Chapitre 3

    

Le château de Blois dormait encore dans la nuit. Le croissant de lune éclairait les bois et la Loire qui bordaient chacun un côté de l'immense Palais royal. La nuit était si calme et chaude. Les gardes sur les chemins de rondes dormaient à point fermé, n'assurant aucunement la garde. Dans l'aile Ouest, les nobles dormaient d'un lourd sommeil. La chaleur de ce printemps 1514 pouvait épuiser quiconque. Sous les combles, dans sa minuscule chambre de domestique, Katarina ne dormait pas. Elle avait passé la nuit à lire dans le silence afin de ne réveiller aucunes des jeunes filles qui partageaient la pièce. Elle était assise sur l'allège de la fenêtre, la tête contre le carreau. Le reste de sa journée avait été rythmé par les commérages des étages. Le Roi avait annoncé en milieu de journée que le Dauphin rentrait enfin au Palais après son service dans le sud, puis dans le nord. Cela annonçait déjà tant de changements au château. Katarina songeait au futur. Qu'allait changer l'arrivée du Dauphin dans son travail ? Elle n'avait que faire de la cour et de leurs messes basses, du changement que le Dauphin allait apporter dans leur vie. Un héritier annonçait toujours un nouveau règne, que celui-ci soit proche ou non. Cependant, si le Roi Louis XII avait fait rentrer son successeur, lui et non ses troupes, c'était pour une raison bien précise. Une raison évidente ; le mariage princier.

Les premières lueurs matinales se réverbéreraient sur les tours et donjons du château. Dans le coin du carreau, Katarina pouvait voir le bleu nuit laisser place à de l'orange et un doux rose. Les couleurs fusaient dans le ciel telles des aquarelles sur une feuille d'arche. Les premiers jets de lumière se reflétaient dans les lucarnes dorées de la jeune fille. Ses cheveux semblaient être faits de satin tout à coup. Dehors, elle pouvait entendre les oiseaux chanter, remplaçant ainsi les grillons. Un léger sourire se dessinait sur son visage fin. Peu importe ce qu'il pouvait bien se tramer dans les étages supérieurs, Katarina n'apportait de réelles importances qu'au spectacle qui se jouait devant ses yeux pleins d'innocences. La vie en elle-même était bien plus importante. Elle décida de se préparer pour une nouvelle journée de travail. Elle n'avait plus de temps pour somnoler. Mieux valait être à son poste aujourd'hui. Le Dauphin arrivait dans la journée. Tout devait être prêt afin qu'il soit reçu tel le Roi qu'il s'apprêtait à être. Elle revêtait la même tenue fade et usée de la veille. L'odeur de l'hypocras imbibait encore ses guenilles. Travailler en cuisine avait ces désavantages...

Silencieusement, elle rejoignit les cuisines. Les différents corridors étaient si calmes. Katarina inspira lentement. Elle aimait ces moments. Personnes ne venaient la déranger. Personne ne lui reprochait quoi que ce soit. Personne ne venait lui parler, tout simplement. Sur les fourneaux, des casseroles en cuivre chauffaient déjà. L'odeur du lait frais et du pain flottait dans la pièce. Le Pelletier était debout. Il prenait son maigre petit-déjeuner sans accorder la moindre importance à la jolie brune. Comme chaque matin, un bout de pain et du lait chaud constituaient son petit déjeuner. Les domestiques n'avaient pas le droit à plus avant le travail. Ils n'avaient pas le droit à mieux après d'ailleurs. Sur l'une des tables en bois trônaient de nombreuses recettes. Le cuisinier du Roi avait déjà préparé son plan de la journée. Sans plus attendre, Katarina se mit au travail. Elle commençait à battre le beur et découper les légumes sous le lourd regard de vieux Pelletier. Il ne disait rien. Il se contentait de l'observer faire en mâchant vulgairement son pain. C'était bien la seule de ses apprentis à qui il faisait confiance en ce qui concernait la cuisine. Katarina aimait faire la cuisine pour le Palais. Quand les nones l'avaient envoyé au domaine royal pour gagner sa vie, elle avait tout de suite pris goût au dur travail. Elle ne s'était jamais plainte à qui que ce soit. Elle faisait son travail comme il se devait et parfois, en de rares occasions, elle était récompensée de son dur labeur.

Très vite, un rythme presque harmonieux s'était installé dans les quartiers des domestiques et dans tout le Palais. Les cuisines se retrouvèrent pleines de monde. L'heure du réveil était passée. Les femmes de chambre de la famille royale avaient vite fait de remonter les étages pour seconder les dames de chambres. Les dames de chambres plus âgées et expérimentées, avaient rejoint les appartements de la Reine Anne.

Dans les écuries, les chevaux avaient été nourrit à l'aube par les garçons d'écurie. Ils avaient été brossé et même tressé. Le sol avait été nettoyé de tout foin ou encore déchets organiques. La récolte d'œufs avait été faite par les plus jeunes domestiques.

Les valets accouraient les couloirs du palais à la recherche de toutes verreries ou mêmes ferrailles de grande valeur à lustrer. Dans les laveries, les femmes se bousculaient près des bassins pour laver les tissus. Les coups des planches à battre frappant avec vigueur les draps maculés créèrent une pulsation tout en cadence. Les cheminées étaient fouillées, la suie recouvrait les jupons ternes des filles de cuisines les plus menues. Les domestiques étaient réglés comme le plus grand orchestre d'Europe, en rythme, synchronisés et harmonieux.

Dans les chambres des nobles, la lumière du soleil filtrait divinement à travers les voilages des fenêtres. Doucement, les familles se levaient afin de faire face à une nouvelle journée de printemps. Le roi quittait ses draps maculés pour se vêtir de ses plus belles tuniques et apparats à l'aide de ses quelques valets de chambre. C'était un grand jour. Le Roi était partagé entre deux états d'âme. L'héritier à la couronne était en route. Cependant, Louis n'était pas aussi serein qu'il aurait dû l'être. François n'était pas son fils. Il était l'aîné des Valois. Ô combien le Roi aurait voulu avoir un héritier mâle. Seules ses filles, Claude et Renée avaient survécu aux maladies. Ses yeux vagabondaient dans la luxueuse pièce tandis que ses valets s'affairaient autour de lui. François avait été considéré depuis son plus jeune âge comme héritier légitime à la couronne de France, lui le savait. Néanmoins, il avait l'espoir depuis toujours d'avoir un fils.

Ses sourcils se froncèrent. Ses traits se durcirent. Il ne comprenait pas pourquoi aucun de ses fils n'avait survécu à l'accouchement ou même à la première nuit. Etait-il damné ? Maudit ? Il préférait ignorer le visage de son épouse dans son esprit. Il l'avait suffisamment tenu coupable des décès de leurs enfants durant tout ce temps. Durant des années, Anne avait porté des héritiers potentiels, tous les quatorze mois environ. Aucun garçon n'avait survécu. Et voilà qu'aujourd'hui, il s'apprêtait à accueillir un futur Roi qui n'était pas son fils. Tout le royaume ne parlait que de la montée au pouvoir de François D'Orléans. Du prochain mariage royal. Sa tendre et innocente Claude serait bientôt une femme mariée et un jour, une reine. Le visage impassible, il quittait ses appartements pour rejoindre la salle du trône qui fleurissait de décorations et de nobles fraîchement levés et prêts à recevoir le Dauphin.

La Reine, déjà installée sur son trône observait son époux du coin de l'oeil. Elle repensait aux nombreuses discussions qu'elle avait eues avec ce dernier concernant les fiançailles de leur fille. Voilà des années que la jeune Claude de France était promise au jeune François. Pourtant, la Reine ne parvenait toujours pas à accepter cette union. Il y avait bien Charles Quint, mais le Roi avait refusé leurs épousailles pour en reformer de nouvelles. Elle n'ignorait pas le fait que Louise de Savoie en était la principale raison. Elle dévia le regard vers quelques courtisans, priant pour que les choses aillent en son sens en ce jour.

Dans les jardins du Palais, bon nombre de jardiniers travaillaient d'arrache-pied pour faire de ses luxueux jardins, un havre de paix. La réputation du Dauphin allait sans dire. C'était un fin amateur d'art et de beauté. Il fallait donc repenser toutes sculptures, tableaux et compositions florales. Près des bosquets, une discussion des plus animé avait lieu. Trois nobles, amis de longue date, évoquaient le sujet favori des dames de la cour. Robert de la Mark se tenait droit, les mains dans le dos. Les boucles brunes retombaient sur ses yeux en amande. Sa barbe naissance lui conférait un charme incroyable. Ses pommettes seyantes faisaient fondre toutes dames de la cour. Il affichait une mine amusée tandis que face à lui, Anne de Montmorency ne cachait pas sa joie. Ses longues mèches rousses étaient remontées en un imposant chignon parsemé de plumes et de perles. Elle trépignait d'impatience. Enfin, le discret et brillant Martin de Montchenu écoutait attentivement les babillages de la jeune fille. Sa peau mate, à ses yeux noisette, sa mâchoire carrée et ses longues boucles sombres, tout indiquait son ascendance italienne maternelle. Il observait sans un mot la scène entre ses deux amis. Comme souvent, Anna ne savait se tenir et Robert ne manquait pas de lui faire remarquer.

- Imaginez donc tout ce que le retour de François va apporter au royaume ! la jeune fille faisait de grands gestes. De plus, un peu d'ordre ne ferait pas de mal à certain noble. François est bien plus exigeant et impartial que le Roi.

- Faites attention à ce que vous laissez échapper Anna. Certains pourraient vous entendre, s'indignait faussement le seigneur de Sedan.

- Allons bon, et qui de vous deux, mes chers amis, irait me dénoncer au Roi ? Elle posait ses mains sur ses hanches en lançant un regard taquin aux jeunes hommes. Je sais pertinemment que tous deux êtes bien trop fidèle à notre Dauphin pour dénoncer à sa Majesté mes paroles. Les deux jeunes nobles se mirent à sourire.

- Il est vrai que nous sommes fidèles à François. Lançait Robert en arquant un sourcil.

- Cependant, ne soyez pas si sûr de vous Anna, Martin avait annoncé cela d'une voix froide. Nous sommes à la cour de France. Personne n'est à l'abri des complots et machinations. Le retour de sa Majesté François n'annonce pas que de bonnes nouvelles.

- Cela est évident, tentais la rousse.

- Soyez sûr qu'à l'instant où le prince entrera à la cour, les ennuis commenceront. L'Église est peut-être du côté de François mais cela ne suffira pas. Les Français sont fourbes et hypocrites. Le clergé quant à lui est imprévisible. Les nobles, eux, sont bien plus influent dans un règne qu'ils ne le laissent paraître.

- Vous avez raison. Le Dauphin aura besoin de notre aide. Nous serons ses yeux et ses oreilles. Un Roi se doit d'être entouré par les bonnes personnes. Continuait Robert.

- C'est entendu.

La jeune fille conclut la discussion en un hochement de tête gracieux avant de quitter les jardins l'air pensif. Là, dans le corridor qui menait aux jardins, dos à un soupirail, ne laissant pénétrer qu'un jet cristallin de lumière, une silhouette flasque se tenait. Son visage était tracé de deux billes rouges au centre et juste en dessous, une bouche en arabesque, longue et édentée. Le sang de la jeune fille n'aurait dû faire qu'un tour face à ce monstre. Cependant, elle maintenue son regard. Ses yeux bleus se fondaient dans les deux billes de sangs. L'ombre ne bougeait pas. Elle ne semblait pas posséder de membres. Sa tête était ovale. L'arrière était large et paraissait presque poisseux. Un rictus de dégoût pris place sur les lèvres de la jeune fille. L'atmosphère dans le couloir devenait froide et pesante. La forme étrange disparue alors dans un son feutré et inconnu des humains. La créature avait fui devant son opposé. Personne n'avait semblé remarquer la chose. L'instant lugubre fini, la jeune fille reprit son chemin sans angoisse. Son visage d'habitude si expressif et doux était désormais dur.

Elle devait regagner sa chambre au plus vite. Beaucoup de questions se bousculaient dans son esprit. Des questions auxquelles elle avait les réponses. Cette apparition n'était pas anodine. Anna le savait. Les choses se rapprochaient. Bientôt, les choses allaient se compliquer. Le mauvais présage planait au-dessus d'elle désormais. Voilà la première fois qu'elle voyait une de ces choses se manifester en plein jour. Il ne fallait pas qu'elle traîne. Elle prit alors le chemin des combles sans craindre de se faire remarquer. Tout le monde était bien trop occupé à préparer l'arrivée du prince de France.

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