chapitre 24
Ce fut au lever du jour qu'un navire de la Compagnie des Indes creva l'horizon. Il se dessina lentement parmi les nuages qui cachaient la mer, puis émergea de la brume aveuglante tel un drapeau blanc sur une peinture bleue. Esmée plissa les yeux pour le regarder se rapprocher, et sentit la colère agripper ses entrailles.
« Voici l'ennemi ! » hurla Marty. « A l'attaque ! »
L'équipage explosa dans des cris de guerre et levèrent leurs armes. Esmée fut tentée de les imiter, lorsqu'une peinture à laquelle elle ne s'était pas attendue lui retira toute envie de s'emporter.
Devant eux, une armada de navires se détachait de la brume et suivait le bâtiment. Le sang d'Esmée cessa de tourner dans son organisme et se figea dans ses veines. Elle n'avait pas prévu qu'une telle armée viendrait les affronter.
Les pirates cessèrent de crier, et un silence de mort accompagna la désillusion. Esmée se tourna vers Jack et Barbossa, tandis que l'équipage la toisait de regards noirs. Ils regrettaient déjà de l'avoir suivie. La jeune femme les ignora royalement. Lâches.
« Nous ne les vaincrons jamais. » chuchota Barbossa pour que personne d'autre ne les entende. « Ton courage était remarquable, Esmée, mais il ne nous est plus assez suffisant. »
« On ne peut pas abandonner ! » grinça-t-elle. « C'est ce que Beckett veut : qu'on abandonne sans même avoir essayé. »
« On ne peut rien faire d'autre ! Tout notre effectif est ici ! Et Beckett a le Hollandais Volant ! »
Esmée serra les poings et se mordit la lèvre pour ne pas jurer au visage du pirate. Même durant un temps de guerre qui les obligeait à collaborer elle ne parvenait pas à ressentir de la sympathie à son égard.
« Il y a peut-être un autre moyen. » intervint Jack.
« Lequel ? » demanda Esmée d'une voix plus pressante qu'elle ne l'aurait voulu.
« Pourparlers. »
Barbossa ricana, Esmée réfléchit.
« La barbe avec tes pourparlers ! » grogna le pirate.
« Jack a raison. Nous pourrons peut-être négocier avec Beckett. Nous devons essayer... De toute façon nous n'avons rien d'autre. » dit Esmée.
« Tu nous conduis tout droit à la mort. »
« Nous avons déjà un pied dans la tombe, alors autant essayé. Et puis c'est moi qui décide. Si tu n'es pas d'accord tu n'as qu'à rester sur le navire ! »
Barbossa n'ajouta rien, alors Esmée envoya Ragetti porter la nouvelle à Beckett. Une demi-heure plus tard, il revint avec une réponse positive : Beckett les attendait sur l'îlot le plus proche. Barbossa prit la barre à contrecœur et les conduisit jusqu'à l'emplacement. Esmée demanda à Elizabeth de veiller sur le Pearl et partit à la rencontre de Beckett avec Barbossa et Jack.
Ils ramèrent et marchèrent jusqu'à l'île sans un mot. Esmée mit sa main sur son arme, prête à la dégainer au moindre dérapage. Elle ne quitta pas des yeux ses adversaires qui grossissaient au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient, refusant de montrer quelque signe d'intimidation. Elle n'avait pas peur.
Une fois devant lui et Jones, elle fut prise d'un haut le cœur. L'apparence marine du pirate la repoussait toujours autant, et sa soif de vengeance n'avait pas décroit. Mais cette fois-ci, c'était envers Beckett qu'elle ressentait le plus de colère.
A leur droite, Will la regardait. Elle ne fit pas un signe dans sa direction, désormais insensible au devenir du forgeron. Il avait choisi son camp et elle le sien, ils n'avaient plus rien à se dire.
« Tu es le misérable qui a conduit ces loups à notre porte ! » grogna Barbossa à ce dernier.
« Ne blâmez pas Turner. » dit Beckett. « C'est seulement l'instrument de votre trahison. Si vous voulez voir son grand architecte, regardez à votre gauche. »
Esmée fusilla Jack du regard. Le pirate fit semblant de ne pas comprendre ni de la voir. Elle décida de ne rien dire... pour l'instant.
« J'ai pas les mains sales... » dit-il. « Enfin, au sens figuré. »
« Je n'ai agi que dans mon intérêt et de mon propre chef. » intervint Will. « Jack n'a rien à voir avec ça. »
« Vous faites un beau duo d'égoïstes. » cracha Esmée en le regardant droit dans les yeux.
Will ne dit rien, et baissa les yeux. Esmée espéra voir du regret dans ses pupilles, mais rien ne s'y reflétait. Ils avaient définitivement pris deux chemins différents.
« Si Turner n'a pas agi pour votre compte, comment en est-il arrivé à m'offrir ceci ? » reprit Beckett en montrant le compas de Jack. « Vous vous êtes engagé, Jack, à me livrer les pirates. Et voilà. Ne soyez pas timide, avancez revendiquer votre rétribution. »
« Ta dette envers moi n'a toujours pas été satisfaite ! » aboya Jones qu'Esmée avait presque oublié. « Tu me dois 1 siècle d'esclavages, pour commencer ! »
« Cette dette a été entièrement payée... avec l'aide... de mes... amis... »
Esmée eut un sourire. Si Jack tenait temps à mettre la main sur le cœur, elle n'avait qu'à l'envoyer le chercher pour eux. Il lui devait bien ça. Une fois ceci fait, Beckett ne serait plus aussi redoutable qu'il pensait l'être.
« Je propose un échange ! » déclara-t-elle en coupant court à la discussion qui animait les deux pirates. « Will vient avec nous... et nous vous laissons Jack. »
« D'accord. » répondit aussitôt Will.
Esmée fut tentée de lui dire qu'elle le prenait seulement parce qu'elle n'avait pas d'autre choix, mais choisit de se taire.
« Pas d'accord ! » répliqua Jack.
« D'accord. » dit Beckett.
« Jack est un Seigneur des Pirates, lui aussi. Tu n'as pas le droit ! » rugit Barbossa au visage d'Esmée.
« Oh... vraiment ? Pourtant il me semble que je suis Roi... » répliqua-t-elle.
Elle se tourna vers Jack et attendit sa réponse. Le pirate lui sourit, et lui fit la révérence. Esmée eut un rictus. Il avait compris.
« A votre service, sérénissime... » dit-il.
« Misérable ! »
Barbossa dégaina son arme et envoya un coup au visage de Jack. La lame coupa une de ses dreads sur laquelle pendait la pièce de huit.
« Si tu veux révéler un secret, je pourrais tout aussi bien révéler le mien... » marmonna-t-il à Jack.
« C'est le premier arrivé qui gagne... » répondit celui-ci.
Il contourna Will en le défiant des yeux et se positionna à la droite de Jones. Will prit sa place.
« Prévenez votre Confrérie. » commença Beckett à l'intention d'Esmée. « Ou vous vous battez et chacun de vous mourra, ou vous ne vous battez pas et il y aura éventuellement quelques survivants. »
La jeune femme ne trembla même pas. Cela faisait longtemps que ses discours à la noix ne l'intimidaient plus. D'un pas sûr, elle se rapprocha de lui et ancra ses yeux sombres dans ceux de son adversaire.
« Je préfère mourir que de vivre sous votre commandement. » grinça-t-elle. « Nous allons nous battre, et c'est vous qui mourrez. J'en fais la promesse. »
Sans un mot de plus elle fit volte-face et laissa le trio derrière elle. Barbossa et Will partirent à sa suite.
« Tu es Roi... » dit Will.
« Il s'est passé des choses pendant que tu collaborais avec l'ennemi. » envoya Esmée.
Le garçon ne répondit rien et ils ne s'adressèrent plus la parole de tout le trajet. Will lui en voulait de ne pas essayer de le comprendre et Esmée lui en voulait de l'avoir trahie pour une cause perdue. Surtout, elle avait autre chose à penser.
De retour sur le Pearl, Elizabeth se jeta au cou de Will et Esmée se figea. Pintel et Ragetti guidaient Calypso sur le pont, enchainée par des cordes. Elle se tourna immédiatement vers Barbossa.
« Barbossa, vous ne pouvez pas la libérer ! » dit Will.
« Il faut laisser une chance à Jack ! » continua Elizabeth.
Les fiancés furent tus par des pistolets qui glissèrent sous leur gorge.
« Toutes mes excuses ! » railla celui-ci. « Le destin n'est plus entre mes mains depuis trop longtemps ! »
« Calyspo ne nous aidera pas ! » s'écria Esmée. « Elle est folle de rage contre vous, elle nous anéantira ! »
Mais Barbossa ne semblait plus l'entendre. Il lui arracha le collier de Sao Feng et se rapprocha de la déesse. Esmée fut tentée de lui envoyer un coup de sabre, mais les hommes autour la surveillaient. A la place, elle dut le regarder mettre les neufs pièces de huit dans un bocal et allumer une broche.
Cet imbécile court à sa perte et ne s'en rend même pas compte. Nous sommes tous foutus.
« Calypso, je te délivre enfin de ta prison humaine ! » chanta-t-il.
Esmée se mordit la lèvre pour ne pas lui rire au nez. Barbossa mit feu au bocal, attendit, mais rien ne se passa. Esmée leva les yeux au ciel. Quel incapable.
« Non... non. Il ne faut pas le dire comme ça. » dit Ragetti. « Il... il faut le dire mieux que ça. »
Esmée regarda la pirate à l'œil manquant approcher sa bouche de l'oreille de Calyspo et lui susurrer les neuf mots de délivrance.
La tête de Calypso bascula en arrière, et la déesse cracha dans le bocal qui prit feu aussitôt. Esmée eut un mouvement de recul.
« Tia Dalma ! » s'exclama Will. « Calypso... quand la première Confrérie vous a emprisonnée, qui leur a expliqué comment il fallait s'y prendre ? Je vous en conjure, qui vous a trahie ? »
« Nomme-le ! » rugit-elle.
« Davy Jones ! »
Le nom du pirate eut l'effet d'une bombe. La déesse se mit à trembler de tous ses membres, puis prit de la hauteur. Sous le regard paniqué d'Esmée et l'agitation des pirates, elle dépassa le mât du bateau en moins de quelques secondes et atteignit une taille de géant. Sa tête touchait pratiquement les nuages. Esmée ne bougeait plus, paralysée par la stupéfaction et la peur.
Barbossa leur fit signe de s'abaisser. Esmée s'exécuta, et l'écouta implorer la clémence de la déesse.
« Calypso... je ne suis devant toi qu'un simple serviteur, humble et repentant ! J'ai exaucé mon vœu envers toi et je te demande faveur ! Épargne-moi, mon navire, et mon équipage, mais déclenche ta fureur envers ceux qui se prétendent maintenant tes maîtres... ou les miens ! »
Quand elle vit Calypso sourire, Esmée eut l'espoir qu'elle réponde à sa faveur. Mais il fut de courte durée. La déesse se mit à gesticuler dans des grognements incompréhensibles et disparut dans une avalanche de crabes blancs. Esmée les regarda immobile tomber sur le navire et ensevelir l'équipage. Comme la déesse l'avait promis, Esmée demeura debout et intacte, épargnée par les crabes.
Une fois la tempête passée, elle aida Elizabeth à se relever et à se débarrasser des crustacés qui s'accrochaient à sa peau et vêtements. De longues minutes plus tard, le calme revient.
« Et c'est tout ? » dit Will.
« Ça ne nous aide pas tellement... » grommela Pintel.
« J'avais dit qu'elle ne nous aiderait pas ! Mais il faut toujours que tu n'en fasses qu'à ta tête ! Regarde où ça nous mène ! » rugit Esmée.
Fulminante de rage, elle balança un coup de poing au visage de Barbossa dont la tête partit en arrière. Aussitôt, l'équipage s'agita et Will lui attrapa les bras pour l'immobiliser. Elle fit de son mieux pour se débattre, mais il la tenait trop fort.
« A quoi tu t'attendais, sombre imbécile ? » cria-t-elle alors tandis que les pirates aidaient Barbossa à se relever. « Qu'après des années à être emprisonnée par votre faute tes paroles minables allaient suffire à l'amadouer ? Qu'elle allait prendre pitié de toi, c'est ça ? Maintenant que tu l'as libérée nous avons un adversaire en plus ! Tu nous conduis à notre perte ! »
Barbossa s'apprêta à répliquer, lorsqu'un souffle de vent fort et glacial les interrompit. C'était un souffle inordinaire, de ceux que les éléments ne provoquaient pas. Esmée leva la tête : le ciel bleu disparaissait derrière de gros nuages noirs chargés de colère et de rancune. Elle échangea un regard avec Elizabeth : Calyspo.
« Ce n'est pas terminé... » marmonna-t-elle.
« On a une armada contre nous. » dit Gibbs. « Et ils ont le Hollandais Volant. »
« Il nous reste une petite chance. »
« La vengeance ne ramènera pas ta mère, Esmée. » dit Barbossa. « Et je ne tiens pas à mourir pour une cause perdue. »
Esmée se tourna vers lui. Derrière eux, Will et Elizabeth attendaient.
« Ma mère ? Ce n'est pas que pour ma mère que je suis là. C'est aussi pour le père d'Elizabeth, pour celui de Will, pour tout ce que nous a pris Beckett et pour ce qu'il s'apprête à nous voler. Les océans, la liberté, l'aventure... c'est pour ça que je me bats. Les pirates ne combattent-ils pas même quand l'espoir est absent ? »
Elle détourna son attention du pirate et regarda l'équipage qui attendait, muet. C'était pour eux qu'elle se battait, pour le bruit des vagues, le goût du sel, l'odeur du bois mouillé et de la poudre à canon. Elle se battait pour ceux qui périssaient sous le nom de la piraterie, qui vivaient en se proclamant pirates et qui rêvaient d'aventure et de voyage. Elle se battait pour les jours où elle avait admiré le soleil se coucher et se lever sur l'océan, les nuits où les mers se déchaînaient et semblaient infinies. Elle se battait pour ce qu'elle avait autrefois été, et ce qu'elle continuait d'être au plus profond de son âme. Ceci, Beckett ne le lui prendrait jamais. Oui, il fallait qu'ils se battent.
« Écoutez-moi ! » cria-t-elle en se faufilant parmi l'équipage. « ECOUTEZ ! »
Elle monta sur le bastingage pour être aperçue de tous et s'accrocha au cordage. Les pirates la regardaient tous, muets et immobiles.
« Nos frères attendent que nous lancions l'offensive ! Que le Black Pearl les guide ! Et que vont-ils voir ? Une bande de rats effrayés à bord d'une veille épave ? Non ! Non, ils ne verront que la liberté et des hommes libres ! Et nos ennemis ne verront que les éclairs de nos canons ! Ils n'entendront que le fracas de nos sabres ! Et ils sauront que vous et moi nous sommes capables de tout ! Par la sueur de notre front et la force de nos bras et le courage de notre cœur, chers amis... hissez nos couleurs. »
Esmée trouva le regard d'Elizabeth qui hocha la tête.
« Hissons nos couleurs ! » répéta-t-elle.
« Oui ! Le vent joue en notre faveur ! Que voulez-vous de plus ? » cria Gibbs.
L'équipage partit dans des cris de guerre et levèrent leurs armes comme un seul homme en reprenant le mantra. Esmée les regarda faire avec un sourire immense. Ils avaient retrouvé leur courage et leur soif de vaincre, elle avait retrouvé ce qu'elle avait tant aimé.
« HISSONS NOS COULEURS ! » hurla Esmée à leurs alliés.
Ils répondirent dans des cris. Autour d'eux, les drapeaux furent dressés et les canons apprêtés dans une euphorie sauvage. Le vent soufflait plus fort, et les nuages grondaient. Les pavillons brillaient sous la fureur des éléments. Le moment était venu.
Le cœur d'Esmée tambourinait si fort dans sa poitrine qu'elle crut qu'il allait exploser. Elle n'en tint pas rigueur, et se tourna vers les navires de la Compagnie qui attendaient leur offensive pour riposter. Habitée par une détermination sans faille, elle sourit et repensa à une des dernières choses que lui avait dites Jack.
Tu es exactement là où tu devrais être.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top