Le soulagement fut de courte durée. Barbossa braqua son pistolet sur Jack. Esmée réagit au quart de tour et pointa le sien sur Barbossa qui fit de même. De son côté, Will menaça Barbossa de son arme ainsi que Jack qui imita son geste. Esmée braqua son pistolet vers lui, Elizabeth lui répondit et pointa sa seconde arme vers Jack qui l'imita. Ainsi, ils avaient chacun deux pistolets pointés sur eux.

Il eut un silence pendant lequel ils se toisèrent tels des chiens sur le point de s'arracher les oreilles, puis Barbossa éclata d'un rire gras et relâcha l'emprise sur ses pistolets. Esmée se permit de laisser échapper un gloussement nerveux et Jack, Will et Elizabeth ne tardèrent pas à les suivre.

Soudain, le pirate cessa de rire et reprit son air sérieux.

« On a assez ri ! Le Tribunal de la Confrérie se réunit à la Baie des Naufragés et Jack, toi et moi nous y allons, et je ne veux pas de controverse sur ce point ! » brailla-t-il.

« Oh, je ne discute pas ce point... Si les pirates se réunissent, je vire de bord immédiatement ! »

« Les pirates se réunissent pour combattre Beckett et tu es un pirate ! » rétorqua Elizabeth en tournant son pistolet sur Jack.

« Bats toi ou pas, mais tu ne fuiras pas. » ajouta Will en imitant sa fiancée.

« Si nous refusons de nous unir ils nous pourchasseront l'un après l'autre et à la fin il ne restera plus que toi ! »

« Moi ça me conviendrait... » Jack eut un sourire rêveur. « Capitaine Jack Sparrow, le dernier des pirates... »

« La mort ne t'a donc rien appris ? » rugit Esmée en braquant ses deux pistolets sur Jack. « Il ne s'agit plus que de toi aujourd'hui, mais de tous les océans, de tout ce qui fait de nous des pirates. Une fois que Beckett nous aura tous exterminés il ne te restera plus rien. Tu es stupide si tu crois qu'il te laissera naviguer librement sur le Black Pearl ! »

En voyant le visage impassible de l'homme qu'elle avait tant aimé, Esmée se rendit compte que Barbossa avait raison : Jack n'avait pas plus de moral que quiconque autre pirate, il était exactement comme tous ceux qui naviguaient les flots. Au fond d'elle-même, elle avait espéré que la mort lui aurait inculqué altruisme et générosité, qu'il lui aurait prouvé contraire, mais rien ne changeait Jack, pas même un châtiment éternel. Et elle en était profondément déçue.

« Je croyais que tu ne voulais plus être pirate... » répondit-il.

La colère serra les poings d'Esmée autour de ses pistolets et elle désactiva la gâchette.

« Ne me cherche pas, Jack. »

Le pirate ne dit rien, visiblement surpris par l'émotion qui déformait les traits de son visage.

« Si tu es le dernier des pirates, tu devras affronter Jones tout seul, est-ce que tu as tenu compte de ça dans ton plan ? » reprit Barbossa.

« Je dois peaufiner les détails. Mais je ne vais sûrement pas retourner là d'où je viens. Ça, je le sais. »

Jack appuya sur la détente, mais rien ne sortit. Esmée et ses camarades firent de même, sans résultat. Aucun des pistolets ne fonctionnait.

« La poudre est mouillée ! » maugréa Gibbs.

Esmée soupira et rangea ses armes inutiles dans sa veste. Forcés à cohabiter, ils décidèrent d'accoster à la prochaine île pour se réapprovisionner en eau et nourriture. Le voyage avait été si long et éprouvant que leurs réserves étaient désormais vides. Jusqu'à ce qu'ils arrivent, Esmée se tint à l'écart de Jack, remontée contre lui. Elle n'arrivait pas à croire qu'il soit prêt à sacrifier la piraterie entière pour sa petite personne, même alors qu'elle le connaissait depuis des années et qu'elle savait qu'il avait toujours été ainsi. Ses paroles étaient obscènes et son comportement imbuvable.

Une fois arrivés, elle insista pour embarquer dans la chaloupe avec Jack et Barbossa, et laissa Will et Elizabeth veiller sur le Black Pearl. Ils se laissèrent porter par les vagues, et lorsqu'ils mirent pieds à terre, Esmée fut prise d'un tremblement.

« Sacrebleu... » marmonna Pintel.

« Nom d'une méduse... » dit Ragetti.

Devant eux, l'immense carcasse du Kraken reposait sur le sable.

La jeune femme jeta un coup d'œil à Jack qui ne quittait plus la bête des yeux. Sans un mot, ils se dirigea vers elle, suivi par ses deux camarades. Esmée n'arrivait pas à regarder ailleurs, bouche bée par l'imposante créature. Maintenant morte, elle paraissait moins effrayante, mais toujours aussi impressionnante. Esmée dut se boucher le nez lorsqu'une odeur de décomposition lui parvint aux narines.

« Tu penses toujours à fuir, Jack ? Tu penses toujours pouvoir courir plus vite que le monde ? » dit Barbossa une fois devant la bête.

Jack ne réagit pas. Ses yeux étaient hantés par les souvenirs du Kraken en train de l'engloutir. Il regardait un fantôme de ses cauchemars.

« Jack... que feras-tu quand il n'y aura plus personne pour partager les océans avec toi ? » demanda Esmée en se plaçant à ses côtés. « Que feras-tu quand il n'y aura plus que la mort pour t'attendre ? »

« Barbossa et moi sommes la preuve vivante que les choses peuvent revenir. »

« Calypso a ressuscité Barbossa et tu es ici parce que nous sommes venus te chercher. Mais sans personne pour te secourir, comment fuiras-tu la mort ? »

Jack garda le silence quelques secondes. Il avait perdu son sourire égocentrique, son visage malicieux avait laissé place à une façade froide, triste.

« On convoque le Tribunal de la Confrérie, alors ? » marmonna-t-il.

« C'est notre seul espoir. » dit Barbossa.

« C'est un triste bilan de notre situation. »

« Autrefois le monde était beaucoup plus grand. »

« Le monde est toujours le même. Il est juste... moins attrayant. »

Les trois camarades restèrent à contempler la carcasse de l'animal en silence, comme pour profiter des derniers instants de leur ancienne vie où l'aventure était plus excitante, avant que tout n'explose dans un déluge de guerre et de mensonges.

...

Ils passèrent l'heure suivante à explorer l'île à la recherche de vivres. Aux abords d'un fleuve, ils tombèrent sur un corps dont la tête avait été transpercée par un couteau. Barbossa goutta l'eau dans laquelle il gisait, et la recracha aussitôt.

« Empoisonnée. Infectée par la mort. » dit-il.

Pintel retourna le corps et ouvrit de grands yeux.

« Je le connais, lui. Il était à Singapour... »

« Capitaine ! » s'exclama Marty en pointant du doigt vers la mer.

Derrière eux, Ragetti s'agitait, montrant de gestes paniqués le navire. Esmée fut prise d'un hoquet lorsqu'elle vit que l'un des bateaux de Sao Feng se rapprochait du Black Pearl. Elle voulut dire quelque chose, quand l'équipage du pirate braqua leurs armes sur eux. Esmée s'immobilisa, prise au dépourvu.

« C'est lui, le capitaine. » dit Jack en montrant Barbossa.

Désarmés, ils durent suivre les hommes de Sao Feng jusqu'au Black Pearl, que le pirate avait perquisitionné. Ceux-ci les accueillirent sous des cris de guerre et de victoire, et les poussèrent avec le reste de l'équipage. Sao Feng s'immobilisa en face d'eux, et Esmée le fusilla des yeux, bouillonnante de colère.

« Jack Sparrow... » siffla-t-il au pirate qui lui sourit nerveusement. « Vous m'avez gravement insulté, autrefois. »

« Oh, ça, ça ne me ressemble pas... »

Sao Feng lui asséna un coup de poing au nez. Esmée grimaça et le regarda remettre son os en place.

« Comme ça, je suppose qu'on est quittes... » dit-il d'une voix déformée.

« Libérez-la ! Elle ne fait pas partie du marché ! » s'exclama Will en montrant Elizabeth du doigt.

Esmée fronça les sourcils. De quel marché parlait-il ? Comme s'il avait lu dans ses pensées, Barbossa posa la question.

« De quel marché parle-t-il ? »

« Vous avez entendu le capitaine Turner ? » ricana Sao Feng. « Relâchez-les. »

Esmée fit les gros yeux tandis que l'un des hommes du Seigneur Pirate détachait les mains d'Elizabeth. Capitaine Turner ? Qu'est-ce que c'était que cette histoire ?

« Ce rat perfide a monté une mutinerie contre nous ! » grogna Gibbs.

Esmée fit volte-face vers Will. Le cerveau de la jeune femme refusait d'envisager cette possibilité.

« Dis-moi qu'il se trompe ! Tu n'as pas fait ça ! » lui dit-elle.

Le garçon évita soigneusement son regard, et Esmée comprit. Aussitôt, une colère noire se glissa dans ses veines et serra son estomac.

« Il me faut le Pearl pour libérer mon père. » marmonna le forgeron. « C'était ma seule raison de me joindre au voyage. »

« Ton père ?! » rugit Esmée. « Celui qui t'a abandonné alors que tu n'étais qu'un enfant ? Celui qui n'a même pas essayé de vivre pour toi ? Celui que tu croyais n'être qu'un gentil marin décédé il y a deux ans de cela ? Ne me fais pas rire ! Pourquoi voudrais-tu le libérer ? Il a l'air de s'être facilement passé de toi ces 27 dernières années ! »

« C'est mon père... »

« Je me fiche bien de savoir si c'est ton père, ta mère, ou ton frère ! Jamais je ne me serais retournée contre toi pour qui que ce soit, Will, et encore moins pour quelqu'un qui n'a jamais essayé de me revoir ! Tu n'es qu'un traître et tu ne vaux pas mieux que lui et les hommes avec qui il navigue ! »

Quelque chose se brisa dans le regard de Will, mais Esmée resta insensible à son visage contrit, et se contenta de le foudroyer du regard. Elle n'avait jamais éprouvé une telle colère, plus depuis que Barbossa avait mené la mutinerie contre Jack. Elle avait toujours su que n'importe qui à bord du Black Pearl pouvait avoir la mauvaise idée de recommencer, mais jamais elle n'avait imaginé que cela viendrait de Will. Venant de lui, de celui qu'elle avait sauvé, de celui avec qui elle s'était liée d'amitié, c'était inacceptable. Elle n'aurait jamais pu croire qu'il fût capable d'une telle chose, ni qu'elle puisse éprouver un tel mépris à son égard.

« Il lui faut le Pearl. Le capitaine Turner a besoin du Pearl. » dit Jack. « Vous, vous aviez des remords » poursuivit-il en s'adressant à Elizabeth.  « Toi, tu veux venger ta mère. » continua-t-il à Esmée. « Et toi et ton Tribunal de la Confrérie... » railla-t-il au visage de Barbossa. « Alors aucun de vous n'est venu me sauver parce que je lui manquais ? »

Esmée leva les yeux au ciel. Ce n'était pas le moment de jouer l'un de ses petits numéros.

Sao Feng lui agrippa l'arrière du crâne et l'empêcha de bouger.

« Je suis navré, Jack, mais un de tes vieux amis aimerait d'abord te voir. » lui siffla-t-il à l'oreille.

Derrière eux, un navire de la Compagnie des Indes se rapprochait doucement. Lorsqu'ils furent arrivés à leur niveau, Jack fut envoyé dans les appartements de Beckett et les soldats débarquèrent sur le Pearl.

« Mon équipage se suffit à lui-même. » déclara Sao Feng à Mercer.

« La Compagnie équipe ses propres vaisseaux. » répliqua celui-ci.

« Vous aviez dit que je commanderais le Black Pearl ! » s'emporta Will.

Sao Feng eut un sourire mauvais.

« C'est ce que j'avais dit. »

Il fit signe à l'un de ses hommes qui balança un coup de poing à l'estomac de Will. Celui-ci se plia en deux sous la douleur, et Esmée ne ressentit aucune peine pour son ancien ami. Elle dissimula même un sourire satisfait en se mordant les lèvres. Will fut placé à ses côtés, qu'elle ignora royalement.

« Beckett avait dit que le Black Pearl serait à moi ! » dit Sao Feng à Mercer.

« Lord Beckett tient à ce navire qui seul peut distancer le Hollandais Volant. »

Mercer se dégagea de son emprise et retourna sur le navire de la Compagnie. Derrière Sao Feng, Esmée et Barbossa durent faire violence pour ne pas ricaner.

« Dommage qu'il ne soit pas obligé d'honorer le Code de la Confrérie des pirates. » commença Barbossa. « Parce que l'honneur est extrêmement rare ces temps-ci. »

Esmée eut du mal à ne pas éclater de rire. Sao Feng tourna un visage rouge de rage vers Barbossa.

« Il n'y a aucun honneur à demeurer aux côtés des perdants. Rejoindre le camp des vainqueurs, voilà ce qui est de bonne guerre. » grinça-t-il.

« Vous croyez qu'on a échoué ? »

« Ils ont le Hollandais Volant, et le Pearl ! Dis-moi ce que possède la Confrérie ! »

« Nous avons... Calypso... »

Sao Feng glissa son regard sur Esmée qui frémit. La prenait-il pour...

« Calyspo... » ricana-t-il. « Une antique légende. »

« Non ! » répliqua Barbossa. « La déesse elle-même, prisonnière d'une simple enveloppe charnelle. Imagine tous les pouvoirs de l'océan déchaînés contre notre ennemi. Et je compte la libérer. C'est pour ça que je réunis le Tribunal de la Confrérie. Toute la Confrérie. »

Sao Feng sembla étudier ses propos, puis son regard s'illumina et son visage se déforma en un sourire cruel. Il se rapprocha d'Esmée qui soutint son regard de serpent.

« Qu'est-ce que vous proposez ? » demanda-t-il à Barbossa.

« Qu'est-ce que vous acceptez, capitaine ? »

« La fille. » dit-il en fixant Esmée.

« Quoi ? » s'exclama Elizabeth.

« Absolument hors de question ! » dit Barbossa.

« On ne marchande pas Esmée ! » s'insurgea Will.

Esmée le fusilla du regard et lui fit signe de se taire.

« C'est d'accord. » déclara-t-elle.

« Quoi ? » dit Will.

« Si on en est là c'est à cause de toi, alors s'il faut ça pour nous libérer de ton chantage raté je le fais ! Et n'essaie même pas de me retenir, je n'ai aucun conseil à entendre de ta part ! C'est d'accord ! »

« Mais Esmée... » voulut dire Barbossa.

« Silence ! » rugit-elle. « Je ne recevrai pas d'ordres de votre part !  Vous êtes les dernières personnes avec qui j'ai envie de discuter alors fermez-la !! C'est d'accord ! »

Sao Feng eut un sourire satisfait.

« Il semblerait que nous ayons un accord. » maugréa Barbossa.

Sao Feng fit signe à deux de ses hommes d'amener Esmée jusqu'à son navire. La jeune femme adressa un sourire rassurant à une Elizabeth visiblement inquiète, dernière personne qu'elle arrivait à supporter. Lorsqu'elle fut à bord, les canons de Sao Feng explosèrent et s'échouèrent sur le navire de la Compagnie dans des fracas assourdissants. Elle se pencha par la fenêtre et remarqua que Barbossa et le reste de l'équipage avaient récupéré le Pearl. Bientôt, ils prirent de la distance et devinrent un point à l'horizon.