chapitre 17
Esmée écoutait Barbossa d'une seule oreille, le regard rivé sur le collier de sa mère qu'elle tenait dans la paume de sa main. Depuis que Jack était parti rejoindre les morts, la figure de Poséidon semblait avoir perdu clarté et lumière, comme s'il s'était assombri avec la disparition du pirate.
Esmée ferma les yeux. Jack. Cela faisait deux mois qu'il avait disparu et la douleur était la même que le premier jour. Esmée avait cru qu'avec le temps passé elle se serait faite à son absence comme elle l'avait fait la première fois, mais la douleur avait bientôt eu raison d'elle. Il ne se passait pas une nuit pendant laquelle elle n'était pas réveillée brusquement par les derniers souvenirs du Black Pearl. Ils surgissaient dans son sommeil comme un cauchemar sorti tout droit des enfers et la laissaient inconsolable pour le restant de la nuit.
Deux mois étaient passés mais c'était comme si Jack était mort hier. Esmée avait l'impression que les derniers mots qu'elle avait échangés avec le pirate dataient de la vieille et que le navire avait été englouti par le Kraken seulement quelques heures plus tôt, comme si le temps s'était figé depuis sa disparition. Comme si la vie d'Esmée s'était arrêtée avec la mort de Jack. Comme si plus rien ne comptait désormais.
« Barbossa a raison. » trancha-t-elle alors qu'Elizabeth et Gibbs se disputaient avec lui. « Nous n'avons pas le choix. »
Elle laissa retomber le collier le long de sa poitrine et offrit un regard convaincu à la fille du Gouverneur qui semblait surprise par son intervention. Elle évita soigneusement celui de Barbossa, refusant d'affronter les pupilles sombres du traître qu'il était.
« Beckett a le cœur et a pris le contrôle du Hollandais Volant, il n'est plus qu'une question de temps avant qu'il ne s'empare de l'entièreté des océans. Si nous attendons sans rien faire, nous finirons tous au bout d'une corde. » continua-t-elle.
Après la disparition du Pearl, il n'avait fallu qu'une dizaine de jours pour apprendre que James Norrington était sorti sain et sauf de l'île et avait ramené le cœur à Cutler Beckett. Celui-ci s'était empressé de prendre le contrôle du Hollandais Volant et gagnait de plus en plus de pouvoir et d'autorité sur les pirates. Bientôt, si rien n'était fait pour l'arrêter, les océans tomberaient sous le contrôle total de la Compagnie des Indes et les pirates seraient exterminés. Pour remédier à cette crise, il avait été décidé de convoquer le Tribunal de la Confrérie, tribunal qui réunissait les 9 pirates des mers, seulement aucune décision n'était prise s'il n'était pas complet, et Jack se trouvait toujours dans l'Antre de Davy Jones. Will était donc allé voler les plans qui leur permettraient de le ramener, mais n'était jamais revenu.
« Will est allé chercher les cartes. Nous n'avons qu'à attendre encore un peu. » marmonna Elizabeth.
Esmée se mordit la lèvre. La fille du Gouverneur n'allait pas apprécier ce qui allait suivre, mais la jeune fille ne pouvait plus se voiler la face. Si Will n'était pas rentré, c'est que quelque chose lui était arrivé. Elizabeth même semblait y croire qu'à moitié, rattachée par l'amour fou qu'elle lui portait.
« Cela fait déjà un mois qu'il est parti et nous n'avons aucune nouvelle. Elizabeth, je ne veux pas t'inquiéter mais cela m'étonnerait qu'il revienne. »
Le regard d'Elizabeth s'assombrit.
« Tu n'en... »
« Nous n'avons plus le temps, Elizabeth ! » s'écria Esmée en perdant patience. « Il faut que l'on convoque le Tribunal de la Confrérie au plus vite, et ce n'est sûrement pas en se reposant sur des espoirs que nous allons le faire ! »
Il eut un silence. Esmée regrettait de s'être emportée contre son amie, mais qui d'autre aurait le courage de lui dire que Will n'était plus leur solution si ce n'était-elle ?
« Alors que proposes-tu ? » demanda Tia Dalma en caressant un serpent blanc qui se tortillait entre ses doigts.
« Nous n'avons pas 4000 solutions, n'est-ce pas ? Pour convoquer le tribunal, il faut que les 9 Seigneurs Pirates soient présents, or Jack est coincé dans l'Antre de Davy Jones. Il faut qu'on le ramène, comme nous l'avions convenu. »
« Nous ne pouvons pas le ramener comme ça. Sans les cartes, nous ne trouverons jamais l'Antre. » dit Barbossa.
« C'est pourquoi nous devons collaborer avec Sao Feng. »
Il eut un silence, comme si chacun peinait à réaliser ce qu'elle venait de dire.
« Il possède les plans, et puis nous n'avons ni navire ni équipage. Sans son aide nous n'irons jamais loin. Nous n'avons pas le choix ! »
« Et que se passera-t-il s'il refuse ? »
« Il ne refusera pas. C'est un Seigneur Pirate, il se sentira tout autant menacé par Buckett que n'importe quel autre. »
Du moins, c'est ce qu'Esmée aimait se dire pour se rassurer. Mais lui et Jack avait connu tant de différends qu'elle doutait que cela suffisse à le convaincre de les aider à ramener Jack parmi les vivants. Néanmoins, c'était leur seul espoir. Ils étaient contraints d'essayer.
Comme ils n'avaient pas d'autre solution, l'expédition fut organisée dans la journée. Barbossa et Elizabeth partiraient à la rencontre de Sao Feng, tandis qu'Esmée, Tia Dalma et le reste de l'équipage couvriraient leurs arrières.
Au moment où ils embarquaient dans les chaloupes, Esmée alla trouver Elizabeth qui semblait ailleurs. Depuis que son fiancé était parti, elle n'était plus la même. Esmée avait vu son visage se ternir avec le temps et la colère grandir dans ses yeux châtains. L'inquiétude la rongeait des pieds à la tête.
« Je suis sûre que Will va bien. » lui dit-elle d'une voix douce.
Elizabeth secoua la tête et lui offrit un faible sourire qui sonnait faux.
« Je ne sais pas où il est, Esmée. S'il lui est arrivé quelque chose...
« Ne dis pas ça. Will est quelqu'un d'intelligent, il sait se débrouiller tout seul. »
« Comme Jack ? Regarde où ça l'a mené. »
Le regard d'Esmée s'assombrit. L'évocation de la disparition du pirate ravivait à chaque fois une douleur qui lui brûlait la poitrine et lui arrachait les larmes. Mais cette fois-ci, elle les refoula et se contenta d'hausser les épaules. Se morfondre sur la mort de Jack ne le ramènerait pas. Elle n'avait plus de temps pour ça.
« Il n'avait aucune chance d'échapper au Kraken. Il était mort même avant d'être tué. Il le savait très bien et nous a permis de nous échapper. Will n'a pas la mort aux trousses. »
« Tu penses sincèrement que Jack s'est sacrifié pour nous sauver ? »
« C'est ce que tu as dit, n'est-ce pas ?
Elizabeth détourna le regard et ne dit rien. Esmée avait encore du mal à croire que Jack était resté sur le Pearl pour les sauver, lui qui se faisait du souci que pour soi-même, mais l'évidence était là : ils étaient vivants et lui non. Peut-être que Gibbs avait raison finalement : peut-être que l'idée de mourir l'avait rendu honnête.
« Esmée, il faut que je te dise quelque chose... » commença Elizabeth.
« Esmée, Elizabeth, nous n'avons pas de temps à perdre ! » l'interrompit Barbossa.
« Allons-y. Il faut que nous arrivions avant l'aube. Tu me diras tout ça plus tard. » dit Esmée en lui faisant signe de la suivre.
...
La traversée se fit dans un calme presque déconcertant. Ils ne croisèrent ni navires marchands, ni pirate, ni Anglais, et aucun d'entre eux ne chercha à engager quelconque conversation. Esmée avait le regard rivé sur l'horizon, les poings crispés. Elle comprenait seulement maintenant que ramener Jack parmi les vivants n'était plus qu'une question de sentiments, mais de survie. Si Sao Feng refusait de collaborer, ils ne le retrouveraient jamais et ne pourraient pas convoquer le Tribunal de la Confrérie. Becket n'aurait plus qu'à s'emparer des océans et il en serait fini du Black Pearl, du Hollandais Volant, et de tout ce qu'elle avait connu jusqu'ici. Cette perspective lui donnait la nausée. Que deviendrait-elle ? Serait-elle condamnée pour trahison ? Retournerait-elle à sa vie de citoyenne à Port-Royal ? En avait-elle envie ? Maintenant que Jack serait définitivement perdu et qu'elle n'aurait pas pu venger sa mère et accompli ses dernières volontés, quel intérêt y aurait-il à retourner à une vie calme et ennuyeuse ? Ce n'était que maintenant, alors que la piraterie était sur le point de s'éteindre et que Jack l'avait quittée, qu'elle se rendait compte qu'elle n'avait jamais cessé d'être une pirate, malgré toutes les tentatives qu'elle avait mis en place pour faire comme si.
Ils arrivèrent à Singapour au milieu de la nuit et se séparèrent. Elizabeth, Barbossa et Tia Dalma partirent de leur côté, tandis qu'Esmée menait le reste de l'équipage discrètement à travers l'île sombre gardée par les Anglais. Afin de ne pas se faire repérer, ils passèrent par les égouts et progressèrent doucement jusqu'aux appartements de Sao Feng. Une fois arrivés de l'autre côté, Esmée se figea.
Devant elle, un homme baraqué aux bras aussi gros que des bûches s'occupait d'alimenter le feu qui faisait monter la vapeur dans les appartements de Sao Feng. Esmée échangea un regard entendu avec Gibbs et s'approcha discrètement de l'homme, le sabre levé. Lorsqu'il sentit sa présence, il se retourna et Esmée lui asséna aussitôt un violent coup sur le crâne. Pendant un instant, elle crut qu'il résisterait, puis il s'écroula dans un fracas. Une fois certaine que personne n'avait rien entendu et qu'il ne se relèverait pas, elle fit signe aux pirates de la rejoindre.
« Pintel, Ragetti ! Occupez-vous de la cheminée ! Si Sao Feng se rend compte que quelque chose cloche, nous sommes tous morts ! »
Les deux s'exécutèrent sans un mot. Esmée rangea son arme et se positionna sous les planches de bois, juste en dessous des appartements de Sao Feng. Barbossa et Elizabeth venaient d'arriver, escortés par les hommes du Seigneur Pirate.
« On devrait le tuer. » chuchota Gibbs en enjambant le corps du malheureux assommé.
« Si Sao Feng accepte de nous aider il ne faudrait pas que l'on gâche tout en tuant un de ses hommes. »
« Et crois-tu qu'il va nous aider ? »
Esmée garda le silence. Elle n'en avait aucune idée. Même, elle en doutait.
Jack avait le don de s'attirer les pires ennemis et la rancune de ces derniers le suivait partout, même jusque dans la mort.
«... plutôt une proposition. Mon expédition nécessite vaisseau et équipage. » dit Barbossa tandis qu'Esmée les observait entre les lattes du parquet.
« Étrange coïncidence... Plus tôt, non loin d'ici, un voleur a fracturé le temple de mon oncle vénéré et a tenté de s'emparer de ceci... »
Sao Feng disparut du champ de vision d'Esmée, mais au regard qu'échangèrent Barbossa et Elizabeth, elle comprit qu'il parlait des cartes nautiques. Will s'était donc fait prendre. Bien évidemment, il ne disparaîtrait pas de la surface des océans sans raison. Ne restait plus qu'à savoir ce que le pirate avait fait de lui.
Au moment où Esmée se posait la question, il fut extirpé d'une cuve remplie d'eau. La jeune fille plaqua une main sur sa bouche pour étouffer un hoquet et se mit sur la pointe des pieds pour mieux l'apercevoir. A son soulagement il ne semblait pas blessé, plutôt effrayé.
« J'avais dit que ça ne marcherait jamais. » grommela Marty en donnant un coup de pelle au pirate qui commençait à reprendre connaissance. « Comment pourrait-il accepter de nous aider maintenant qu'il sait qu'on a essayé de le voler ? »
Esmée lui fit signe de se taire et ignora sa remarque. Cependant, il avait raison. Ils n'auraient jamais dû envoyer Will chercher ces maudites cartes, désormais ils n'étaient plus que des traîtres aux yeux de Sao Feng.
Au-dessus d'elle, le ton avait monté. Barbossa tentait d'expliquer la raison de leur présence et Elizabeth s'était emportée contre Sao Feng qui semblait réticent à collaborer. Esmée quitta son emplacement et aida le reste de l'équipage à préparer les armes. Si la discussion continuait ainsi, les mots seraient bientôt inutiles.
« Jack détient l'une de neuf pièces de huit. Il ne l'a pas léguée avant de mourir. Nous devons donc le ramener. »
La suite se passa si rapidement qu'Esmée le réalisa à peine. Sao Feng brandit son arme et ses hommes surgirent de l'ombre dans des cris d'animaux. Esmée fit un hochement de tête suffisant à Gibbs. Celui-ci lança les sabres que Barbossa et Elizabeth récupérèrent en vol.
Il eut un court instant silencieux, pendant lequel Esmée crut qu'ils les avaient sortis d'affaire, puis il eut un fracas assourdissant et tout explosa au-dessus d'eux. Esmée n'eut pas besoin de lever la tête pour comprendre de qui il s'agissait : la Compagnie des Indes les avait trouvés. Par quel moyen, elle l'ignorait, mais elle refusait de les laisser anéantir leurs derniers espoirs. Alors, elle sortit son arme et se jeta dans la mêlée. Éliminant tous les Anglais qui se trouvaient sur son chemin, elle rejoignit Elizabeth, Tia Dalma et Barbossa. Ils progressèrent ensemble à travers Singapour, et retrouvèrent Will une fois éloignés des combats et du bruit. Celui-ci était accompagné des hommes de Sao Feng. Esmée dut faire violence pour ne pas le prendre dans ses bras, elle qui avait honteusement cru plusieurs fois qu'il était mort.
« Tu as les cartes ? » demanda Barbossa.
« Et mieux encore. » répondit-il en les lui passant. « Vaisseau et équipage. »
« Où est Sao Feng ? » demanda Elizabeth.
Esmée se rendit compte à ce moment-là qu'il n'était pas parmi eux.
« Il nous retrouve à la Baie des Naufragés. » expliqua Will.
« Allons-y ! » dit Barbossa en leur faisant signe de suivre l'équipage du pirate chinois.
Esmée ouvrit la bouche pour dire quelque chose, puis la referma. Il était assez inhabituel qu'un capitaine reste à terre couvrir un autre, et encore plus qu'il laisse son équipage partir avec, mais elle n'en fit rien. Après tout, cette expédition n'avait rien d'anodin. Alors elle se contenta de sourire à Will et le suivit à travers les rues de Singapour jusqu'au navire que Sao Feng leur avait gentiment prêté. Une fois éloignés de l'île réduite aux flammes et au chaos, Elizabeth la rejoignit.
« Crois-tu que Sao Feng réponde à l'appel du tribunal ? » lui demanda-t-elle.
« A-t-il le choix ? Sans lui nous serons impuissants, et sans nous il est condamné à servir Beckett pour le restant de sa vie. Je doute que cela soit une perspective qui l'enchante. »
« Et s'il ne répond pas, que se passera-t-il ? »
Esmée secoua la tête. L'idée d'échouer lui retournait l'estomac, elle n'osait même pas y songer. Ils ne pouvaient pas échouer, tout simplement.
« Inutile d'y penser maintenant. Nous devons d'abord nous occuper de Jack. Tout ça ne servira à rien si nous ne le ramenons pas. »
« Nous sommes obligés d'envisager cette possibilité, Esmée. Que t'arrivera-t-il si nous échouons ? Will et moi pourrons peut-être retourner à Port Royal, mais toi... Beckett sait que tu as fréquenté la piraterie, il ne te laissera jamais t'en tirer comme ça. »
« Il n'est plus dans mes plans de retourner à Port-Royal depuis longtemps. Je ne le pourrai pas tant que Davy Jones sera vivant. »
Le regard d'Elizabeth fit comprendre à la jeune fille qu'elle ignorait que le pirate maudit avait tué sa mère. Évidemment, elle ne l'avait jamais mentionné en sa présence.
« Davy Jones a tué ma mère, Elizabeth. » dit-elle d'une voix dure. « Parce qu'elle voulait libérer Calypso de la prison dans laquelle il l'avait enfermée. Il ne supportait pas qu'une pirate lui tienne tête alors il l'a éliminée, elle et tous ceux qui m'avaient vue grandir, tous ceux que j'avais, tout ce qui avait fait de moi une pirate. Et maintenant il m'a pris Jack. »
Elizabeth garda un instant le silence, troublée par ces révélations.
« Que comptes-tu faire ? » finit-elle par demander.
« Le tuer et libérer Calypso. Et si cela signifie éliminer Beckett, alors je le ferai aussi. Mais tant que je serai vivante, Davy Jones ne connaîtra pas la paix. »
« Ah, vraiment ? » cingla une voix derrière elles.
Les deux jeunes filles se retournèrent et Esmée sentit ses muscles se crisper lorsqu'elle découvrit le visage de Barbossa l'observer avec un air moqueur. Hantée par la mort de Jack et la crainte que Beckett ne domine les océans, elle avait presque oublié le mépris qu'elle lui portait.
« Et comment comptes-tu t'y prendre ? » poursuivit-il en se rapprochant d'elle. « Pour tuer Davy Jones il faut embrocher son cœur, et quiconque le fait doit prendre sa place en tant que capitaine du Hollandais Volant. Te crois-tu réellement capable d'endosser cette responsabilité, de retourner sur la terre ferme une seule fois toutes les décennies, de transporter les âmes des morts jusque dans son antre et d'être réduite à la solitude et à l'ombre de toi-même pour l'éternité ? En es-tu capable ? »
Esmée le fusilla du regard, mais ne flancha pas.
« Je sais que tu me prends pour une pirate ratée, Barbossa, mais je n'ai pas peur. »
Le pirate eut un ricanement.
« Peur ? Il ne s'agit pas d'avoir peur. Il s'agit de te condamner pour la seule raison qu'il a tué ta mère. Crois-tu que ce soit cela qu'elle envisageait pour toi ?
Esmée réagit aussitôt. Elle bondit et affronta les pupilles sombres du capitaine qui ne fit même pas un pas en arrière. A l'évidence, la voir ainsi le réjouissait.
« Ne parle pas de ma mère. Tu ne la connaissais pas, tu n'as pas le droit de me dire ce qu'elle penserait de moi. » rugit Esmée.
« Au contraire, je la connaissais très bien, même peut-être mieux que toi. Ne t'es-tu jamais demandée pourquoi elle ne t'a jamais dit qu'elle était Seigneur Pirate, pourquoi elle ne t'a pas dit qu'elle était devenue Roi des Pirates ? Pourquoi elle ne t'a jamais fait part de son plan pour libérer Calypso, ni mentionné Davy Jones ? »
Esmée ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais rien ne sortit. Barbossa avait soulevé un point qu'elle ne pouvait ignorer. Pourquoi donc n'avait-elle jamais su que sa mère faisait partie du Tribunal de la Confrérie ? Pourquoi lui avait-elle appris à se battre, à tuer, piller et voler, mais ne lui avait jamais confié les terribles secrets et dangers qu'habitaient les océans ? Pourquoi l'avait-elle laissé dans l'ignorance pendant plus de 20 ans, alors qu'elle était vouée à devenir capitaine après elle ?
« C'est toi qui oses dire ça. Alors que tu as trahi Jack et l'a laissé mourir, lui qui t'avait offert un navire et une réputation . Ne me fais pas rire. »
Esmée tentait de camoufler son trouble, mais le tremblement dans sa voix ne laissait pas Barbossa dupe.
« Peut-être que ta mère pensait que tu n'avais pas l'étoffe d'une pirate. » reprit-il. « Peut-être qu'elle craignait que tu te jettes bêtement dans la gueule du loup, comme tu t'apprêtes à le faire. Peut-être qu'elle ne voyait pas en toi la capitaine qu'elle rêvait que tu deviennes. »
Esmée en avait assez entendu. Elle refusait de croire que sa mère pouvait avoir douté d'elle, qu'elle ait songé une seule fois qu'elle n'était pas à la hauteur. Esmée avait tout fait pour lui plaire, pour correspondre à l'image de pirate exemplaire que se faisait sa mère. Elle aurait traversé les Caraïbes à la nage et combattu le Kraken à mains nues si cela pouvait rendre sa mère fière, si cela pouvait lui prouver qu'elle était prête à prendre sa place le moment venu. Et maintenant qu'elle était partie, Barbossa osait la faire douter et remettre en question l'amour que Mary avait pu lui porter.
« Répète ça encore et c'est ton cœur que j'embrocherai. » grinça-t-elle en brandissant son sabre.
Autour d'elle, les pirates s'étaient arrêtés dans leur besogne pour observer la scène. Will surgit de la calle et se figea en découvrant les deux vieux ennemis se toiser tels des chiens de faïence, l'un les poings fermés et l'autre avec l'arme serrée dans sa main. Le regard d'Elizabeth lui suffit pour le dissuader d'intervenir.
« Fais attention, Esmée. Je suis bien le seul ici à vouloir libérer Calypso. Il serait stupide de te mettre à dos ton seul soutien. » lui dit doucement Barbossa.
« Mon soutien ? Parce que tu crois que j'ai besoin de toi pour prendre des décisions ? Tu n'es qu'un traître, Barbossa. Tout ce que tu entreprends ne sert que toi-même. Si tu pouvais prendre la place de Beckett tu le ferais, sans même réfléchir. D'ailleurs, c'est bien ce qui t'a poussé à trahir Jack. Tu ne supportais pas d'être réduit à un simple membre d'équipage, tu haïssais de savoir que j'avais plus d'influence sur Jack que toi, moi qui venais de débarquer de nulle part et qui ne connaissais rien des océans, comme tu aimais si bien le dire. Tu détestes ne pas être le plus puissant, le plus fort et le plus redouté. Alors ne me fais pas croire que toi et moi sommes complices, et encore moins amis. »
Elle voulut se détourner de lui, mais le pirate lui attrapa violemment le bras et l'obligea à affronter ses pupilles noires.
« Ce qui est fascinant chez toi, Esmée, c'est que tu penses que Jack et moi sommes différents. Mais réfléchis bien : penses-tu que lui n'aurait jamais sauté sur une occasion pour devenir capitaine, penses-tu sincèrement que s'il l'avait pu il ne serait pas devenu maître des océans, penses-tu réellement qu'il avait l'intention de tuer Davy Jones dans le seul optique de se libérer du Kraken ? Tu es peut-être aveuglée par l'amour mais je sais que tu n'es pas stupide : tu sais très bien que Jack n'a pas plus de moral que moi ni aucun autre pirate. Il est même celui qui en a le moins. »
Esmée se dégagea de son emprise, à court de mots. Elle ne savait si c'était lui ou le fait que Barbossa disait vrai qui la rendait si folle de rage, mais ses veines bouillonnaient de colère. S'ils n'avaient pas besoin de lui pour trouver l'Antre de Davy Jones, elle se serait empressée de le balancer par-dessus bord.
« Je me fiche de ce que tu me dis. » cracha-t-elle. « Raconte-moi ce que tu veux, cela ne changera jamais qu'à mes yeux tu n'es qu'un traître et que ta parole ne vaut rien ! »
Elle bouscula Will, descendit dans les appartements du navire et laissa échapper toute sa frustration et sa colère. Elle renversa le mobilier et son sabre vint se figer dans le mur, puis elle fondit en larmes.
Barbossa avait raison, du début jusqu'à la fin. Il ne s'agissait plus de venger sa mère désormais, il était aussi question de sacrifier tout ce qu'elle avait. Sa couture, Carnius, sa nouvelle vie, tout ce qu'elle avait construit depuis qu'elle avait quitté la vie de piraterie et qu'elle avait fait attention de protéger. Si elle tuait Davy Jones, elle était condamnée à diriger le Hollandais Volant et à errer dans les océans pour l'éternité. Alors oui, elle aurait vengé sa mère, mais après quoi ? Que resterait-il d'elle ? Une âme en peine, rongée par la solitude et la rancœur. Elle ne serait plus que l'ombre d'elle-même, un fantôme invisible que tout le monde finirait par oublier et qui finirait par s'effacer de la surface. Était-ce réellement ce qu'elle voulait ? Avait-elle vraiment fait tout ce chemin pour n'être réduite qu'à un être tentaculaire aigri et malheureux ? Et pourtant, envisager une vie dans laquelle Davy Jones ne répondait pas de ses actes lui paraissait impossible. Il n'avait plus le droit de se croire invincible. Il était temps qu'il paie.
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