchant vigoureusement, attendant la réponse.
— Moi c'est Féline, répondit celle qui portait si bien son nom. J'imagine que tu n'es pas choqué par la connotation peu humainement naturelle de mon prénom ?
— Ça, c'est une phrase étrange. Mais non, ton prénom ne me choque pas, tu es un chat, ça te va bien.
— Ah, tant mieux...
Le jeune homme continua de manger, jusqu'à finir son assiette, avant de demander :
— Mais... comment se fait-il que... tu parles... je veux dire, que tu parles français, si tu es un chat ?
— Tu devrais plutôt me demander pourquoi j'ai l'air d'un chat si je parle l'humain. Ça serait plus judicieux en vue de la réponse que je peux apporter.
— Euh... d'accord...
— Eh bah je t'explique. Lorsque je suis née, j'avais déjà des oreilles de chat sur la tête, et une queue en bas du dos. Je n'ai donc pas de meilleure explication que de dire que je suis née ainsi.
Le jeune homme laissa résonner un instant cette explication qui n'en était pas vraiment une, l'air de ne pas comprendre. Il répéta alors :
— Des oreilles sur la tête et une queue en bas du dos ? Un peu comme tous les chats, non ?
L'animal soupira en se prenant la tête dans la patte, chose assez inhabituelle pour un félin.
— Je t'explique, petit humain inconscient, reprit-elle. Je ne suis pas un chat.
Constatant l'air dubitatif du jeune homme, elle rectifia :
— Enfin, si, mais... enfin, à la base, je ne suis pas un chat qui parle, mais une humaine – ou presque – capable de me transformer en chat. Tu comprends ?
— Ah, répondit Silvain, donc... tu es une humaine... avec des oreilles de chat, qui peut se transformer en chat...
— Exactement.
— Mais alors... pourquoi tu ne restes pas en humaine, ça ne serait pas plus simple pour parler...
— Pas vraiment, et dans le doute où on t'aie suivit, je préfère attendre un peu avant de me réhumaniser.
Ne sachant que répondre, le jeune homme se leva et débarrassa son assiette, qu'il déposa ainsi que ses couverts sur le plan de travail à côté d'un évier.
— Eh bah parfait, fit le félin. À défaut d'être très intelligent, tu es bien élevé ! J'imagine que tu as eu de bons parents.
— Ah... euh... merci, répondit le jeune homme qui ne savait pas s'il devait bien ou mal le prendre. J'imagine que les tiens ne t'ont pas rendue timide...
— N'imagine rien sur les miens, je ne les ai jamais connus.
— Oh, pardon, ils sont morts ?
— Non. Enfin, peut-être, je ne sais pas. Je ne les ai jamais revus depuis le jour de ma naissance. Ils m'ont abandonnée dans la rue, selon les dires de Papa.
— Papa ? Ce n'est pas ton père ?
— C'est le doyen du village, tout le monde l'appelle ainsi. Mais c'est lui, et Mama, qui m'ont accueillie quand je devais avoir un jour, et élevée. Ils sont comme mes parents.
— Mais pourquoi... pourquoi tes parents t'ont-ils abandonnée ?
— J'imagine bien la réaction d'humains parfaitement inconscients, quand ils voient que leur enfant a des attributs de chat et des marques noires sur le visage.
— Des marques noires...
— Oui, tu verras... demain. Quand je me retransformerai.
— Tu penses vraiment qu'on a pu me pister et... d'ailleurs, où sommes-nous ?
— C'est possible, mais normalement mes Ombres sont discrètes, et il est quasiment impossible de les pister une fois qu'elles sont parties. On pourrait néanmoins les suivre, mais beaucoup de gens ont peur des Ombres en sachant que...
— C'est toi qui m'as enlevé ?! s'étonna Silvain.
— Hmm... oui, mais...
— Tu rigoles ?! J'ai eu la peur de ma vie ! J'ai failli me faire dévorer par des Ombres maléfiques, et ensuite si c'est pour me faire prendre pour un idiot par un chat qui parle je ne suis pas d'accord.
— Tu n'as pas vraiment le choix.
— Pourquoi ?
— Je te rappelle que tu ne sais pas où tu es, et que si tu sors, tu te retrouveras au beau milieu d'une forêt dont tu n'as pas idée de l'existence.
— Et si on nous piste ?
— La probabilité est quasi-nulle.
— Et alors, pourquoi tu ne te mets pas en humaine maintenant ?
— Pourquoi pas, tu n'aimes pas parler aux chats ?
Sa réponse quelque peu déconcertante le laissa bouche bée, son manque de répartie l'importunant pour la première fois.
Féline se leva et se dirigea vers lui.
— Bon, humain, nous n'allons pas discutailler ainsi pendant trois jours.
— Je suis d'accord, fais-moi sortir et explique-moi pourquoi tu m'as amené ici !
— Hmm... Pour te faire sortir... pas tout de suite. Et pour t'expliquer d'accord. Tu sais bien que les Ombres enlèvent ceux qui restent trop longtemps dans le noir le jour !
— Ca n'est qu'une légende.
— Et bien maintenant tu sais que non. Seulement, c'est parfois risqué, on pourrait se remettre à me chercher en masse, alors je préfère ne pas nous attirer d'ennui.
— « Nous » ? Et d'ailleurs, tout à l'heure tu as parlé d'un village ?
— Oui, tu verras plus tard, quand tu sortiras. Bref, les Ombres enlèvent ceux qui restent trop longtemps dans le noir. Cette phrase est aussi utilisée par les parents qui ne veulent pas que leurs enfants traînent n'importe où, il y a plus de crimes dans les ruelles mal éclairées.
— Ah je vois. Mais reviens-en à moi. Les Ombres ne sont pas sensées nous tuer à un simple contact ?
— Non. Enfin si, enfin... Pas vraiment. Disons qu'elles te tuent temporairement, et que la seule personne capable de te réanimer – faut pas s'y prendre trop tard quand même – c'est moi. Et là, j'ai choisi de ne pas te faire mourir. Tu avais l'air sympa. Les Ombres m'ont dit que tu t'es fait larguer par ta copine alors que tu allais la demander en mariage. Elles disaient que tu étais triste à en mourir, et moi je m'ennuie à en mourir. Alors je me suis dit qu'un peu de compagnie ne me ferait pas de mal...
— D'accord. Donc tu m'as kidnappé...
— N'emploie pas de mots aussi forts !
— Parce que tu t'ennuyais ?
— Oui. Et aussi parce que tu étais triste et que j'ai eu pitié de toi. J'aurais aussi pu te laisser mourir, après tout, mes Ombres sont tout de même sensées tuer !
— Non, c'est bon, mais comme tu l'as dit, j'étais mort de tristesse, et c'est d'ailleurs pas la peine d'en rajouter.
— Oh tu vas pas m'en vouloir ! Allez... Si je te fais sortir maintenant tu vas partir et... allez ne m'en veux pas... Demain je me réhumaniserai, et après-demain on sortira... Ou sinon demain aussi, je sais pas...
— Bon d'accord. Mais après tu me rendras ma liberté hein, et ne me prend pas pour un idiot...
— C'est bien parce que c'est toi hein !
— Juste, il est quelle heure ?
— Il est dix-sept heures trente. La semi-mort des Ombres provoque un sommeil assez long. Bon tu peux faire ce que tu veux... Tu peux te reposer, si tu veux du papier et des stylos il y en a, et si tu veux prendre une douche, ou lire, doit y avoir aussi.
— D'accord, merci. Et toi, tu vas faire quoi ?
— Manger un peu, puis aller me coucher. Puisque je ne te fais pas sortir, je ne sors pas non plus, donc j'ai pas grand-chose à faire, vu qu'en plus je suis en chat... On en fera plus demain. Si on se couche tôt, on se lèvera tôt, et comme on dit, le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt ! Bonne nuit Silvain.
— Bonne nuit Féline...
A peine avait-il prononcé ces mots que l'animal s'était faufilé à travers un couloir.
Silvain se dirigea donc vers sa chambre et – encore un peu fatigué, probablement à cause de la demi-mort – se laissa tomber sur la couchette dans laquelle il s'était réveillé.
En voilà, une drôle de journée.
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