Les couloirs froids s'offraient à Drago. Déserts, il ne croisa personne sur son chemin. Malgré l'ambiance de Noël, malgré toutes les décorations illuminant chaque recoin du château, un nuage morose s'épanouissait tout autour de Drago. La grande porte à double battant de la Salle sur Demande lui apparut. D'un pas rapide, il rejoignit l'armoire à disparaître ; Drago avait informé sa mère de sa découverte et cette dernière lui avait envoyé une lettre au sein de laquelle elle le félicitait et lui demandait de faire au plus vite. Ces derniers mots avaient plongé le Serpentard au sein d'un profond malaise. Même s'il réparait le meuble, le jeune homme devait encore trouver un moyen d'assassiner son directeur, chose à laquelle il n'avait pas prêté attention pour le moment.

Debout face à l'antiquité, Drago frissonna. Comment le Seigneur des Ténèbres pouvait-il penser qu'un élève de sixième année parviendrait à réaliser une mission d'une telle ampleur ? Pourquoi était-ce à lui de payer les fautes de son père ?

D'une main tremblante, il pointa sa baguette sur l'objet de sa tâche. L'espoir qu'un simple sort lui permît de mener à bien cette partie de sa besogne brilla au sein de sa poitrine.

     « Reparo. »

Un morne silence répondit au sortilège. Le souffle court, Drago saisit un bibelot qui trônait sur une table, ouvrit l'armoire à disparaître afin d'y déposer l'objet, puis referma la porte en s'adossant contre cette dernière.

Un.
Deux.
Trois.
Quatre.
Cinq.

Il soupira en même temps qu'une angoisse lancinante le poignarda.

Six.
Sept.
Huit.
Neuf.
Dix.

Drago se redressa, les jambes flageolantes, et, osant à peine regarder, ouvrit à nouveau le meuble poussiéreux. Aucun changement ne s'était opéré. Rien n'avait disparu. Pris de panique, Drago recommença, encore et encore, mais la magie ne l'aida pas ; le bibelot refusait de s'évader. Il saisit ce dernier et l'envoya valser à l'autre bout de la Salle sur Demande. Il détestait cette mission. Détestait son maître et sa foutue Marque qui prenait plaisir à lui brûler la peau. Détestait son père et son échec cuisant. Il aurait aimé abandonner. Il aurait voulu que Voldemort choisît quelqu'un d'autre pour accomplir sa sale besogne. Il ne souhaitait pas devenir le bras droit de la Mort elle-même.

Accompagné d'un cri de rage, il renversa tout un tas d'objets, noyé par sa détresse, sa peur et sa haine. Et lorsque son bras le chauffa, incandescent, Drago s'affala sur le sol, en larmes.

***

Dehors, la cour de l'école était recouverte par un fin tapis de neige ; elle commençait à fondre. Des gouttes d'eau glissaient le long des pierres et des branches d'arbres. Le Serpentard, du sommet de la tour d'astronomie, avait repéré la silhouette familière de Lovegood. Mû par il ne savait quelle impulsion, il avait descendu les marches quatre à quatre dans l'espoir de la rejoindre avant qu'elle ne s'en allât.

À présent à l'extérieur, Drago regretta l'absence de son manteau et de son écharpe. Un froid incisif mordit ses doigts et chacune de ses expirations se transformait en un petit nuage blanc. Des oiseaux piaillèrent en vol, rasant de très près le sommet du crâne du garçon. La neige craquait sous ses pas et bientôt, il rencontra deux billes d'un bleu incandescent : Luna l'observait, intriguée, un livre dans les mains.

     « Tu n'as pas peur que tes amis nous voient ensemble ?

— Je m'en fiche. »

Ses joues le chauffèrent en même temps que Luna écarquillait les yeux, surprise.

     « Ce n'est pas comme s'ils étaient friands du froid ! se reprit-il après s'être raclé la gorge.

— J'aime bien l'hiver. Surtout la neige. Ma mère et moi nous amusions souvent à regarder les flocons. Ça me manque.

— Tu pourras bientôt la revoir. Les vacances de Noël approchent ! »

À cette pensée, son cœur se serra. Lui ne rentrerait pas pour les fêtes. Son maître attendait des résultats ; sa présence à l'école de magie était donc requise.

     « Elle est morte, Drago. Depuis des années. »

Quelque chose se fissura en lui. Le silence s'éternisa entre eux ; Drago ne sut que répondre. Imaginer la perte de sa propre mère le plongea dans un profond désespoir et penser qu'elle pût mourir un jour l'acheva. Alors voir Luna parler du décès de la sienne avec tant de calme, de résignation, ça le brisa. Il aurait voulu la serrer dans ses bras. S'excuser. Toutefois, il demeura immobile, muet de stupeur.

     « Ne fais pas cette tête. Je suis triste, parfois, mais son absence est devenue une habitude. »

Une larme roula le long d'une joue du Serpentard. Il attrapa sa baguette et la pointa en direction du ciel ; la perplexité de Luna lui tira un sourire. Ce dernier s'élargit lorsque la jeune femme revêtit un air émerveillé face aux flocons qui s'écrasaient sur son nez. Elle posa son roman à même le banc humide, se redressa et sautilla en frappant dans ses mains. La poitrine de Drago s'enflamma. Il s'agissait de l'un des plus beaux spectacles auxquels il avait pu assister. Même la coupe du monde de Quidditch lui paraissait bien terne face à la joie brûlante de la Serdaigle. Joie dont Drago était l'instigateur. Créer le bonheur plutôt que le malheur, voilà ce qu'il souhaiterait. Toutefois, l'ombre de Voldemort planait au-dessus de sa tête, au-dessus de leur tête à tous. Prêt à frapper, le mage attendait tapi dans l'ombre. Et lorsque les ténèbres surgiraient, Drago aurait les mains tachées de sang. Sa simple présence au sein de l'école menaçait son équilibre. Son maître avait placé un bourreau en son sein. Voldemort l'avait transformé en un futur tueur.

Une douce chaleur enveloppa sa joue gauche. Luna recula, le visage rouge, souriante. Elle lui avait embrassé la joue, à lui ! Les battements de son cœur accélèrent en même temps que ses sombres pensées l'assaillirent ; si elle avait eu connaissance de sa condition, jamais elle n'aurait posé ses lèvres contre sa peau. Jamais elle ne lui aurait offert son amitié.

     « Merci », souffla-t-elle.

Et alors qu'elle se détournait, alors qu'elle rejoignait le nuage de flocons afin de tournoyer au travers, un torrent de larmes inonda le visage de Drago.