chapitre 2
Dehors, la ville ressemblait à une apocalypse : les hommes se battaient contre les pirates tandis que femmes et enfants couraient dans tous les sens, pourchassés par les délinquants. Les canons venaient exploser contre les habitations et détruisaient les commerces dans des bruits assourdissants, les pirates forçaient chaque maison et abattaient tous ceux qui montraient seulement un peu de résistance.
Esmée se précipita vers la mer, habitée par une soudaine haine qu'elle avait gardée enfouie dans ses entrailles depuis bien trop longtemps. Soudain, elle se figea : et si le pirate capturé était le capitaine du Black Pearl et qu'ils étaient venus le chercher ? Ne serait-ce pas plus simple d'aller directement le tuer dans sa prison ?
Elle fit demi-tour et se précipita vers la prison, jusqu'au moment où un pirate aux dents noirs et au regard animal bloqua son passage, épée pointée vers elle.
« Où crois-tu que tu vas, ma jolie ? » ricana-t-il.
« Dégage de mon chemin ».
Le sourire narquois du pirate quitta son visage et il abattit son arme. Esmée réagit immédiatement : elle esquiva son coup et lui planta la pointe de son arme dans son cœur. Le pirate s'écroula face contre terre. Elle reprit son chemin en évitant les corps et les zones en proies aux flammes et abattit ceux qui se trouvèrent sur son chemin, non sans récolter quelques blessures en retour. Lorsqu'elle arriva à la forteresse, elle se trouva devant une impasse : elle ne savait pas où se trouvait la prison. Elle n'avait pas réfléchi et avait suivi sa colère aveuglément.
Un cri lui fit tourner la tête. Esmée lâcha un hoquet : quatre pirates enlevaient la fille du Gouverneur. Aussitôt, elle renonça à la prison, laissa tomber sa haine brûlante et se jeta à leur poursuite. Elle refusait de laisser une femme se faire malmener par ces truands.
« Eh, où est-ce que vous croyez l'emmener ? »
Elle s'interposa devant eux et les menaça de son épée ensanglantée. Les quatre pirates se figèrent immédiatement et la fille du Gouverneur manqua de perdre l'équilibre.
En regardant leurs visages, Esmée eut la mauvaise surprise d'en reconnaître deux : Pintel, avec sa petite taille et son crâne chauve, et Ragetti avec son corps long et son regard ahuri. Non sans paraître choquée, elle renferma la prise sur la garde de son arme
« Tiens, tiens, regarde qui on a là... » ricana Pintel à son coéquipier.
« Mais ça ne serait pas Esmée ? » poursuivit Ragetti en frottant son œil disloqué.
« 10 ans ont passé et vous n'avez toujours pas de quoi t'acheter un faux œil ».
Ragetti afficha une mine vexée et serra les dents.
« Tu serais bien surprise de ce que l'on a fait depuis que tu t'es enfuie. Ça te ferait si peur que tu t'enfuirais une seconde fois. »
« Je n'ai jamais eu peur de vous. C'est votre déshonneur qui m'a dégoûtée. »
Pintel se mit à rougir de colère et rapprocha sa lame des yeux d'Esmée. Son cœur manqua un battement, mais elle n'en montra rien.
« Si j'étais toi j'éviterais de m'emporter. Vois-tu, nous sommes quatre et tu es seule. »
« Assez parlé. Laissez-la partir. »
A côté d'elle, la fille du Gouverneur tentait de se débattre, mais les pirates ne bougeaient pas.
« Et pourquoi ferions-nous ça, poupée ? Tu vas nous supplier, comme la première fois ? Comment tu disais déjà ? Ah oui : s'il vous plaît... »
« ASSEZ ! »
Esmée envoya un coup que Pintel esquiva : aussitôt, les deux associés se jetèrent sur elles tandis que les deux autres pirates emportaient la fille du Gouverneur avec eux. Esmée tenta de les retenir mais ses adversaires étaient bien trop forts : cela faisait des années qu'elle n'avait plus magné l'épée ; elle manquait de maîtrise et de rapidité.
Elle esquiva leurs lames en s'abaissant et planta son arme dans le ventre de Pintel. Les trois se figèrent, comme si le temps s'était arrêté, et Esmée attendit qu'il ne s'écroule. Mais il n'en fit rien. A la place, il se mit à ricaner et avança vers elle d'un pas menaçant avec un mauvais sourire sur le visage.
« Qu'est-ce que... » marmonna-t-elle.
C'était impossible. Un tel coup tuait n'importe qui. Il était impossible qu'il ne s'en sorte intact.
« Surprise, poupée. Il se trouve que nous avons accompli quelques petites choses en ton absence. » rit Pintel d'une voix railleuse, tandis qu'elle reculait, complètement déstabilisée.
« Et aujourd'hui nous sommes venus les réparer, » poursuivit Ragetti. Tu vois, on ne peut pas laisser la demoiselle s'en aller puisqu'elle possède quelque ch... »
« Tais-toi ! Elle ne doit pas savoir ! Cela suffit ! » Pintel reconcentra son attention sur Esmée. « Écarte-toi ou nous nous occupons de toi ! »
Esmée sentit la lame lui échapper. Pintel ne pouvait pas être vivant. C'était impossible. Elle les regarda tour à tour tandis que la panique montait : bon Dieu, qu'avaient-ils fait ?
« Alors, poupée ? Toujours envie de jouer à l'héroïne ? »
Esmée fut tentée de reprendre le combat, mais elle savait que c'était inutile. Ils ne pouvaient visiblement pas mourir et elle se retrouvait seule contre deux : elle avait perdu d'avance. D'un geste violent elle leur écorcha le visage et s'enfuit, non sans se maudire cent fois d'avoir une nouvelle fois agi sans réfléchir. Elle les entendit ricaner derrière elle.
De retour chez elle, elle laissa sa colère s'échapper et démolit tout ce qui lui passa sous la main, hormis ses outils de travail. Après des années à attendre ce moment, elle avait enfin eu l'occasion d'obtenir sa revanche, occasion qui lui était maintenant passées sous le nez puisqu'elle avait de nouveau laissé ses émotions l'emporter sur sa raison. Bon sang, à quoi pensait-elle ? Elle, toute seule avec cette vieille épée qu'elle n'avait plus touchée depuis au moins dix ans, contre un équipage entier ? Et puis, qu'est-ce que c'était que ça ? Comment se faisait-il que Pintel ne soit pas mort ? On ne se relevait pas d'un tel coup ! Qu'avaient-ils fait toutes ces années ? Elle se souvenait encore du trésor qu'ils cherchaient avant qu'elle ne quitte le navire, était-il possible qu'ils l'aient trouvé et qu'ils y aient découvert autre chose que de l'or et des bijoux ?
Les pirates finirent par quitter Port Royal et le calme revient dans la ville, cependant Esmée ne parvient pas à trouver le sommeil. A l'aube, tandis que les habitants secoués s'occupaient de réparer les dégâts, d'enterrer les morts et de soigner les blessés, elle se rendit voir le Gouverneur. Si elle n'avait pas pu sauver sa fille, elle pouvait au moins l'aider à le faire. Elle le trouva en compagnie du commodore Norrington sous un porche, dans un calme presque ironique compte tenu de la situation.
« Votre fille a été enlevée ! » s'exclama-t-elle en se plantant face au Gouverneur et au commodore.
Celui-ci, penché sur la carte des mers, lui jeta un regard désintéressé et fit signe à ses gardes de la renvoyer. Esmée se dégagea de leurs emprises et se tourna vers le Gouverneur.
« Je suis sérieuse ! Je les ai vus ! J'ai essayé de les en empêcher mais ils étaient trop nombreux ! Vous devez faire quelque chose ! »
« Vous n'êtes pas la première à venir nous l'en informer, mademoiselle. Veuillez disposer. » continua le commodore.
« Qu'allez-vous faire ? »
« Ce ne sont pas vos affaires. Je suis sûre que vous avez bien mieux à faire. »
Esmée s'apprêta à répliquer puis referma la bouche. Ils n'allaient jamais la croire, peut-être même la jeter en prison. Tant pis, elle se devait d'essayer.
« Vous devez savoir que ces pirates... ils ne peuvent pas mourir. »
La mine du crayon que le commodore tenait se brisa et le Gouverneur fit volte-face brusquement, comme si elle l'avait insulté. Les gardes gloussèrent dans leur uniforme. Un lourd silence s'abattit sur le groupe, tandis que le commodore Norrington relevait la tête et la fusillait du regard.
« Croyez-vous que nous soyons là pour plaisanter, mademoiselle ? » grinça-t-il des dents.
« Je suis sérieuse, je l'ai vu moi-même ! Ils ne... »
« Dites encore une parole et je vous envoie aux fers ».
Esmée se mordit la joue afin de contenir une insulte qui menaçait de s'échapper de sa bouche et les quitta d'un pas sec non sans leur jeter des regards brûlants.
Elle savait que ce qu'elle racontait était difficile à croire, mais avait-elle une tête à plaisanter ? Ce n'était pas en restant debout à admirer les dégâts qu'ils allaient sauver la fille du Gouverneur. Ils devaient faire quelque chose, et vite.
Esmée s'empressa de rentrer chez elle, rangea ses outils dans un coin et se dépêcha de se débarrasser de sa longue robe qui lui serrait la taille. A la place, elle enfila un vieux pantalon marron, une chemise blanche et noua un bandana noir dans ses cheveux rouges emmêlés. Elle accrocha son épée à sa ceinture et quitta sa maison, en direction du port.
Elle ignorait combien de temps le Gouverneur allait mettre à retrouver sa fille, mais ce qu'elle savait c'était qu'elle courrait de grands risques maintenant qu'elle était aux emprises du Black Pearl, et que chaque seconde était cruciale. Bien qu'elle ne la connaisse pas, Esmée refusait de la laisser là-bas. Dieu savait ce qu'ils allaient faire d'elle. Et s'il y avait bien une personne qui pouvait retrouver le navire dans cette ville, c'était elle.
Arrivée sur la berge, elle se mit à longer le port à la recherche d'un équipage qui accepterait de l'accueillir à bord. Seule, elle n'irait jamais loin. Elle vit 3 matelots sortir les voiles et détacher les cordes du pont. Elle leur fit signe et l'un d'eux vint à sa rencontre.
« Que puis-je faire pour vous, mademoiselle ? » demanda-t-il.
« Avez-vous un capitaine avec qui je puisse discuter ? ».
« C'est moi-même. »
« Très bien. Pourriez-vous me prendre à bord le temps d'un voyage ? C'est important. »
Le capitaine eut une moue embarrassée et se mit à éviter son regard.
« C'est que... une femme à bord... »
Esmée eut la soudaine envie de lui donner une gifle mais n'en fit rien. A la place elle prit son air le plus pitoyable.
« S'il vous plaît ! Mon mari est blessé et je ne saurai comment le retrouver toute seule. Il suffira d'un seul voyage, je vous en conjure. »
« Et bien... si c'est pour votre mari... »
« Merci infiniment ! »
Elle lui adressa son sourire étincelant, celui qu'elle offrait à chacun de ses clients pour les convaincre de revenir, et monta sur le pont.
« Attendez ! Où souhaitez-vous aller ? »
Esmée n'eut pas besoin de réfléchir. Il n'y avait qu'un seul endroit où elle pourrait trouver des pirates.
« Oh... Tortuga. »
...
A bord du navire marchand, Esmée se mit à réfléchir. Arrivée à Tortuga, elle allait devoir trouver quelqu'un qui saurait lui donner des renseignements sur le Black Pearl. Cela faisait des années qu'elle n'avait plus entendu parler du navire, et visiblement les choses avaient grandement changé. Elle trouverait forcément un pirate qui pourrait lui expliquer la raison de leur immortalité et la façon de les vaincre. Elle n'avait pas le choix, de toute façon. Si elle voulait sauver la fille du Gouverneur et se venger du capitaine par la même occasion, elle n'avait plus le droit à l'erreur : ce qui signifiait réfléchir avant d'agir.
Elle arriva à la nuit tombée, remercia l'équipage et rejoignit le bruit qui se rapprochait à chacun de ses pas. Arrivée au centre, elle dut faire halte : cela faisait des années qu'elle n'avait plus posé un pied sur cette île et l'odeur de l'alcool, de la crasse et de la mer la renvoyèrent à une époque qui n'existait plus. Son cœur se serra, mais elle n'en fit rien et continua sa route. Elle n'avait pas le temps de s'apitoyer sur son passé.
Elle se rendit compte rapidement que trouver des renseignements se révélerait plus difficile que prévu : soit les pirates étaient ivres morts, soit ils se foutaient sur la gueule. Il lui paraissait impossible de trouver qui que ce soit en état de lui venir en aide.
Décidée à ne pas se laisser abattre, elle évita un homme qui brisa sa bouteille sur la tête d'un autre et pénétra dans une taverne. Assoiffée, elle commanda une bière et l'avala en quelques gorgées tout en faisant glisser son regard sur la pièce, à la recherche d'un homme disposé à discuter. Malheureusement, il n'y...
Le ventre d'Esmée se retourna. Elle avait cru voir... Non, c'était impossible. Les souvenirs la faisaient halluciner, cela ne pouvait pas être autrement. Pourtant...
Soudain, habitée d'une émotion sans pareille, elle se leva et contourna le couple qui se galôchait sans gêne sur le tabouret voisin.
Son cœur omit un battement. Cette fois-ci elle en était sûre, ce n'étaient pas les souvenirs ou l'alcool qui jouaient avec sa tête, elle avait bien aperçu l'homme. Cet homme dont elle reconnaîtrait la démarche entre trente mille autres. Les larmes montèrent à ses yeux et elle se lança à sa suite.
« Jack... »
L'homme, accompagné d'un garçon visiblement plus jeune, ne l'entendit pas et continua sa route. Esmée accéléra le pas.
« Jack ! »
Il ne fit toujours rien. Ou peut-être qu'il ne réagissait pas parce que ce n'était pas lui. Ma pauvre, tu deviens folle. Jack est mort.
Pourtant, elle ne renonça pas et se mit presque à courir pour franchir les derniers mètres qui les séparaient. Elle devait en avoir le cœur net.
« Jack Sparrow ? » dit-elle d'une voix tremblante en posant une main fébrile sur son épaule.
L'homme se retourna et son sourire disparut. Les muscles d'Esmée se figèrent alors qu'elle découvrait le visage de son vis-à-vis. Les années s'étaient déposées sur sa silhouette, mais c'était à peine s'il avait changé. Les yeux sombres maquillés, la peau bronzée par le soleil, la barbe coiffée en deux mini tresses, c'était bien lui. Même dans la nuit elle l'aurait reconnu. Même alors qu'elle ne l'avait plus vu depuis ses 23 ans.
Par tous les dieux des océans... Jack est vivant.
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