Chapitre 38


Chacun de leur côté, François, Louis, Anne, Katarina et Claude possédaient un fragment de réponse aux questions que tout le monde se posait. Ils ignoraient tous que l'un ou l'autre avait un morceau de la plus grande énigme de ce millénaire. Ils étaient si proches mais à la fois si loin de leur but.

Au-delà des hommes, les choses étaient bien différentes. Très peu savaient ce qui se passait dans l'autre monde, celui des humains. Ils ne connaissaient qu'une succession d'espoir et de désespoir sans fin.

La nuit venait de tomber quand Katarina réapparut. Le temps était passé si vite dans cet appartement. Elle avait passé des heures à fouiller les livres. La jeune fille n'avait plus eu accès à une bibliothèque depuis son départ du couvant.

Des heures plus tard, elle allait peut-être pouvoir le trouver plus facilement maintenant que la sombre la nuit était là. Pas de lune ce soir. Elle décida d'aller voir dans les jardins cette fois-ci. Elle longea les douves du palais précautionneusement, traversa le pont-levis et c'est alors qu'elle entendit sa voix. Elle releva la tête vers le son de la voix du prince. La bretèche lui cachait la vue mais elle devina que le prince se trouvait sur les chemins de ronde. Elle se dépêcha de grimper une des tours de guet. Les meurtrières lui procuraient un peu de lumière dans l'espace clôt.

François se tenait recourbé, accoudé à un créneau mais il n'était pas seul. La jeune fille se cacha derrière une façade de la tour. Aux côtés du prince, trois hommes discutaient. Elle n'en reconnut aucun. Ils étaient tous bien plus âgé que le prince. Leurs apparats indiquaient leur rang dans la noblesse. Leurs médailles sur leurs poitrines étaient celles attribuées aux conseillers du Roi. Ils discutaient affaires. Katarina n'entendait presque rien à ce qu'ils se disaient, elle était trop loin. Elle en profita pour observer le prince. Elle n'en avait jamais eu l'occasion.

De profil, elle pouvait discerner son nez en trompette qui lui conférait un air aristocratique. Sa mâchoire volontaire était ornée d'une barbe de quelques jours. Ses légères boucles rebondissaient contre sa nuque et ses tempes. Ses yeux verts étaient froids, glacials, comme toujours. Il n'arborait jamais, ou presque, de sourire. Katarina réalisa que c'était un homme assez sec et désintéressé. Pourtant, elle avait vu de l'inquiétude dans ses yeux et parfois même un sentiment dont elle n'était pas sûre. Elle ne préférait pas le désigner, il ne valait mieux pas. Soudain, François se retourna dans sa direction. Avait-il senti son regard ? Peut-être bien, oui.

- Messieurs. Il se fait tard. Nous en discuterons davantage demain.

- Bonne nuit votre majesté.

François n'avait pas quitté des yeux la sortie de la tour. Katarina s'était cachée un instant. Elle avait comme prit peur. Il n'aurait pas dû la voir ! Elle serait sortie quand il aurait été seul. « Bon sang » jurait-elle à voix basse.

- Katarina ?

La voix du prince la fit sortir de sa cachette.

- Votre majesté, dit-elle.

- Que vous avais-je dit au sujet de mon prénom ?

Elle approcha le prince d'un pas fragile. Lui, se tourna entièrement vers elle, l'encourageant en quelque sorte.

- Oh.

Elle baissa la tête. Maintenant qu'elle se souvenait de leur conversation dans les écuries, elle rougissait. Katarina n'osait plus parler. François expira tout en fermant les yeux, un tant soit peu contrarié par son attitude distante. Ne devrait-elle pas être plus à l'aise après tout ce temps ?

- Appelez-moi François, c'est une requête que je vous fais là. Susurra-t-il.

- Je... Je-

- S'il vous plait.

A quelques mètres, sur le chemin de ronde, Louise s'était brusquement arrêtée. Elle n'en croyait pas ses yeux. « Est-ce bien François avec cette domestique ? » Discrètement, elle se rapprocha.

- Vous vouliez me voir ?

- Hum, oui.

- Ce n'est pas prudent de vous promener en pleine nuit.

- Mais j'ai appris quelque chose sur l'enfant.

- Vraiment ? Vous savez de qui il s'agit ?

- Non, pas vraiment. Tout ce que je sais c'est qu'une domestique l'avait vue dans les laveries. Ce qui m'a poussé à faire le rapprochement était les mots sur le mur. L'enfant avait dit exactement la même chose à mon amie. Quod Perveniet.

- Vous savez ce que cela signifie ?

- Eh bien, mon latin est un peu rouillé, je dois l'admettre, dit-elle.

- Je vois.

Katarina avait fait omission de quelques éléments, ils étaient pour le moins étranges. Qui croirait qu'un reflet aurait pu dire ses mots et non la personne ? Eh non, son latin n'était pas rouillé mais ça, ce n'était qu'un détail.

Louise n'entendait que des brides de leur conversation mais cela lui suffisait. Elle s'était doutée de quelque chose. D'abord, le comportement de son fils. Puis, ses disparitions en pleine nuit ou encore hier. Il avait disparu pendant des heures et avec cette servante dans les bras. Elle avait tout de suite su en le voyant accourir vers elle qu'il la connaissait, mais à les voir ici ce soir, elle en conclut bien plus que nécessaire. Elle vit François se rapprocher d'elle alors qu'elle continuait à lui parler aisément.

- Quel affront ! Comment ose-t-elle se tenir ainsi devant lui !

Furieuse, elle rebroussa chemin. Elle allait devoir surveiller son fils mais aussi cette maudite servante. A quoi jouait François ?! Elle n'aimait pas la tournure des évènements. Elle allait devoir ouvrir l'œil.

- Qu'allez-vous faire désormais.

- Ça ne m'avance que très peu. Mais le fait que ces mots est été dit par l'enfant est intéressant. Sans oublier qu'elle a disparu.

- Que dites-vous ?

- Oui. Je ne devrais pas vous dire cela. Seul le Roi, le conseil et moi-même sommes au courant. En dehors bien sûr du médecin et des gardes qui assuraient la surveillance, expliqua-t-il.

- Comment est-ce possible ?

- Les mots aussi ont disparu. Tout comme le sang. Il ne reste plus rien.

Katarina pâlit soudainement. Ce monstre était libre. Elle avait la nette impression que l'enfant avait rejoint Le Nid.

- Pourtant, elle était gravement blessée.

- C'est un euphémisme. Personne ne peut survivre à un éventrement aussi barbare. Ce qui me pousse à croire que quelqu'un d'autre est mêlé à cette histoire.

- Oh...

- Merci Katarina.

- C'est normal votr-, François haussa un sourcil, Fr-François, murmura-t-elle.

Satisfait, il sourit faiblement.

- Merci de me faire confiance, clarifia-t-il. Très peu de domestiques aurait partagé cela. La plupart du temps nous devons les trainer jusqu'au Roi et sa cour pour obtenir de telles informations.

- Je suis ravie d'écoper à cela, avoua-t-elle. Je me posais une question.

- Laquelle ?

- Hier, où étions-nous ?

- Vous me poser une colle là Katarina.

- Vous ignorez où nous étions n'est-ce pas ?

- Je n'avais jamais vu une telle chambre auparavant. Si vous voulez mon avis, c'est bien loin d'être une chambre ordinaire. Katarina hocha la tête.

Des gardes se dirigeaient vers eux. Katarina et lui se regardèrent un moment, puis, sans qu'il puisse dire quoi que ce soit ; Katarina s'était enfuie par la tour. On ne devait pas les voir ensemble. François resta là, à regarder la tour. Il repensait à ce qu'elle lui avait dit. Il repensait aussi à son expression quand il lui avait dit pour la disparition du corps. Elle avait l'air mal à l'aise. Savait-elle autre chose ? En tout cas, elle semblait résignée à ne rien lui dire.

Il ne revut pas Katarina pendant plusieurs jours. Elle semblait s'être à nouveau envolée. Robert, lui, avait bien plus de chance de son côté. Alazaïs était bien moins mystérieuse. Il savait toujours où la trouver. En ce mardi, il avait pris sa décision. Il était sûr de lui. Martin et Anaïs l'avaient encouragé. Aujourd'hui, il allait commencer un nouveau chapitre dans sa vie.

La démarche assurée, il traversait les jardins. Alazaïs était assise avec des amies sur un drap. Leur discussion semblait être animée. Elles pouffaient de rire tout en murmurant. Les quatre jeunes nobles ne virent pas le seigneur arriver. Celui-ci se profila devant les demoiselles et se racla la gorge :

- Mesdemoiselles, les salua-t-il en se recourbant légèrement. Puis-je vous emprunter la comtesse du Beaumont.

Celle-ci s'empourpra. Ses amies souriaient au seigneur en encourageant la jeune blonde à se lever. Délicatement, la jeune fille rejoignit Robert. Il lui offrit son bras qu'elle accepta et fit un signe de la main à ses amies. Celles-ci se mirent à jacasser.

Ils marchaient dans les jardins. Alazaïs faisait mine d'observer les oiseaux dans les buissons taillés et lui regardait devant lui. Ils avançaient en silence. Quelques nobles les observaient marcher tout en ragotant. Robert le savait, la nouvelle allait vite faire le tour de la cour. Il devait de se lancer. Mieux valait-il être directe dans ce genre de situation se disait-il. Inspirant profondément, il s'arrêta sous un saule pleureur. La jeune fille pinça ses lèvres fruitées nerveusement.

- Je vais être bref Alazaïs. Je n'ai jamais fait ceci et je ne sais trop comment m'y prendre, alors veuillez excuser mon manque de tact.

- Je vous écoute, dit-elle.

- Vous êtes une jeune femme formidable. Votre famille est une famille importante du Royaume et voyez-vous, j'ai envoyé une missive à votre père il y a de cela quelques jours.

- Une missive ?

- Oui. Il me donnait sa bénédiction ainsi que celle de votre chère mère.

- Que voulez-vous dire ?

- Je lui ai demandé votre main. Lâcha-t-il de but en blanc. Mais c'est à vous que je m'adresse aujourd'hui. Voudriez-vous me faire l'honneur d'être ma femme ?

Alazaïs restait totalement interdite devant lui. Venait-elle d'entendre correctement ? Elle le regardait, la bouche entrouverte, les yeux ronds. Que devait-elle faire ? Elle ne voulait pas donner l'impression d'hésiter mais elle ne parvenait pas à parler.

- Je... Je vous apprécie beaucoup Alazaïs. Dites quelque chose s'il vous plait.

Encore un moment de silence.

- Je comprendrais que vous ne vouliez-

- Oui, le coupa-t-elle.

- Qu'avez-vous dit ?

- J'accepte !

Elle souriait désormais. Le cœur de Robert venait de sauter un battement. Il la regardait incrédule, puis, réalisant ce qu'elle venait de dire, il se jeta sur elle. Un cri strident s'échappa de la bouche de la blonde alors qu'il venait de la soulever dans ses bras.

Anna et Martin avaient observé la scène. Ils souriaient tous les deux, fiers de leur ami et de sa demande fructueuse.

- En voilà un qui est chanceux, dit-elle.

- Il a fait un très bon choix. Elle fera une épouse parfaite.

- N'importe quelle jolie fille de famille noble fait une femme parfaite pour vous les hommes de sang bleu, se moquait-elle en le regardant de travers.


Prit au dépourvu par la véracité des faits, Martin détourna le regard. Rien n'échappait jamais à Anne de Montmorency. Cette femme était de loin la plus maligne que Martin est vu dans sa vie. Un rire narquois retentit dans la gorge de la jeune femme. 

Elle secoua la tête, agacée par son ami et sa transparence. Il en était de même pour François. Elle pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert. Claude le lassait, c'était évident. Pourtant, quelque chose animait son regard par moments. La jeune femme sourit au souvenir du prince et de ce regard pendant le dîner où les deux servantes étaient tombées. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir les émotions traverser son regard à toute vitesse. 

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