prologue

« Capitaine, homme à la mer ! »

Le jeune homme quitta le gouvernail pour rejoindre son matelot qui pointait la surface de l'océan. Il se pencha par dessus le bastingage et aperçut avec surprise une silhouette immobile allongée dans une vieille chaloupe bercée par les vagues. De là où il était, il était incapable d'apercevoir son visage, ni de savoir s'il s'agissait d'un pirate ou d'un simple malheureux. Il parut hésiter, puis se tourna vers son matelot qui attendait sa réaction.

« Remontez-le ! » ordonna-t-il.

Les pirates s'empressèrent de rapprocher le navire du naufragé et remontèrent doucement l'embarcation. Quand la chaloupe fut sur le pont, l'un des matelots porta délicatement l'homme et le déposa sur le pont avec précaution. L'ensemble de l'équipage s'était réuni autour de lui et observait l'inconscient comme s'il s'agissait d'une apparition.

« Ce n'est pas un homme... » murmura l'un d'eux au dessus d'elle. "C'est une femme."

Effectivement, le malheureux avait les traits féminins, les yeux d'une sirène, la bouche dessinée comme sur un croquis et le menton finement sculpté. Elle portait un simple chemise de nuit blanche qui laissait imaginer la courbure de ses hanches, tâchée par le sang qui avait coulé de son bras gravement blessé.

« Vous croyez... qu'elle est morte ? » dit un autre avec épouvante.

Le capitaine les poussa et se pencha au dessus du visage de la jeune femme. Il craint qu'elle ne respire plus, heureusement un léger souffle d'air caressa sa joue. Il posa sa main sur son front ; il était aussi chaud que les rayons du soleil de 14h sur leurs crânes.

« Elle respire encore, mais elle est faible. »annonça-t-il. « Sa blessure a dû s'infecter et le soleil l'épuiser. »

« Que faisons-nous, capitaine ? »

Ce dernier se tourna vers son équipage qui le regardait comme s'ils avaient peur que la jeune femme ne se jette à leur cou et ne les tue tous. En l'observant, il se rendit compte qu'elle ne devait pas être plus âgée qu'elle. Que faisait une femme seule en mer, sur une vieille chaloupe qui n'allait nulle part ?

Le capitaine s'apprêta à demander conseil à son second quand une lueur attira son attention. Il dégagea la poitrine de l'inconsciente et mit la main sur un collier. Un Poséidon colérique surgissait des mers sur une surface dorée. Son coeur tomba dans sa poitrine et il tourna son regard sur la jeune femme toujours endormie. Il lâcha un soupir, accablé par le choc et la terrible réalisation. Bien sûr que c'était elle, comment avait-il fait pour ne pas la reconnaître immédiatement ? Elle lui ressemblait tellement.

« Emmenez-la dans mes appartements. Soignez sa blessure et faites en sorte qu'elle ait de quoi se sustenter à son réveil. Personne ne la dérange sans mon accord. » dit-il d'une voix forte et catégorique.

Les matelots obéirent immédiatement sans poser de questions et transportèrent la malheureuse sous le regard perturbé du pirate. Quelques secondes plus tard, tout le monde avait retrouvé son poste et le navire repartait.

« Jack, crois-tu que cela soit une bonne idée ? Une femme seule ici ? » dit son second en venant le trouver.

Le capitaine se tourna vers Barbossa et lui montra le médaillon de la jeune femme qu'il avait gardé. Le visage de son second pâlit et son regard se réchauffa.

« Crois-tu que cela soit... » commença-t-il.

« Oui. J'en suis sûr. Elle ne donnerait ce médaillon à personne d'autre. »

« Alors cela veut donc dire... »

« Je le crains... »

« Elle serait la seule survivante ? »

« Si elle est seule... »

« Qui aurait pu... ? »

« J'ai une idée, mais j'espère me tromper. Du plus profond de mon âme. »

Barbossa comprit immédiatement de qui son capitaine parlait et un soupire inquiet s'échappa de ses lèvres livides.

« Si tu as raison, la situation est grave. Nous devons rassembler le Tribunal de la Confrérie au plus vite. » dit-il.

« Attendons d'abord qu'elle se réveille... » Jack jeta un coup d'oeil furtif sur le navire qui tranchait l'horizon. « Mais je crains que tu n'aies raison. » reprit-il. « La situation est grave. »

...

Le soleil commençait à disparaître derrière l'océan lorsqu'Esmée reprit connaissance. Au début, il lui fut difficile de se resituer dans le brouillard de son esprit, puis lorsqu'elle réalisa qu'elle ne se trouvait plus sur la vieille barque, elle se redressa brusquement, tous les sens en alerte. Elle était désormais allongée sur un lit à la couverture rouge entouré de vieux meubles abîmés éclairés par une grande fenêtre qui offrait une vue sur l'océan calme et silencieux.

A quelques mètres d'elle, une porte en bois fermée la séparait d'exclamations fortes et de bruits de pas.
Esmée ne tarda pas à comprendre : un navire était passé sur son chemin alors qu'elle était évanouie et l'avait recueillie. Son sang ne fit qu'un tour : s'il s'agissait de simples marins, elle était morte.

La jeune femme se leva immédiatement, récupéra l'épée qui avait été déposée contre son lit et se dépêcha d'enfiler ses chaussures abandonnées sur le parquet, lorsque la porte s'ouvrit. Elle se retourna aussitôt et pointa son arme vers les deux hommes qui se figèrent. Le plus grand tenait un plateau sur lequel fumait un poulet et des pommes de terre et le plus petit portait une carafe et un verre en argent. En détaillant leurs vêtements sales et dépareillés, Esmée comprit qu'ils ne s'agissaient pas de marins.

« Où est-ce que je suis ? » dit-elle d'une voix froide sans baisser son arme.

« Bienvenue sur le Black Pearl, mademoiselle. » sourit le plus grand en dévoilant ses dents noires de crasse.

Esmée eut un mouvement surpris. Ce nom ne lui était pas inconnu, sa mère lui en avait déjà parlé, sans qu'elle ne puisse se rappeler pourquoi. Au moins, elle se trouvait à bord d'un navire pirate et n'avait pas à craindre pour sa vie. Du moins pour l'instant...

« Le Black Pearl ? » répéta-t-elle

« Lui-même. On vous a trouvée alors que vous étiez inconsciente dans le canot. » continua le plus petit au crâne chauve.

« Depuis combien de temps suis-je ici ? »

« Pratiquement une journée. Le soleil, la faim et la soif vous ont lourdement affaiblie, alors le capitaine a décidé de vous laisser dormir. Maintenant que vous êtes réveillée, je vais aller le prévenir. »

Le plus grand abandonna le plateau sur le bureau et retourna au sein de l'équipage. Le plus petit fit signe à Esmée de s'asseoir et lui montra le repas.

« Mais vous devez mourir de faim et de soif. » dit-il en versant de l'eau dans le verre. « Servez-vous autant que vous voulez, le capitaine l'a fait préparer rien que pour vous. »

Esmée hésita. La nourriture pouvait très bien avoir été empoisonnée. Mais après avoir passé des jours, perdue sur les mers sans nourriture et eaux, son estomac hurlait de famine et le poulet ressemblait au graal. Elle était prête à prendre le risque.

Sans prendre attention au pirate qui l'observait, elle lui arracha le verre des mains, avala d'une traite le liquide et se jeta sur l'un des pilons. Lorsqu'elle le mit en bouche, le goût salé explosa dans sa bouche et elle eut l'impression que les dieux des océans lui avaient accordé une seconde vie.

Tandis qu'elle se rassasiait, le plus grand revint en compagnie d'un autre homme qui fit signe aux deux pirates de déguerpir. Ces derniers obéirent immédiatement et les laissèrent tous les deux.

Lorsqu'elle se retrouva seule avec l'homme, Esmée cessa de manger et se rapprocha de l'arme qu'elle avait abandonnée sur le lit. Ce fut là qu'elle remarqua que sa blessure au bras avait été couverte d'un bandeau noué.

Devant elle, l'homme ne bougea pas et afficha un petit sourire amusé qui vint piquer la curiosité de la jeune fille. Tout chez lui attisait sa curiosité : de son teint bronzé à ses yeux sombres maquillés de noir, en passant par ses courtes dreadlocks et ses innombrables bijoux sûrement récupérés pendant ses expéditions, rien, dans son apparence physique, n'était ordinaire.

« Qui êtes-vous ? » lança-t-elle.

« Le capitaine de ce navire. » dit-il d'une voix détachée.

Esmée fronça les sourcils. Le garçon qui ne devait pas avoir plus de 23 ans ne pouvait pas être le capitaine du Black Pearl, c'était impossible. On ne laisserait pas tel navire à un gamin.

« Le capitaine ? Ma mère m'avait parlé de quelqu'un de plus vieux. » dit-elle sans se soucier de le blesser.

« Et qu'a-t-elle dit d'autre ? » demanda le pirate d'un air flatté.

« Je ne me souviens pas. »

Il eut un silence. Dans toute cette agitation, Esmée avait oublié que sa mère avait été emportée avec son navire. La jeune femme se mit à trembler tandis que sa gorge se nouait.

« Ma mère... » marmonna-t-elle sans regarder le pirate.

« Mary Read*. » dit l'homme.

Esmée releva la tête.

« Vous connaissez son nom. Alors vous connaissez sûrement le mien. »

Le pirate eut un sourire.

« Perspicace, Esmée Read. »

« Vous connaissez mon nom mais je ne connais pas le vôtre. Comment...

« Jack Sparrow. »

Esmée hocha la tête. Peut-être avait-elle eu tort : ce nom ne lui était pas inconnu. Sa mère l'avait mentionné lorsqu'elle lui avait raconté l'histoire du Black Pearl. Maintenant qu'elle y pensait, l'ancien capitaine pouvait avoir tout bonnement décédé et légué son navire à Jack Sparrow.

« Ça me revient. Ma mère m'a aussi parlé de vous. »

« En bien, j'espère. » sourit le pirate.

« Je ne m'en souviens pas. »

« Vous ne vous souvenez pas de grand-chose. »

« J'ai passé 5 jours dans une chaleur épouvantable sans eau ni nourriture, vous m'excuserez. »

« C'est pour cela qu'il faut que vous mangiez. » dit Jack Sparrow en lui montrant le poulet du menton.

La jeune fille crevait toujours de faim, mais elle avait d'autres questions à lui poser d'abord.

« Pourquoi m'avez-vous recueillie ? » dit-elle en plantant son regard dans le sien.

« Je n'aurais pas pu vivre en sachant que je vous avais laissée mourir. »

La jeune femme sut qu'il mentait. Les pirates ne s'intéressaient qu'à eux-mêmes. L'altruisme et la générosité, c'était pour les autres. Le sort des malheureux leur importait peu.

« Vous mentez. » dit-elle d'un ton sec.

Le pirate eut un sourire, comme impressionné par l'assurance dont elle faisait preuve.

« Peut-être. » s'amusa-t-il.

« Comment pourrais-je vous faire confiance ? »

« Si j'avais l'intention de vous faire du mal j'aurais eu toute la journée pour ça. Ou alors j'aurais empoisonné la nourriture et vous seriez morte à l'heure qu'il est. Ou bien j'aurais fait encore plus simple et vous aurais laissée sur cette vieille chaloupe. Mais vous pensez ce que vous voulez. »

Esmée resta interdite quelques secondes. Effectivement, vu comme ça, il n'y avait aucune raison de se méfier de lui.
La jeune fille repensa à sa mère, à la dernière image de son navire et cligna des yeux pour retenir les larmes qui menaçaient de s'échapper.

« Savez-vous que... » commença-t-elle d'une voix affaiblie.

« Oui. Les nouvelles se répandent vite. »

« Savez-vous qui... »

« Non. »

Esmée prit une longue inspiration. Ce n'était que maintenant qu'elle se rendait compte qu'elle était complètement seule. Jack Sparrow l'avait sauvée, mais à quoi bon ? Elle était née sur le Revenge et avait toujours cru qu'elle deviendrait capitaine de ce même navire après sa mère. Elle n'avait jamais envisagé différent scénario. Maintenant que les deux avaient disparu, elle était destinée à errer sans but.

« Que suis-je censée faire, maintenant ? Je n'ai plus de mère et tout ce que je connaissais s'est envolé. Je suis complètement seule. » dit-elle à elle-même.

« Je n'ai pas l'impression que vous soyez seule dans cette pièce. » ironisa le capitaine.

La jeune fille tourna son attention vers lui.

« Et pourquoi voudriez-vous m'aider ? »

Le pirate haussa les épaules.

« Disons que si vous acceptez de rester sur ce navire ce sera votre cadeau de remerciement. Et puis, vous avez nulle part ailleurs où aller, comme vous venez de le dire. Vous n'avez donc pas beaucoup de choix. En revanche, si cela ne vous convient pas, je peux très bien vous déposer à Tortuga... »

« Non ! » rugit-elle.

Esmée avait passé peu de temps sur île, seulement juste assez pour qu'elle n'y trouve qu'un endroit de débauche et se promette de ne jamais finir là-bas. Même la mort de sa mère ne l'amènerait pas à briser la promesse qu'elle s'était faite. Jamais elle ne finirait comme tous ces pirates ratés qui passaient la journée et la nuit à noyer leur honte et déprime dans l'alcool, les femmes et la violence.

« Mais en quoi vous serais-je utile ? » demanda-t-elle au capitaine.

Comme si elle avait fait mouche, le pirate se dépêcha de s'asseoir à côté d'elle, se pencha dans sa direction et sourit, révélant deux dents en or.

« Chérie. » commença-t-il. « As-tu déjà entendu parler du trésor de l'Isla de la Muerta ? »

*Mary Read est une pirate qui a véritablement existé, ainsi que son navire, le Revenge ;)
bien évidemment j'ai modifié leur histoire !

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