Chapitre XV : L'Imperium
L'Allée des Embrumes n'avait pas changé : toujours aussi glauque ; ses pavés couverts de détritus, chaque coin de rues occupé par des sorciers auxquels Drago n'aimerait pas se frotter. Il fronça le nez face à l'odeur de pourriture qui berçait les lieux. À peine éclairé par des lampadaires aux chevrotantes ampoules, Drago marchait en rasant les murs, tentant de se fondre parmi l'obscurité. Bientôt, la devanture de Barjow et Beurk apparut ; la boutique, toujours aussi insalubre, dominait l'allée par sa hauteur. Des crânes d'animaux fantastiques et des objets rares se partageaient la vitrine. L'écriteau placé sur la carreau de la vieille porte en bois indiquait « ouvert. »
Drago fixa les six lettres sans oser entrer. Il ne savait même pas ce qu'il venait chercher. Dans un élan d'espoir, il s'était dit qu'au lieu de tuer Albus Dumbledore de front, il pourrait dégoter quelque chose qui le ferait pour lui. Drago serait coupable, certes, mais ce ne seraient pas ses mains qui le condamneraient à mort.
Après une longue expiration, il pénétra à l'intérieur du morne magasin ; des clochettes tintinnabulèrent, douceur renversante face à la noirceur dévorante. Les lattes du plancher grincèrent sous ses pas. Très vite, monsieur Barjow apparut ; il se tenait en équilibre sur une échelle, un livre à sa main. Le bouquin hurlait.
« Tiens, tiens, que me vaut l'honneur, monsieur Malefoy ? »
Le vieil homme plissa les paupières, jaugea Drago avec attention. Machinalement, le Serpentard fouilla la poche de sa veste afin d'y rencontrer la surface lisse et rassurante de sa baguette magique. Le fondateur et propriétaire de la boutique descendit quelques barreaux avant de rejoindre le garçon. Malgré son air chétif, le sorcier le dépassait d'une tête. Drago recula, mal à l'aise.
« Je cherche un objet particulier. Un cadeau, en réalité. Un cadeau... mortel. »
Le visage du vieillard s'illumina en même temps qu'un sourire goguenard lui mangea les joues. Monsieur Barjow disparut derrière des étagères ; ces dernières contenaient des ouvrages aux reliures de cuir. D'apparence inoffensifs, Drago se retint de les examiner : au sein de cette boutique, le moindre petit objet pouvait causer d'irréparables dommages.
Le sol crissa sous les pas du propriétaire de la boutique lorsqu'il revint accompagné d'un écrin noir.
« Ce collier, monsieur, fera l'affaire. Cinquante gallions et il est à vous. »
Drago grimaça. Il avait toujours trouvé les prix de Barjow et Beurk exorbitants. Il sortit tout de même l'argent que le vieil homme récupéra avec hâte.
« À ne manipuler qu'avec l'emballage, surtout ! »
Le Serpentard hocha la tête, le cœur battant. L'heure de vérité approchait. Bientôt, Dumbledore recevrait son cadeau empoisonné. Bientôt, le garçon serait libéré des liens qui entravaient ses poignets, libéré de sa funeste mission.
Le hurlement d'un loup s'éleva au sein de la boutique, Drago sursauta sous le rire gras de monsieur Barjow. Il le remercia, se détourna, mais stoppa tout mouvement lorsque le sorcier le héla.
« Au fait, monsieur Malefoy, c'était une très bonne pomme que vous nous avez envoyée. Le Seigneur des Ténèbres doit être ravi. »
Il hocha la tête, pressé de s'enfuir de cet endroit sordide. Le rire du vieil homme le suivit jusqu'à l'extérieur de sa boutique. Dehors, des flocons valsaient, puis s'écrasaient sur les pavés spongieux de l'Allée des Embrumes. Drago surveilla les alentours et disparut dans un CRAC !, l'esprit en vrac.
***
Les Trois Balais était plein à craquer, une chance pour Drago qui put passer inaperçu aux yeux des personnes présentes. Depuis son arrivée dans le pub, il surveillait les élèves afin de choisir une cible qui livrerait le cadeau qu'il avait préparé pour son directeur. Planté dans l'ombre, il avait bien failli s'enfuir en repérant Saint Potter et ses amis assis autour d'une table. Le professeur Slughorn leur offrait sa compagnie, au grand dam de Granger qui avait reçu des gouttes de Bièraubeurre sur ses vêtements.
Une fille de Gryffondor, Katie Bell, s'éloigna de son groupe d'amis et se dirigea droit vers lui. Le cœur serré, Drago paniqua. Que lui voulait-elle ? La jeune femme s'arrêta devant le Serpentard, les sourcils haussés.
« Tu comptes bloquer le passage encore longtemps, Malefoy ? »
Il réalisa qu'il se tenait devant la porte des toilettes. Sans réfléchir une seule seconde, il sortit discrètement sa baguette et la pointa sur la rouge et or qui écarquilla les yeux.
« Qu'est-ce que tu...
— Impero. »
L'expression de Katie Bell changea du tout au tout ; à présent, l'air hagard, elle souriait à Drago sans lui donner l'impression de réellement le voir.
« Livre ça à Dumbledore. »
La Gryffondor hocha la tête et s'éloigna de lui. Lorsqu'elle retourna avec ses amis, Drago espéra qu'elle respecterait son ordre. Une forte nausée le frappa. Le poids de ses actions pesait sur son âme, comme une chaîne invisible qui le retenait prisonnier. Il se sentait coupable, non pas d'un simple remord passager, mais d'une culpabilité profonde, telle une blessure refusant de cicatriser.
Morose, le Serpentard tenta de se frayer un chemin entre la foule ; il croisa le regard de Potter qui le glaça. Jamais il n'avait vu autant de haine dans l'expression de quelqu'un. L'avait-il vu ensorceler sa camarade ? Il l'ignora, prétextant l'indifférence, puis sortit de l'établissement.
La neige avait recouvert le sol. Le soleil disparaissait peu à peu derrière l'étendue immense du Lac Noir, ses rayons reflétant leur lumière sur les toits enneigés de Pré-au-Lard. Ça plairait à Luna, pensa-t-il.
Il s'éloigna du pub, expirant des nuages de buée. Ce soir, Dumbledore mourrait. Ce soir, tout prendrait fin. Sa mission accomplie, l'échec de son père s'en retrouverait pardonné. Toutefois, l'achèvement de cette tâche amènerait le chaos à Poudlard. Voldemort prendrait le contrôle de l'école. Les nés-moldus, sangs-mêlés et traîtres à leur sang souffriraient. Luna souffrirait. Cette dualité entre sa survie et sa culpabilité menaçait de l'entraîner au sein d'un gouffre.
« Bonjour, Drago. »
Il manqua de peu renverser la Serdaigle ; elle se tenait droit devant lui, un petit sourire figé sur son visage devenu rouge à cause du froid. Elle portait une écharpe bleu et bronze à l'extrémité de laquelle il repérera les initiales de la Serdaigle.
« Luna. »
Un silence. Drago jubilait intérieurement que Stefen ne l'accompagnât pas. La situation aurait pris un tournant bien moins plaisant. Toutefois, un profond malaise le frappa face à son incapacité à aligner deux mots. Luna lui offrit un salut de la main avant de commencer à s'éloigner.
« Attends ! »
Le Serpentard la rattrapa en deux enjambées ; ses joues le chauffèrent en même temps que son cœur s'affolait. Drago fit passer le pendentif qu'il portait autour du cou par-dessus son pull ; le serpent à plumes que Luna lui avait offert. Il l'avait fixé à une chaîne afin que le cadeau de la jeune femme ne le quittât plus.
« Je... je voulais te remercier pour le serpent.
— Je suis ravie qu'il te plaise. »
Une joie éblouissante peignait le visage de Luna. Il voulut hurler. Il se détestait. Il devrait la repousser, au lieu de quoi, il discutait chaleureusement avec elle. Drago se montrait égoïste. Le garçon deviendrait bientôt la cause de ses malheurs, de leurs malheurs à tous. Pourtant, une attraction le poussait vers elle. Vers son sourire. Sa douceur. Sa tolérance.
Il saisit les mains de Luna et les porta à ses lèvres. D'abord surprise, elle rougit, puis partit dans un grand rire.
« Fais attention à toi, Luna. »
Avant qu'elle ne pût répondre, il se détourna et regagna la route qui le mènerait jusqu'au château d'un pas précipité.
***
À l'exception de Blaise et Drago, la salle commune de Serpentard était déserte. Tous à Pré-au-Lard, d'après son ami. Drago fut ravi de n'avoir croisé aucun d'entre eux lorsqu'il s'y trouvait. Il se prit le visage entre les mains et soupira. Ses jambes tremblaient. Il attendait la panique que causerait la mort de son directeur.
« Quelque chose te tracasse ? »
Drago l'entendit à peine, accaparé par ses sombres pensées.
« C'est à propos de tu-sais-quoi ?
— Blaise !
— On est seuls, ne t'inquiète pas.
— Tout va changer, maintenant. Il va gagner.
— De quoi tu parles ? »
Au même moment, le tableau de la salle pivota dans un fracas. Apparurent Pansy, Théodore, Goyle, Crabbe et d'autres élèves de leur maison, la mine sombre. Alors ça y est ? Je suis devenu un meurtrier ? songea Drago.
« Par Merlin, on pourrait croire que vous venez de vous faire piétiner par un troll !
— C'est grave, Blaise, déclara Théo, lugubre. Une fille de Gryffondor est entre la vie et la mort.
— Les visites à Pré-au-Lard sont suspendues jusqu'à nouvel ordre, ajouta Pansy. Elle aurait été ensorcelée sur le chemin du retour. Les professeurs n'ont pas donné d'autres explications. Nous savons seulement que c'est la merde. »
Lorsque Drago croisa le regard sidéré de Blaise, il réalisa que son ami le savait coupable. Toutefois, une autre fatalité écrasait toutes ses pensées : il avait échoué.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top