chapitre 12
Ils arrivèrent aux îles Pelegestos en fin d'après-midi et Esmée monta dans la barque avec Gibbs, Will, Pintel et Ragetti, refusant toujours d'adresser la parole au capitaine. Tandis qu'ils traversaient les sombres marécages, un silence plombant régnait sur le petit groupe.
« Qu'est-ce qui s'est passé entre Jack et Davy Jones ? » finit par demander Will.
« Il y a 13 ans, Jack travaillait pour la Compagnie des Indes Orientales. A cette époque, le Black Pearl s'appelait Wicked Wench et était beaucoup moins sombre qu'aujourd'hui. Un jour, Beckett a demandé à Jack de transporter 100 esclaves jusqu'en Angleterre, mais il a refusé et les a libérés. Pour le punir, Beckett a fait brûler et couler le Black Pearl, c'est de là que découlent les voiles noires. Tu connais l'attachement que Jack a pour son navire, alors bien évidemment il a voulu le récupérer et c'est à Davy Jones qu'il s'est adressé : celui-ci lui a refloué le Black Pearl à condition que 13 ans plus tard, il serve 100 ans à bord du Hollandais Volant. Et voilà, ça fait 13 ans. J'imagine qu'il sent que son heure est venue. » expliqua Esmée.
Elle se souvenait encore de Jack lui expliquer la légende de Davy Jones et le marché qu'il avait passé avec lui un avant qu'il ne la recueille. A l'époque, elle l'avait trouvé courageux. Aujourd'hui, elle le trouvait tout bonnement stupide.
« Et pourquoi a-t-il si peur du large ? »
« Eh bien, si on croit à tout ça... il y a une bête au service de Davy Jones. Un monstre aux tentacules géantes qui t'aspirent le visage et entraînent les navires dans les ténèbres abyssales. » commença Gibbs d'une voix sombre.
« Le Kraken. » abrégea Esmée en regardant devant elle. « Mais personne ne sait s'il existe vraiment. C'est une légende comme une autre. »
« Et la clé le sauvera de tout ça ? »
« C'est la question que Jack veut résoudre. » poursuivit Gibbs. « Au point même d'aller la voir... »
« La ? »
« Tia Dalma. Je ne pourrais pas t'expliquer maintenant mais s'il y a bien une personne qui peut l'aider, c'est elle. » finit Esmée.
Le silence reprit. A la nuit tombée, ils arrivèrent à la vieille cabane éclairée par des faisceaux de lumières. Autour d'eux, des hommes cachés dans l'ombre les observaient en silence. Jack lui avait assez parlé de ces présences pour qu'Esmée y reste indifférente.
« N'ayez crainte. » commença Jack lorsqu'ils arrivèrent à l'échelle qui menait à la cabane. « Tia Dalma et moi sommes comme culs et chemises. On est comme inséparables... (il eut un moment de réflexion) Étions... Avons été... Autrefois... »
« Je couvre tes arrières. » le rassura Gibbs.
« C'est l'avant qui m'inquiète. »
Esmée grimpa avec le pirate et le suivit dans la cabane. Lorsqu'il poussa la porte, une belle dame à la peau noire, aux longues dreadlocks et au regard envoûtant releva la tête. Elle afficha un sourire charmeur en reconnaissant Jack. Esmée se sentit aussitôt mal à l'aise et préféra rester en arrière tandis que Jack avançait assurément vers la femme.
« Jack Sparrow ...» siffla Tia Dalma. « J'ai toujours su que le vent te ramènerait un jour. » Elle remarqua Esmée. « Toi. Je te reconnais. »
« Moi ? » murmura Esmée alors que la femme se rapprochait d'elle, comme si elle l'avait toujours connue.
Elle leva le bras et glissa soigneusement sa main dans ses cheveux rouges tout en observant le médaillon de Mary Read qui tombait sur la poitrine de sa fille. Esmée échangea un regard confus avec Will qui restait en arrière.
« Tu lui ressembles énormément. Et comme elle, je vois le doigt du destin sur toi. » poursuivit Tia Dalma d'une voix lente.
Esmée se mit à trembler. Cela faisait des décennies que personne ne lui avait dit une telle chose.
« Parlez-vous de ma mère ? » marmonna Esmée.
« Pas de ça ici ! » l'interrompit Jack. « On est venus chercher de l'aide. »
Esmée soupira une fois que la femme se fut détournée d'elle et se rendit compte qu'une larme s'était échappé de son œil droit. Elle la sécha discrètement avant que qui que ce soit ne la remarque.
« Quel service puis-je te rendre ? Tu sais que tout service se paie !» demanda Tia Dalma.
« J'ai de quoi payer. »
Jack prit la cage dans laquelle était enfermé le singe maudit et lui tira dessus. Celui-ci ne sursauta même pas.
« Un singe immortel ! Essaie de faire mieux ! » dit Jack en le tendant à la femme.
« Le paiement est honnête. » dit-elle en le libérant.
« Non ! » s'exclama Gibbs. « Vous n'avez pas idée du temps qu'on a pris pour l'attraper. »
« Nous cherchons ceci. » dit Will en montrant le parchemin sur lequel était dessiné la clé. « Et ce que ça ouvre. »
La femme jeta un coup d'œil au dessin et son regard s'assombrit.
« Le compas que tu m'as extorqué. Il ne peut pas t'y conduire ? » demanda-t-elle à Jack.
« Possible. Pourquoi ? » répondit celui-ci en faisant l'indifférent.
Tia Dalma eut un sourire moqueur et s'installa confortablement dans son fauteuil.
« Jack Sparrow, tu ignores ce que tu cherches. Ou bien le sais-tu mais refuses-tu de le revendiquer ? » Elle marqua une pause. « La clé ouvre un coffre. Et c'est ce qu'il contient que tu convoites. »
« Il contient quoi ? » demanda Gibbs.
« De l'or ? Des joyaux ? D'antiques propriétés de valeurs ? » supposa Pintel.
« Rien de mauvais, j'espère ? » trembla Ragetti.
Tia Dalma secoua la tête.
« Vous connaissez Davy Jones ? Un homme de la mer. Un grand marin. Jusqu'à... ses démêlés qui fâchent tous les hommes. »
« C'est quoi ? » demanda Will.
« La mer ? » dit Gibbs.
« Les additions ? » renchérit Pinte.
« La dichotomie du bien et du mal ? » dit Ragetti.
Esmée lui lança un regard confus. Il avait bien changé depuis qu'il était devenu mortel.
« Une femme. » trancha Jack.
Tia Dalma hocha la tête et eut un air rêveur, comme si elle était perdue dans son imagination.
« Une femme. Il tomba amoureux. » dit-elle.
« Non, non. Il n'aimait que la mer. » rétorqua Gibbs.
« Même histoire, différentes versions et toutes vraies ! C'était une femme, aussi changeante, aussi dure et indomptable que la mer. Il ne cessa jamais de l'aimer. Il en souffrait trop pour continuer à vivre, mais pas assez pour mourir. »
« Qu'est-ce qu'il a mis dans le coffre ? » s'impatienta Will.
« Son cœur. »
Il eut un silence. Esmée eut un frissonnement : Jack avait beau lui avoir déjà raconté sa légende, la tragique histoire de Davy Jones lui procurait toujours autant d'émotions désagréables.
« Littéralement ou figurativement ? » demanda Ragetti.
« Littéralement c'est impossible ! Si ? » dit Pintel.
Tia Dalma les observa quelques secondes puis secoua la tête.
« Peu lui importaient les petits bonheurs de la vie. Alors, il arracha son cœur, l'enferma dans un coffre et le cacha aux yeux du monde. La clé, il l'a sur lui à tout moment. »
Will se releva brusquement et se tourna vers Jack qui gardait le silence.
« Tu le savais. » lui dit-il.
« Non, j'ignorais où était la clé. Maintenant on sait. Plus qu'à monter sur le Hollandais Volant, voler la clé et tu rentres sauver ta donzelle. »
Le pirate fit volte-face, sur le départ, mais Tia Dalma se leva et tendit la main dans sa direction.
« Fais voir ta main. » ordonna-t-elle.
Jack lui tendit sa main gauche, puis quand il vit le regard insistant de la femme, lui tendit la droite. Tia Dalma dénoua le bandeau qui couvrait sa paume et laissa découvrir une tâche noire qui se répandit sur sa peau.
« La marque noire ! » s'écria Gibbs.
Il se frotta la poitrine, fit un tour sur lui-même et cracha par terre.
« La marque noire ! » répétèrent Ragetti et Pintel en l'imitant.
Esmée se releva pour observer la paume du capitaine. Elle avait devant elle la preuve que le Kraken existait bel et bien. Elle qui avait refusé d'y croire jusqu'ici, espérant que telle créature ne pouvait pas habiter les fonds marins, était maintenant forcée d'admettre son existence. Et Jack était sur sa liste de ses prochaines victimes.
Un sanglot vint brûler sa gorge et elle évita le regard de Jack qui l'observait. Elle leva les yeux au ciel et ravala ses larmes.
« Rassurez-vous, ça ne m'a pas rendu sourd. » plaisanta le pirate.
Mais personne ne rit. Esmée n'en avait plus envie : elle était inquiète et furieuse : comment pouvait-il continuer à se comporter comme si de rien n'était alors qu'une pieuvre géante était à ses trousses ? Même après toutes ces années, Jack restait une énigme.
« Davy Jones ne peut rentrer au port et fouler le sol qu'une fois par décennies. » dit Tia Dalma en revenant de l'arrière de sa cabane avec un gros bocal de poussière. « A terre, tu seras en sécurité. Emporte de la terre avec toi. »
Jack lui prit des mains et l'observa comme s'il s'agissait d'une étrange créature.
« De la poussière. C'est un bocal de poussière. » dit-il.
« Oui. »
« Est-ce que ça me sera utile ? »
« Si tu n'en veux pas, rends-le-moi. »
Jack recula et secoua la tête.
« Alors, oui. » dit Tia Dalma.
« Et comment on fait pour trouver le Hollandais Volant ? » demanda Will.
...
La pluie et le vent s'étaient levés lorsqu'ils atteignirent les rochers que leur avait indiqués Tia Dalma. A une centaine de mètres d'eux, un pauvre navire rapiécé à l'apparence abandonné s'était échoué sur les récifs dissimulés par la brume dense. Esmée grimaça : s'il s'agissait du Hollandais Volant, elle s'était attendue à mieux. Elle avait entendu tant d'histoires terrifiantes à son sujet qu'elle avait imaginé un immense navire imprenable et redoutable.
« C'est ça le Hollandais Volant ? Il n'a pas l'air si horrible que ça... Bon, j'y vais. » dit-elle.
Elle se retourna, prête à embarquer sur un canot que Gibbs avait mis à flot, mais Jack lui barra le passage.
« Non. » dit-il d'une voix ferme.
Esmée haussa les sourcils.
« Comment ça, non ? »
« Tu n'iras pas. » répéta-t-il.
« Et depuis quand ? »
« Depuis que je l'ai décidé. »
Esmée sentit la colère remonter. Le pirate se détourna d'elle et elle le suivit.
« Excuse-moi ? » s'exclama-t-elle alors que la tempête couvrait sa voix.
« Tu es excusée. »
« Jack, je ne plaisante pas ! Je vais sur ce navire, je récupère la clé et c'est terminé ! C'est aussi simple que ça ! »
« Oui, sauf que je ne te laisserai pas y aller ! »
« Et pourquoi donc ? »
« C'est bien trop dangereux ! »
« Et pour qui tu me prends ? Enfin, tu as vu la tête du navire ? Je suis sûre que je m'en sortirai très bien. »
« Tu n'iras pas, un point c'est tout. »
« Mais... »
Jack se tourna vers elle et plongea ses yeux noirs dans les siens. Esmée fut transpercée par la sévérité de son regard, tel qu'elle n'en avait plus vu depuis qu'elle n'était plus sa seconde.
« Je suis le capitaine du navire, par conséquent c'est moi qui décide et là j'ai décidé que tu n'iras pas. Ne discute pas, Esmée. »
Esmée voulut répliquer, mais Will fut plus rapide et s'interposa.
« Ce n'est pas grave, Esmée. Je m'en charge. Comme tu dis ça ne doit pas être bien compliqué. » dit-il.
« Voilà une alternative intelligente ! » s'enthousiasma Jack.
L'approbation directe du pirate lui mit la puce à l'oreille : il cachait quelque chose. Cependant, Esmée était incapable de riposter : Jack était très bien capable de l'enfermer au sous-sol pour s'assurer qu'elle ne quittait pas le navire et Will semblait décidé à y aller. La peur de perdre Elizabeth le terrifiait et le mettait dans une colère noire à la fois, elle n'avait pas envie de se disputer avec lui dans ces conditions.
« Très bien. » soupira-t-elle. « Sois prudent. »
« Ne t'inquiète pas, ça ne sera pas long. »
Elle prit longuement Will dans ses bras et le regarda rejoindre le canot agité par les remous de la mer. Quand il eut disparu dans le paysage enlaidi par la pluie et les nuages noires, elle s'empressa de s'accouder au bastingage et d'observer le navire échoué à la recherche de la silhouette de son ami. Jack la rejoignit.
« Je n'ai pas envie de te parler. » lui dit-elle sans le regarder.
« Esmée, trésor. Je fais ça pour ton bien. »
Elle tourna son attention sur lui et le fusilla du regard.
« Pour mon bien ? C'est toi qui m'as embarquée dans cette histoire ! Si tu voulais que je reste en dehors de ça il ne fallait pas m'emmener là-dedans ! »
« Je ne serai pas très utile à Beckett si le Kraken me dévore, n'est-ce pas ? Que t'arrivera-t-il si tu retournes à Port-Royal alors que je suis mort ? »
Esmée ouvrit la bouche pour répliquer, mais ne trouva rien à redire.
Jack avait raison : elle n'avait pas d'autres choix que de le suivre dans cette stupide quête si elle voulait qu'il rentre avec elle. Mort, il ne lui servirait à rien.
Elle se détourna de lui et se reconcentra sur l'horizon. Il n'y avait pas de trace de Will, ni de quiconque pirate.
« Je ne comprends pas pourquoi tu laisses Will y aller et pas moi. » poursuivit-elle. « Je connais les océans mieux que lui, je connais l'histoire de Davy Jones et pourtant c'est lui que tu envoies. » Elle le fixa de ses yeux froids. « S'il lui arrive quelque chose ce sera à cause de toi et je ne te le pardonnerai jamais. »
Le pirate eut un petit sourire, comme insensible à sa menace.
« Ne t'inquiète pas, trésor. J'ai fait en sorte qu'il reste en vie. »
« Que lui as-tu dit ? »
« Que s'il se croisait Davy Jones, il n'avait qu'à lui dire que je l'avais envoyé régler ma dette. »
La réaction d'Esmée fut immédiate : elle se jeta sur lui et tenta de le frapper, mais le pirate avait anticipé son geste et lui immobilisa les bras. La jeune femme se mit à pester contre lui, les joues rouges de colère.
« Quoi ? Sale maudit pirate ! Comment as-tu pu ? »
« Réfléchis, Esmée ! » dit Jack en la relâchant. « Si par malheur il tombe sur Davy Jones, ce qui va très probablement se passer, il devra choisir entre mourir et servir à bord du Hollandais Volant pour un siècle ! Je lui offre une porte de sortie ! »
Esmée ricana.
« Une porte de sortie ? Tu le condamnes à 100 ans de servitude, c'est ça ta porte de sortie ? »
« Je ne m'inquiète pas pour Will : je suis sûr qu'il trouvera un moyen de s'échapper. Je doute qu'il laisse tomber sa chère épouse si facilement. »
Il eut un silence. Esmée ne savait plus si elle devait le gifler de ne penser qu'à lui ou le remercier d'avoir épargné la mort à son ami.
« C'est pour ça que tu l'as envoyé lui et pas moi ? » dit-elle alors que Jack. « Tu crains que je devienne un serviteur ? Ou alors m'envoyer porter ton fardeau est une culpabilité bien trop lourde à assumer ? »
Le sourire du pirate s'effaça et il se mit à éviter son regard, comme troublé. La jeune fille se rapprocha doucement de lui d'un pas assuré. Elle avait vu juste.
« C'est plus compliqué que ça. » marmonna-t-il.
« Non, ça m'a l'air très... »
Derrière eux, un navire aux voiles déchirées et à la coque rongée par les batailles et le temps surgit des océans. Esmée se précipita au bord du bastingage pour mieux l'apercevoir et se figea.
Elle avait déjà vu ces voiles semblables à des peaux écailleuses et cette coque incrustée de particules marines.
C'était le jour où sa mère était tombée avec son navire.
Les jambes d'Esmée flanchèrent quand elle eut une terrible réalisation.
C'était le Hollandais Volant qui les avait attaqués.
C'était Davy Jones qui avait tué sa mère.
Tandis que le choc et le chagrin couvraient sa vue et prenaient possession de son corps, Esmée se souvint d'une phrase que sa mère lui avait dite avant de mourir : « On ne gagne pas contre ce navire, Esmée. »
Elle aurait dû comprendre à ce moment-là qu'elle parlait du Hollandais Volant. Et pourtant, elle ne s'en était jamais doutée, même 13 ans plus tard.
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